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Livre électronique385 pages5 heures

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À propos de ce livre électronique

Issu d'une étrange planète, Mars fait la rencontre d'une humaine en apparence ordinaire...

Mars est un soldat originaire d’une planète perpétuellement en guerre où la programmation mentale est un procédé couramment usité. Privé de son libre arbitre, de sa mémoire ainsi que de sa faculté à penser par lui-même, il est malgré cela assailli par d’étranges souvenirs émergeant peu à peu d’un passé qui semble ne pas lui appartenir. De moins en moins contrôlable, Mars est alors exilé sur Terre où il fait la connaissance d’Agie, une humaine très ordinaire si ce n’est son entêtement, sa témérité et sa propension à s’attirer des ennuis, déterminée à défendre ce qu’il reste de son monde, lui aussi confronté à une guerre interplanétaire. À son contact, Mars voit son esprit se libérer, et d’innombrables questionnements sur sa véritable nature et son passé oublié se frayent lentement un chemin dans sa mémoire embrumée.
À l’aube du 51ème siècle, dans un univers post-apocalyptique où la technologie moderne cohabite avec la magie ancienne, la rencontre, peut-être programmée, peut-être déjà vécue, de ces deux êtres si diamétralement opposés signe le début d’un changement irréversible.

Découvrez sans plus attendre le premier tome des Chroniques d'Ætheria, où magie ancienne et technologies règnent dans une monde apocalyptique.


EXTRAIT

Le ciel noir pour seul compagnon, il poussa un soupir teinté d’ennui. La navette piqua une accélération et il vit enfin se profiler les reliefs gelés de sa planète. Il était las de ces deux jours passés dans la galaxie voisine et son corps n’aspirait qu’au repos. Ce ne serait pas dans l’immédiat. La radio venait de se taire après lui avoir signifié que sa présence était requise dès qu’il aurait mis pied à terre.
Il gagna la cité puis, avisant la haute tour qui abritait la zone d’atterrissage, plongea vers le sas avant de s’engouffrer dans l’immense hangar où il immobilisa l’appareil. Les lourdes portes se refermèrent et un vrombissement lui signala que les turbines évacuaient l’air glacial du dehors entré en même temps que lui. Lorsque le ronronnement s’éteignit, le personnel de service apparut pour prendre en charge la navette. Il sauta au sol et quitta les lieux, croisant les préposés à l’entretien sans leur accorder un regard. Il se dirigea alors vers les entrailles du bâtiment.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire des Alpes de Haute Provence, Zoé L. Peyri, licenciée en psychologie, se passionne très tôt pour la poésie, la peinture, le dessin, la musique et l’écriture. Avec ce premier tome tiré de la pentalogie « Chroniques d’Ætheria », elle entrouvre son univers dédié aux adolescents mais également aux rêveurs de tout âge.
LangueFrançais
Date de sortie11 oct. 2018
ISBN9782378774011
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    Aperçu du livre

    Rejoins-moi - Zoé L. Peyri

    1

    Le ciel noir pour seul compagnon, il poussa un soupir teinté d’ennui. La navette piqua une accélération et il vit enfin se profiler les reliefs gelés de sa planète. Il était las de ces deux jours passés dans la galaxie voisine et son corps n’aspirait qu’au repos. Ce ne serait pas dans l’immédiat. La radio venait de se taire après lui avoir signifié que sa présence était requise dès qu’il aurait mis pied à terre.

    Il gagna la cité puis, avisant la haute tour qui abritait la zone d’atterrissage, plongea vers le sas avant de s’engouffrer dans l’immense hangar où il immobilisa l’appareil. Les lourdes portes se refermèrent et un vrombissement lui signala que les turbines évacuaient l’air glacial du dehors entré en même temps que lui. Lorsque le ronronnement s’éteignit, le personnel de service apparut pour prendre en charge la navette. Il sauta au sol et quitta les lieux, croisant les préposés à l’entretien sans leur accorder un regard. Il se dirigea alors vers les entrailles du bâtiment.

    Un courant d’air gelé reflua des escaliers baignés de pénombre comme le jeune soldat ouvrait la porte et s’enfonçait au cœur des ténèbres encore plus denses qui régnaient dans le secteur des geôles. Il parcourut ainsi plusieurs mètres sans qu’aucun son ne guide ses pas pour finalement s’arrêter devant une porte entrebâillée qu’il ouvrit plus largement.

