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Cora Geffrard
Cora Geffrard
Cora Geffrard
Livre électronique451 pages12 heures

Cora Geffrard

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À propos de ce livre électronique

Cora Geffrard, vingt-trois ans, est la fille du président Fabre Geffrard qui a dirigé Haïti de 1859 à 1867. Assassinée alors que, enceinte, elle rêvait d’une vie conjugale merveilleuse. Le Président fera tout pour venger sa fille. Rien ne sera épargné pour juger et punir les coupables. Seize accusés seront exécutés.

Dans cette fresque où l’on découvre avec fascination les turpitudes de la vie politique en Haïti au XIXe siècle, on réalise que tout était permis, même l’espoir de forger une nation et de rassembler le collectif autour de valeurs républicaines pour un vivre ensemble.
LangueFrançais
Date de sortie23 sept. 2013
ISBN9782897120184
Cora Geffrard
Auteur

Michel Soukar

Historien, écrivain et journaliste, Michel Soukar vit à Port-au-Prince. Il est connu pour son engagement politique. Il a publié une vingtaine d’ouvrages, dans des genres différents : poésie, théâtre, histoire, roman. Il est l’une des voix des plus écoutées en Haïti. Il a publié le roman historique Cora Geffrard (Mémoire d’encrier, 2011) pour lequel il a obtenu une mention spéciale de l’Association des écrivains de langue française (ADELF). Il a également publié chez Mémoire d’encrier La prison des jours (roman, 2012) et La dernière nuit de Cincinnatus Leconte (roman, 2013).

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    Aperçu du livre

    Cora Geffrard - Mémoire d'encrier

    Michel Soukar

    CORA GEFFRARD

    Roman

    Amomis.com

    Mise en page : Virginie Turcotte

    Maquette de couverture : Étienne Bienvenu

    Dépôt légal : 2e trimestre 2011

    © Éditions Mémoire d'encrier

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Soukar, Michel

    Cora Geffrard

    (Roman)

    ISBN 978-2-923713-55-7 (Papier)

    ISBN 978-2-89712-135-8 (PDF)

    ISBN 978-2-89712-018-4 (ePub)

    1. Manneville-Blanfort, Cora - Romans, nouvelles, etc. 2. Haïti - Histoire - 1844-1915 - Romans, nouvelles, etc. I. Titre.

    PQ3949.3.S68C67 2011       843’.92       C2011-940540-7

    Mémoire d'encrier

    1260, rue Bélanger, bureau 201

    Montréal, Québec,

    H2S 1H9

    Tél. : (514) 989-1491

    Téléc. : (514) 928-9217

    info@memoiredencrier.com

    www.memoiredencrier.com

    Version ePub réalisée par:

    www.Amomis.com

    Amomis.com

    À mon père qui m'initia aux secrets de sa mémoire.

    La doctrine de la douceur est la doctrine unique.

    Walt Withman

    Cette nuit-là, ils guettaient le chef de l’État pour l’assassiner.

    La voix chevrotante d’Elie Auguste se tut et sa pensée s’engagea dans une route de silence. Il se demandait sans doute encore s’il devait lever le voile sur les causes et les acteurs du drame qui secoua la vie de ce peuple encore dans les langes en ce temps-là. Ses paupières se plissèrent au passage de la fumée de sa pipe dont l’effluve épicé chassait de la pièce les odeurs venues de la rue. Le crépuscule tombait en même temps que des nuages précurseurs d’orage tropical s’amoncelaient, éclipsant toute velléité de lune et d’étoiles.

    – C’était un soir... Je m’en souviens comme si c’était hier.

    Ses cheveux me parurent plus blancs que d’habitude et son front brillait à la clarté de la lampe à huile. Il transpirait. Ma présence lui pesait. Il se questionnait probablement sur l’utilisation de son témoignage. Devait-il se résoudre à sceller à jamais dans son tombeau cette vérité dont lui seul, le dernier survivant des hommes du Président, détenait la clé ? Pouvait-il se taire et glisser dans le néant en condamnant la postérité à l’ignorance et au mensonge ? Quel honneur serait éclaboussé ? Quelle vie détruite ? Les dépouilles des protagonistes de l’affaire ne se confondent-elles pas depuis longtemps avec la poussière ?

    – Les hommes sont de malheureuses créatures et, pour s’élever au-dessus de la condition ordinaire, ils paient le prix fort, dit-il.

    S’était-il enfin résolu à se confier ? Depuis des années, je le tâtais, le tentais, reculais, avançais à pas feutrés, épiais les plis de ses lèvres, les mouvements de ses sourcils au moindre énoncé du nom du Président, jusqu’à cet instant où sans qu’il me sente approcher, à brûle-pourpoint, je lui demandai :

    – Qui voulait, ce soir-là, assassiner le Président ?

