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l'huile ou la caisse: roman rock'n'rural
l'huile ou la caisse: roman rock'n'rural
l'huile ou la caisse: roman rock'n'rural
Livre électronique294 pages4 heures

l'huile ou la caisse: roman rock'n'rural

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À propos de ce livre électronique

Au coeur de Rilhac-Rancon, Pauliette Block et son caractère bien trempé gère d'une main de maître sa petite boucherie-charcuterie aux côtés de sa timide et docile fille Chantaline. D'emblée, rien ni personne ne pourrait venir troubler la cadence bien huilée de ce petit commerce réputé pour ses spécialités. Jusqu'à cet épisode fracassant qui va chambouler le quotidien de ce duo familial et ouvrir les portes d'un passé doux-amer aussi croustillant qu'un incongru testament.
Un roman 100% rock'n'rural et burlesque, enrobé d'une pointe de poésie et pimenté par la petite galerie de portraits du bistrot "Aux Gens Bons Beurre" dominée par le spiritueux postier Gaëtan Vieilledent.
"Un bouquin à savourer sans modération grâce à son humour fait maison, nom d'un bousin", conclut Pauliette Block en personne.
LangueFrançais
Date de sortie30 janv. 2018
ISBN9782322149827
l'huile ou la caisse: roman rock'n'rural
Auteur

Lionel Perret

Lionel Perret a 43 ans. Graphiste de profession, passionné de photographie et créateur de rimes aussi riches qu'un fondu creusois, L'huile ou la caisse est son premier roman.

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    Aperçu du livre

    l'huile ou la caisse - Lionel Perret

    Ici repose Dame Go,

    Qui vivait en végétarienne.

    La pauvre n’a vraiment pas de veine,

    Sur sa tombe il y a : ci-gît Go.

    Pierre Dac

    L’os à moelle

    - TABLE DES BONNES MATIÈRES -

    Pauline + Paulette = (?)

    100% matière grasse, 0% de crédit

    Chanchan chantonne au labo

    Tournée générale, hein, bon

    L’huile ou la caisse

    Jules et gym

    Secret de polichinelle dans l’tiroir

    À la mode de Caen

    Les tontons buveurs

    Demain, c’est le jour du saigneur

    Nourri, logé, rougi

    ProMesses de minuit

    La danse du moule wok

    Salade de museau sauce bibiche

    La paix des caleçons

    Du rififi à Rilhac

    Hosto et os en gelée

    Apprenti sage, tu perds ton sang-froid

    Femme fontaine sur son trente-et-un

    Pour une poignée de bon lard

    Entre réalité et poétique fiction

    Bague du bègue au doigt

    Pièce montée et mère démontée

    Le jour des zobs secs

    L’amour en héritage (le testament)

    Pauliette + Chantaline = (?)

    Encore un petite fin ?

    - Avant-propos à caractère préventif -

    Chère amie lectrice, cher ami lecteur,

    Vous vous apprêtez à tourner les pages d’un vaudeville des champs ayant épousé un rêve de comptoir.

    Dans le premier chapitre de ce roman, certains mots argotiques utilisés en des temps plus anciens peuvent heurter la sensibilité des plus urbains.

    Afin de ne laisser personne baigner dans une parfaite ignorance et pour vous éviter de sauter sur votre tablette tactile pour en vérifier le sens, les mots en question vous sont expliqués à chaque bas de page.

    1

    Pauline + Paulette = (?)

    Chaptelat, chemin de Malledent, dans le Limousin.

    Jeudi 25 juin 1925.

    Comme chaque jeudi, à travers une brume blanche matinale, Adrien et Berthine Coennen réveillaient la campagne avec leur charrette bétaillère, sillonnant plusieurs kilomètres de chemins caillouteux, direction les abattoirs de Limoges. La veille, deux de leurs moutons avaient hélas gagné à la terrible loterie régionale pour participer au grand bal de l’abattage. À chaque fois, les deux élus avaient pour habitude de manifester leur objection en bêlant un nombre incalculable de bêêê. Adrien répliquait son habituelle formule « Mais si, Méchoui c’est ainsi, mais si, Méchoui c’est ainsi » qui ne manquait jamais de faire rire Berthine à gorge déployée. Lors du passage de l’habituel convoi, solidarité animalière oblige, quelques vaches limousines postées en bordure de pré meuglaient une prière pour l’âme de ces ovins au destin pour le moins funeste.