    Vu la situation, ce silence était anormal. Les deux militaires qui lui tournaient le dos, tout comme les trois hommes enchaînés prostrés au sol, ne notèrent pas sa présence. Tous les cinq semblaient figés dans une expectative commune. Alors, échappant à l’une des pauvres carcasses malmenées, un râle brisa le silence. Ce signe de faiblesse était ce que les soldats attendaient. L’un d’eux arma son poing alors que son camarade esquissait un rictus satisfait. Le choc résonna dans la petite cellule. Encore une fois. Mais encore une fois, la réponse ne vint pas.

    Ils s’usaient la salive à répéter la même question depuis la veille et n’étaient pas parvenus à faire cracher aux trois prisonniers autre chose que des insultes. C’était… quoi… frustrant ? Contrariant ? Exaspérant ?... Bien plus que cela. Les opposants étaient de plus en plus nombreux, de plus en plus résistants, toujours mieux préparés à endurer la torture. Ils n’en tireraient rien.

    ― Mars, enfin.

    Entendant la voix de son camarade, le soldat se redressa, laissant sa victime s’affaler au sol.

    Le jeune garçon se tenait sur le pas de la porte, les yeux perdus dans le vague. Il refit surface et son regard balaya la cellule, indifférent. Puis il s’adossa au chambranle, bras croisés, prêt à assister au spectacle. En réalité un oiseau moqueur venait de lancer un trille fugace dans sa tête. Il lui chantonna que ses compatriotes étaient de piètres bourreaux alors qu’il était si facile d’extirper les mots d’une bouche en faisant mine de lui arracher la langue. Cela lui donna envie de sourire mais ses lèvres restèrent immobiles. Ce n’était pas sur ce visage-là que les Tyrréniens verraient un jour un sourire.

    ― Ils sont à toi, reprit le soldat. Fais-les parler rapidement. Cet interrogatoire n’a déjà que trop duré et le roi s’impatiente.

    Il suffisait de le dire. Ils le savaient pourtant, il ne pouvait réagir qu’à un ordre direct. L’oiseau moqueur stridula une nouvelle fois. « Piètres bourreaux, piètres bourreaux ! Ils ne possèdent pas tes arguments de poids ! »

    Il jaugea les trois prisonniers. Deux avaient la quarantaine passée, le visage déjà bien tuméfié. Ceux-là ne diraient pas un mot, ils se savaient déjà morts. Le troisième était plus prometteur. Une ombre de barbe conférait un air dur à ses traits mais ses yeux trahissaient son jeune âge. Peut-être saurait-il se taire en présence de ses aînés mais une fois seul… Mars choisit donc de commencer par le plus amoché.

    ― Votre point de chute ? lui demanda-t-il d’une voix atone.

    Ce n’était pas la première fois que les soldats ramenaient des prisonniers des colonies. Même au sein des plus soumises, il fallait toujours que quelques indomptables manigancent une révolte. Cette fois-ci, ils étaient bien plus qu’une poignée et il était grandement nécessaire de les débusquer.

    Méprisant, l’homme lui cracha un jet de salive ensanglanté à la figure. Les deux soldats se concertèrent du regard puis reculèrent prudemment vers le couloir. Mars s’était désintéressé de sa proie sans se formaliser de l’offense qui lui avait été faite. Il se contenta de tourner un visage de marbre vers les deux autres et leur compagnon s’embrasa comme une torche, se contorsionnant sur le sol dans un hurlement qui s’éteignit en quelques secondes. Sur le pas de la porte, les soldats se bouchèrent le nez, incommodés par l’odeur que dégageait le cadavre en feu. Mars, quant à lui, se dirigea vers le suivant.

    ― Votre point de chute, répéta-t-il.

    En même temps, son regard avait effectué un discret mouvement de va-et-vient vers le plus jeune qui perdait peu à peu ses couleurs. Il connaissait Mars de réputation. Tout comme son aîné sans doute. La rumeur disait que les Tyrréniens avaient dans leurs rangs un gamin qui leur servait d’arme vivante, capable de raser une ville entière à lui seul. Toutes les colonies en avaient entendu parler et beaucoup en avaient fait les frais. Cela dit, le contempler en face était toute autre chose.

    ― Nous ne survivrons pas de toute façon, répliqua l’homme. Alors fais ce que tu as à faire, soldat, et finissons-en.

