Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le testament du maréchal
Le testament du maréchal
Le testament du maréchal
Livre électronique384 pages6 heures

Le testament du maréchal

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le 23 juillet 1951 marque le décès du vieil ex-maréchal de France, Philippe Pétain. Il devient impératif de dissimuler cette période peu glorieuse de l’histoire nationale et d’effacer les traces du régime de Vichy sur la petite île vendéenne de L’Île-d’Yeu. Cependant, le passé ressurgit de manière inattendue lorsqu’un document est découvert par Gustave Tarreau, l’homme chargé de cette tâche. Confronté malgré lui à un terrible cas de conscience, il doit faire face à des choix déchirants. Soixante-dix ans plus tard, son petit-fils est retrouvé sauvagement assassiné, son corps atrocement mutilé. Pour quelles raisons les meurtriers ont-ils commis cet acte ?




À PROPOS DE L'AUTEUR

Denis Félisaz a mené une étude approfondie de l’histoire en mettant l’accent sur la période allant de la Première Guerre mondiale aux conflits contemporains. Il tire parti de cette expertise pour enrichir ses récits, mêlant habilement faits réels et fiction. Le testament du maréchal est son premier roman.
LangueFrançais
Date de sortie7 mai 2024
ISBN9791042227685
Le testament du maréchal

Lié à Le testament du maréchal

Livres électroniques liés

Vie familiale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le testament du maréchal

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le testament du maréchal - Denis Félisaz

    Verdun

    Février 1916

    Prologue

    Le lieutenant Lejeune, affecté au 36e Régiment d’Infanterie, arriva par un bel après-midi du 20 février 1916 à Verdun. Il poussa la porte du restaurant qui se situait au bout de la ruelle étroite de la Porte Chaussée. Il était déjà venu ici, il y avait plusieurs années de cela, et en avait gardé un bon souvenir. En effet, avant le début de la guerre, il avait séjourné quelques mois à la garnison dans la région. Bien souvent, il venait dîner dans cet établissement réputé pour sa bonne chère.

    Il resta un petit moment adossé au chambranle en clignant légèrement des yeux pour se repérer dans la grande salle en partie en fumée et bruyante. Presque toutes les tables étaient prises par des officiers et des hommes de troupe qui riaient aux éclats, dans une atmosphère bon enfant. Certains, plus graves, s’étaient réunis à l’écart et parlaient à voix basse, malgré le bruit environnant.

    Lejeune fit le tour des tables du regard. Il ne connaissait personne, ce qui était aussi bien, pensa-t-il. « Rien n’a réellement changé, murmura-t-il, comme c’est surprenant ».

    Un homme en veste blanche et pantalon gris s’avança vers lui.

    C’est pour dîner, mon Lieutenant ? demanda le serveur.

    Oui, soupira Lejeune.

    Vous êtes seul ? s’informa poliment le serveur qui, sans attendre la réponse, se glissa entre les tables après s’être retourné pour voir si le lieutenant suivait.

    Il restait une toute petite table libre à côté d’un groupe de soldats qui discutaient avec entrain. Le serveur fit quelques pas et revint avec une carte à la main.

    — Voici le menu, mon Lieutenant.

    Et il repartit s’occuper des personnes qui venaient de rentrer, sans attendre la commande.

    Le lieutenant Lejeune dîna en silence, écoutant ses voisins immédiats. Il sourit intérieurement devant tant d’insouciance. La guerre semblait à mille lieues de cette salle de restaurant. D’ailleurs, Lejeune s’était promené longuement dans les rues de la ville cet après-midi. Effectivement, il y avait plus de militaires et un peu moins de civils qu’autrefois, mais la guerre semblait loin des préoccupations de la population locale. Certes, l’ennemi avait bien lancé quelques obus sur la région et la ville au cours de sa promenade, mais on était un peu plus tranquille.

    Le lieutenant Lejeune profita du silence provisoire de la table voisine pour engager la conversation avec un jeune adjudant qui était assis non loin de lui.

