Essai sur le patrimoine de Beaufort-en-Vallée : une manufacture royale de toiles à voiles
Par Jean-Marie Schio
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À propos de ce livre électronique
La vallée de l'Authion était une terre privilégiée pour la culture du chanvre et il y avait, dit-on, à la fin du XVIIe siècle, plus de six cents métiers de tissage en action à Beaufort.
C'est là que Pierre Deshays obtint, le 31 mars 1750, un privilège royal pour créer une manufacture de tissage de toiles à voiles, pour répondre aux commandes de la flotte française de navires.
Le livre présente la vie de cette manufacture, avec son apogée au lendemain de la Révolution , jusqu'à son abandon total en 1862.
Jean-Marie Schio
Né en 1942 en Anjou, Jean-Marie SCHIO est ingénieur en constructions civiles et travaux publics de l'État. L'heure de la retraite venue, il se consacre à sa passion pour les arts graphiques et la connaissance du patrimoine, en particulier dans la région de son enfance, autour de Beaufort-en-Vallée.
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Essai sur le patrimoine de Beaufort-en-Vallée - Jean-Marie Schio
Du même auteur
Dans la collection, essai sur le patrimoine de Beaufort-en-Vallée :
L'église Notre-Dame, janvier 2015, BoD Éditions
Un des plus beaux comtés du royaume, novembre 2015,
BoD Éditions
Édition nouvelle 2016.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
LA CULTURE DU CHANVRE EN ANJOU
Historique de la culture du chanvre
La production de filasse et le filage
Tassement et effondrement de la production
LES ATELIERS DE TISSERANDS
Le tissage des toiles de chanvre
Les ateliers artisanaux de tissage
Corporations et confréries
Règlements et enregistrements
Les règlements de 1748 et 1780
LES COMMUNAUTÉS D'ARTS ET MÉTIERS
LES DÉBUTS DE LA MANUFACTURE ROYALE
Les besoins de la marine de guerre
Pour une manufacture en Anjou
Le privilège accordé à Pierre Deshays
L'installation à Beaufort
Les deux fabriques de Beaufort
La révocation de Pierre Deshays
Jean-Baptiste Poullot directeur
La production dans les années 1770
Les besoins de la flotte de guerre française au XVIIIe siècle
LES MANUFACTURES D'ANGERS ET BEAUFORT S'ASSOCIENT
L'arrivée de Claude Baudard de Vaudésir
Paul Desmarquais directeur à Beaufort
L'inventaire de 1790
La succession de Claude Baudard
LA MANUFACTURE DANS LA RÉVOLUTION
Joseph Joubert-Bonnaire propriétaire
Les heures difficiles de la manufacture
La Société populaire surveille la manufacture
L'appel aux tisserands de la ville
Les revendications de salaire
Les problèmes d'approvisionnement
Vers des jours meilleurs
L'EXPANSION DE LA MANUFACTURE
L'acquisition du prieuré
La manufacture sous le Consulat et l'Empire
La succession de Paul Desmarquais
LE DÉCLIN DE LA MANUFACTURE BEAUFORTAISE
Beaufort simple succursale d'Angers
La concurrence de la Centrale de Fontevraud
La vente à la commune de l'ancien prieuré
La vente de la manufacture
LA COMMUNE PROPRIÉTAIRE
La location aux associés Chérot – Van Troyen
La résiliation du bail Chérot
La recherche d'un nouvel entrepreneur de tissage
Le conseil municipal voudrait vendre
Van Troyen est maintenu dans les lieux
LA COMMUNE VEND LES IMMEUBLES
La manufacture tombe en ruines
La décision irrémédiable de vendre
La vente à l'amiable
ÉPILOGUE
ANNEXES
Constitution de la société de la manufacture 1751
Estimation des matières, ustensiles et matières de toutes natures 1774
Lettres patentes du Roi 1780
Tableau indicatif des règles de fabrication 1780
Éléments de généalogie de la famille Desmarquais
Liste des citoyens habitant la manufacture 1793
La soupe distribuée aux ouvriers en 1831
Acte de notoriété relatif à la manufacture royale de Beaufort 1843
Petit lexique du tissage
Soumission pour la fourniture de toiles à voiles 1841
Statistiques de fabrication de la manufacture 1840-1844
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
La vallée de l'Authion, en Anjou, est depuis des siècles une terre privilégiée pour la culture du chanvre. Les sols sont riches des sédiments déposés par les crues fréquentes de la Loire et de son affluent précité.
La croissance rapide des plants de chanvre s’accommode bien au cycle saisonnier de débordement des eaux.
L'artisanat de tissage se développe parallèlement, dans les villes et villages. Dans un grand nombre de foyers, les femmes travaillent la filasse l’hiver et vendent le fil sur le marché. A la fin du XVIIe siècle, il y a dit-on plus de six cents métiers en action à Beaufort.
Toutefois les toiles de chanvre restent longtemps cantonnées à un usage domestique rural.
Leur solidité intéresse l’industrie, en particulier pour fournir la marine à voiles.
Quand Antoine-Louis Rouillé, comte de Jouy et baron de Fon-taine-Guérin, devient secrétaire d’État à la Marine le 30 avril 1749, il veut rétablir la marine royale, à peu près anéantie.