    — Finis donc de m’faire glousser. Sinon, j’vais appiocer ¹ sur le champ. On s’rait dans d’beaux draps. Pire, si ça continue, j’vais m’vider l’jabot ². Je sens que j’ai la chicorée qui remonte.

    Car ce matin-là, tandis qu’Adrien tenait les rênes, Berthine soutenait son ventre aussi rond qu’une meule de foin.

    — Ça l’rendra gaillard tout ça le miston ³. Il a même pas vu l’jour qu’il court déjà les grands ch’mins depuis ta panse. En attendant, faudrait pas qu’tu vêles avant d’arriver à la ville. On sait pas y faire nous autres sans tire-gosse ⁴ crévindiou.

    Dans le lointain du jour naissant, Limoges n’habillait pas encore l’horizon. Plus le temps passait et plus la jeune femme ressentait de vives douleurs. « Les premières contractions arrivent », pensait-elle. L’inquiétude se lisait peu sur son visage jusqu’à cette main qu’elle porta entre ses cuisses. « Voilà t’y pas que la poche s’est ouverte maintenant », remarqua-t-elle discrètement. Un liquide tiède et légèrement odorant se répandit sur l’assise en bois, mouillant ses bas et sa longue robe noire. Tout son corps se mit à trembler de peur et d’appréhension.

    — T’as donc froid pour trembloter de la sorte ?

    — Ton miston, j’crois ben qu’c’est maintenant. J’crois qu’il arrive. J’viens de rendre les eaux.

    — Nom d’une salopette. Je t’avais pourtant bien dit d’attendre jusqu’à l’hospice. Ah, t’es quelqu’un. T’es pas la moitié d’une bonne femme. J’m’en va m’arrêter tantôt, bonsoir d’bougresse. C’est-y pas croyable. Rendre les eaux à travers champs le jour des maquignons. Et à la fraîche en plus. Une chance encore qu’il ne pleuve pas.

    Berthine descendit péniblement de la charrette pour s’allonger à même le sol. Juste avant, elle tâta du pied pour vérifier la présence d’un éventuel fossé. Une fois installée, elle se retrouva très vite dans une position plus qu’inconfortable. Sans compter l’ivraie perlée de rosée qui mouilla son dos en un rien de temps. « Et si j’allais sur la paille ? Au milieu des moutons. Là-bas dessus, je serai bien mieux à mon aise », pensait-elle. Tandis qu’Adrien tassait du tabac dans sa pipe pour faire passer sa nervosité plus que le temps, Berthine ouvrit l’arrière de la bétaillère et se glissa doucement entre les deux fameux moutons, qui, sans se rebeller, se plaquèrent un peu plus contre la paroi. Une odeur âcre et forte, mélange d’animaux anxieux et de laine poisseuse vint parfaire le tableau de cette maternité improvisée à ciel ouvert. Loin l’éther, loin l’eau chaude et le linge propre, et loin Thérésine, la guette-au-trou ⁵ de son hameau.

    — Mais où t’es donc passée la Berthine ?

    — Je suis là, sur la paille. Avec les moutons.

    — C’est pas possible. Avec les bêtes autour, tu risques de te ramasser un coup d’sabot dans les naseaux. C’est pas pensable.

    Rien n’importait plus à Berthine que de commencer le travail. Sous la lippe balbutiante et le regard ébouriffé d’Adrien qui jusqu’à présent n’avait assisté à rien d’autre qu’à la naissance de quelques animaux de sa ferme, la future mère se laissa guider par son instinct. Sans aide aucune, elle se mit à pousser avec un courage décuplé. Elle se souvint toutefois de ce jour précis vécu pendant son enfance. De ce matin d’hiver aussi froid que marquant, lorsque sa propre mère lui avait demandé de l’accompagner chez une voisine pour aider cette dernière à accoucher de son premier enfant. Entre deux souvenirs attachés au passé, sous une lune blonde et la fumée brunâtre d’une pipe, elle expirait à cadence régulière avant de reprendre son souffle. Elle œuvrait avec sérieux et protocole pour mettre au monde un bébé, leur bébé, au beau milieu d’une campagne plus tout à fait endormie depuis les cris d’effort.

