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Sous le jugement du temps
Sous le jugement du temps
Sous le jugement du temps
Livre électronique359 pages5 heures

Sous le jugement du temps

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À propos de ce livre électronique

Né d’un viol sur un champ de bataille dans un pays de l’Europe de l’Est, Alan a été acheté par un couple richissime venu de l'autre côté de l’océan. Brillant et adulé, il gravit rapidement les échelons du pouvoir et découvre dans la foulée son origine. Parti pour reconquérir sa véritable nation, il se rend compte qu’il pourrait avoir un lien très étroit avec le tyran qui a colonisé son peuple jadis…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Enseignant de littérature, Ylli Kadiu est un féru des livres ayant écrit plusieurs pièces de théâtre. Avec Sous le jugement du temps, il signe un roman inspiré par une photographie de guerre.
LangueFrançais
Date de sortie7 avr. 2023
ISBN9791037778093
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    Aperçu du livre

    Sous le jugement du temps - Ylli Kadiu

    Avant-propos

    Je commence ce livre aujourd’hui, le 18 octobre 2020 à 13 h 33 au lieu-dit fort de Queuleu, Metz, France.

    De cet endroit, où il y a seulement un demi-siècle s’était installé un camp nazi, qui s’est transformé en parc, où résonnent aujourd’hui les voix joyeuses des enfants.

    Des gens y courent pour garder leur corps en forme, mais dans cet endroit, au-delà des voix d’enfants, retentissent en silence d’autres voix que tout le monde ne peut pas entendre.

    Ce sont les voix de toutes ces personnes qui ont perdu la vie sous la torture.

    Leurs voix semblent résonner de toutes parts, ce sont des cris d’innocence, qui demandent la justice qu’ils n’ont jamais trouvée.

    Je sens leurs gémissements au bord de la mort ; eux aussi voulaient la vie, comme moi, comme vous, mais ils ne l’ont pas vécue, car la bête humaine les a pris, avant que leur heure ne soit venue.

    Je vois des gens courir et mon œil s’arrête à leurs pieds.

    Ils marchent sur des taches de sang. C’est le sang de ces personnes, qui leur appartenait, et pas à la bête humaine impitoyablement acharnée sur elles.

    Ces taches invisibles seront là pour toujours, car le sang de l’injustice ne tarit jamais.

    Dans ce sang, germent et grandissent, les milliers d’arbres que je vois autour de moi. Chacun d’eux me semble symboliser une vie perdue, peut-être l’âme de l’innocent transformée en arbre.

    Alors que je me tiens là, je vois des feuilles qui se détachent des arbres, viennent vers moi et me regardent, comme une main tendue pour m’accueillir.

    Je prends ces feuilles et les caresse légèrement, mais pendant ce temps, des voix de corbeaux se font entendre. Je tourne mon regard vers eux et vois qu’ils me regardent aussi.

    Ils étaient venus chercher quelque chose que leurs ancêtres avaient trouvé ici. Mais ils se sont vite rendu compte que ce qu’ils cherchaient ne se trouvait plus ici ; ils ont dû voler un peu plus loin pour le trouver, car la nourriture de chair et de sang qu’ils cherchaient existera toujours tant que l’homme vivra sur cette terre.

    Dans ce parc construit dans le berceau de la mort, je vois, je sens, j’écris… peut-être que comme moi, demain, dans un autre endroit comme celui-ci, quelqu’un d’autre écrira, car des parcs construits dans le berceau de la mort, on en construira encore et encore…

    Le début de la guerre

    Lundi. Début décembre. Ce jour-là, le ciel avait perdu son bleu. Le soleil était introuvable, des nuages noirs le recouvraient. Les feuilles des arbres étaient tombées, à l’exception de quelques-unes qui se dressaient haut, comme pour résister un moment, car elles aussi tomberaient comme leurs compagnes.

    Un léger gel avait recouvert tout l’endroit, et quelques flocons de neige voletaient de temps en temps.

    Il n’y avait personne dans les rues du village. Le seul signe de vie était la fumée qui sortait des cheminées des maisons, mais ce silence de tombeau serait bientôt rompu par le bruit des chars, qui encerclaient le village.