    Bonjour mon Adjudant, je suis le lieutenant Lejeune du 36eRégiment d’Infanterie. Je viens d’arriver à Verdun. Comment est la situation militaire, ici ?

    Mon Lieutenant, c’est plutôt calme, répondit l’adjudant au teint couperose, paraissant très jeune malgré la dureté de la guerre. Les Boches n’ont pas l’air d’avoir très envie de nous affronter, et ils ont bien raison ! Verdun est solide, et s’ils veulent se casser les dents sur nos armées, bon courage à eux. Cependant, ajouta-t-il, ils semblent vouloir se tenir tranquilles malgré certains mouvements détectés à l’est de nos positions.

    Effectivement, remarqua Lejeune, j’ai pu remarquer qu’ils nous observent au loin.

    En effet, ils nous regardent, mais rien à craindre. Eux aussi profitent de la vie et de ses douceurs, dit l’Adjudant dans un éclat de rire.

    Soudain, un bruit tout proche se fit entendre à la table d’à côté. Une bagarre semblait éclater entre plusieurs soldats passablement saouls. Le lieutenant Lejeune se leva pour aller voir, et calmer un peu les esprits échauffés. Il s’approcha prudemment. En effet, deux soldats paraissaient en désaccord sur un sujet. L’officier du 36e Régiment d’Infanterie les apostropha gentiment.

    Bonjour Caporal, annonça-t-il en reconnaissant les galons du plus âgé des deux. Que se passe-t-il ?

    L’homme interpellé avait une tête de poivrot et un physique de brute épaisse. Il regarda d’un œil morne le lieutenant.

    Qu’est-ce que cela peut te foutre, minable ? ricana-t-il en se levant de sa chaise.

    Garde-à-vous, Caporal ! Vous parlez à un officier ! répliqua d’un ton sec le lieutenant Lejeune, vaguement agacé par ce langage châtié.

    Le soûlard prit vaguement une position de garde-à-vous peu réglementaire et marmonna en direction de son voisin plus jeune.

    Tu vois, minot, à quoi mènent tes conneries maintenant ! On va être emmerdé par un planqué d’officier qui ne connaît pas la boue et le sang. Attends-toi à une bonne correction plus tard !

    Caporal, taisez-vous ! cria Lejeune, rouge de colère.

    Mais c’est qu’il aurait un semblant de courage, ma foi, ricana à nouveau la brute qui puait l’alcool à vingt mètres.

    Il s’approcha dangereusement du lieutenant et le poussa en arrière. Lejeune trébucha et s’écroula entre les tables. Un silence se fit soudainement dans la salle, où tous les regards se tournèrent vers la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Tout le monde pressentit la suite. Le caporal Victor Serre sortit de la poche de sa vareuse un couteau à lame pointue et fit des cercles devant le visage du lieutenant Lejeune. Ce dernier fit un bond en arrière pour échapper à la blessure.

    Caporal, ressaisissez-vous ! cria-t-il en direction de son agresseur.

    Je vais me le faire, ce tire-au-flanc. Je vais le crever comme une vieille baudruche ! gueula Serre.

    Soudain, le jeune soldat assis tout près essaya de pousser le caporal sur le côté, afin de protéger le lieutenant Lejeune du coup fatal. Serre se retourna vivement, malgré l’alcool, et assena un violent coup de poing sur le visage du jeune Gusti. Ce dernier s’affala de tout son long, sonné, mais pas KO. Il se releva promptement pour venir assener à son tour un uppercut au niveau du foie de Serre qui se plia en deux, en suffoquant bruyamment puis tomba à terre.

    Le lieutenant Lejeune, aidé par l’adjudant présent non loin, réussit à maîtriser l’ivrogne, pendant qu’arrivait la Maréchaussée prévenue de la bagarre par les autres clients du restaurant. Les gendarmes arrêtèrent le caporal Victor Serre et le dénommé Gusti, sans ménagement.

    La prison temporaire n’étant pas très loin du lieu de l’altercation, c’est à travers une partie de la ville de Verdun que les deux soldats firent le trajet à pied, sous le regard attristé de certains, et la compassion d’autres personnes.