    Adrien, aussi adroit en matière de soutien moral qu’un jongleur les deux bras emplâtrés, préférait scruter l’horizon. Sous ses yeux, sortant hâtivement des haies vives, quelques lièvres couraient à travers champs. Humble spectacle qui l’amusait beaucoup. Plus loin, une famille de sangliers, sans doute effrayée elle aussi par les effets sonores de Berthine, ravageait sous son passage une rangée de jeune maïs avant de disparaître derrière des fourrés.

    Le travail dura une bonne vingtaine de minutes avant que n’apparaisse le début d’une tête. Adrien se pencha comme pour vérifier s’il ne s’agissait pas d’autre chose que d’un nourrisson.

    — T’y vois quelque chose ?

    — Oui, le dessus du caberlot je crois. Pour sûr, c’est pas le fessard car y a de la tignasse. Ben ma bougresse, c’est ben plus facile à y faire entrer qu’à y sortir.

    Berthine commença à ressentir le début d’un bonheur parfumé de fierté, appréhendant toutefois une éventuelle complication de dernière minute. Mais il n’en fut rien. Aux bêlements discrets des deux moutons se mêlèrent les pleurs du nouveau-né. Posée sur de la paille, sous le souffle chaud d’un duo d’ovins à la docilité et au respect exemplaires, une enfant de 3 kg 750 venait de voir le jour, en pleine nuit, chemin de Malledent. Une scène presque biblique, semblable à celle de l’enfant Jésus dans la crèche, en l’absence notable des trois Rois mages de circonstance. N’ayant pas d’eau à portée de main, Berthine essuya le corps fripé de son bébé à l’aide d’une poignée de paille imbibée d’urine. Car Faute de grive, on mange du merle, disait-on déjà à l’époque.

    — Maintenant, faut couper le cordon Adrien.

    — Ben j’aimerais bien. Mais comment faut-y s’y prendre ?

    — Fais comme pour tes saucissons, noue-le assez fort et coupe-le. Ne traînaille ⁶ pas sinon il va prendre froid.

    En l’absence d’une paire de ciseaux, Adrien n’eut pas d’autre choix que de couper le cordon avec ses incisives bien moins affûtées que ses couteaux de boucher. Petit bout par petit bout, il en vint à bout.

    — Ben c’était plus solide que mes boyaux d’porc.

    Puis il tendit le bébé à la jeune maman dont les larmes chaudes surprirent le petit corps nu.

    — Il est ben beau c’gamin, hein la Berthine ?

    — Belle ! Car tu n’as peut-être pas remarqué mais c’est une fille. J’y vois pas l’ombre d’un haricot.

    Adrien se frotta nerveusement le menton. Il s’approcha le plus près possible du bébé pour constater qu’en effet, l’appendice qui caractérise l’homme depuis la nuit des temps manquait à l’inventaire de ce bonheur matinal.

    — Ben mais c’est vrai qu’il a rien entre les guibolles ⁷. Bon sang de bois, comment c’est-y possible ? Tu m’disais toujours que ce serait un gaillard. Moi, c’est d’un boucher dont j’aurai besoin plus tard. Pas d’une donzelle ⁸.

    Adrien prit un air renfrogné, passant en un rien de temps de la tête du ravi de la crèche à celle d’enterrement de première classe. Y compris Berthine chez qui le visage radieux avait fait place à une mine déconfite.

    La charrette reprit le chemin de Limoges. Ce qui venait de se dérouler avait jeté un froid malgré le soleil qui au loin étirait ses premiers rayons aveuglants, illuminant les premières minutes de vie de la petite fille. Adrien dont le prénom rimait depuis peu avec l’adjectif chagrin, conduisait sa charrette en silence. Discrètement, il jetait mine de rien, un regard en coin sur cette silhouette aussi discrète que silencieuse. Sur celle qui venait de passer de l’ombre à la lumière et qui, en l’espace d’un trajet, l’avait fait devenir père.