    Pas un battement de ses cils. Pas une goutte de sueur sur ses doigts. Seulement le sang-froid de la bête tapie pour dissimuler sa présence, pour laisser passer le chasseur, guetter ses pas…

    Ma question avait fondu comme la glace dans mon verre d’orangeade.

    Le temps a filé, Auguste, pensai-je. Il te bouscule et ta conscience te tourmente. Il te reste une ultime vanité : celle d’être le dernier à savoir.

    Je sentais que sa mémoire allait déployer ses ailes et se prendre à mes filets. C’était à mon tour de retenir ma respiration, de compter les battements de mon cœur. Le chasseur se blottit. La bête consent à se glisser hors de sa tanière. Je ne bouge pas, Auguste, je ne parle pas. Je t’attends. Tout ouïe.

    – Fabre Geffrard avait 53 ans quand il conquit le pouvoir. On savait le Président excellent cavalier, capable de dompter les montures les plus ombrageuses. On le savait fils posthume d’un héros de la guerre de libération, signataire de l’Acte de l’indépendance, l’un des pères de la patrie. On le savait éduqué par son beau-père, un brave colonel de l’armée décédé bien avant son avènement au pouvoir. Sa mère, de vieillesse avancée, ravivait dans sa mémoire l’exemple de ces deux meneurs d’hommes. Son enfance avait été bercée par les récits des exploits de son père Nicolas qu’il n’avait pas connu, ce héros qu’on lui peignait avec les couleurs les plus exaltantes, mort trois mois avant sa naissance, dans ce pays issu du mariage du feu et du sang. Un abcès à l’estomac emporta le général Nicolas à 44 ans. La faucheuse s’était penchée maintes fois sur sa vie tumultueuse, l’accompagnant comme un adulte tient la main d’un enfant. C’était l’époque où il incarnait, comme ses camarades de combat, l’idée de la libération. Heureusement, parfois, quand les armes de l’oppression sont braquées contre ces idées généreuses, elles tombent des mains de leurs détenteurs.

    Je n’avais pas réfléchi à pareille situation. Alors, pour éviter tout propos saugrenu, je répète d’un air égaré :

    – Non. Non. Non.

    – L’Histoire ne ment jamais.

    Le commandant en chef Dessalines avait mandé le jeune officier Nicolas dans un village du centre où il s’était replié avec quelques membres de son état-major. Il l’attendait, faisant les cent pas sous les grands ficus de la petite place où bivouaquaient les soldats harassés mais impatients d’en finir avec l’ennemi.

    Il avait à peine mis pied à terre, puis salué d’un geste sec, que le commandant, plongeant ses yeux telles deux billes noires dans les siens, lui avait fait part de sa résolution de déclencher les hostilités dans le Sud où lui, Nicolas, avait arpenté les plaines verdoyantes et les montagnes couvertes de forêts épaisses, ravinées de torrents en colère, parcourues de serpents gros comme des muscles noueux, pour assurer la paix après avoir allumé la guerre.

    – Je crois que vous êtes l’homme qualifié pour conduire la campagne et pour gagner dans le Sud.

    Son devoir lui était tracé avec une telle assurance qu’il se sentit doublement confiant.

    – Je vous remets ce paquet. Vous ne l’ouvrirez que lorsque vous aurez pris un port important. Exécutez !

    Le commandant, quoique de taille moyenne, se hissa à sa hauteur, l’étreignit dans ses bras marqués de cicatrices, échauffa son visage hâlé de son souffle saccadé.

    Nicolas marcha par mornes et vallées, évita toute agglomération jusqu’à atteindre la lisière du Sud qui se confond avec les rives d’un lac noir bordé de roseaux et survolé d’oiseaux au plumage blanc. Coincé entre des rochers gris et des hautes herbes, dans l’obscurité, il imita le croassement des crapauds, et les chouettes lui répondirent. C’était le signal convenu avec les bandes réfugiées dans les passages souterrains, averties par des émissaires de sa venue et de sa mission.

    De ces troupes éparses, il bâtit une armée. De ce désordre de courage, il fit le fer de lance du combat dans sa nouvelle affectation. Sa furie déferla sur les villages, et, quelques mois plus tard, après trois heures d’affrontements sanglants, un port de mer tomba en son pouvoir. Alors, il ouvrit le paquet que lui avait donné le commandant, y lut son brevet de général de brigade et les instructions pour les opérations à suivre.

    L’ennemi n’était ni de paille ni de bois. Il se précipita contre Nicolas et ses hommes avec une impétuosité irrésistible, les culbuta, les traqua, les dispersa. Nicolas fut surpris par une décharge meurtrière pendant que ses lignes rompues retraitaient dans un désordre effroyable. Il dut son salut à son sang-froid. Il abattit plusieurs assaillants qui, le croyant seul, s’avançaient sans précaution pour se saisir de sa personne. Une rivière profonde et houleuse, charriant blessés et cadavres, roulait toute proche. Il s’y précipita, gagna l’autre rive à la nage et rallia ses troupes. Il lui fallut une rare capacité de persuasion pour remonter le moral des survivants, réorganiser les unités et relancer la guerre.

