Les lieux clos - Deuxième partie
Par Bernard Abchiche
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Journaliste, travailleur social et enseignant, la passion pour l’écriture n’est pas récente chez Bernard Abchiche. Ce dernier enregistre un grand nombre de textes rédigés qui n’ont cependant jamais été soumis au jugement des lecteurs. "Les lieux clos – Deuxième partie" est la suite d’une œuvre qui explore les mécanismes de l’enfermement.
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Avis sur Les lieux clos - Deuxième partie
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Aperçu du livre
Les lieux clos - Deuxième partie - Bernard Abchiche
Bernard Abchiche
Les lieux clos
Deuxième partie
Roman
ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g© Lys Bleu Éditions – Bernard Abchiche
ISBN : 979-10-422-1874-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À jacqueline, dite : « Manou »
Le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur.
Émile Zola,
Le roman expérimental
Dans la petite cabine du fourgon cellulaire qui transportait Sylvain du palais de justice à la prison de Fresnes, c’était le noir total.
L’absence de lumière avait pour effet d’amplifier les sons qu’il percevait, de leur donner plus de relief. Habituellement, il ne prêtait pas d’attention particulière à ces bruits familiers d’une ville en mouvement.
À présent, ils résonnaient étrangement et prenaient à ses yeux une importance qu’il n’aurait pas soupçonnée quelques heures auparavant.
Dès le départ du fourgon, il avait bien tenté d’en suivre mentalement le parcours, d’évaluer la distance qui le séparait de sa destination finale, cette prison inconnue qu’il redoutait et espérait tout à la fois, tant les dernières quarante-huit heures l’avaient épuisé, vidé.
Devant la difficulté de l’entreprise, il avait finalement renoncé, et s’attachait à présent à son seul souci : sortir au plus vite de ce long tunnel d’angoisse. Combien de temps ce supplice allait-il durer ?
Il respirait à peine dans l’étroite cellule où il était enfermé avec un autre détenu qu’il ne connaissait pas, et dont la présence si proche lui était insupportable. Bouche-à-bouche répugnant qui exhalait une odeur écœurante.
Les conditions si inconfortables de ce voyage étaient peut-être pour son organisatrice, l’administration pénitentiaire, une manière de signifier aux futurs détenus qu’il ne s’agissait pas d’une promenade de santé. Comme un avant-goût de ce qui les attendait derrière les barreaux de la prison.
C’est ainsi que Sylvain prenait peu à peu réellement conscience de la situation dans laquelle il se trouvait.
Jusqu’ici, les évènements s’étaient enchaînés si rapidement les uns après les autres qu’il n’avait pas encore pris le temps d’en mesurer la gravité et la signification profonde.
À présent, le film des heures qui avaient suivi son arrestation se projetait brusquement, violemment, sur l’écran de sa mémoire.
Les coups frappés à la porte du studio, les deux jeunes flics qui le braquent et l’allongent à terre sans ménagement, le trajet, menottes dans le dos, jusqu’au commissariat, les questions auxquelles il ne veut pas répondre, les gifles, les menaces, alternant avec les propos rassurants et la gentillesse feinte du policier sympa. Les heures qui passent dans la cellule grillagée, l’angoisse, la fatigue et la faim.
Sylvain avait fini par reconnaître sa participation à un cambriolage somme toute assez minable et dont les flics avaient eu connaissance presque par hasard lors d’une perquisition chez un de ses copains où ils avaient découvert une partie du butin provenant d’un vol dans un bureau de tabac.
Gérard, à qui Sylvain avait imprudemment confié quelques briquets et autres babioles insignifiantes après en avoir revendu la plus grande partie, ne s’était pas trop fait prier pour leur en avouer la provenance et leur indiquer où trouver Sylvain.
Pour la police, le travail était terminé. À présent, c’était à un juge d’instruction de décider de son sort.
Dans les sous-sols du palais de justice sombres et froids, Sylvain n’a d’autres choix que de suivre le garde mobile qui l’entraîne vers le bureau du juge.
Après une succession de couloirs aux murs pisseux ; d’étroits escaliers, ils finissent par déboucher dans le vaste et imposant hall du palais dont le décor somptueux contraste violemment avec celui du dépôt, sordide et crasseux.
Flanqué de son garde, Sylvain attend sagement, assis sur la banquette de bois que la porte du bureau du juge s’ouvre enfin.
L’attente, et surtout l’ignorance de sa durée, de son dénouement, voilà la préoccupation principale de Sylvain.
À la seconde même de son arrestation, il avait compris qu’il ne s’appartenait plus, qu’on l’avait immédiatement dépouillé de son libre arbitre, de sa liberté de décider lui-même de son destin. La fin de ses attentes était dorénavant suspendue au bon vouloir des autres, aux décisions qui seraient prises à son encontre en fonction des réponses qu’il apporterait aux questions posées. En reconnaissant les faits qui lui étaient reprochés, il se savait condamné à attendre.
La porte finit par s’ouvrir, et le garde l’entraîna rapidement dans le cabinet du juge d’instruction.