    Les gens effrayés fermaient tout, portes, fenêtres, mais le bruit des chars pénétrait profondément dans leurs âmes. C’était un bruit qui apportait la mort. Ils savaient qu’ils allaient mourir, mais ce qui torturait leur esprit était de savoir de quelle façon ils allaient mourir.

    Sans perdre de temps, les militaires entrèrent dans le village, défonçant les portes et faisant sortir tous les occupants des maisons, enfants, jeunes, personnes âgées, et les firent avancer devant eux.

    Le village comptait environ un millier d’habitants et, en peu de temps, ils furent tous regroupés sur la place centrale. Puis les soldats mirent le feu à leurs maisons et, en quelques minutes, le feu dévasta tout. Le labeur et la sueur d’une vie brûlèrent en quelques minutes.

    Le commandant de l’armée était un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, qui dirigeait le groupe de soldats chargé d’exécuter l’ordre du président d’exterminer le peuple de Glendia sous toutes ses formes pour nettoyer leur terre.

    Ce peuple, plus vieux que le monde devait disparaître de cette terre, sa terre depuis des millénaires, et ne laisser aucune trace, ces traces que les ancêtres avaient semées, siècle après siècle, dans ce sol où reposaient les ossements de millions de générations, qui voudraient sortir des tombes et se battre pour leur patrie.

    Pour leur langue, pour leurs traditions, qu’un envahisseur, descendu des glaciers, cherchait à effacer d’un trait de gomme.

    Glendia était resté un petit peuple, qui ne comptait pas plus de trois millions d’individus, mais héritier d’une grande histoire, transmise de génération en génération. Il avait combattu de nombreux envahisseurs, qui avaient tué, massacré, divisé, mais n’avaient pas réussi à déraciner l’âme de Glend.

    Après avoir incendié tout le village, les soldats encerclèrent les villageois et le commandant leur ordonna de se déshabiller.

    Terrifiés, presque tous obéirent, à l’exception d’une jeune femme, qui portait dans ses bras un petit enfant, âgé d’environ un an.

    Elle refusait de se déshabiller et avait décidé de mourir sans montrer son corps à l’ennemi.

    — Amenez-la ici, ordonna le commandant. Les soldats la traînèrent et l’amenèrent devant lui.

    — Femme, pourquoi ne veux-tu pas faire comme les autres ? demanda le commandant.

    La mère n’arrêtait pas de rire, et son rire émanait des profondeurs de sa douleur.

    — Non, commandant, je ne me déshabillerai pas. Tu as décidé de nous tuer, fais-le. Pourquoi as-tu besoin de mon corps nu ? Pour nous tuer deux fois ?

    Le commandant n’attendit pas la fin de son discours et aboya son ordre.

    — Tirez immédiatement !

    Les soldats la saisirent et la traînèrent dans un petit fossé, devant les yeux de tous les autres habitants qui tremblaient de froid.

    Les militaires dirigèrent les canons de leurs kalachnikovs sur la femme et l’enfant à ses côtés qui n’arrêtait pas de pleurer. Tranquille, la mère commença à lui chanter une berceuse pour l’endormir.

    Lorsque les soldats tirèrent, l’enfant effrayé tendit ses deux petites mains pour se défendre, mais ces mains ne purent le protéger des balles, qui les traversèrent et l’atteignirent au plus profond de son cœur tendre.

    Déchiquetée par les balles, la mère continua de chanter sa berceuse, jusqu’à ce que leurs corps roulent, enlacés, au fond de la vallée.

    Un grand silence tomba. Les cris du bébé se turent. La berceuse l’avait apparemment endormi, d’un sommeil d’où il ne se réveillerait plus jamais pour voir le soleil.

    Son âme se transformerait probablement en aigle, qui regarderait du haut du ciel la terre des ancêtres, remplie de fleuves de sang, qui ne s’épuisent jamais.

    Après le meurtre de la femme, les soldats se dirigèrent vers la foule des habitants, qui attendait avec angoisse de voir qui serait montré du doigt pour la suivre dans la mort. La mort, que les gens essayent de voir si loin, s’était rapprochée plus que jamais.

    Les regards des gens se concentraient sur la femme assassinée, la regardant avec envie, car elle avait fermé les yeux et arrêté de souffrir.