    Le président Fabre Geffrard ne connut pas son père Nicolas et il aurait pu tout bonnement ne pas naître. Responsable du département du Sud et quatrième personnage de l’armée et de l’État, Nicolas décéda deux ans après la libération.

    Auguste hésita avant d’ajouter :

    – Il emporta dans sa tombe une suspicion de conspiration contre le commandant en chef Dessalines devenu premier dirigeant du nouvel État.

    Il m’observe du coin de l’œil et doit se dire :

    – Mon jeune ami en déduit que le Président a hérité de la bravoure, mais aussi de la manie du complot et du sens du secret.

    Nicolas décédé, les troupes et le peuple rendirent les honneurs au libérateur du Sud et son cadavre, déposé dans un cercueil de chêne, drapé du bicolore national, fut enterré à la forteresse des Platons dont les remparts, garnis de canons menaçants, dominaient la vaste plaine jusqu’au bord de la mer séparant le nouveau pays des côtes de l’Amérique du Sud.

    Peu de jours après les funérailles, le commandant en chef effectuait son entrée redoutée dans la ville, pénétrait dans le bureau du défunt et prenait connaissance de sa correspondance, entouré de ses nouveaux secrétaires, les uns dévoués, les autres soucieux de leur avenir puisqu’aucun pouvoir, même absolu, ne rime avec éternité.

    Des rumeurs couraient, de ministères en casernes, de salons en galeries, d’un prétendu complot de généraux. Un haut gradé du Nord, le général Christophe, et le défunt en auraient tissé la trame pour, au moment opportun, étouffer le chef de l’État.

    Dans leurs chuchotements, les colporteurs dénonçaient les agissements d’une aguichante mulâtresse habile dans le maniement des armes, hardie sur le champ de bataille, brûlante au lit, trépidante dans les salles de bal, adorant les colliers rutilants et les tissus fins, qui distribuait des cartes de visite portant l’inscription : « Euphémie, maîtresse du chef ».

    – Avec ce simple petit carton, elle se présente à n’importe quel bureau public et elle est aussitôt servie !

    – Pire ! Je vous jure qu’avec ça, elle a droit à des ponctions dans la caisse publique et elle fait rentrer au pays n’importe quelle marchandise sans payer.

    – Moi, je garantis qu’elle dirige le service d’espionnage de son homme.

    – Je parie que c’est elle qui a dénoncé le général Nicolas.

    – Dénoncé, tu dis ? Tout inventé plutôt, pour être seule à contrôler le Sud.

    Les secrétaires, aux lorgnons ajustés, épluchaient les dossiers. Le commandant prisait du tabac, enfoncé dans un fauteuil de cuir rouge. Les plis de sa peau couleur d’argile entre ses sourcils froncés, les larges narines frémissantes, les lèvres épaisses et allongées disaient sa soif de découvrir un document inédit. Il s’imprégnait de l’atmosphère de cette pièce où avait travaillé celui que la mort avait sauvé de son courroux. De cet air enfermé entre portes et fenêtres closes depuis la disparition de Nicolas, ses poumons se remplissaient ; il reniflait, tel un chien sur la piste d’un fugitif, en quête de l’odeur de la trahison.

    Le froissement des papiers troublait le silence du bureau et, des trous du parquet, émergeaient furtivement des têtes de souris apeurées.

    L’un des hommes promena une loupe épaisse sur la surface d’une lettre rédigée d’une écriture fine et serrée et s’avoua incapable de la déchiffrer.

    – C’est de l’anglais, constata-t-il.

    Le commandant sursauta.

    – De l’anglais ?

    La mine sévère, il scruta l’entrée, porta les yeux au plafond poussiéreux et découvrit une toile dont l’araignée achevait le tissage à l’angle droit de la pièce.

    La mort l’a devancé, pensa-t-il. Il n’est plus là pour finir sa toile. Mais tiens, tiens… de l’anglais ?

    – À qui cette lettre est-elle adressée ? demanda-t-il au secrétaire.

    Celui-ci remonta la loupe au haut de la page.

    – Au général du Nord.

    – Ah ! C’est vrai, il parle l’anglais. Je ne savais pas que Nicolas connaissait cette langue. Je ne la parle pas. Lequel d’entre vous peut traduire cette lettre ?

    Un autre secrétaire, un métis bedonnant à la tignasse ébouriffée et à la mine jaunie, leva un doigt gonflé par la graisse.

    – Je peux essayer.