    Le Commandement de la place forte de Verdun convoqua immédiatement quelques officiers, qui formèrent une Cour Martiale pour statuer sur les faits reprochés aux accusés Victor Serre et Gusti. Les faits étaient graves en réalité. Ils risquaient gros, car en 1914, le général Joffre, Chef d’État-Major général de l’Armée, avait décidé de créer des Conseils de guerre spéciaux, chargés de juger de manière expéditive les soldats accusés pour désertion, trouble à l’ordre public, refus d’obéissance et abandon de poste en présence de l’ennemi. Pour le Commandement qui craignait la contagion de l’indiscipline, une seule réponse était possible : la fermeté dans la répression de la moindre défaillance, et parfois de la moindre suspicion de défaillance. La justice militaire sanctionnait ces fautes commises par de lourdes condamnations comme la peine de mort, mais elle le faisait aussi dans un souci d’exemplarité qui visait à maintenir la troupe en parfait état d’obéissance.

    Le lieutenant Lejeune, en tant que victime, fut auditionné longuement, mais refusa de charger le caporal Serre et le jeune soldat Gusti. Au contraire, il essaya de relativiser l’altercation par le fait que la tension était forte parmi la troupe depuis le début de la guerre, et que la boisson était comme une sorte d’échappatoire face au stress accumulé depuis tant de mois passés au Front.

    Cependant, les officiers désignés comme juges pour cette Cour Martiale ne virent pas du même œil la situation. Sans faire d’enquête poussée, cette justice d’exception condamna à mort Serre et Gusti. Les deux condamnés furent ramenés immédiatement dans leur cellule respective pour attendre la date et l’heure de leur exécution.

    Et la Bataille de Verdun commença le lendemain matin.

    Ce lundi 21 février 1916 à 4 h du matin, un obus de 380 millimètres explosa dans la cour du Palais Épiscopal de Verdun, non loin d’où étaient détenus les condamnés à mort du secteur. Ce n’était qu’un tir de réglage.

    Le véritable déluge de feu commença à 7 heures 15. Les Allemands avaient installé 40 batteries de 800 canons qui pilonnèrent les tranchées françaises sur un front d’environ 30 kilomètres, jusqu’à 16 heures. Au bois des Caures, durant cette journée, 80 000 obus tombèrent et 60 000 soldats allemands passèrent à l’attaque sur un front de six kilomètres, croyant s’attaquer à des troupes à l’agonie, totalement désorganisées. Ils se heurtèrent à une résistance inattendue. Sur le reste du secteur, les défenses furent broyées, disloquées, écrasées. En quelques heures, les massifs forestiers disparurent, remplacés par un décor lunaire. Les massifs de Haumont, de Herbebois et des Caures furent déchiquetés, hachés, nivelés.

    La panique gagna jusqu’au Grand Quartier général de Chantilly où le général Joffre, Commandant en Chef des Operations, fut sommé de stopper cette avancée allemande. Il décida de faire appel au général Pétain et à la IIe Armée.

    Aussi, toutes les exécutions furent suspendues, et certains prisonniers furent extraits de leur cellule pour monter en ligne à Douaumont. Cela ne fut pas le cas du caporal Serre et du jeune soldat Gusti.

    C’est dans cette situation de reprise des combats intenses que le capitaine Henri Borguet, qui était le Commandant d’Unité des deux malheureux, arriva à la prison temporaire située, sise rue Mazel, pour s’entretenir avec les deux hommes. Si le caporal Serre reconnut les torts qui lui étaient reprochés, et accepta finalement la sentence émise par la Cour Martiale, il en fut différemment pour le jeune Gusti. Ce dernier fixa son capitaine dans les yeux, les siens étant couverts de larmes.

    Mon Capitaine, je n’ai rien fait, je vous le jure ! gémit Gusti.

    Je sais, mon petit. N’aie crainte, je vais intercéder auprès du Commandement de la Brigade pour faire annuler cette décision scandaleuse, répliqua le capitaine Borguet.