    C’était ce moment qui n’arrive pas souvent dans la vie, où les vivants regardent les morts avec envie.

    Chacun d’eux espérait mourir au plus vite, voyant dans la mort la fin de cette douleur.

    Sihana

    Parmi les villageois qui tremblaient de froid, une jeune fille d’une vingtaine d’années, prénommée Sihana, attirait tous les regards. Elle était si belle qu’on pouvait affirmer que la nature l’avait dotée de toute la beauté du monde.

    Il semblait que la neige lui avait donné sa blancheur, le ciel, le bleu de ses yeux ; ses cheveux ressemblaient à un bouquet de roses, dont l’arôme remplissait tout, à l’entour.

    Les fées semblaient lui avoir accordé une haute taille, un corps élancé et une peau qui brillait comme la rosée du matin, éclairée par les rayons du soleil.

    Dans cette beauté éblouissante, tout était fait pour capter le bonheur de la vie, mais le bonheur semblait lui fermer sa porte.

    Ses rêves s’étaient éteints, son sourire avait gelé sur ses lèvres, les larmes lui perlaient aux yeux, la douleur était devenue son royaume.

    Cette beauté qui dépassait l’imagination de tout poète ne pouvait manquer d’attirer l’œil du commandant de l’armée, qui la fixait depuis plusieurs minutes. Pour lui, cette beauté ne pouvait être envoyée au camp de Zverg, sans qu’il en profite d’abord sur-le-champ. Sans perdre de temps, il appela un chef de groupe.

    — Soldat !

    — Oui, commandant !

    — Avant de séparer les vieux des jeunes qui iront au camp de Zverg, je veux qu’on m’amène cette fille, dit-il, en pointant Sihana du doigt.

    — À vos ordres, commandant ! répondit-il.

    Les soldats écartèrent la foule et attrapèrent Sihana par le bras.

    Elle, effrayée, leur demanda :

    — Qu’est-ce que vous me voulez ?

    — Le commandant vous cherche, répondit l’un des soldats.

    — Pourquoi ?

    — Nous ne savons pas, femme, nous sommes des militaires et nous exécutons les ordres, et ils l’empoignèrent de toutes leurs forces.

    Avec l’aide de ses parents, Sihana repoussa les soldats qui tombèrent par terre avec elle. D’autres militaires s’approchaient pour aider leurs collègues, mais la foule s’interposa.

    Au cours de l’affrontement, les militaires, en détresse, ouvrirent le feu.

    Les premières balles touchèrent les deux parents de Sihana, qui luttaient de toutes leurs forces pour leur fille unique, la prunelle de leurs yeux, née après de nombreuses années de mariage. Mais la puissance du feu les avait jetés à terre. Ils étaient incapables de la défendre.

    Gisant à terre, dans les dernières affres de la mort, ils ne cessaient de l’appeler d’une voix à peine audible.

    — Sihana, Sihana, Sihana, Sihana !

    Peu à peu, leur voix s’affaiblit et s’éteignit.

    Quelques flocons de neige tombaient sur leurs visages et ajoutaient à leur blancheur. Leurs yeux restaient ouverts, mais ils ne pouvaient plus voir le monde, ce monde qui avait nourri le peuple gongren qui, en ce moment, traînait sur le sol gelé Sihana, qu’ils aimaient tant.

    Leurs oreilles ne pouvaient plus entendre ses cris : maman, papa.

    Elle ne savait pas qu’ils n’appartenaient plus à ce monde.

    Après les parents de Sihana, beaucoup d’autres tombèrent sous les balles incessantes, mais, alors que le combat se poursuivait, la voix du commandant retentit au loin.

    — Arrêtez le feu, ne tirez plus sur la population !

    Sur cet ordre, les tirs de mitrailleuses s’arrêtèrent et les gens se retirèrent, laissant Sihana seule parmi les soldats.

    Elle tentait de toutes ses forces de s’échapper de leurs mains, mais, épuisée, elle ne tenait plus debout.

    Cela n’arrêta pas les soldats qui continuaient à la traîner sur le sol gelé qui rougissait la blancheur de son dos.