    Rassuré, le maître s’adossa au fauteuil.

    – Eh bien ! J’ignorais que tu pratiquais l’anglais, Dupuy.

    Le dénommé Dupuy prit nonchalamment le papier, le parcourut lentement, le lorgnon accroché à une enflure de sa peau, avant de conclure sur le ton le plus banal :

    – Des salutations. Des souhaits d’usage. Échanges de politesse. Rien d’important.

    Le chef se redressa et saisit la lettre, s’efforçant de déchiffrer ce qui, pour lui, équivalait à du chinois ou à des hiéroglyphes. Il se résigna à se fier à la traduction de Dupuy, qu’il n’avait d’ailleurs aucune raison de suspecter. Le secrétaire était un vieux lourdaud repu de bonne chère, d’alcool de canne et de femmes de petite vertu, qui craignait l’obscurité, hurlant pendant son sommeil sous l’emprise de ses cauchemars, juste bon à éplucher les dossiers, à régler sa correspondance, muet comme un poisson, trop gras pour accoucher d’une idée.

    – Bon, passons !

    Les heures s’écoulaient sans aucun écrit suspect à signaler. Aucune piste à explorer. Pas une trace pouvant mener à une enquête capable d’être conclue par une juste et bonne fusillade.

    – Un malin, ce Nicolas ! Il n’avait pas seulement les couilles bien accrochées, il avait aussi la tête bien plantée.

    La fatigue gagnait son groupe de fouineurs. Les plis de leurs faces s’alourdissaient et leurs gestes prenaient de la lenteur. Découragés, ils disposaient les feuillets et rangeaient les dossiers consultés. Les cartables portaient la trace de leurs doigts en sueur et, de temps à autre, ils essuyaient avec leur mouchoir leurs fronts et leurs paumes moites. Le commandant se frotta les paupières alourdies par l’humidité ambiante et la monotonie des recherches.

    – Euphémie doit m’attendre, pensa-t-il. Son dîner doit être prêt. Mon corps a besoin d’un bon lit avec des draps frais et parfumés de ses seins chauds et voluptueux.

    Il sentit sur ses lèvres charnues le goût salé du sexe mouillé de sa mulâtresse.

    – Rangeons ces foutus papiers. Ils ne m’apprendront rien.

    Puis, surgissant de ses réflexions, il ajouta :

    – Bien ! Classez ces dossiers dans leurs armoires pour que le prochain commandant du Sud les trouve en bon ordre. Et offrez-vous un copieux repas et une sieste réparatrice ! Nous travaillerons plus tard !

    Sur ce, ses pas firent geindre le parquet et il disparut dans l’embrasure de la porte. Les secrétaires obéirent et s’éclipsèrent un par un en descendant l’escalier vers le rez-de-chaussée pour gagner la rue en quête d’une auberge.

    Dupuy traînait. Avec sa lourdeur proverbiale, ce comportement n’étonna personne. Avant de quitter la salle, bon dernier, il jeta un rapide coup d’œil par-dessus ses larges épaules. Il rouvrit un dossier, en tira la lettre en anglais et la glissa dans une poche intérieure de sa redingote grise.

    – Le général Christophe sera content encore une fois de mes services. Aujourd’hui, je viens de lui sauver la vie.

    Le maître et ses serviteurs ignoraient que Dupuy fut capable de dissimulation et de vivacité.

    Deux ans après le décès de Nicolas, sa femme se remaria à un colonel qui prit l’enfant posthume sous sa protection, le combla d’affection et ne prit aucunement ombrage de l’admiration que le fils portait au père disparu. Du sang avait coulé avec les années. Le commandant en chef Dessalines avait été tué par ses compagnons d’armes et plusieurs gouvernements s’étaient succédé à la tête du pays divisé en deux États pendant une quinzaine d’années. C’est le Général Boyer, d’abord chef d’une portion du territoire, qui réussit finalement à le réunifier. La famille de Fabre Geffrard s’était attachée à Boyer au cours de son long règne de vingt-cinq ans. Son beau-père, le colonel, servit le pouvoir, et lui-même gagna les rangs de l’armée alors qu’il était encore très jeune. Une fois parvenu au rang de capitaine, le commandant de sa ville natale l’intégra à son état-major en qualité de secrétaire. Droit, leste, élégant, le jeune officier séduisait déjà. Il attirait les regards d’hommes envieux ou admiratifs ainsi que les œillades de femmes.

    Auguste va-t-il me faire le panégyrique de son ancien chef ? Je me garde d’émettre toute remarque de crainte de le contrarier. Vaut mieux laisser couler la rivière avec le sable et les pépites d’or.

    – Il était brave. Il était généreux. Mais il était habité par deux vices redoutables.

    Ah ! Il rétablit l’équilibre. Avait-il perdu le sens de l’objectivité ? En tout cas, cet aveu me rassure.