    ― Je ne tue pas à la demande, lui susurra Mars. Du moins, pas à la tienne.

    Sans se départir de son indifférence, il effleura du bout des doigts la main déjà meurtrie enserrée dans son bracelet d’acier. Elle se couvrit immédiatement d’énormes cloques et l’homme poussa un cri douloureux qu’il ravala tant bien que mal.

    ― Ça brûle, l’informa le jeune garçon comme s’il était nécessaire de le préciser alors que les cloques commençaient à remonter le long du bras du prisonnier. Vous allez mourir, c’est vrai. Mais vous pouvez mourir tout de suite et en un instant, ou subir cela pendant des heures, des jours…

    Les cloques avaient envahi le cou de l’homme et commençaient à s’étaler sur son visage comme une vérole répugnante.

    ― Sais-tu ce qui arrive lorsqu’un œil chauffe trop ? poursuivit Mars. L’humeur vitrée se met à bouillir et il éclate. C’est, paraît-il, une effroyable douleur.

    Dans un gémissement, le plus jeune se tassa contre le mur, le regard vissé au visage de son camarade qui continuait de se déformer, et c’est lui qui hurla lorsque l’œil de son ami subit le sort promis. Mais Mars n’en avait pas terminé. Il s’empara de l’autre main de l’homme qui givra instantanément. Puis d’un coup de talon, il lui brisa tous les doigts sans ciller. Il contempla un instant ces phalanges répandues en miettes cristallines et, de nouveau, son regard effleura le jeune homme. Son agonie semblait encore plus insupportable que celle de son compagnon. La peur de la douleur est parfois plus persuasive que la douleur elle-même et Mars éprouvait une fois de plus ce postulat. De nouveau, il se concentra sur l’homme. Un minuscule éclair crépita dans sa main. Puis le crépitement s’intensifia alors que son bras tout entier était parcouru de petits serpents électriques qui fusèrent sur leur proie et la frappèrent dans un grésillement écœurant. L’homme se contorsionna un instant avant de retomber au sol.

    ― La plaine à l’ouest d’Arkana ! s’écria alors le garçon. C’est là que se cachent les rebelles, il y a un complexe souterrain !

    Sa phrase s’était finie en une plainte aiguë et il éclata en sanglots.

    ― La ministre Kalisto Neghes, poursuivit-il dans un filet de voix pathétique. C’est elle la meneuse. Elle dirige les troupes rebelles d’Arkana. 

    ― Kalisto n’était-elle pas favorable à notre présence sur votre planète ? s’étonna l’un des soldats. Elle a offert des hommes à notre armée en échange de notre protection contre vos ennemis, je te le rappelle. Ne nous monte pas ce plan.

    ― C’est la vérité ! cria le jeune garçon. Elle vous a dupés. Personne ne veut des Tyrréniens chez nous. Et elle, pas plus que les autres. En tant que ministre de la guerre, le gouvernement lui laisse tout pouvoir de décision. Je vous le jure, soupira-t-il comme s’il arrivait au bout de sa résistance, c’est la vérité. Qu’on en finisse, maintenant.

    Près de lui, son camarade avait cessé de respirer. Il lui lança un regard honteux mais il n’y avait plus personne pour lui faire des reproches. Il venait de trahir, et alors ? À cet instant, il ne se souvenait même plus de ce qu’il avait tant voulu défendre à ce prix.

    ― Il faut vérifier ses dires, entendit-il. Gardons-le en vie quelques jours encore.

    ― Pour quoi faire ? Je ne pense pas qu’il ait menti.

    Le soldat jeta un coup d’œil à Mars qui attendait, l’air absent, l’ordre suivant.

    ― Cette odeur de chair brûlée me retourne l’estomac, fit l’autre. Quand je pense que ces arriérés en mangent à chaque repas…

    ― De nombreux peuples se nourrissent de viande, déclara son camarade, mais aucun à ma connaissance n’avale ses congénères.

    ― Quelle que soit la viande, elle a la même odeur lorsqu’elle cuit. On s’en tient là, il n’y a plus à tergiverser. Bombardons la plaine. Et il va falloir rappeler au gouvernement d’Arkana les termes de nos accords. Mars, ajouta-t-il, termine le travail.

    C’est avec une expression égale que ce dernier se saisit de la tête du malheureux et lui brisa la nuque d’un mouvement rapide. Puis il se redressa et se tourna vers les soldats.