    — Laissez-moi tranquille, pitié, je ne peux pas. Où m’emmenez-vous ? Quelle douleur ! je n’en peux plus. S’il vous plaît, laissez-moi.

    Les suppliques de Sihana ne fléchirent pas les soldats qui réussirent finalement à livrer leur butin au commandant.

    — Commandant, nous vous amenons la fille.

    Très énervé, le commandant répondit :

    — Qu’est-ce que vous avez fait là-bas ? Qui a ouvert le feu sur la population ? Saviez-vous qu’il fallait d’abord séparer les jeunes et les enfants pour les envoyer au camp ?

    — Nous n’avions pas le choix, ils nous ont attaqués, répondit le chef de groupe.

    — Bon, mais maintenant, tenez fermement la fille par les mains et les pieds et ne la laissez pas bouger.

    Les soldats immobilisèrent Sihana.

    Le commandant, ôtant son pantalon, se précipita sur le corps de jeune fille pour satisfaire ses convoitises animales.

    Il n’était nullement impressionné par les cris et les hurlements de sa proie qui montaient jusqu’au ciel. Pourtant, le ciel n’envoya pas la foudre pour la protéger.

    Bien que le ciel n’ait pas été troublé par les cris de Sihana, ils ne pouvaient être acceptés par les habitants de Gurremadhi qui, eux, avaient déjà surmonté leur peur de la mort. Ils se précipitèrent à nouveau sur les soldats qui, pris de panique, ouvrirent le feu, sans ordre, sur les habitants.

    Des coups de feu éclatèrent. Un grand nombre de villageois se saisirent d’une partie des armes des soldats et les retournèrent contre eux.

    Le combat devint très féroce, mais cela ne dérangeait pas le commandant qui déversait toujours ses convoitises sur le corps de Sihana, car il était normal qu’il fasse l’amour, parmi les cris, parmi les coups, parmi les morts.

    Tout cela l’excitait au maximum.

    À quelques mètres de lui, un caméraman en tenue militaire filmait toute la scène ; d’un côté, le sang chaud, qui bouillonnait des corps qui se battaient pour la vie ou la mort, et de l’autre, la bête humaine, qui exhalait ses convoitises, sans s’inquiéter aucunement.

    Après quelques minutes d’amour entre les tirs, le commandant se releva, libérant le corps de Sihana et courut vers les soldats qui n’arrivaient pas à neutraliser les habitants.

    Il laissa Sihana seule, allongée au sol, inconsciente.

    — Retirez-vous et prenez position, cria le commandant, lorsqu’il vit qu’une véritable guerre se déroulait entre les habitants et les soldats.

    Les soldats se retirèrent et se mirent en position de combat, les habitants les imitèrent.

    La guerre se déroulait désormais sur deux fronts se faisant face.

    — Merde ! la situation est devenue incontrôlable, déclara le commandant au chef de groupe.

    — Que devons-nous faire maintenant, commandant ? Les habitants ont pris les armes, nous avons des soldats tués et blessés, qui ont besoin d’être soignés, nous n’avons pas beaucoup de temps, conclut le responsable.

    — Nous n’avons pas d’autre choix que de tous les tuer, car il est impossible de séparer les jeunes et les enfants aujourd’hui pour les envoyer au camp de Zverg ; alors, ouvrez le feu pour en finir avec eux rapidement, car nous n’avons pas le temps.

    La fusillade reprit. De l’autre côté, Sihana s’était réveillée et, voyant que les soldats n’étaient plus près d’elle, se releva avec difficulté. D’un regard flou, elle tenta de voir d’où provenaient les coups de feu.

    Elle s’aperçut que les militaires avaient tué la quasi-totalité des habitants et que les affrontements prenaient fin.

    Elle comprit qu’elle devait essayer de s’enfuir et qu’elle devait se dépêcher.

    Devant elle se trouvait une forêt de pins et elle pensa se diriger vers ce refuge.

    Elle continua à avancer avec plus de difficultés. Son corps se sentait paralysé. Son dos continuait de saigner, mais elle trouva la force de poursuivre son chemin.

    Alors qu’elle n’était plus qu’à quelques mètres de la forêt, les coups de feu se turent ; apparemment, tout était fini, les Glendiens avaient dû être tous exécutés.