    Berthine, quant à elle, chuchotait un petit air familier aux oreilles de sa progéniture qu’elle avait pris soin d’enrouler chaudement dans un bout de sa robe en coton. Le bébé se mit à exprimer sa faim par des mimiques amusantes, attiré sans doute par l’odeur d’une mère aux seins pleins de lait. « Vivement qu’on soit rendu à l’hospice pour qu’on te pèse et qu’on t’habille dans de vrais langes ma pauvre petiote », murmurait-elle.

    — Comment qu’on va t’y l’appeler déjà ?, lança timidement le jeune papa.

    — …

    — Si ç’avait été un gaillard, on l’aurait prénommé Paulien, comme mon père, pas vrai ? On n’a qu’à la baptiser Paulette.

    — …

    — Hein ? Qu’est-ce t’en dis ? Tu fais la trogne ?

    — Je pensais plutôt à Pauline. Comme ma grand-mère.

    — Pauline ? La Pauline Coennen qu’on dira plus tard au pays. Ça ressemble à Paulien et ça sonne assez bien dans les esgourdes ⁹. Va pour çui-ci. Elle s’agite un peu non ? C’est-y qu’elle aurait faim ? Faut peut-être que tu lui donnes la mamelle.

    — Non. Je vais attendre qu’on soit arrivé à Limoges. Sur la charrette, elle risquerait de s’étouffer avec tous ces nids de poule. On n’en a plus pour très longtemps n’importe comment. V’là les premiers faubourgs. Elle est un peu impatiente mais elle reste assez sage.

    — Comme tu voudras. Moi je saurais pas y faire de toute façon avec mes mamelles à moi, s’engaillardit Adrien.

    — Mon Dieu. T’es aussi bête que tes bêtes à laine. Écoute-moi plutôt. Une fois là-bas, tu iras faire la pesée des bestiaux. Moi, pendant ce temps, j’me rendrai à la maternité pour nourrir et faire peser la mignonnette. Ensuite, j’en profiterai pour lui acheter une tenue bien chaude pour le retour tandis que toi, tu iras aux états civils. On se retrouvera vers les dix coups aux abords des abattoirs. Côté porte principale.

    — Va pour tout ça. Faudra qu’on pense aussi à festoyer sa venue. Même si c’est pas un mion ¹⁰.

    — T’en as donc pas fini avec ce refrain ? Et puis c’est que l’premier. Pas dit que la prochaine fois ce sera pas un gars. Et puis une fille, tu verras, c’est toujours très proche du paternel dans bien des cas. Et si on n’en fait pas une gourdasse, elle en fera autant que moi d’ici quelques années. Peut-être même qu’elle saura couper les quartiers de jarret et faire des rôtis aussi bien que toi.

    Comme convenu, Adrien déposa Berthine à l’entrée de l’hôpital public avant d’emmener les deux moutons à l’échafaud, sans fleurs ni cornes. Sur son parcours, il décida de ne pas prendre de retard pour débuter l’arrosage de sa descendance et troqua au troquet « La Décoiffade » son traditionnel café contre un premier godet de vin blanc. Considérant qu’il avait encore du temps devant lui, il enchaîna avec un deuxième puis un troisième. Au moment même de lever le camp après avoir levé le coude, Mathurin Chevillard, maquignon de profession que tout le milieu des abattoirs surnommait « Gnongnon lève-tôt », déboula près du comptoir.

    — Et ben, l’ami Adrien ! T’as pas l’air d’amuser le terrain ce matin. Qu’est-ce qui te fait goulotter ¹¹ comme une vieille bourrique ? Ne m’dis pas que t’as déjà vendu tous tes bestiaux. Le marché vient tout juste d’ouvrir ses portes.

    — La Berthine… Elle a vêlé sur le chemin.

    — Grand diou, en effet ça s’fête. Alors ? C’est-y un gars ou une fille ?

    — Mon pauvre Gnongnon, si au moins la Berthine avait vu juste. Elle qui m’avait tant promis un mâle, voilà qu’au final, on s’retrouve à devoir élever une femelle, une braillarde.