    Pourquoi cette décision ? Je n’ai fait que tenter de sauver le lieutenant qui était agressé. Pourquoi ?

    Ah, mon pauvre. C’est la guerre qui veut cela, et la justice des hommes hauts placés est difficile à expliquer.

    Mais je ne veux pas mourir, mon Capitaine ! Je suis jeune et je n’ai fait que mon métier de soldat ! Pourquoi veut-on me fusiller alors que j’ai fait une bonne action ?

    Hélas, je ne peux répondre à cette question, avoua péniblement le capitaine Borguet. Mais garde espoir en notre Seigneur, Gusti. Dieu est bon et viendra en aide aux pauvres pécheurs que nous sommes tous ici.

    Le capitaine Borguet s’éloigna rapidement de la grille fermant la petite cellule froide et humide où croupissait le jeune soldat condamné à être fusillé pour une faute qu’il n’avait pas commise. Il entendit longtemps les gémissements du jeune Gusti dans sa remontée vers le centre de la ville de Verdun où se trouvait sa compagnie au repos.

    Arrivée à son bureau provisoire, il décida de s’enquérir auprès de la 14e Division d’Infanterie de la légalité de la démarche. Il y avait bien flagrant délit, mais le 42e Régiment d’Infanterie n’était pas engagé en première ligne et rien n’empêchait de faire juger les fautifs par le Conseil de Guerre de la Division, armé par des officiers formés à la subtilité de la justice, des juges et avocats aptes à comprendre les ravages subis par la guerre dans le psychisme des combattants.

    Il décrocha le combiné téléphonique placé sur le bord de son bureau et demanda à l’opératrice de le mettre en liaison avec la Division. Au bout d’un long moment, ponctué de grésillements sur la ligne très mauvaise, il obtint un interlocuteur.

    Allô, j’écoute, annonça une voix d’un ton sec et distant.

    Bonjour, je suis le capitaine Borguet, Commandant d’Unité du 42e Régiment d’Infanterie, 28eBrigade. Je désirerais avoir une explication sur la tenue d’un Conseil de Guerre qui relève de votre juridiction.

    Ne quittez pas, je vous passe la personne compétente en la matière.

    Un silence se fit, rapidement interrompu par une voix grave et peu amène.

    Commandant Tournier, j’écoute.

    Mon Commandant, Capitaine Borguet du 42e Régiment d’Infanterie. Je souhaiterais connaître si la démarche du général Herr, Commandant de la Place Forte de Verdun, quant à l’organisation d’une Cour Martiale est légale. Pour moi, seule la 14e Division d’Infanterie à laquelle appartiennent les accusés est apte à juger des faits en temps de paix.

    En temps de paix ? Vous estimez que nous sommes en temps de paix, alors que les Boches nous canardent au Bois des Caures depuis ce matin ? Vous êtes malade ou quoi ? cria le commandant dans le combiné.

    Non, Mon Commandant ! Cependant ils étaient en repos et non au combat, argumenta le capitaine.

    C’est une décision venue de plus haut, et nous avons d’autres problèmes plus importants à traiter que le sort de deux soldats saouls. Il en meure des milliers chaque jour de cette putain de guerre, alors deux de plus ou de moins.

    Mais ce sont mes gars, et l’un d’eux est innocent, bordel !

    Au revoir, Capitaine.

    Et le commandant Tournier lui raccrocha au nez.

    Le capitaine Borguet se rendit auprès de l’État-Major de la Brigade pour plaider la cause du jeune Gusti.

    Il frappa au bureau du colonel Bernardot et attendit qu’on lui dise d’entrer. L’autorisation vint par la voix de stentor du colonel à travers la porte de bois fin.

    Il entra, salua son supérieur et se présenta réglementairement, malgré tout. Le Chef d’État-Major de la Brigade était assis derrière son bureau, une tasse de thé à la main. Il fit signe au capitaine de s’asseoir sur la chaise devant lui. Ce dernier s’exécuta prestement. Le colonel prit une fiche placée devant lui et lut.

