La vie des autres: Nouvelles
Par Marjolaine Deck
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
À la suite d’une observation assidue et certaine du monde qui l’entoure, Marjolaine Deck décide de coucher sur le papier les sentiments des autres et par ricochet ceux qui nous habitent au quotidien.
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Avis sur La vie des autres
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Aperçu du livre
La vie des autres - Marjolaine Deck
1
La fille du concours
Elle était brune et bien portante, placée quelques mètres devant moi. Pour rejoindre la place qui était la sienne, elle avait dû passer près de moi, c’est comme ça que je l’ai remarquée. Elle avait de longs cheveux frisés. Ses Dr Martens, sa jupe aux genoux et ses collants filés.
Elle semblait assez jeune, 22 peut-être, 23 ans tout au plus. Elle devait écouter de la musique un peu rock. Nous étions là pour passer un concours de la fonction publique de catégorie A. On ne peut pas dire qu’elle rentrait dans le moule ou en tous cas, celui qu’on imagine. Elle aurait pu sortir d’un lycée, avec un baccalauréat littéraire, passant ce concours après une licence d’histoire ne sachant quoi faire sans devenir enseignante, c’était peut-être l’opportunité pour changer de voie. Souvent ces concours-là sont pleins de droit, pourtant aucune distinction n’est faite sur la nature de la licence passée pour y accéder, simplement, le BAC+3 est exigé. Peut-être vivait-elle encore chez ses parents ou en colocation avec un meilleur ami, une indépendance toute relative. Une autonomie financière faite de bourses émanant du Crous et de baby-sitting peut-être un ou deux enfants à gérer de la sortie de l’école jusqu’au retour des parents. Elle aime les pubs et boire des bières avec ses amis. Elle aime les animaux, elle en a même certainement un, un petit rat ou un lapin. Une rate je dirais, je l’imagine blanche et quelque peu beige.
Le concours se déroulait à Paris. C’était une scène absolument surréaliste. Nous occupions presque toutes les pièces du hall 7 du parc des expositions de porte de Versailles. En pleine période de pandémie de COVID 19, tout était particulier. L’ambiance était particulière, les gens méfiants, quand j’avais toujours pu sympathiser. Et tandis que nous remontions la longue liste des halls sur le béton longeant les tapis roulants à l’arrêt, des personnages logotés de gris et de bleu sac à dos sur le dos et pistolet à la main nous aspergeaient les mains de gel désinfectant. C’était angoissant, l’odeur d’hôpital entourait le bâtiment. Alors que nous devions maintenir des distances dites de sécurité, au moment d’y entrer, ce fut la cohue, la bousculade. Les « gestes barrières » étaient oubliés. Des agents de sécurité nous indiquaient d’un geste s’il fallait descendre ou monter, enfin, l’endroit où nous devions nous diriger. Tout le monde portait un masque, chirurgical pour la plupart. Pas un soupçon d’humanité.
Mais elle, elle est passée comme ça près de moi. Et là je me suis demandé pourquoi et comment ses collants étaient filés. Je ne pense pas qu’elle vivait à Paris. Je suppose qu’elle s’était levée tôt le matin, ayant préparé ses affaires la veille dans sa chambre d’ado entre deux dessins de manga. Elle s’était lavée la veille, le matin, elle n’aurait plus eu qu’à s’habiller. Le soir, elle a vérifié par deux fois que tout le paquetage était prêt. Le soir elle a dîné avec ses parents. Un plat cuisiné par sa mère. Rien de diététique un plat bien franchouillard, au goût d’automne, chaleureux comme l’amour dont on entoure de nos bas nos enfants. Elle était très stressée et ce soir-là parlait peu. Ses parents l’ont rassurée, lui ont souri. Presque aussi stressée que pour son bac, alors qu’objectivement ce n’était pas sa vie qu’elle jouait, c’est juste une année. Après le dîner, elle a enfilé son pyjama, et s’est couchée, sa mère est passée, et l’a encouragée d’un doux « tout va bien se passer ». Elle avait travaillé, avant d’y aller, elle avait révisé encore et encore. Annales, recommandations, forums, elle n’avait pas cessé depuis ces trois derniers mois, depuis qu’elle s’était décidée. Ce n’était pas une réelle vocation, une simple opportunité, alors pourquoi être autant angoissée. Elle a eu un peu de mal à s’endormir, elle a feuilleté quelques pages de son carnet de révisions, et puis le sommeil a fini par l’emporter. Même la lumière était restée allumée. Le matin qu’elle s’était réveillée paniquée dès la première sonnerie du réveil. Elle s’est levée s’est habillée, un petit passage par la salle de bain pour se débarbouiller. Le matin, sa mère avait elle aussi mis son réveil pour la rassurer et s’assurer qu’elle parte rassasiée. C’était une évidence pour cet instinct maternel nourricier. J’ai toujours trouvé marrant ce besoin. La nourriture comble tout, l’affection, le stress, la tendresse. C’est une bonne compensation pour tous les manques.