    ― Tu crois qu’il attend une récompense ? dit l’un d’eux.

    ― Il n’attend rien, répondit son camarade. Il n’a rien à attendre. Il ne sait même pas ce que c’est. Il a juste besoin qu’on lui permette de quitter la pièce pour s’en aller. C’est bon, lança-t-il à Mars, beau travail. Nous nous chargeons de raser le complexe de la rébellion, tu peux disposer.

    Cet ordre était inutile, il avait déjà l’intention de s’en aller. Il l’aurait fait même si son supérieur n’avait rien dit. Comment pouvait-il prétendre qu’il n’attendait rien ? C’était faux. L’odeur l’incommodait, lui aussi. Il avait l’impression de la sentir pour la première fois et elle était écœurante. Il avait fait ce que l’on attendait de lui et allait partir car il n’y avait plus rien à ajouter. Le fait que l’autre ait éprouvé le besoin de lui en donner l’ordre malgré tout déclencha en lui une sensation d’agacement à laquelle il n’était pas coutumier.

    Qu’est-ce qui l’empêchait d’administrer un traitement similaire aux deux uniformes qui se trouvaient devant lui ? Était-ce simplement parce qu’il s’agissait de ses compatriotes ? Il avait pourtant fait subir la même chose à des Tyrréniens qui avaient enfreint leurs lois. C’était incohérent. Cela aurait dû être clair mais ça ne l’était pas. Il ne comprenait plus.

    Il regarda les trois corps mutilés en grande partie par ses soins. Quelques minutes avant, ils étaient en vie. Dans quelques secondes, ses concitoyens pourraient être aussi morts qu’eux. Mais quelque chose l’en empêchait. Quelque chose qui n’était vraiment pas de son fait. Et ce quelque chose lui rappela qu’il devait gagner sa navette dans les plus brefs délais. Il était attendu dans une autre colonie. Il lui restait des vies à ôter avant la fin de la journée pour atteindre son quota.

    Il quitta la cellule, remonta des sous-sols et émergea sous le dôme. Là, la pénombre lugubre qui régnait à l’extérieur l’attira et il s’approcha de la paroi de verre. Il y posa la main, puis le front. Et ses yeux plongèrent vers l’horizon de glace sans fin.

    Le regard perdu dans l’immensité du ciel sans étoiles, il contempla longtemps le paysage mort de sa planète, tableau si familier qu’il ne le voyait plus. Tyrr avait toujours été la même : désert de glace baigné d’une pénombre continuelle, planète blanche immobile dans une quasi-nuit. Elle revendiquait pourtant, aux tréfonds des plus anciennes légendes, son appartenance aux mondes florissants de ses voisines lointaines et, comme chacun, Mars en avait entendu parler. Le premier verset d’un antique poème vint lentement effleurer sa mémoire. Les mots se mirent à danser, aussi clairs que s’il les avait relus la veille, et il ne put empêcher ses pensées d’en dévider des vers « Ô toi, la regrettée, toi, Tyrr, qui fut si belle, tes lacs et tes rivières à jamais envolés, à jamais dévorés par la glace mortelle, ont laissé sur ta chair ces éternelles plaies. Alors que je me flatte d’en relater l’histoire, je ne suis qu’un déchet qui survit sous la terre. Privé de ta bonté et loin de ta lumière, ton ventre pollué m’a affublé de tares. Mon corps froid désormais, mon esprit qui s’égare, ma peau dénaturée qu’aucun reflet ne pare, me voici prisonnier et accablé de peines. Car voilà, les années, les siècles écoulés, les millénaires peut-être, ont torturé nos gènes et modifié notre être. Je n’ai plus, de ton peuple, la gloire souveraine. Je n’ai en héritage que ma geôle de pierre, que les maux du passé et de vaines chimères. Ô Tyrr, la dévastée, mer de glaces profondes, me voilà à jamais esclave de ton monde ».

    Le poème se poursuivait sur le même ton jusqu’à la fin de l’ouvrage. Le seul et unique livre qui relatait le passé de Tyrr, la plume d’un authentique témoin d’une époque depuis longtemps révolue. Il était difficile à ingurgiter, lourd de lamentations et de doléances. Il fallait passer outre l’auto-apitoiement de son auteur anonyme pour mettre le doigt sur les quelques points importants qu’il contenait, notamment la certitude que la science et ses prétentions ne pouvaient rien pour sauver un soleil qui s’éteignait et encore moins lutter contre le froid qui s’emparait des terres restées indemnes après qu’il ait explosé. Une leçon fort chère payée.