    Capitaine Borguet, du 42e Régiment d’Infanterie, que me vaut votre visite ? Vous venez me rendre compte de l’exécution des deux traîtres à la Patrie ?

    Mon Colonel, à la vue des événements actuels, j’ai suspendu leur exécution temporairement pour venir demander une certaine clémence à l’encontre du jeune soldat Gusti, tout particulièrement.

    Quoi ? Ils sont encore vivants ? dit le colonel en s’étranglant presque de fureur.

    Pour ce qui est du caporal Victor Serre, son sort est justifié par son attitude et son manque de tenue envers la troupe. Mais pour le soldat Gusti, c’est un gamin !

    C’est un traître et un tire-au-flanc, en plus ! grogna le colonel.

    Mon Colonel, cet homme n’a pas démérité.

    Il a enfreint les lois dictées par le Commandement en se saoulant et en se battant avec un autre soldat. C’est contre les Boches qu’on se bat, pas entre Français ! vociféra-t-il. Et puis, les ordres sont clairs. On se fait tuer sur place, on ne recule pas devant l’ennemi. Or, on m’a rapporté que son comportement au combat était plus que mou.

    Mais c’est injuste et criminel, Mon Colonel ! cria presque le capitaine Borguet.

    Ouvrez les yeux, Capitaine. La guerre est une véritable boucherie. Alors, vos états d’âme me semblent bien déplacés !

    Mon Colonel, je ne me prêterais pas à cette parodie de justice !

    Attention, Capitaine ! Méfiez-vous si vous n’exécutez pas cet ordre. Vous serez poursuivi pour refus d’obéissance devant l’ennemi, et vous vous retrouverez à votre tour devant le peloton d’exécution. La guerre est injuste, mais c’est comme cela. Sortez maintenant ! Vous me faites perdre mon temps et j’ai d’autres soucis plus importants à traiter actuellement !

    Le capitaine Borguet salua réglementairement et sortit du bureau, la rage au ventre contre cette injustice et pestant intérieurement contre la bêtise du colonel.

    Dans le couloir menant à la grande salle du Poste de Commandement, il régnait une certaine effervescence. Des soldats se déplaçaient en courant, un document à la main, où s’évertuaient, des écouteurs sur les oreilles, à maintenir une communication avec les troupes sur le terrain. Sur le mur principal, une grande carte de la région était étalée. De hauts responsables discutaient sur la tactique à appliquer sur le terrain, face à l’ennemi menaçant. On se serait cru dans une ruche. On venait d’apprendre que le lieutenant-colonel Emile Driant, écrivain et Député de Nancy, avait trouvé la mort au Bois des Caures, et avec lui, 1 120 hommes.

    Un officier interpella le capitaine Borguet. C’était une camarade de régiment affectée au PC de la 28e Brigade depuis peu, le commandant Henri Villard.

    Salut Pierre, comment vas-tu ?

    Salut Henri. Bien, malgré la situation, répondit-il en soupirant.

    Qu’est-ce qui t’amène ici, dans cette fourmilière bruyante ?

    Je suis venu voir le colonel pour une affaire d’erreur judiciaire. On doit fusiller un innocent.

    Tu as vu le vieux grincheux ?

    Borguet fit la moue et lui lança un regard désabusé.

    À ta tête, tu n’as pas eu gain de cause.

    Hélas, non. Je pense aller voir directement à la 14e DI.

    Je ne veux pas être pessimiste, mais c’est peine perdue. Le général est pire en matière de discipline. Il tient ses ordres de Pétain directement et les applique à la virgule près.

    Pour toi, c’est donc fini pour ce jeune soldat ? interrogea Borguet.

    J’en ai bien peur. Explique-lui franchement la situation, que tu as essayé de faire le maximum pour le sauver. C’est ce que tu peux faire de mieux et prie pour son âme.

    Merci, mon ami. Mais tu ne simplifies pas la tâche. Bon courage à toi et à bientôt.

