Terres promises
Par Gilles Cochet
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Commercial de l’édition à la retraite, Gilles Cochet crée des univers et des histoires pour égayer le quotidien de ses lecteurs. "Terres promises" complète la trilogie qui comprend également "Obscurs desseins" et "Nobles causes" publiés en février et octobre 2023 chez Le Lys Bleu Éditions.
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Nobles causes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationObscurs desseins Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Terres promises - Gilles Cochet
Introduction
Arthur marche, tête baissée, et ne voit pas le couple qui le regarde du trottoir d’en face. L’homme appelle et agite les bras, regarde la femme à ses côtés et traverse la rue.
— Arthur !
— Jo ?
— Eh oui ! C’est moi. Tu me reconnais ? Tu as l’air tracassé, tu ne m’as pas entendu ?
— Non, je réfléchissais. Je suis désolé, je ne viens plus très souvent ici.
— Tu as cinq minutes ? demande Jo.
Catherine traverse la rue à son tour.
— Bonjour, Arthur, dit-elle timidement.
— Catherine, bonjour, désolé. On prend un verre ? Vous avez le temps ?
— Oui, bien sûr.
La Brasserie du Palais est toute proche. Catherine et Jo sont venus en ville sur son initiative à elle. Jo ne se sent pas à l’aise, bousculé dans ses habitudes de campagnard. Il n’aime pas vraiment la foule, être obligé de faire attention où il marche, il dit pardon à chaque personne qu’il effleure ou bouscule quelque peu. Il lui fait plaisir, à elle, qui a les yeux qui brillent devant les vitrines, jolies robes et belles chaussures.
Arthur n’est pas retourné au café de Saint-Jacut depuis l’enterrement de Marion.
Il avait laissé des affaires dans la grande maison, dont le loyer avait été prélevé pendant plusieurs mois. Personne ne s’en était soucié. Pourquoi ? Le propriétaire touchait le loyer, le notaire du village connaissait le locataire absent et n’avait pas jugé utile d’informer son client que la maison était vide.
Ainsi vont les choses. Arthur est allé dans la grande maison, a loué une camionnette, Maxime, son copain de longue date, l’a aidé. Les meubles ont atterri chez Emmaüs, les quelques livres sur les étagères encombrées de son appartement du mail. Il donne sur le canal, au dernier étage, terrasse plein sud, « un des plus chers de la ville », lui avait dit l’agence immobilière.
Arthur fait face à Jo et Catherine dans cette brasserie. Il ne sait trop quoi dire à cet homme, témoin d’un autre temps, l’ami fidèle.
— Catherine et moi, nous allons partir en vacances assez loin. Je vais prendre l’avion pour la première fois, tu te rends compte, à 57 ans ? Pour Catherine, c’est la première fois aussi.
— Et vous allez où ?
— En Amérique. On a vu des films et des séries à la télé. Un voyage organisé, huit jours à New York. Tu connais ?
— J’y suis allé une fois, impressionnant.
— Nous partons la semaine prochaine. Nous sommes venus acheter quelques habits.
La conversation traîne et s’éteint d’elle-même. Le couple est heureux, dans son bonheur inespéré, il regarde Arthur, enfermé dans sa solitude, ni heureux, ni malheureux. Jo ne dit plus rien.
— Bon, on y va. Faire les boutiques, ça demande du temps.
— Il faut bien choisir, content de vous avoir revus, bon voyage.
— Merci, à la prochaine, répond Jo.
Arthur regarde le couple s’éloigner. Il n’a rien à ajouter. Il part à Boston la semaine prochaine. Powell l’a appelé. Il n’y est pas allé depuis son retour de Grande-Bretagne. Il a laissé les rênes à l’homme d’affaires qui aimerait le revoir, envisager l’avenir. Sa demande est légitime. À trente ans, Arthur vit une existence de rentier, depuis l’héritage que lui a laissé Marion. En cet automne 2022, les incertitudes sont légion et son insouciance balaie d’un revers de main les éventuels tracas. Le fondé de pouvoir a émis quelques souhaits sur les placements dont découle sa rente mensuelle et veut en débattre avec lui. Il y va. Il n’a pas d’obligations. En plus, le sort des Albanaises lui tient à cœur. Ces femmes, prisonnières d’un réseau de prostitution implanté à Londres, et qu’il avait fait libérer pour achever le projet de Marion, il ne peut s’en désintéresser. Elles l’ont suivi et il les a laissées.