    – D’abord, le jeu qui le greva souvent de dettes. Des amis durent parfois le tirer d’embarras. Puis, ses relations avec les femmes. Seigneur ! Son épouse Lorvanna en a bavé ! La pauvre. Combien de fois n’a-t-il pas déserté le lit conjugal ? Combien de fois n’a-t-il pas prétexté des inspections militaires imprévues, des gardes nocturnes dans les casernes, des réunions d’état-major pour se livrer aux étreintes de ses nombreuses maîtresses ? Les femmes qu’il ensorcelait aimaient son caractère dominateur et emporté ; les soldats qu’il galvanisait l’adoraient, louaient partout où il les menait, de prouesse en prouesse, son tempérament de feu et son sens du commandement ! Les dieux lui avaient donné des qualités rares chez le commun, sans doute pour mieux le perdre. Ils l’avaient tellement gâté dans sa nature et dans sa carrière qu’il pensait finalement ne rien devoir à personne, mais tout à son étoile. Quand, enflammant l’armée et le peuple contre Boyer, il entraîna les révoltés vers le pouvoir, le ciel, en ces nuits, se constella du passage d’une comète et le peuple ébloui par ses triomphes baptisa le phénomène « Le panache de Geffrard » !

    Pour la première fois depuis le début de son récit, Auguste avait prononcé avec exaltation le nom de son ancien chef et ses lèvres tremblaient. Ses yeux lançaient des éclats, illuminant son regard. L’émotion lui cassait la voix, elle imprégnait la pièce de l’attachement et de la ferveur du collaborateur ayant survécu à son leader vénéré. Ses pupilles brillaient. Allait-il pleurer ? Je baissai la tête pour ne point le gêner.

    Les larmes sèchent derrière ses paupières. Le récit reprend son envol. Je m’accroche à ses battements d’ailes.

    – Cette cascade de succès porta Geffrard à croire en son étoile. Il ne devait rien à personne. Dès ses débuts flamboyants baptisés par la poudre et le canon, il ignora complètement le sens du mot « loyauté ». Tout était placé sur son chemin pour servir à son ascension. Le président Boyer lui-même le compara à l’impétueux fleuve Artibonite. Pensez donc ! En un an, chef de bataillon, colonel, adjudant général, chef de brigade, général de division ! Et ceci, malgré le despotisme et la méfiance de ses supérieurs, ces gérontes dont Boyer n’avait pas voulu se défaire pour faire place aux jeunes. Cette politique irritait les hommes comme Geffrard qui piaffait d’impatience et d’ambition. Auguste avait lu sur mon front. Je me demandais précisément si Fabre Geffrard n’avait pas la trahison dans les gênes, vu les liens de sa famille avec Boyer.

    Partout, il avait soulevé l’enthousiasme, et sur son passage tous sentaient souffler l’esprit des temps nouveaux. Continuant sa course presque seul à la tête de ses soldats et devancé par sa réputation, au milieu des populations frappées par la flambée de la comète, il débouchait en face des troupes ennemies. Son audace et son éloquence, symbole de la révolution en marche contre un gouvernement dont le pays était fatigué, rallièrent ses adversaires. Après trois semaines de campagne, il entrait à Port-au-Prince et Boyer, culbuté, partait en exil. La capitale en délire fêta les vainqueurs. Le jeune officier désormais célèbre était l’objet des attentions bienveillantes et empressées des dames de Port-au-Prince.

    Auguste prenait son temps avant d’entrer dans le vif du sujet, avec l’air de se dire :

    – Si tu veux savoir, tu dois d’abord mieux saisir le personnage de l’événement du 3 septembre dont tu souhaites t’entendre dévoiler les mécanismes et les acteurs. Il ne sert à rien de lever le voile sur le fait sans sonder l’âme de celui qui mit en place cette machine. Il ne me reste plus longtemps à vivre, mais, ce soir, prenons le temps de bien faire.

    Boyer renversé, une assemblée fut formée en vue d’élaborer une nouvelle constitution. Notre homme s’était fait élire constituant. Il avait déjà compris que la route qui menait au pouvoir passait par la conquête de l’armée et que l’exercice du pouvoir civil n’avait aucune chance face aux baïonnettes. Il lui restait à s’affirmer de plus en plus comme chef de guerre tout en tissant son réseau politique, le développant à chaque opportunité. Une révolte de paysans allait lui fournir l’occasion de se dresser en défenseur et même en sauveur des propriétaires de grands domaines, des commerçants avec pignon sur rue et des hauts fonctionnaires. Quand les hordes envahirent et occupèrent les villes dans l’espoir de marcher sur la capitale, elles tombèrent sur Geffrard. Il se tenait au premier rang de ses troupes. Les révoltés, malgré la mitraille, le chargèrent. Leurs vagues successives tombaient tels des pans de mur déchiquetés par des dents d’acier. Ils avançaient quand même sous le feu, brandissant des piques, des machettes, des coutelas empoisonnés. Dans un premier temps, Geffrard plia comme un roseau sous la tempête, puis, ranimant le courage de ses soldats, fit volte-face et fonça sur les assaillants, soutenu par ses hommes tout aussi déterminés. Les agresseurs furent refoulés. Il encercla leur chef qui s’était replié dans la caserne d’une localité. La fortification canonnée, l’assaut lancé, ses soldats occupèrent la place. L’ennemi se jeta dans les bois où, traqué, encerclé, il se brûla la cervelle. Ce triomphe ajouté à son palmarès, Geffrard regagna Jacmel, siège du commandement du Sud-Est qu’on lui avait attribué depuis deux ans.