    Mais contre toute attente, les Tyrréniens avaient survécu à la destruction de leur soleil, car ce peuple opiniâtre était bel et bien là, surgi des entrailles de la planète où il avait trouvé refuge des siècles durant avant de regagner la surface, l’apparence de ces nouveaux représentants modifiée de façon singulière.

    Si le poète évoquait une existence aveugle dans les grottes obscures, ce n’était pas à prendre au premier degré. Car les Tyrréniens au corps froid désormais, aux yeux aussi clairs que la glace, à la peau blanche comme craie, n’avaient jamais cessé de voir. Et ce qu’ils voyaient du fond des ténèbres était leur retour prochain à l’air libre, à la lumière du jour et non celle des projecteurs qui ne faisait que percer par endroits la noirceur des cavernes. Ils se voyaient de nouveau se nourrir de pain et de gibier, délaissant pour toujours les machines qui fabriquaient l’air et celles qui changeaient l’énergie ambiante en une brume condensée, chargée des nutriments qui les avaient maintenus en vie au fil de ces interminables siècles. C’est leurs espoirs et non leurs yeux qui furent atteints de cécité : ils avaient consciencieusement oublié la disparition de leur soleil et les conséquences irréversibles que cela avait engendrées.

    Le poème s’achevait ainsi : « Morte la terre et mort à l’être, mon esprit est poussière. Je ne puis exister comme une ombre cachée. La fragrance alentour est l’odeur du néant où je m’enfonce doucement. Ô Tyrr, désespérée, me verras-tu renaître ? Ô Tyrr, veuve du ciel, je m’éteindrai en toi très lentement ».

    Ce point final laissait penser que l’auteur signait là une sorte d’éloge funèbre. Celui d’un homme qui n’avait peut-être plus toute sa tête à ce moment-là. Ou simplement celui d’un mourant qui ne reverrait jamais la lumière.

    L’histoire se poursuivait en une sorte de carnet de bord, gravé dans la roche souterraine, qui avait accompagné le retour des Tyrréniens à la surface. La conclusion qui ornait la dernière caverne habitable était on ne peut plus claire : à l’extérieur, ni air, ni lumière, ni chaleur. Rien que ces étendues immenses et gelées, les mêmes que Mars contemplait d’un regard vide, la main posée sur la vitre.

    Des dômes de verre recouvraient aujourd’hui toute la cité comme un cocon épais qui la protégeait de l’extérieur glacé, confinant ses habitants dans une ambiance polaire. Cela ne l’incommodait pas. Il n’y avait pas à ergoter, son corps était blanc et froid comme le livre le prétendait. Son reflet dans la vitre lui renvoyait l’image d’une statue figée et il en était ainsi de tout son peuple. Alors qu’importaient les vieux récits ? Qu’importait l’idée qu’à une époque, les choses aient pu être différentes ? Il ne connaissait les couleurs que dans les livres d’images. Autour de lui tout était blanc et au-dessus tout était noir. Et ses pensées étaient de même.

    Ses pensées… Là, il y avait comme une incohérence. Il n’aurait pas dû y avoir de pensées. Mars n’aurait pas dû se souvenir de ce poème. Pas plus qu’il n’aurait dû être là, plongé dans ces réflexions stériles, au lieu de regagner sa navette. Il ne se souvenait pas de ce qu’il avait fait la veille, la semaine d’avant ou le mois précédent mais il venait de réciter un poème lu plusieurs années auparavant. Il songea que le programme avait probablement quelques ratés car ces informations inutiles auraient dû être effacées. Il n’était pas non plus censé réfléchir mais il n’avait rien d’autre à faire. Qu’advenait-il de lui lorsqu’il avait assumé ses obligations ? Le rangeait-on dans un placard en attendant l’ordre suivant ? Et que faisait-il alors, puisqu’il lui était interdit de penser ? Non, il ne passait pas son temps libre dans un placard. Il le passait à n’exister qu’au présent car il ne se souvenait pas du reste. Ces données-là, en revanche, avaient bien été détruites. Dans ce cas, que dire de ces pensées qui commençaient peu à peu à émerger ?