    Dans le silence, un autre bruit se fit entendre, celui des excavatrices qui descendaient des véhicules militaires.

    Les soldats creusèrent des fosses et ramassèrent les cadavres avec leurs pelles pour jeter les morts dans ces fosses communes à ciel ouvert, afin d’éradiquer toute trace de ce massacre, perpétré par l’homme contre l’homme.

    Mais certains n’avaient pas encore rendu l’âme. On entendait leurs gémissements.

    Plongés dans une mare de sang, ils regardaient le ciel, mais le ciel s’était fermé. Ils ne se lassaient pas de tourner le regard vers lui ; essayaient de dire quelque chose, mais ne le pouvaient pas, car ils se noyaient dans le sang de leurs blessures.

    Inlassablement, ils attendaient le secours du ciel, mais la pelle les ramassait pour les jeter dans la fosse. Elle les unissait, dans la vie, dans la mort, ensemble dans l’éternité.

    — Commandant, dit un soldat, nous avons couvert les trous, il ne reste pas âme qui vive.

    — Et la fille ? demanda un autre soldat. Tous tournèrent la tête vers l’endroit où ils l’avaient laissée auparavant, mais, étrangement, elle n’était plus là.

    — Trouvez-la et ne la tuez pas, mais habillez-la. Nous l’emmènerons au camp de Zverg pour qu’ils ne nous reprochent de ne leur avoir envoyé personne aujourd’hui, déclara le commandant.

    Un soldat, qui n’avait visiblement pas entendu parler du camp de Zverg, demanda avec étonnement :

    — Commandant, à quoi sert le camp de Zverg ?

    — Le camp de Zverg, soldat, est un lieu où seuls les enfants et les jeunes sont rassemblés et utilisés pour un commerce.

    — Qu’est-ce qu’ils vendent dans ce camp ? demanda encore le soldat.

    — Soldat, je ne pense pas que ce soit le bon moment pour répondre à ces questions, mais j’y répondrai quand même. Dans ce camp, ils vendent la vie.

    — Mais qui achète cette vie ?

    — Soldat, je vois que vous avez décidé de me faire perdre du temps. Ce monde se construit ; la vie se nourrit de vie, une vie doit toujours s’éteindre pour continuer à faire vivre une autre vie, et nous respirons grâce à cette vie que nous recevons. Chaque jour, nous devons nous nourrir de millions d’animaux qui veulent vivre, mais nous avons besoin de leur vie. Cela semble un peu étrange : comment un corps composé de viande doit-il être nourri avec de viande ? Nous n’en sommes pas responsables.

    Pourtant s’il y a une responsabilité, elle appartient à celui qui a créé un tel système.

    — Je suis d’accord, commandant, avec ce que vous dites, mais chez les humains, nous pouvons devenir végétariens et nous n’avons donc pas besoin de la vie de ces animaux.

    — Soldats, ce que vous dites, nous pouvons le dire aux gens, ou nous pouvons leur interdire légalement de manger de la viande, mais pouvons-nous empêcher le lion de dévorer ses semblables ou d’autres êtres vivants, qui se nourrissent les uns des autres ?

    Alors nous, tout ce que nous consommons est en soi une vie qui s’éteint. Ce fruit que l’on arrache au pommier est une vie qui se consomme. Cette tomate que l’on coupe est une vie qui s’arrache, car si nous ne la récoltions pas, elle ne viendrait pas d’elle-même vers nous.

    Ces gens que nous venons de recouvrir, ils ont été des consommateurs de vie ; maintenant, leur corps va donner vie à d’autres vivants qui vont le consommer, par exemple des vers, des serpents, ou d’autres êtres. C’est donc la règle, que nous ne pouvons pas changer.

    — Commandant, dans ce combat pour la survie, qui gagne ?

    — Dans cette guerre, soldat, personne ne gagne, c’est une guerre sans vainqueur.

    — Mais puisqu’il n’y a pas de gagnants, alors pourquoi devrions-nous nous battre ?

    — C’est la vie, une guerre sans vainqueur, mais ne me demandez pas plus, car nous ne pourrons jamais en finir. Tel est le monde. Ou il a un sens, mais nous ne pouvons pas le comprendre, ou il n’a pas de sens et nous n’avons rien à comprendre.