    Bah, les Boches vont bien finir par se calmer un peu, face à nos troupes qui reprennent peu à peu du terrain. Je suis sûr que dans très peu de temps, nous pourrons à nouveau profiter de la vie mondaine meusienne, répondit Villard en lui faisant un clin d’œil.

    Le capitaine Borguet prit congé de son collègue et rejoignit sa compagnie. Le temps était radieux, avec un soleil éclatant. Les oiseaux chantaient dans les bosquets qui attenaient au bâtiment militaire, malgré le bruit des bombardements à quelques kilomètres de là. Une belle journée pour mourir, pensa Borguet.

    Il regagna son bureau, visa la pile de papiers posée sur le bord et, découragé, décida de rendre visite au soldat Gusti pour lui annoncer la mauvaise nouvelle.

    Le capitaine Borguet trouva le jeune soldat prostré et terriblement abattu. Cependant, sa visite sembla être une bouffée d’espoir pour le jeune homme.

    Mon Capitaine, vous m’apportez une bonne nouvelle ? demanda expressément Gusti.

    Mon petit, assois-toi, veux-tu ? Il va falloir être fort. Le Commandement n’a rien voulu savoir pour toi, avoua-t-il.

    Mais je suis innocent, mon Capitaine !

    Je sais mon petit, je sais. Crois-moi, j’ai tout essayé et fait le maximum pour toi. On m’a même menacé d’être fusillé avec toi pour insubordination.

    Alors, tout est fini, mon Capitaine ?

    J’en ai bien peur, hélas, répondit Borguet, penaud.

    Le capitaine Borguet repartit rapidement, les yeux humides, ne voulant pas que le jeune Giusti le voie dans cet état. Il arrivait presque au bout du couloir lorsque Gusti l’interpella.

    Mon Capitaine, encore une chose, émit d’une voix faible le jeune homme.

    Oui, dit Borguet en se retournant lentement vers lui.

    Une dernière demande. Pouvez-vous transmettre cette lettre à ma sœur de ma part ? C’est très important.

    Borguet retourna vers la cellule et prit l’enveloppe que lui tendait Gusti. Il la prit délicatement et la mit dans la poche intérieure de sa vareuse.

    Je te promets que je lui remettrai en main propre. Tu peux me faire confiance.

    Je vous crois, mon Capitaine. Vous avez toujours été bon avec moi. Adieu.

    Adieu, mon petit. Je prierai pour ton âme.

    Les murs de la cellule vibrèrent et un peu de ciment tomba sur le col de la vareuse du capitaine Borguet. Ce dernier s’épousseta délicatement et vérifia que le jeune Gusti n’était pas blessé. Les vibrations n’avaient causé que des dégâts mineurs.

    Il repartit vers la sortie, le cœur lourd et empli de tristesse. C’était la dernière fois qu’il voyait le jeune soldat avant le jour fatidique de l’exécution.

    Comme il savait que la censure militaire n’allait pas pouvoir exercer son travail de propagande sur le courrier du jeune Gusti à sa sœur, il était serein. Néanmoins, il décida de lire la lettre en sachant qu’il violait un peu l’intimité d’un frère envers sa sœur. Il ne voulait pas que des informations secrètes ou alarmantes, voire compromettantes, ne soient dévoilées à une civile. Il déplia donc soigneusement la fine feuille de papier brunâtre et s’assit confortablement à son bureau avant de commencer la lecture :

    Ma chère sœur, c’est dans une grande tristesse que je me mets à t’écrire et, si Dieu et la Sainte Vierge ne me viennent en aide, c’est pour la dernière fois.

    Je vais essayer en quelques mots de te dire ma situation, mais je ne sais si je pourrai, je ne m’en sens guère le courage. Pour nous être battus, nous sommes passés aujourd’hui, le caporal Serre et moi, en Cour Martiale. Et hélas, nous sommes les deux à payer. Je ne puis t’en expliquer davantage ma chère sœur, je souffre trop. J’ai la conscience tranquille et je me soumets entièrement à la volonté de Dieu qui le veut ainsi, et c’est ce qui me donne la force de pouvoir t’écrire ces mots. Quand j’ai vu l’accusation qui était portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j’ai pleuré une partie de la journée et n’ai pas eu la force de t’écrire.