    Tout en laissant son regard errer sur le panorama sans intérêt, il réalisait doucement que ce cimetière était son monde. Qu’il était dans l’ordre des choses qu’un jour ce soit à lui d’y régner, lorsque le roi Hydryn, son père, aurait disparu. Lorsqu’il prendrait sa suite à la tête du royaume. Il songea que ce serait à lui de maintenir l’ordre dans les lointaines colonies qui étaient retombées sous le joug des Tyrréniens peu après leur retour à la surface. Il songea à tous les combats, tous les affrontements auxquels il avait pris part depuis son enfance, et tout était trop vague. Ses souvenirs n’étaient que bribes. Des reliquats d’informations qui n’avaient peut-être pas été correctement effacées. Une récupération mémorielle aléatoire, peut-être.

    Quelque chose crépita dans le creux de sa main. Il referma ses doigts et la sensation disparut. Il maîtrisait les éléments qu’il manipulait à sa guise ainsi que l’énergie qu’ils généraient, il avait au moins cette certitude. Il pouvait également s’insinuer dans les esprits, y puiser des pensées et y incruster sa propre volonté au besoin, petit bonus dont il ne se servait guère vu son rendement habituel. Il posa de nouveau sa main sur la vitre. Il savait qu’il serait capable de la faire exploser malgré le verre renforcé s’il lui en prenait l’envie. En revanche, il n’aurait su dire si cette envie était susceptible de se manifester un jour. Il était là, la vitre aussi, le reste était du domaine d’un désir abstrait et sa réflexion n’aurait su s’y engager. Ce n’était pas ce que l’on demandait à un individu qui n’était qu’une machine bien huilée, contraint par une hypnose qui ne l’avait jamais quitté. Sur Tyrr, on ne discutait pas. Dans cet environnement où seule comptait la dévotion envers le royaume, les contestataires faisaient mauvais effet. Contestataire, il avait dû l’être, enfant bouillonnant à la tête dure, trop téméraire, indépendant. C’était réglé. Voilà longtemps qu’il n’avait plus son mot à dire et qu’il s’en désintéressait. Il avait oublié l’enfant, oublié qu’il avait existé, sans réelle conscience de l’être qu’il était devenu.

    L’être, lui, n’avait pas oublié. Son corps gardait ses propres souvenirs, des cicatrices qui se chargeaient de rappeler à son propriétaire quelques évènements qu’il aurait préféré voir s’effacer avec le reste. Son plus gros crash notamment, qu’il nommait simplement « l’incident » et qui lui revenait en mémoire par à-coups quand il s’y attendait le moins. La sensation était presque palpable. Alors que son esprit était aux abonnés absents, son corps se souvenait des brûlures, du sang, des os brisés. Dans sa navette en feu qui n’allait pas tarder à le consumer avec elle.

    J’ai survécu à ça…, se disait-il à chaque fois avec autant de scepticisme.

    Comme si les Tyrréniens allaient se laisser démonter par un peu de chair récalcitrante… Ils l’avaient retapé telle une carcasse désossée, pièce par pièce, et avaient remplacé le sang laissé dans l’épave par un sérum artificiel capable d’en assumer toutes les fonctions. Au final, les chers scientifiques de la nation étaient loin d’avoir tiré une leçon du vieux poème. Ils s’appliquaient juste avec plus d’acharnement à contourner les lois des mortels pour réparer l’irréparable. Mars savait qu’il aurait dû mourir ce jour-là et qu’il en aurait sans doute été soulagé. S’entêter à repousser la mort à n’importe quel prix, ce n’était pas un bien. Le laisser s’en aller car c’était le devenir logique d’un corps en miettes, ce n’était pas un mal. Le simple fait d’évoquer cela dans sa tête, de sentir cette notion de bien et de mal se frayer peu à peu un chemin au-delà des limites de son subconscient était totalement anormal. La rancune qu’il ressentait envers ses médecins l’était tout autant. Quant à l’envie de vivre ou de mourir, il n’avait jamais été programmé pour les éprouver, l’une comme l’autre. Quelque chose se déréglait. Quelque chose était en train de changer. Doucement, il s’éveillait. Mais jusqu’alors, avait-il rêvé ?

    « Que t’ont-ils fait ? Pourquoi as-tu oublié ? »

    Surpris, il se retourna. Mais il n’y avait personne.