    Je prenais mon mal en patience. D’autant plus qu’Auguste me retraçait l’itinéraire de notre personnage en me dessinant ses contours. Peu à peu, la physionomie de notre ambitieux Geffrard, plus griffe que mulâtre, fils d’un marabout et d’une métisse, s’animait. Des iris noirs méfiants perçaient sur le fond blanc de ses yeux, au-dessous d’épais sourcils en arc, illuminant son vaste front brun coiffé de cheveux blancs peignés vers l’arrière. Élégamment vêtu de son uniforme de général, les épaulettes en relief, l’épée au flanc gauche, le bras droit appuyé sur un fauteuil au dossier duquel la main droite pose un chapeau en panache. Son nez aux narines pincées et frémissantes traduisait la rapacité d’un oiseau de proie.

    Avec un pareil profil, j’eus peine à croire ce qu’ajouta Auguste à ce moment précis :

    – Il a laissé d’agréables souvenirs dans son commandement. Par ses manières et son éducation raffinée, il avait su s’attirer l’estime et la sympathie de ses administrés. Sa famille donnait deux grands bals par an : le soir de Noël et le dimanche de Pâques. De plus, il distribuait de l’argent aux officiers de l’état-major pour des soirées dansantes auxquelles il participait avec toute sa famille. Ses gestes et sa voix ravissaient la foule qui l’acclamait lors des parades et aux sorties des grandes messes. On lançait alors des chansons composées en son honneur. Tambours et vaccines grondaient, accompagnant ses partisans en joie qui scandaient à travers les rues encombrées : « Geffrard ! Geffrard ! ki manman ki fè ou ? »

    « Geffrard ! Geffrard ! De quelle mère es-tu le fils ? »

    Dans les joyeuses guinguettes du bord de mer et dans les caboulots des quartiers interlopes, sergents, caporaux et soldats narraient sans se lasser les accrochages décisifs qu’ils avaient remportés avec ce nouveau dieu de la guerre, balayant d’un torrent de feu et de vaillance des ennemis terrifiés détalant tels des lapins.

    – Te souviens-tu de la terrible bataille de la petite plaine, numéro deux ?

    – La ville de Jérémie fêta cette victoire et le ciel se constella d’une traînée lumineuse qui s’étendait de l’Est à l’Ouest jusqu’à Port-au-Prince !

    – Et le jour où il se présenta escorté de seulement dix soldats au camp ennemi à la Rivière Glace ?

    – Oui ! J’y étais ! J’y étais !

    – Là, le commandant ennemi, pétrifié, entouré de ses hommes ébahis, l’écouta, figé comme un bloc de pierre, les exhorter à se rallier à nous !

    – Que s’est-il passé ? questionna une femme anxieuse.

    Le narrateur se rassit, la laissant quelques bonnes secondes suspendue à ses lèvres, tout en jouant dans les cheveux de la belle.

    – Calmement, Geffrard retourna au milieu de nous après avoir sapé leur moral. Comme nous savions qu’ils souffraient de faim, notre chef leur envoya des vivres, de la morue et des biscuits, sans exiger de paiement. Or, nous disposions de quatre à cinq tambours qu’il distribua sur trois mornes boisés dominant leur position et nous ordonna de battre des marches comme si nous étions plusieurs corps de troupe.

    – Qu’arriva-t-il ? s’empressa de demander un jeunot.

    – Ce fut si bien exécuté que l’ennemi se crut cerné et rebroussa chemin.

    Un gros rire s’éleva dans une vapeur de tafia et de tabac. Un sergent grisonnant, passant ses mains calleuses dans sa barbe en broussaille, roulant ses yeux rougis par les veilles, se hissa de toute sa stature et de sa voix qui en imposait lança :

    – Moi, les enfants, je vais vous raconter aussi ce que j’ai vécu avec lui. Un épisode qui m’a fait trembler dans mes couilles, et Dieu seul sait si j’en ai !