    — Commandant, je ne vous le demande pas parce que je veux que vous preniez du temps, de votre temps, mais je veux apprendre de la vie.

    Nous venons de tuer des dizaines de personnes : au nom de quoi avons-nous fait ça ?

    — Nous l’avons fait au nom du mal, du mal qui a été créé avec l’homme, ou peut-être même avant.

    Dans ce monde, le mal a triomphé et triomphera.

    — Comment pouvons-nous arrêter ce mal, commandant ?

    — Soldat ! Nous suivons un chemin pour lequel nous sommes programmés. Nous ne pouvons pas changer notre destin.

    L’homme est une énergie et cette énergie, il y a deux possibilités de l’utiliser, soit en bien soit en mal et nous avons choisi le mal, ou en d’autres termes nous sommes la force du mal.

    Nous pouvons voir notre corps, nous avons deux mains, ces deux mains se rassemblent et deviennent un poing ; en cas de bagarre, tout le corps est activé, pour que ce poing frappe le plus fort possible, pour blesser un autre corps.

    L’homme peut activer chaque partie de son corps pour causer des blessures, bref, c’est notre destinée, sinon, l’homme aurait été fait sous une autre forme, qui ne lui aurait pas donné la capacité, la force, l’agressivité de faire du mal.

    Surpris par ces réponses, le soldat redemanda :

    — Oui, nous avons l’esprit et notre esprit peut arrêter le mal, au lieu de frapper, de serrer dans ses bras ; au lieu de crier, de sourire ; au lieu de tuer, de coexister.

    — Il est vrai, dit le commandant, que nous avons l’esprit, mais dans notre esprit, le bien et le mal se confrontent chaque jour, et jusqu’à présent nous avons vu que le mal avait vaincu le bien, ce qui signifie que l’esprit humain est commandé par la force du mal. Commandé par cette force, le monde a produit plus de larmes que de sourires.

    Chaque jour, l’esprit humain avance dans la création d’armes de destruction massive, si cet esprit était commandé par le bien, avec les sommes vertigineuses qu’il dépense pour créer ces armes, il créerait autre chose, pour son propre bien.

    Imaginez qu’en un an dans le monde, environ deux mille milliards de dollars sont dépensés dans le domaine militaire. Si cet argent était dépensé pour le bien de l’humanité, il n’y aurait plus de misère dans le monde, de gens mourant de faim, de soif, de froid, de manque d’hôpitaux, et le soleil se lèverait dans un autre monde, égal, sans guerres, sans haine.

    Je crois qu’il est maintenant clair pour vous que l’esprit humain est commandé par la force du mal, de ce mal que nous n’avons pas créé, mais trouvé ici, et que nous transmettrons à ceux qui nous suivront.

    Le soldat ne questionnait plus, mais réfléchissait à ce qu’il adviendrait du monde s’il changeait et que la force du bien y triomphait.

    Que la terre tremble et que tous ceux qui ont été injustement tués avant que leur temps ne vienne sortent de la tombe et vivent leur vie interrompue, pour attendre la mort dans un lit chaud.

    Fermer les yeux, comme chaque nuit pour s’endormir, mais tomber dans un sommeil différent, sans rêves, sans petit-déjeuner, dans un sommeil d’éternité, de cette éternité dont on a beaucoup parlé et qui continuera probablement à faire parler d’elle, avec des mots qui vont et viennent et restent toujours des mots.

    — La fille a-t-elle été retrouvée ? demanda le commandant à un soldat.

    — Non, commandant, nous ne sommes pas encore allés la chercher, répondit le soldat.

    — Qu’est-ce que tu fous alors ?

    — On s’occupait des blessés.

    — Allez la chercher à un ou deux et surtout ne la tuez pas, amenez-la vivante. Les autres s’occuperont de préparer notre départ.

    Obéissant au commandant, quelques soldats partirent chercher la fille.

    D’autres rechargeaient les excavatrices sur les camions, d’autres installaient les soldats morts dans des véhicules de l’armée.

    Parmi les soldats, il y avait de nombreux blessés graves, que les médecins s’efforçaient de maintenir en vie. Un des blessés, entre la vie et la mort, demanda qu’on fasse venir le commandant pour lui parler.