    « Que t’ont-ils fait ? », entendit-il de nouveau

    Voilà que son esprit se mettait à lui poser des questions. Dans quel but, vu qu’il connaissait déjà la réponse ? Mais docilement, il y répondit dans un coin de sa tête.

    Ils m’ont empêché d’être moi comme ils le font avec ceux qui se rebellent. Ils m’ont reprogrammé. Le conditionnement, c’est… Mais qui êtes-vous ?

    Pas de réponse.

    Le conditionnement, poursuivit-il alors, c’est l’implantation de données. Comme dans un ordinateur. Cela permet de contrôler les pensées et les actes d’un individu, de le priver de sa faculté de réfléchir, de le rendre aussi docile qu’un robot et plus efficace qu’un soldat ordinaire. C’est ce qu’ils m’ont fait. Je le sais à présent. Je crois que je l’ai toujours su mais jusqu’à maintenant, cela m’était égal. Je n’y songeais même pas.

    « Pourquoi ont-ils fait cela ?»

    De nouveau cette voix. Définitivement, ce n’était pas la sienne. Ces voix, aurait-il dû dire, car elles étaient plusieurs et parlaient d’un même chœur dans un parfait ensemble.

    Je l’ignore, répondit son esprit. Je ne me rebellais pas. Je n’étais qu’un enfant. J’ai oublié cet enfant.

    « Peut-être n’a-t-il jamais existé. Il est dangereux de chercher à savoir. Mieux vaut oublier. Obéir et oublier. Est-ce cela qu’ils t’ont appris ? Est-ce la loi ou celle qui a été faite pour toi ? »

    Moi ? Qui suis-je réellement ?

    « Pour le moment, oublie cette question. Il est encore trop tôt, nous reviendrons. »

    Ses pensées s’embrouillèrent. Il fut pris de vertiges. Crispant sa main sur la paroi de verre, il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, tout s’était effacé. Du moins, c’est ce qu’il crut.

    La femme repoussa la couverture et se leva. Son corps nu ne lui tira pas la moindre émotion. Pour lui, elles se ressemblaient toutes. Rien que des silhouettes sous un rideau de cheveux. De vagues formes sous ses draps.

    ― Ce fut un honneur, Votre Altesse, lui glissa-t-elle une fois vêtue. Puis-je espérer partager de nouveau votre couche bientôt ?

    Il n’en savait rien et c’était bien la dernière de ses préoccupations.

    Il était habituel que des femmes de la cour entrent dans sa chambre sans qu’il n’ait rien demandé, simplement munies d’une sorte de sauf-conduit qui leur donnait accès à ses appartements en même temps qu’à sa personne, et se déshabillent dans un sourire enchanté. Il faisait alors ce qu’il avait à faire et se contentait d’attendre qu’elles daignent s’en aller. Si elles s’attardaient, les gardes venaient les chercher. Cette fois-ci, la femme n’avait pas traîné. Il était certain qu’il l’apercevrait bientôt parmi les dames de compagnie de la reine. Comme si partager son lit offrait un laissez-passer aux lieux les plus convoités. Il en déduisit que son père considérait qu’un futur souverain se devait d’être au point dans ce domaine et qu’il lui offrait des instructrices, si ce n’étaient des cobayes, peut-être par souci de la descendance. Chacun y trouvait son compte, donc. Les femmes de la cour montaient en grade et, lui, acquérait de l’expérience. Cela dit, il avait saisi le mode d’emploi depuis fort longtemps et se demandait vaguement à quoi pouvait bien servir de poursuivre cet entraînement. Aucune importance, le sommeil le gagnait. Le seul avantage de ces séances était qu’elles lui permettaient de passer des nuits tranquilles, résultat d’une brève satisfaction physique et d’un épuisement bienvenu. Car dernièrement, il ne parvenait à dormir que d’un sommeil agité, peuplé de voix qui conversaient. Mais malgré l’exercice qu’il venait de faire, cette nuit-là ne dérogea pas à la règle. Et il s’éveilla le lendemain aux prises avec des pensées qui, encore une fois, n’étaient pas les siennes.