    Nos pauvres parents, notre pauvre mère, notre pauvre père, que vont-ils devenir quand ils vont apprendre ce que je suis devenu ? Ô, ma bien-aimée sœur, prends-en bien soin tant qu’ils seront de ce monde, sois leur consolation et leur soutien dans leur douleur. Je te les laisse à tes bons soins, dis-leur bien que je n’aie pas mérité cette punition si dure et que nous nous retrouverons tous en l’autre monde. Assiste-les à leurs derniers moments et Dieu t’en récompensera, demande pardon pour moi à nos bons parents de la peine qu’ils vont éprouver par moi, dis-leur bien que je les aimasse beaucoup et qu’ils ne m’oublient pas dans leurs prières, que j’étais heureux d’être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en avoir soin sur leurs vieux jours. Mais puisque Dieu en a jugé autrement, que sa volonté soit faite et non la mienne. Au revoir là-haut, ma chère sœur adorée.

    Le capitaine Henri Borguet replia la lettre. Il était bouleversé par ce qu’il venait de lire. Des larmes naissaient au creux de ses yeux qu’il essuya d’un revers de manche. « Bon sang, grommela-t-il, je ne peux décemment pas laisser faire une telle injustice. C’est un crime ».

    Il décida derechef d’aller demander audience en urgence au Poste de Commandement du général Pétain à Souilly. Ce dernier venait tout juste d’être nommé au poste de Commandement de la Défense de Verdun. C’était la dernière chose qu’il pouvait encore faire pour son jeune subordonné, l’ultime chance de grâce, même si le général Pétain était connu pour son peu de compassion envers les mutins.

    Le lendemain matin, après avoir soigneusement recopié le contenu de la lettre sur une feuille blanche à en-tête du régiment, le capitaine Borguet rangea le tout dans la poche intérieure de sa vareuse et se dirigea vers la sortie de la caserne qui donnait directement sur la rue principale de la ville. Des milliers de combattants, sales et hagards pour la plupart, stationnaient à même le sol en attendant de repartir au front sur les côtes de Meuse où se déroulaient les terribles combats pour la défense de Verdun. Le ciel était orange et l’air difficilement respirable, à cause de l’odeur de poudre en suspension et à la fumée des explosions lointaines.

    Il monta dans un véhicule hippomobile qui passait par là pour se rendre à plusieurs kilomètres de Verdun, sur une route défoncée par les impacts d’obus et autres projectiles de toutes sortes.

    Arrivée tant bien que mal au Quartier Général de Pétain qui s’était installé à la Mairie de Souilly, petit village meusien, il demanda immédiatement à l’Officier d’Ordonnance du général une audience.

    Ce dernier, un colonel jovial, lui expliqua que la situation militaire était catastrophique et que le Chef de la IIe Armée ne pouvait le recevoir sans avoir pris un rendez-vous au préalable, même pour une raison de la plus haute importance.

    Mon Colonel, c’est d’une extrême importance, expliqua le capitaine Borguet en y mettant toute sa force de persuasion.

    Peut-être, répliqua le colonel, cependant je ne peux déroger à la règle qui m’a été dictée par le général Pétain lui-même.

    Pouvez-vous alors lui transmettre un courrier, celui d’un condamné à sa sœur, ainsi que ma requête en grâce pour ce soldat ?

    Vous m’êtes bien sympathique et semblez dévoué pour vos hommes. Je vais essayer de faire ce que je peux. Cependant, je ne vous promets rien, car le vieux est obtus.

    Merci, Mon Colonel.

    Le capitaine Borguet descendit rapidement les marches du parvis de la Mairie pour regagner son campement à Verdun, où les bombardements semblaient se rapprocher dangereusement du centre-ville. La Bataille de Verdun tant redoutée par l’État-Major français prenait une tournure dramatique et semblait être faite pour durer plus longtemps que prévu.