Assis derrière un immense bureau sur lequel s’entassait un nombre impressionnant de dossiers de diverses couleurs, un petit homme à l’allure austère, vêtu d’un costume gris lui ordonna, sans même le regarder, de s’asseoir après que le garde lui eut retiré ses menottes.
L’homme était assurément antipathique, silencieux, il lisait quelques feuillets posés devant lui, les procès-verbaux de la police le concernant sans doute…
Cette fois, Sylvain n’eut pas longtemps à attendre. Sa lecture terminée, le juge lui marmonna quelques mots où il était question de faits suffisamment graves, de mandat de dépôt et d’une prochaine convocation.
Une femme, assise un peu plus loin devant une machine à écrire qui crépitait depuis que le juge avait pris la parole, se leva et s’approcha de Sylvain avec une feuille de papier qu’elle posa sur le bureau devant lui.
— Signez là ! lui ordonna-t-elle sur un ton qui laissait peu de place à la contestation.
Fatigué, étourdi, impressionné par le climat qui régnait dans ce bureau, Sylvain s’exécuta et signa le document sans même le lire.
La scène avait duré à peine quelques minutes, d’un signe de la tête, le petit homme gris signifia au garde qu’il pouvait emmener le prévenu. Celui-ci lui remit les menottes auxquelles il était lui-même attaché, tel un frère siamois, et l’entraîna rapidement vers la sortie.
Le fourgon s’immobilisa un peu plus longuement qu’à un simple feu rouge, Sylvain reconnut distinctement le son d’une porte qui s’ouvrait dans un sinistre grincement métallique, de l’acier sans doute, et qui signifiait vraisemblablement la fin de son calvaire. La porte du fourgon s’ouvrit à son tour et un bruit de clef qu’on introduit dans une serrure indiqua que c’était le moment de la délivrance.
C’était la fin de l’après-midi et les rayons d’un petit soleil de mai s’engouffrèrent brusquement dans le fourgon, déchirant les ténèbres et blessant le regard de ses occupants.
Le gardien qui avait ouvert les portes des cellules leur aboya de se dépêcher de sortir. Aveuglé, Sylvain ne distingua tout d’abord que quelques marches face à lui.
Pendant que les autres détenus sortaient un à un du fourgon, et à mesure que l’éblouissement provoqué par la brusque entrée du soleil dans sa cage plongée dans le noir se dissipait, Sylvain découvrait le décor étrange de la cour de la prison de Fresnes.
Derrière lui, une immense porte métallique doublée d’une grille et qui s’était refermée aussitôt, le fourgon entré dans l’enceinte de la prison.
En face, la volée de marches qui menait à une imposante porte-fenêtre blanche.
Une fois le dernier détenu descendu du fourgon, la petite troupe s’ébranla en direction d’une simple porte qui venait de s’ouvrir sur la gauche, en haut des escaliers, la grande porte-fenêtre étant certainement réservée à des visiteurs de marque.
Une fois la porte franchie, Sylvain comprit que, cette fois, il venait de quitter un monde pour un autre sans savoir exactement ce qui l’attendait et pour combien de temps.
Ils longèrent d’autres couloirs, franchirent d’autres grilles aux barreaux verdâtres. À chaque étape de leur parcours, à chaque croisement de couloir, se dressait une guérite vitrée d’où les observait un homme en uniforme sombre.
En cette fin de journée, c’était le silence qui dominait, les écrasait, pesait sur leurs épaules de toute sa force comme un manteau d’éternité.
Seul l’écho des invectives hargneuses des gardiens zélés venait troubler par instant l’apparente quiétude de ces lieux hors du monde des vivants.
Sylvain comprenait qu’il n’y avait pas d’autres choix que de se plier immédiatement aux exigences des gardiens.
— Les mains derrière le dos ! En rang ! Silence !
Silence et obéissance deviendraient comme une vieille habitude dont on ne se départirait que dans la solitude d’une cellule.
On les fouille encore, plus minutieusement, cette fois. Il faut lever la jambe, tousser et endurer sans broncher les rires gras des gardiens devant un cul pas propre.
Les surveillants les accompagnent partout. Il faut désormais s’y habituer. En prison, on est rarement seul physiquement, mais souvent moralement. Ils ne les lâchent pas d’une semelle et sont inquiétants avec leur casquette étoilée, surtout les plus jeunes qui ne leur épargnent aucune insulte, aucune vexation.
Un à un, ils se présentent devant le greffier qui leur énumère la liste des effets personnels qui leur ont été confisqués au commissariat lors de leur garde à vue et qui leur seront restitués le jour de leur libération.
Montre, bijoux, papiers, argent, ceinture sont ainsi scrupuleusement répertoriés, symboles d’une ancienne existence qui, à présent, ne leur appartient plus.
On prend leurs empreintes, on les photographie et pour en terminer avec cette entreprise de déshumanisation, on leur attribue un numéro d’écrou qui sera désormais leur carte d’identité pénitentiaire.