Il se tourne vers l'Anjou, où Pierre Deshays, un industriel de Saumur, propose de créer une manufacture de toiles à voiles. Ce dernier ne réussit pas son implantation à Angers, où il est supplanté par Joseph Bonnaire. Il obtient néanmoins du Roi un privilège d'exclusivité, pour une fabrication dans les deux élections d'Angers et de Beaufort.
Pierre Deshays choisit de s'implanter à Beaufort-en-Vallée. Bientôt, avec ses cent-cinquante métiers, sa manufacture va bénéficier d'une forte notoriété, notamment en raison de la grande qualité de sa production.
LA CULTURE DU CHANVRE EN ANJOU
Historique de la culture du chanvre
Le chanvre est l'une des premières plantes cultivées par l'homme. L'origine de cette culture se situe probablement en Chine.
C'est une plante annuelle dont la hauteur des tiges peut varier de soixante quinze centimètres à quatre mètres, voire plus. Le cycle végétatif est rapide, inférieure à quatre mois. Semé en mai, le chanvre se récolte en septembre.
Les règles de son commerce figurent dans le livre des métiers rédigé en 1268, par Étienne Boileau : « Nul ne peut acheter fil mouillé ou chanvre mouillé, devant qu'il soit sec et bien essuyé ».
En Anjou, la culture et le travail du chanvre sont attestés depuis le XIe siècle. Au XVIIIe siècle, c'est une des principales provinces pour cette culture.
Celle-ci est concentrée principalement dans les vallées. Les terres y sont riches du fait de l'épaisseur des couches de terre végétale et des fumures produites par un bétail nombreux, nourri dans les pâturages maintenus à cette intention.
Ainsi, la culture du chanvre n'épuise guère le sol et l'on ne craint pas de revenir plusieurs fois de suite sur les mêmes terrains.
Les cultivateurs exploitent des parcelles de modeste surface. En 1893, à Beaufort, quatre cent trente et un cultivateurs se partagent la production, sur 245 hectares, avec des parcelles dont la surface moyenne est de 27 ares.
Le chanvre de la vallée de la Loire fut réputé pour sa blancheur, sa finesse et sa force. La vallée de l'Authion, dans le comté de Beaufort, était alors une zone privilégiée. Les cultivateurs pouvaient rouir¹ leurs récoltes, soit directement dans le lit de la rivière, des ruisseaux et grands fossés, soit dans des trous creusés à proximité.
L'exploitation nécessite ensuite une forte main-d’œuvre jusqu'à la commercialisation. Sorties de l'eau, les tiges sont séchées puis broyées ou tillées¹ pour séparer la fibre de la chènevotte¹. Les fibres peuvent être commercialisées en l'état aux corderies, mais celles qui sont destinées au tissage sont maillochées¹, râpées ou peignées¹.
La production de filasse et le filage
Les femmes travaillent la filasse l'hiver pour vendre le fil aux tisserands, sur le marché. Elles filent¹. Dans les maisons troglodytes des bords de Loire, toutes les femmes étaient fileuses : « sans trêve, bobinant le fil, le fuseau pirouettait dans leurs mains agiles, en gardant les moutons, les oies, en surveillant les enfants, en bavardant avec les commères, en marchant même, et le soir, en hiver dans le veilloir commun ».
[J. et C. FRAYSSE]
Certains agriculteurs vont même jusqu'au tissage de toiles de ménage, sur leur propre métier.
A partir de 1750, la production s'accroît considérablement, notamment en raison des besoins de la marine marchande, d'une part, et de la Royale, d'autre part. En 1811, le chanvre couvre autour de 15 à 25 % des terres labourables dans la basse vallée de l'Authion. En 1847, on sait que sur huit millions de kg produits en Anjou, deux sont destinés à la marine marchande pour les cordages et les toiles à voiles, deux millions et demi vont à la marine royale et, enfin trois millions et demi sont convertis en toiles diverses.
Tassement et effondrement de la production
Nous assistons ensuite à un tassement de la production, en France. Alors que la mécanisation des ateliers permet de satisfaire, sans difficulté aux besoins d'approvisionnement de chanvre, la France ne peut lutter en matière de prix avec des pays comme l'Angleterre, l'Irlande ou la Russie. Cela est d'autant plus vrai, après la mise en application du décret du 17 octobre 1855 et l'admission en franchise des objets destinés aux constructions navales, à l'armement et au gréement des navires. Ces mesures prises pour une durée de trois ans, et destinées à favoriser le développement des transports maritimes, ont alors été estimées préjudiciables à l'agriculture, à la filature et au tissage du lin et du chanvre.
Une crise grave apparaît au début des années 1880, particulièrement en Maine-et-Loire, en raison de la diminution de la demande pour les transports maritimes et la concurrence d'autres fibres pour le tissage.
L'effondrement est particulièrement significatif en vallée de l'Authion qui se tourne vers des productions grainières.
L'attribution de primes à la culture du chanvre, à partir de 1892, ne produit pas d'effet durable.
Dans le canton de Beaufort, en 1912, il ne reste plus que 108 hectares en culture de chanvre.
La production de fibre de chanvre disparaît dans la Vallée. Le chanvre y reste néanmoins présent en production de semences, dans le cadre d'une société coopérative qui regroupe, en 2016, cent vingt producteurs locaux, sur une superficie d'exploitation de 1 500 hectares et produisent annuellement 1 400 tonnes