Coulent la rivière et les jours heureux: Thriller régional
Par Jean-Marie Adam
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À propos de ce livre électronique
Le jeune Joris n’imagine pas que les vacances passées chez sa grand-mère, une femme avare et grincheuse, vont charrier un flot de souvenirs qui le tarauderont longtemps. Au point de rappeler brusquement ses deux cousins auprès de lui, trente et un an après avoir partagé leurs aventures estivales sur les rives de la Tanaisie. Un secret s’est glissé dans leurs souvenirs d’enfance. Au fil des années, les certitudes ont remplacé les questions. Cette nuit-là, les trois cousins vont trouver les réponses aux mystères qui hantent la rivière sauvage.
Un thriller régional haletant qui ne manque pas de souffle et pour lequel le suspense est au rendez-vous !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Kiné-ostéopathe installé dans la vallée de l’Ourthe, Jean-Marie Adam est l’auteur, avec le Padre Quertemont, de Adoption, une famille dans la tourmente, dans lequel il révèle sa passion pour l’Afrique où il passe ses vacances pour venir en aide aux plus démunis.
EXTRAIT
J’ai beau me raisonner, une sueur froide perle sur mon front. Je suis un peu en avance, 22 heures. Je les imagine, ils doivent avoir garé leur voiture de location sous le grand chêne près de la rivière et, vêtus de sombre, ils cheminent, silencieux, dans l’obscurité.
Aucun indice dans cette nuit sans lune. Mon cœur cogne, je l’entends : l’émotion des retrouvailles, la peur aussi, juste comme autrefois, lorsqu’ils m’envoyaient en mission spéciale de nuit.
Et puis, ce bail : plus de trente ans sans les avoir revus !
Le silence de la forêt m’encercle, et, paradoxe, mille bruits troublent cette tranquillité. Il me semble entendre marcher quelqu’un derrière moi tandis qu’un grincement plaintif donne un coup de canif dans le calme nocturne de ce début novembre. Probablement deux branches qui se chevauchent au gré du vent d’automne.
Un doux gazouillis avec ses accents de cristal témoigne de la présence du ruisseau. Il serpente, se balade en creusant, infatigable, les vallons. Les yeux fermés, je me remémore. Il dessine ses arrondis, s’applique dans sa calligraphie. Il s’accélère, descend par petites cascades joyeuses, se calme pour former cette nappe limpide où passent s’abreuver les chevreuils et les biches.
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Aperçu du livre
Coulent la rivière et les jours heureux - Jean-Marie Adam
J’ai beau me raisonner, une sueur froide perle sur mon front. Je suis un peu en avance, 22 heures. Je les imagine, ils doivent avoir garé leur voiture de location sous le grand chêne près de la rivière et, vêtus de sombre, ils cheminent, silencieux, dans l’obscurité.
Aucun indice dans cette nuit sans lune. Mon cœur cogne, je l’entends : l’émotion des retrouvailles, la peur aussi, juste comme autrefois, lorsqu’ils m’envoyaient en mission spéciale de nuit.
Et puis, ce bail : plus de trente ans sans les avoir revus !
Le silence de la forêt m’encercle, et, paradoxe, mille bruits troublent cette tranquillité. Il me semble entendre marcher quelqu’un derrière moi tandis qu’un grincement plaintif donne un coup de canif dans le calme nocturne de ce début novembre. Probablement deux branches qui se chevauchent au gré du vent d’automne.
Un doux gazouillis avec ses accents de cristal témoigne de la présence du ruisseau. Il serpente, se balade en creusant, infatigable, les vallons. Les yeux fermés, je me remémore. Il dessine ses arrondis, s’applique dans sa calligraphie. Il s’accélère, descend par petites cascades joyeuses, se calme pour former cette nappe limpide où passent s’abreuver les chevreuils et les biches.
J’attends, assis à même le sol sur le tapis d’épines d’épicéas. Une sensation d’inquiétude m’envahit. Mes sens en éveil guettent le moindre indice. Le vent sent bon la forêt de mon enfance, ses effluves, mélanges de résine et de moisissures.
Bon Dieu, que peuvent-ils bien fabriquer ? Une demi-heure s’est déjà écoulée depuis mon arrivée à notre lieu de rendez-vous, au « Fagot de la Vieille Femme ». L’endroit n’est pas bien vaste, ils le connaissent. Pas de danger donc qu’on se loupe !
Le hululement d’une chouette me surprend, ajoutant une note supplémentaire à mon trouble. Bien que sur mes gardes, celle-là, je ne l’avais pas entendue arriver. Mes yeux écarquillés examinent le ciel. « Houhou », le cri s’est encore rapproché, elle fond sur moi avec son vol ouaté. Oh, comme je la fais mienne cette peur ancestrale des anciens vis-à-vis de cet oiseau !
Mais bientôt, je souris, soulagé : deux ombres noires s’avancent vers moi. Je reconnais le cri de la hulotte. En fait, c’est le signe de ralliement de Rémy.
À mon tour, j’y réponds : « Houhou ! »
« C’est toi, Joris ? »
Laurent me serre dans ses bras, il a grossi. Puis c’est au tour de Rémy de m’étreindre :
— Mais, tu trembles ?