    — Une fille ? Bah, c’est bien pour un premier descendant. Tu sais bien qu’on n’décide pas de ces choses-là. Encore heureux, du reste. Sinon, y a fort longtemps que même sans guerre, y aurait plus une âme qui vive sur terre. Faut prendre comme ça vient puis c’est tout. Comme le temps qu’il fait dehors. Il fait beau, tant mieux. Il pleut, on s’en arrange. Pour les goupillonneux ¹², c’est soi-disant les anges qui sont à l’œuvre. Foutaise. Pour moi, c’est tout bonnement la nature qui cause. Prends le bon sort par les cornes. Et puis si j’peux te souffler un dernier conseil, quand le bonheur frappe, faut lui ouvrir la porte car c’est pas si souvent que ça arrive, nom d’une trompette. Allez, trinquons !

    — Santé ! Le bonheur, il est au rendez-vous. C’est d’ailleurs pas la quantité qui manque. Mais pendant ces derniers mois, la Berthine n’a pas cessé de me répéter les mêmes boniments.

    — Quels boniments ?

    — « J’ai le ventre bien pointu, ce sera un couillu, un futur éleveur », qu’elle me répétait en boucle. Et ce, du matin au soir quand c’était pas l’midi.

    — Bah, laisse donc ce genre de mouron de côté et profite sans vergogne de ta mignonne. Elle est en bonne santé au moins ? T’as t’y vérifié s’il ne lui manque pas un ou deux orteils ?

    — À vue de nez, aucun souci de ce genre. Même si j’ai pas vérifié dans le détail.

    — Alors bascule ton verre et remercie la vie. Félicitations et tous mes vœux de bonheur à vous deux.

    — En même temps, t’as raison. Et puis t’en sais quelque chose toi avec toutes tes filles. Combien ça t’en fait déjà ?

    — Ça m’en fait quatre. C’est vrai que quand j’y repense, pour être tout à fait franc du collier d’agneau, t’en n’as pas fini avec une pisseuse. J’peux t’en causer une longueur. Sur les quatre, j’ai trois dodues qui ont la cosse ¹³. Et puis pas qu’un peu, crois-moi. J’te plains d’avance si plus tard c’est pareil par chez toi.

    — Trois sur quatre qui flemmardent ?

    — Oui, trois j’te dis. Trois qui aiment souillonner les pages de la Bible pendant que je barbaque de la bidoche. Ça valait bien le coup de besogner pour avoir un gaillard. Au lieu de ça, j’me suis retrouvé avec trois molles du bras. À la masure, ça prie autant que ces vieilles bigotes ménopausées avec un fichu sur la tête qu’on voit sortir de l’église les dimanches.

    — Et ben. Ça refroidit ton histoire de famille. Nous autres à la campagne, on n’a pas les moyens de nourrir des bouches de cossardes. Mais elles n’aident même pas un peu à la maison ?

    — Penses-tu. Que nenni j’te dis. Ça sait tout juste repriser une paire de chaussettes. Et pour le peu que ces demoiselles se piquent le bout d’un doigt, ça pleurniche autant qu’après avoir épluché un kilo d’oignons. Que veux-tu, c’est comme ça. Pourtant pas faute de leur avoir secoué le prunier de temps en temps. Mais rien n’y a fait. À la longue, j’ai fini par comprendre que ça ne servait plus à rien d’insister. Du coup, on fait avec. Ou plutôt sans. Même leur mère a essayé avec des méthodes douces. « On ne sera pas toujours là avec votre père » qu’elle leur disait. « C’est comme pisser dans un stradivarius c’que tu leur chantes » que je lui répondais à ma pauvre bonne femme. Elle qui a trop longtemps pensé qu’une de ses filles reprendrait sa boutique. À vrai dire, moi je n’y ai jamais cru. Pas plus qu’en la virginité de la Sainte Vierge. Ah, on n’est pas aidé. Pour ce qui est du travail, elles ne tiennent vraiment pas de nous, pour sûr. J’sais pas c’qu’on a fait au bon Dieu pour mériter pareilles feignasses. C’est comme si on était puni de ne pas croire assez en lui. Enfin, chacun porte sa croix. La nôtre, ma foi, n’est pas si lourde que ça comparé à d’autres. Y a hélas bien pire. Bon, tu reprends un p’tit verre avant que j’aille pincer du jarret d’veau ?