Elle a ensuite marché jusqu’au RER, 20 minutes après, elle arrivait à la gare du Nord, les yeux baissés, elle a rejoint le métro. Elle avait peur d’être en retard et si l’épreuve était prévue à 9 h, il était indiqué que la présence des candidats était réclamée une heure et demie avant. Comme il était suffisamment tôt, il n’y avait pas grand monde dans le métro. Quelques sans domiciles un peu alcoolisés, quelques femmes, tailleurs et talons hauts, parties travailler, et quelques hommes sur leurs portables, semblant très occupés. Elle était là stressée au milieu de cette rame de métro, où personne ne la voyait. Elle était aussi invisible qu’elle ne se le sentait. Finalement elle est arrivée, le chemin a été vite trouvé, mais l’ouverture des portes n’avait pas encore eu lieu. Alors elle devrait attendre. Et elle a attendu sagement jusqu’à ce qu’une heure avant l’heure décisive les agents de sécurité n’ouvrent la porte qui ouvrait sur le parc, convocation et pièce d’identité dégainées, elle avançait, tête baissée, convaincue qu’elle en savait assez et pourtant elle semblait s’excuser d’exister. Elle a avancé jusqu’au hall où d’autres agents l’attendaient. Un certain nombre de candidats étaient déjà là, mais encore loin de la majorité de ceux qui seraient présents. Elle s’est installée, a posé de manière disparate les quelques objets qui lui seraient essentiels pour passer cette épreuve.
Une bouteille d’eau, deux barres de céréales aux pépites de chocolat, une trousse noire en velours avec quelques patchworks nuancés de rose et de bleu éclairé. Et puis elle attendait, elle attendait, le décompte, les annonces, le règlement, la distribution des sujets, et l’ultime prononcé, avant de se lancer : « Vous pouvez retourner les sujets, il est 9 h 08 vous avez jusqu’à 13 h 08, le sujet comporte 30 pages, vérifiez qu’elles sont toutes présentes ».
Elle était stressée, elle réfléchit à tout ce qu’elle avait lu sur la notion du temps et sa répartition, mais le stress prenait beaucoup plus de place et pourtant elle le ferait. Elle était là, elle allait saisir sa chance et essayer. Au bout d’une heure, elle s’est rendu compte qu’elle lisait les documents beaucoup trop longtemps, elle a alors accéléré. Elle a pris le risque d’aller plus vite et en listant les documents beaucoup plus rapidement. Elle a relu le sujet avant de se lancer et de tenter d’agencer tous ces éléments qu’elle découvrait. Le temps passait, et elle avait de plus en plus la sensation qu’elle n’y arriverait jamais. Lorsqu’il ne resta que 5 minutes pour clôturer cette épreuve. Elle choisit des éléments les plus simples à réaliser en annexe, bien qu’il ne lui semblât pas que ce fut les plus pertinents. Finalement le gong sonna, le dernier document n’était pas totalement terminé, mais ça ne se voyait pas énormément. Pourvu que les examinateurs ne s’en aperçoivent pas.
Ce fut l’heure de la pause déjeuner, 2 h… Dans le froid, les restaurants étaient fermés, et sa maman lui avait préparé une lunch box, avec un sandwich club réalisé avec amour. Thon mayonnaise exactement ce qu’elle aimait et un fruit. Ce midi-là, c’était une pomme. Elle a réussi à trouver un rebord de pot de fleurs pour s’installer. Il y avait des milliers de personnes et