    La réunion s’éternisait et il somnolait à moitié. Il n’allait pas tarder à se faire rappeler à l’ordre, il tâcha de maintenir ses yeux ouverts. En bout de table, son père débitait un discours qu’il aurait pu réciter lui-même sans en omettre un seul mot tant il l’avait entendu. La suprématie de la race tyrrénienne, le contrôle des galaxies, l’annexion d’autres planètes, la nécessité de ramener plus d’esclaves pour travailler à la fabrication de l’air, à la construction de nouveaux capteurs d’énergie pour fournir davantage d’électricité à l’intérieur des dômes…

    Il avait du mal à le reconnaître. Il le trouvait vieilli. Tout comme les généraux qui l’entouraient. Pourtant, il les croisait quasiment tous les jours, il ne passait pas tout son temps sur les colonies. Avaient-ils tous changé en une nuit ?

    ― Kalisto reste introuvable, entendit-il. 

    Là, il se sentait plus concerné. Il était question d’une base à raser et d’une troupe d’insurgés à démanteler. Son domaine de prédilection.

    ― La plaine d’Arkana a été bombardée. Les prisonniers ramenés sur Tyrr n’ont pas survécu. Aucun d’eux n’a eu le temps de révéler où se trouvait le ministre.

    Kalisto était une guerrière, elle n’avait rien à faire au gouvernement. Mars ne s’était pas étonné d’apprendre qu’elle avait pris la tête de la rébellion.

    ― Nous pensons qu’elle a trouvé refuge dans les montagnes. Mais il nous faudrait des mois pour tout fouiller et nous gâcherions des missiles à les raser entièrement sans certitude de la présence de la cible.

    ― Kalisto, je m’en occupe, lâcha Mars.

    Toutes les têtes pivotèrent vers lui dans un bel ensemble. C’était la première fois qu’il se permettait d’interrompre les discussions pour faire entendre son opinion. Il ne savait même pas pourquoi il avait fait cela. Il savait juste qu’il était capable d’éliminer cette menace.

    ― Et de quelle manière comptes-tu t’y prendre ? lança une voix dubitative.

    Très simplement. Il aurait mis sa main à couper que le gouvernement d’Arkana soutenait Kalisto. La trêve avec les Tyrréniens ne leur servait qu’à gagner du temps. Il était donc persuadé que la femme avait trouvé refuge au sein même du siège central en attendant de pouvoir reformer ses troupes.

    ― Nous allons attaquer directement la ville, déclara Mars.

    ― La trêve nous l’interdit.

    ― La trêve est factice. Les dirigeants d’Arkana se moquent de nous et nous les laissons faire depuis des mois. Nous serons bientôt la risée de l’ensemble des colonies si nous ne mettons pas fin à cela. Plus de trêve. Plus de pourparlers. Plus de prisonniers. Il faut détruire à présent. Faire un exemple. Sommes-nous réellement devenus des conciliateurs ?

    Il avait l’assentiment de son père, il le sentait. Il le voyait même extrêmement satisfait, quoiqu’un peu perplexe. La stratégie militaire faisait entièrement partie de son éducation, pourquoi le roi paraissait-il si surpris ? Il envisageait les assauts, il menait les attaques. Depuis toujours, lui semblait-il. C’étaient les seuls moments où il avait la possibilité de décider. Et il ne se trompait jamais.

    ― Vas-y, concéda Hydryn. Détruis Arkana ainsi que toute sa population. La planète également si nécessaire. Et veille à ce que la nouvelle parvienne aux autres colonies.

    Mars acquiesça et quitta la pièce. Il avait la sensation que sa voix résonnait encore dans sa gorge. Il n’avait pas l’habitude de faire de si longues phrases. Encore moins de s’exprimer durant les réunions autrement que pour confirmer la réussite d’une mission en deux mots ou un vague mouvement de tête. D’où lui était venue cette initiative ?

    « Tu sais ce que tu as à faire, ils t’ont formé dans ce but. »

    Encore ces voix qui dansaient dans sa tête… Ce n’était pas sa voix, ce n’étaient pas ses pensées, ce n’était pas lui. 

    Ou peut-être l’était-ce ?...

    Quelques heures suffiraient à un escadron pour se rendre jusqu’à Arkana et rayer la ville de la surface de la planète. Il était si déconcertant de constater avec quelle facilité on annihilait une civilisation entière… Et avec quelle facilité on s’en désintéressait.

    Une nouvelle nuit agitée, des visions plein la tête. Il n’avait pas coutume de rêver. Ou du moins ne se souvenait-il de rien au matin. Ces rêves-là semblaient pourtant bien réels. Si logiques, si similaires à ce qu’il

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