    Le patron du caboulot, à la panse de capitaine de bateau à la retraite, siffla un « Chut ! » repris par civils et militaires friands d’anecdotes exaltantes autant que de tassos de chats bien épicés pour accompagner la chaleur de l’alcool de canne.

    – C’était à une séance de l’Assemblée constituante.

    Le sergent se racla la gorge pour s’éclaircir les cordes vocales.

    – Taisez-vous ! intima le patron de son comptoir encombré de clients juchés sur des tabourets.

    – Laissez parler le sergent !

    – Nous ne sommes pas sur un champ de bataille ici !

    – Fermez-la !

    – On peut l’entendre, non ?

    – Hum ! Hum ! émit le militaire. Vous vous souvenez qu’il s’était fait élire constituant ? Vous vous souvenez que ces messieurs, avocats et politiciens pour la plupart, entendaient nous foutre au pas, au garde-à-vous devant eux, ces civils qui ne savaient que palabrer dans leur parlement ? Vous vous souvenez que Boyer les avait foutus dehors à plusieurs reprises ? Vous vous souvenez que ces éléments, devenus constituants, voulaient nous enfermer dans nos casernes pour diriger sans nous ? Donc, contre nous ! Vous vous souvenez ?

    – Oui ! Oui ! éclatèrent ses compagnons dans un brouhaha assourdissant.

    Le sergent étendit son bras droit et le silence se rétablit.

    – Eh bien, c’était à une séance capitale, la dernière avant le vote de la constitution. Notre chef nous demanda de l’escorter à l’Assemblée pour assurer sa sécurité, moi et neuf autres fidèles de nos campagnes victorieuses. En ce temps, nous veillions à Port-au-Prince sur sa maison, sur les jours et les nuits de sa femme et de ses enfants. Il déploya un détachement autour de sa résidence et nous le suivîmes. Je dois préciser qu’il nous avait ordonné de porter des habits civils. Arrivé sur les lieux, je constatai que notre chef, toujours prévoyant, nous avait fait précéder par d’autres camarades chargés de l’avertir en cas de danger. La moitié de l’escorte se répartit aux entrées et aux sorties de l’enceinte, tandis que les autres se glissèrent à l’intérieur, le regard scrutant la salle, prêts à bondir, nos armes chargées soigneusement dissimulées. Le chef nous avait désigné ses adversaires et nous ne les quittions pas des yeux. La séance débuta houleuse, les orateurs se succédèrent, proclamant la suprématie du pouvoir civil et l’obéissance absolue de l’armée aux institutions civiles. Bon, bref ! Toutes les balivernes et les rengaines de ce genre, je vous les épargne !

    – Oui, oui, poursuis !

    Un soldat excité par la viande épicée et la chaleur de l’alcool caressa d’une main avide le postérieur redondant d’une auditrice accorte qui n’hésita pas à lui plaquer une baffe bien sentie.

    – Merde ! hurla le patron.

    – Il me touche le cul ! dénonça la femme.

    – Foutez-le dehors ! hurla le proprio.

    Le coupable promit de se tenir coi. Ce qui permit au sergent de continuer :

    – Notre chef, à son siège, restait pensif. Nous qui le connaissons mieux que sa mère et sa femme, nous le savions bouillant. Mais nous connaissions aussi sa prodigieuse capacité à se contrôler. Un député venait d’achever sa harangue, toujours dans le même esprit, quand le général leva le bras et sollicita la parole. Ardent, décidé, mais froid et droit comme un poignard, il gagna la tribune. Mes yeux allaient de sa position à la salle, attentifs à ses mots comme aux réactions de chacun. Mes camarades et moi étions tendus comme des tigres aux aguets, persuadés de l’irrespect de ces hâbleurs envers les officiers et les soldats qui avaient risqué leur vie pour débarrasser le pays de la dictature de Boyer.

    – Que dit-il ? supplia le patron.

    D’un ton calme mais tranchant il dit : « S’il n’y allait pas de la destinée de mon pays, je ne serais pas monté à cette tribune. Mais ! (il lança ce mot, l’index pointé sur ses collègues). Je vois mon pays poussé par vous dans l’abîme et prêt à s’engloutir (au ‘’vous’’, il avait encore pointé du doigt). Je viens vous demander grâce pour lui (il s’arrêta un court instant promenant un regard navré). Qu’avez-vous fait et que voulez-vous faire ? Vous avez voté pour que les grades gagnés sur les champs de bataille soient déclarés nuls et non avenus. Avez-vous réfléchi à l’injustice de ce vote ? Comment ? (ce mot surgit de sa gorge tel un coup de canon) À des hommes qui, aux cris du peuple, se sont levés, abandonnant femmes et enfants, et qui se sont dit : « Nous allons mourir pour la liberté qu’un despote foule aux pieds » Vous, vous déclarez « Oui, vous avez combattu pour le pays, vous avez risqué votre vie, mais vous n’êtes pas morts ! Rentrez chez vous ! Tout ce que vous avez fait est nul et non avenu ! » Est-ce juste cela ? Je ne vous dirai pas quelle est la révolution du peuple et de l’armée. Réfléchissez ! Faites abnégation de tout amour-propre ! Il y a de la grandeur d’âme à se sacrifier pour l’intérêt de son pays. Unissons-nous pour secourir notre pays qui nous crie « sauvez-moi ! » Une dernière fois, il fixa l’assemblée, puis descendit la tribune. Ses pas résonnèrent dans un silence lourd d’appréhensions.