    À la Mairie de Souilly, l’ambiance était celle des mauvais jours. Le général Pétain, malade depuis son arrivée en Meuse, se tourna vers son Officier d’Ordonnance qui était présent dans la pièce.

    Toujours rien de neuf du Grand Quartier Général ? demanda Pétain.

    Toujours rien, Mon Général, se borna à constater le colonel Dubreuil.

    Pétain était soucieux. Le général Joffre lui avait dit d’attendre des ordres précis pour la contre-attaque massive des Français sur les Allemands.

    Son prédécesseur, le général Herr, avait écrit une longue lettre au Chef des Armées de l’Est, le général Dubail, pour faire état de ses craintes, justifiées aujourd’hui, d’une attaque massive sur Verdun. Sa demande de renforts immédiats avait été lettre morte. Et maintenant, lui devait rattraper les négligences de ses chefs.

    Il alla s’asseoir péniblement à son bureau en chêne pour réfléchir à la tactique à mettre en place.

    Tout d’abord, il fallait mettre très rapidement en place une rotation des combattants, en envoyant au repos les régiments épuisés et les faire remplacer par des troupes fraîches.

    Ensuite, il fallait organiser des norias d’ambulances, de camions, de munitions et de ravitaillement sur le site des combats.

    Enfin, il était primordial de dégager le ciel au-dessus de Verdun, et des zones de combat. Pour cela, il fallait créer une division de chasse aérienne.

    Il déposa son stylo sur le porte-plume et s’étira en arrière. Il était fébrile et avait du mal à se concentrer. On frappa à la porte. C’était le colonel Dubreuil.

    Oui, Colonel ?

    Excusez-moi, Mon Général, mais j’ai un courrier pour vous qui semble être d’une certaine importance.

    De quoi s’agit-il exactement ?

    C’est une demande en révision d’un jugement de la Cour Martiale qui s’est réunie dernièrement. Elle émane d’un capitaine du 42e RI.

    Pétain soupira violemment. Il refusait systématiquement ce type de demande, car il était très clair sur ce point : pas de pitié pour les mutins et les soldats déshonorant les Armées. Cependant, il était occupé à des choses plus graves actuellement et voulait garder toute son énergie pour les batailles à venir.

    Mettez-le sur la pile de courrier qui se trouve sur le guéridon. J’étudierai cette requête plus tard, annonça-t-il d’une voix fatiguée à son Officier d’Ordonnance.

    Bien Mon Général, répondit le colonel en déposant les lettres sur le petit guéridon en bois laqué, avant de refermer la porte du bureau derrière lui.

    Le général Pétain se replongea immédiatement dans son travail, oubliant instantanément la raison de cette interruption.

    Le peloton d’exécution se rassembla au petit matin, sous un brouillard tenace et pénétrant, au milieu du champ de bataille au nom prédestiné de Mort-Homme. Au loin, les tirs d’obus des Allemands résonnaient en faisant vibrer le sol. On était à plusieurs dizaines de kilomètres du front, au milieu d’une forêt, mais l’onde de choc des tirs se faisait ressentir fortement.

    Plusieurs hommes étaient réunis face aux soldats en armes. Pour la plupart, c’étaient des copains de combat et de tranchées qui faisaient face. La situation n’en était plus que dramatique. Avoir échappé par miracle à la boucherie de la guerre jusqu’à présent, et venir mourir pour l’exemple, tué par ses propres camarades de combat, en ce matin du 1er mars 1916.

    Le capitaine Borguet ne pouvait retenir que difficilement ses larmes devant les condamnés qui lui faisaient face désormais. Un jeune caporal d’à peine 19 ans avait été chargé de la terrible besogne de bander les yeux des suppliciés. Cependant, la majorité d’entre eux refusèrent, demandant à regarder la mort venant de son propre camp dans les yeux. Un seul demanda à être bandé.

    Puis vint le moment tant redouté d’ordonner l’exécution. Le capitaine Borguet leva son sabre à la verticale et, fermant les yeux en priant intérieurement pour ces pauvres hommes, ordonna la mise

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1