— C’est le plaisir de vous retrouver, les gars. Tout de même, on joue gros aujourd’hui !
— Pas de panique, pas avant une mission, soldat Boons, rétorque-t-il. Celle de ce soir est d’importance. Il est 22 h 16, on a juste le temps de faire un dernier briefing et d’échanger quelques souvenirs avant de gagner la « Croix Brisée ».
— Bois, petit, tu dois mourir de soif après un aussi long voyage.
Grand-mère me tend une pinte en fer blanc remplie d’eau fraîche qu’elle vient de remonter de son puits.
Laurent et Rémy, les deux enfants de Cécile, la seconde sœur de maman, nous observent à distance. Ils habitent la ville qu’ils s’empressent de quitter dès le premier jour des vacances pour rejoindre la rivière.
— Et Louise ? demande maman.
— Elle a encore raté à l’école, se lamente grand-mère.
— On doit se faire à l’idée : les études lui poseront toujours les mêmes difficultés. Finalement, elle ne s’en sort pas trop mal par rapport au problème qu’elle a connu tout enfant !
Joris, mon grand, surtout ne t’approche jamais du puits. La Gerbelinotte se cache à l’intérieur. Si tu t’y penches, elle t’agrippera et t’emmènera.
— C’est comment, la Gerbelinotte, maman ?
— C’est une énorme bête toute rouge avec quatre grands bras, qui enserre les enfants et les emmène pour toujours au fond du puits.
Je regarde grand-mère. Elle ne dit rien, mais elle acquiesce de la tête.
La porte reliant l’étable au corridor s’ouvre :
— Maman, maman, le veau est passé dans le verger. Il a tout piétiné.
C’est la voix jeune de tante Louise qui porte une manne en osier remplie de linge.
— Oh ! ils sont arrivés ! s’écrie-t-elle en déposant sa manne. Dans mes bras, bonhomme ! Louise me soulève et me sert contre sa poitrine. J’ai le visage dans ses cheveux blonds tout soyeux, ondulés en vagues. Je me dis que, malgré la chaleur, c’est tellement plus agréable de me sentir dans ces bras-là, plutôt que dans ceux de la Gerbelinotte.
— Va le rincer à la rivière, conseille grand-mère, puis tu le mettras sécher aux fils.
Je reçois un accueil débordant de Wolf qui me lèche partout. C’est un grand chien, maigre, efflanqué, jeune encore, issu des amours éphémères entre un bouvier d’écurie et un berger allemand femelle.
— Vous m’accompagnez ? demande Louise.
Elle pousse la brouette où j’ai pris place à côté de la manne. Les deux sœurs avancent dans le sentier en devisant joyeusement. Mes mains s’agrippent à l’osier, je respire la fraîche odeur des draps propres, je ris des cahots du chemin.
Arrivées à la rivière, Louise et maman déposent la manne sur un îlot de galets, près d’un petit courant. Les deux sœurs retroussent leur robe, la roulant à leur ceinture. Elles rincent le linge après avoir frotté les taches laissées par les sabots du veau vagabond.
Moi, assis en aval sur les cailloux chauds d’un petit barrage naturel, je laisse mollement flotter mes pieds dans l’eau. Leur blancheur a attiré des vairons qui les confondent avec de la mie de pain. Cela me chatouille. Je suis bien.
Soudain, Louise se met à courir dans l’eau car, du tas de vêtements, son soutien-gorge blanc s’est échappé. Les deux bonnets descendent, tels de petits icebergs jumeaux au gré du courant. Après une brève course, elle l’exhibe fièrement. L’eau ruisselle sur ses cuisses nues déjà basanées et sur son visage juvénile. Maman aussi rit de bon cœur.
Une libellule bleue venue se poser sur une grosse pierre du barrage les fixe de ses deux yeux globuleux. Son long corps allongé se lève et redescend en cadence. Je ferme les yeux et m’allonge. Le gazouillis joyeux des deux jeunes femmes mêlé au chant continu de la rivière charme mes oreilles.
De ma main droite, j’explore les galets arrondis de la berge. J’y sens une plante. En remontant sa tige, j’en arrache une feuille que je hume. Le parfum de la menthe poivrée aquatique achève de me combler. Le soleil réchauffe tout mon corps d’enfant, et sa lumière, à travers mes paupières closes, joue à mélanger les jaunes, les oranges, les rouges.
Je savoure l’instant. Je pense à mes parents les derniers jours avant notre voyage chez grand-mère. Je me souviens des questions que je me posais et des sensations qui m’envahissaient. Pourquoi papa parle-il tout le temps, même quand il est tout seul ? Pourquoi maman recommande-t-elle de ne pas l’énerver, arguant qu’il doit se reposer ? Moi, je trouve qu’il n’a pas l’air malade.
L’odeur de l’éther me revient également. Oui, lorsque le docteur est venu lui faire une piqûre, je me rappelle ses mots : « Du repos, beaucoup de repos ! »
Maman lui a demandé : « Et le petit ? »
« Ce serait préférable de l’éloigner un certain temps » a-il répondu.
Impressions de malaise, lorsque, de mon lit, par le trou au plafond qui laisse monter un peu la chaleur, je les entends s’opposer à propos de la messe. Elle m’y emmène tous les dimanches, et je m’y ennuie. Je joue à