Le passage au greffe terminé, ils sont parqués par petits groupes dans une cellule dite d’attente, pièce vide de tout mobilier, aux murs d’une couleur improbable, couverts de graffitis qui racontent la misérable histoire de quelques-uns de ces milliers de prisonniers anonymes passés par là.
C’est l’immédiate expression de la douleur, le moment vrai du désespoir qui s’exprime sur les murs. Cela étant, on redevient un autre… « Jamais un mur ne verra mon écriture », se promet Sylvain ce jour-là.
On leur distribue les éléments du paquetage : couvertures, draps, gamelle, fourchette, cuillère, bol, papier toilette. Objets dits de première nécessité et indispensables à la survie du corps. C’est la panoplie du détenu dont les règlements en vigueur interdisent de se séparer, sous aucun prétexte. Pas de danger que cela arrive, sans eux, ils ne seraient vraiment plus rien…
Une fois toutes les formalités d’entrée terminées, chacun de ces nouveaux arrivants est dirigé vers une division déterminée en fonction de l’âge et de l’ordre alphabétique de son nom.
Pour Sylvain, qui n’a pas encore atteint sa majorité, c’est donc le quartier des mineurs.
La fatigue, la faim, l’incompréhension, l’incertitude, l’angoisse, la pression des dernières heures, le voyage en fourgon, la peur, l’ignorance, tout cela fait de Sylvain une sorte de zombi qui se traîne misérablement en compagnie du petit groupe de garçons vers un ailleurs qu’il ne connaît pas, mais qui lui apparaît déjà comme une sorte de terre promise, de petit paradis au regard de ce qu’il vient de vivre !
Enfin arrivés au quartier des mineurs, un gardien et un détenu les accueillent. Ils leur indiquent les cellules qu’ils occuperont pour la nuit.
Une lourde porte en bois vernie équipée en son centre et à hauteur d’homme d’une sorte d’œilleton se referme sur eux.
Ce claquement sec, suivi du son métallique d’une clef qu’on tourne dans une serrure, ajouté au silence qui règne dans les lieux confère à l’instant une signification pire encore que le simple enfermement.
Sylvain en est convaincu, ce moment-là, il ne l’oubliera jamais.
Ainsi, ils sont à trois dans un réduit de deux mètres sur cinq, un lit à étages, un WC, appelé « tinette » posé dans un coin de la cellule sans rien pour se protéger du regard des autres. Ici, l’uniformité est la règle.
Il n’est pas difficile de deviner que les centaines de cellules de la division sont calquées sur le même modèle.
Les compagnons de cellule de Sylvain ne sont pas plus bavards. Ayant vraisemblablement suivi le même parcours que lui, ils arrivent ici dans le même état. Chacun perdu dans ses pensées, presque sans réaction, ils n’échangent pour l’instant que les quelques mots nécessaires à leur cohabitation forcée.
L’heure habituelle du repas des détenus étant largement dépassée, ils doivent se contenter d’un infâme morceau de pain accompagné d’une sorte de pâté dont la consistance, la couleur et le goût rappellent étrangement une certaine nourriture pour chien et chat. La faim qui les tenaille depuis le matin leur permet facilement d’ignorer ce détail.
Une fois le triste repas terminé, l’esprit et le corps ne désirent qu’une seule chose dormir, quitter le cauchemar, oublier où ils se trouvent, demain sera un autre jour…
À peine Sylvain a-t-il pu constater, en voulant l’éteindre, que la lumière de la cellule se commande de l’extérieur. Ainsi, l’obscurité se fait dans la pièce presque comme par miracle.
Sylvain entame sa première nuit derrière les hauts murs de sa prison.
Au matin, une porte s’ouvre. Enfin, un uniforme apparaît dans l’encadrement.
— Debout ! Vite ! Magnez-vous le train là-dedans !
Il faut donner sa gamelle au détenu qui sert le café. En fait, un infâme brouet noirâtre dont l’odeur et le goût n’ont de café que le nom.
Les compagnons de cellule de Sylvain sont sensiblement du même âge que lui. Les raisons de leur présence ici, il les connaît, comme ils connaissent les siennes. Les longues heures d’attente résonnent encore et toujours du récit de leurs histoires. Plus ou moins arrangées, plus ou moins enjolivées selon les cas, selon les interlocuteurs… On tâche de se fabriquer une peau pour mieux donner le change. Elle les accompagne au hasard des rencontres et se quitte aussi facilement qu’elle s’endosse.
Ils effectuent les gestes mécaniques de la vie carcérale qu’ils apprennent avec une déconcertante facilité. Sylvain éprouve cependant beaucoup de difficulté à admettre la terrible réalité. Il est en prison ! Quelques jours auparavant, il n’aurait pu imaginer que cela fût possible, inconscient qu’il était de la portée de ses actes et convaincu que sa jeunesse était une protection suffisante contre une telle extrémité.
On frappe discrètement à la porte. Ce simple bruit les remplit de joie. Derrière la porte de la cellule, il y a la vie. Une voix se fait entendre…
— Eh toi !
Ils ne connaissent personne dans la prison et il est impossible de