    — Boh, pas de refus. Dis voir, ta bonne femme, c’est quel style de boutique qu’elle tient ? J’me souviens plus.

    — Elle est à la fois mercière et couturière. Pendant que j’tue des bestiaux, elle redonne vie aux vieilles nippes ¹⁴. Elle rend bien des services à pas mal de monde. Elle en tombe des rouleaux de fil, crois-moi. Sans doute autant qu’un boucher qui ficelle des rôtis. Elle vend tout un tas de choses comme de la laine, des aiguilles, des fermetures Éclair et des boutons de toutes sortes. D’ailleurs bien souvent, j’ai peur que l’une de mes trois bougresses de filles vienne à confondre un de ces boutons de culotte avec une hostie. On n’est pas à l’abri d’une drôlerie du genre.

    — À ce point ?

    — Si tu les voyais. Elles en mangeraient à s’en faire péter la bedaine. Ah, avec elles, le corps du Christ, ça fait belle lurette qu’y en a plus.

    — Comme quoi, la religion, ça fait plus de mal qu’un bon canon. Et ta quatrième, ta courageuse ? Elle en est-y à user encore ses blouses sur les bancs de l’école ?

    — Ah, elle ? Grand Dieu, non. Elle est partie faire la mastroquette ¹⁵ du côté d’Angoulême avec son bourru ¹⁶. Avant même de passer son certificat d’étude. Elle a tout appris sur le tas. Lui fait de la vigne, et elle, elle vend les litrons d’pivois ¹⁷. Faut la voir dans son chai causer franc et remiser les casiers de douze.

    — Ça rattrape un peu du reste.

    — Pour sûr. Et sinon, tu m’as pas dit l’essentiel. Comment c’est-y qu’elle s’appelle ta jeunette ?

    — Pau, Paulinette… Ou bien Paulette j’crois. Voilà t’y pas que j’ai oublié c’qu’on avait convenu avec la Berthine. Me voilà bien.

    — Ah pour pareille affaire, suffit pas de croire. Un conseil, ne te goure pas le moment venu car après, ça risque d’être un peu tard. N’va pas prénommer ta petiote gamine « Paupiette ». Avec ton métier d’éleveur-boucher, on ne sait jamais, fit remarquer Mathurin d’un air moqueur.

    — Ben j’crois que c’est ça qu’il me faudra déclarer. Paulette ou Pauline. C’est l’un des deux en tous les cas. Peut-être que ça va me revenir d’ici un moment.

    Les yeux plus trop en face des trous, Adrien se mit à transpirer à grosses gouttes à la seule idée d’affronter la colère de Berthine en cas d’erreur. Un parfum de scandale bien supérieur à l’odeur de son haleine avinée qu’il lui fallait à tout prix éviter. Du bistroquet jusqu’à la mairie, il s’efforça au mieux de se souvenir duquel des deux prénoms il s’agissait. En vain. Plus d’un fut cité à voix haute, sous le regard parfois circonspect des passants. « Orise, Présentine, le prénom de mes aïeules ? Non. Léontine, Agathe, celui de mes tantes ? Non plus. Paulette, je crois bien que c’est ça qu’on avait décidé. Et si c’était Pauline ? Si j’me trompe, je vais me faire appeler Léon par ma Berthine ». La mémoire de son cerveau imbibé de doute et de Muscadet venait de rendre les armes dans un moment crucial. Égarement complet, comme un soldat déserteur en pleine campagne de Russie. Quelques instants plus tard, sous le regard ahuri de l’officier d’état civil, Adrien Coennen déclara la naissance de sa fille malgré l’ombre d’un doute immense.

    — Êtes-vous certain de ce que vous déclarez cher monsieur ? Pauliette dites-vous ? Ne s’agirait-il pas plutôt de Paulette ?

    — Non, non. C’est bien ça. Paupiette Coennen. Enfin non… Je veux dire Pauliette Coennen, future rilhacoise, née cette fin de nuit vers les quatre

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