    Ses compagnons alertèrent le commandant qui se rendit aussitôt près de lui.

    — Commandant, commandant…

    — Oui, soldat, parlez, répondit le commandant en posant la main sur son front.

    — Commandant, j’ai très froid, tout mon corps tremble, on dirait que je meurs si jeune.

    J’aurai 25 ans en janvier, oui, oui, en janvier, le dix. Je pense que ma fille et ma femme ont dû m’acheter un cadeau.

    Commandant, j’ai vu le vingt-cinquième printemps, je ne pense pas voir le vingt-sixième.

    Comment direz-vous à ma fille, comment, pourquoi, pour qui, j’ai donné ma vie, dites-le-moi, s’il vous plaît, dites-le-moi !

    La main toujours posée sur son front, le commandant lui répondit :

    — N’ayez pas peur soldat, vous ne mourrez pas.

    — Dites-moi, s’il vous plaît, comment allez-vous le dire, insista le soldat, qui sentait qu’il vivait ses derniers instants.

    Devant l’insistance du soldat, le commandant répondit.

    — Nous dirons à ta femme et à ta fille que tu es mort en martyr pour la cause de Gongrenia.

    — Non, commandant ! Comment pourrais-je être mort en martyr pour la cause de Gongrenia, sur la terre de Glendia ?

    — Oui, soldat, vous êtes un martyr sur cette terre, pour que votre fille en hérite.

    — Non, répondit le soldat qui ne sentait plus la moitié de son corps.

    Une terre étrangère ne peut jamais devenir votre terre, car tôt ou tard quelqu’un se lèvera pour la reprendre. Même si nous pouvons les tuer, les chasser au-delà des frontières, nous ne pourrons pas arracher les racines de Glendia, car ce sont des racines profondes, qui ont poussé dans le sang.

    Ces gens qui meurent pour défendre cette terre seront de vrais martyrs, qui ne mourront jamais, mais vivront dans le cœur de chaque Glendien.

    C’est d’eux que l’histoire parlera, c’est d’eux que leurs descendants seront fiers, moi je serai un martyr de la honte, un nom oublié, mort en envahisseur dans une terre étrangère, car aucun envahisseur n’est resté longtemps dans une terre conquise et occupée.

    Ce que nous faisons, c’est de la folie, pour la mégalomanie de certaines personnes, dont la folie se paie en martyrs de la honte, comme moi qui viens de commencer ma vie et devrai la quitter dans la fleur de l’âge.

    Avec ma vie, je quitte tout ce que je porte dans mon cœur… le soldat se tut pendant quelques secondes puis, les yeux remplis de larmes, il se mit à pleurer encore plus fort. S’arrêtant, il se remit à parler.

    — Commandant, commandant !

    — Oui, soldat ! Parlez.

    — Commandant, je sens que je n’ai plus que quelques instants à vivre et avant de mourir, j’aimerais un papier et un stylo pour écrire deux mots à ma fille, qui les lira quand elle sera grande.

    — Certainement, soldat.

    Le commandant se dirigea vers sa voiture, prit un stylo et une feuille et les remit au soldat. Ce dernier lui demanda de le laisser seul un moment et, dans les dernières affres de sa vie, toutes ses blessures continuant à saigner, il commença à écrire sa lettre.

    — Ma chère fille,

    quelques minutes me séparent de la mort. À ce moment que je ne pensais pas devoir affronter aussitôt, elle se présente à mes yeux, cette petite vie que j’ai vécue. Et là, je vois cet instant où je t’ai prise dans mes bras pour la première fois.

    Je me souviens du plaisir que j’ai ressenti, que les mots de notre langue étaient trop pauvres à exprimer, car je tenais dans mes bras un amour idéal devenu humain.

    J’avais toujours entendu parler d’amour, mais je n’avais jamais pu le toucher.

    Je t’ai aimée à chaque instant, même quand, dans mes nuits blanches, tu secouais ton berceau.

    Je t’aimais quand tu pleurais, quand tu riais, quand tu soupirais, je t’aimais à chaque instant de la journée et je ne savais pas que je détesterais l’idée qu’un jour je mourrai et que je ne jouirai pas de cet

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