    L’avenir immédiat s’annonçait chargé de colère et de conflits. La suite, les enfants, vous la connaissez aussi bien que moi. Notre chef ne fut pas entendu. Cette constitution votée malgré ses mises en garde ne fut point acceptée par l’armée et donc jamais respectée. Dès le début, si cela dépendait de nous, soldats, caporaux, sergents, sous-officiers, on aurait balayé ces avocats qui ne faisaient que déblatérer dans leur enceinte soi-disant sacrée. Sacrée ? Mon cul, oui ! Et notre vie, elle ne l’est pas ? Aujourd’hui où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Terrés dans des cabinets miteux ou dans des chambres d’exilés ! Tandis que nous, nous sommes toujours là, plus que jamais, avec notre chef !

    Une bruyante ovation soutenue de rasades de tafia, de baisers mouillés et d’accolades titubantes, ponctua cette dernière envolée du sergent.

    Auguste toussa pendant que ses doigts jaunis par la nicotine soulevaient une petite boite d’aluminium. Il prisait dans sa tabatière pour bourrer le fourneau de sa pipe de porcelaine. L’odeur suave du tabac blanc se mêla aux senteurs de la terre pénétrée par une pluie douce mais tenace. Sur les trottoirs, les ombres avaient fui, mouillées elles aussi par l’averse. Le ciel se vidait lentement de ses eaux et le vent gémissait. Un rideau de gouttes lumineuses descendait sur les vitres des fenêtres et s’éteignait à la rencontre du cadre d’acajou.

    – Le Président aimait le tabac léger d’Orient. Les amis comme les flatteurs lui en fournissaient régulièrement. Nous fumions ensemble le soir, après les séances de cabinet. Ses joues brunes se creusaient quand il aspirait et il fixait la braise comme pour aiguiser sa méditation. Lorsque nous nous réunissions dans le fumoir pour nous détendre après une journée harassante ou pour échanger nos points de vue sur une question urgente, il m’indiquait une petite boîte ronde, à l’abri dans une armoire dont lui seul détenait la clé, remplie de cadeaux offerts par des amis éprouvés. À un angle de la pièce, sur une large table de marbre blanc, étaient disposés les dons suspects des parasites, des espions à sa solde, des fréquentations peu sûres, des courtisans chevronnés, laissés dans leurs enveloppes originelles avec leur nom inscrit de la propre main du Président. Quand je m’enquis du pourquoi de cette rigoureuse séparation et de ce signalement évident, il m’expliqua qu’à la longue le poison pourrit, sécrète des vers, et qu’ainsi il saurait qui... Encore un détail que j’oubliais.

    – Lequel ?

    – Cette table était isolée, cachée par un séparateur à deux battants actionné par une combinaison que lui seul connaissait.

    – Quelqu’un avait-il tenté de l’empoisonner ?

    – S’il y avait eu une tentative, nous l’aurions su. Il n’était pas homme à lésiner sur les méthodes. Si un conspirateur manigançait pour lui planter une croix, il réagissait et le maladroit n’avait qu’à creuser sa tombe.

    – Toujours implacable, n’est-ce pas ?

    Auguste renversa sa nuque couverte d’un duvet blanc sur l’un des coussins de mousseline lamée d’argent couvrant son large sofa de palissandre.

    – Pas toujours.

    Il esquiva mon regard et promena le sien sur son cendrier de cuivre, sur des figurines en terre cuite et sur un vase en cristal de baccarat. Serai-je aussi transparent que ce métal ? Ma voix chevrotante de vieillard portera-t-elle des paroles aussi lourdes ?

    – Avec Aimé, ce fut différent. Cela ne pouvait qu’être différent, précisa-t-il.

    – Aimé ?

    – Aimé Legros.

    Ses doigts longs et maigres soulevèrent ses lunettes à double foyer pour détendre les plis de ses paupières pâles, tirer les rides de ses joues flasques, serrer son menton garni d’une barbiche clairsemée.

    Une odeur de caserne envahissait la ville, elle s’infiltrait entre les persiennes des résidences des beaux quartiers, dans les venelles souillées de détritus et de mares d’eau stagnante, sous les portes

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