Plus il creuse, plus il se sent un peu « léger », comme souvent. Il ne va pas jusqu’au bout, laisse en plan et se décharge sur autrui de ce qui le dérange. Les conseils, inquiétudes et interrogations de ses proches sont sans effet. Il le sait, il fait l’autruche. Il est temps de sortir la tête du sable. Marion ne me regarde plus, se dit-il en voyant son reflet dans une vitrine.
Chapitre I
L’avion atterrit à l’heure du déjeuner. Michael Powell l’attend à l’aéroport. Un en-cas est le bienvenu pour Arthur qui ne peut avaler la nourriture servie dans les avions, les compagnies américaines étant les plus redoutables sur ce plan. Un détour par le centre historique ne déplaît pas à Powell, qui ne déteste pas venir, à l’occasion, dans ce morceau d’Angleterre sur le nouveau continent. Les poissons et fruits de mer y sont excellents. L’accueil chaleureux du fondé de pouvoir rassure le Français, qui appréhende toujours les retrouvailles après quelques mois, chacun vivant dans un contexte très différent. Plymouth est à moins d’une heure de Boston, la route est plaisante, le cadre naturel de la baie du cap Cod est magnifique. Powell lui vante les attraits de la région, la justesse de son choix quand il avait proposé à Marion cet investissement et les possibilités de réinsertion pour les Albanaises exfiltrées, liées à une politique sociale particulièrement progressiste du Massachusetts.
— Et les filles, comment vont-elles ? Elles se sont adaptées à la vie d’ici ?
— Écoutez, je suis heureux de la tournure des évènements. L’hôtel a ouvert ses portes en juin, juste pour la saison d’été. Mais avant, la préparation en Angleterre avait été parfaite. Il faut vous dire que Miss Palmer nous a suivis. Elle a pris en main la direction des opérations. Belina est arrivée au château peu de temps après votre départ. Elle est en poste à la réception de l’hôtel. Elle veut vous voir.
— Et Miss Palmer…
— … dirige l’établissement. Il y a un restaurant avec un chef français. Trois filles servent en salle, deux travaillent en cuisine. Deux sont au bar, les autres s’occupent des chambres, ménage, décoration. Une d’entre elles va chercher les clients à l’aéroport, une autre les dirige dans le coin, avec une fille d’ici.
— Et certaines travaillent ailleurs ?
— Oui. C’est plus délicat. L’établissement pour personnes âgées a eu des malfaçons dans sa construction, il a ouvert avec retard, début septembre. Il a fait le plein. La formation a eu lieu cet été. Elles font ce qui est autorisé, excluant tout soin aux personnes âgées. Elles accompagnent les pensionnaires en sortie, les occupent, les aident au coucher au besoin. C’est une maison de retraite de classe moyenne, médicalisée, sachant que la majorité des pensionnaires est bien portante.
Arthur écoute avec attention, étonné de la rapidité de la mise en place. Il s’interroge sur un point et ose questionner :
— Un point délicat : aucune de ces dames n’a repris, même de manière accidentelle, son ancienne activité ? Un hôtel, des chambres…
— Vous avez raison de vous interroger. Les services sociaux se sont inquiétés et ont demandé directement aux filles ce qu’il en était. Toutes ont juré solennellement que c’était le passé. Ça vaut ce que ça vaut, mais il n’y a rien à ajouter.
— Et aucune n’a voulu repartir ?
— Une est rentrée en Albanie. Son frère est venu, sa sœur l’a vu. Elle a pris ses affaires et l’a suivi.
Le repas de fruits de mer est excellent. La route vers Plymouth est effectivement très pittoresque. L’hôtel est situé près du port de plaisance : Hope est son nom. Celui-ci a été choisi par Marion. C’est un établissement de taille modeste par rapport à ses voisins, ce qui permet d’attirer une clientèle cherchant la convivialité. Le restaurant attenant privilégie la proximité, une cuisine familiale. Le chef français en garantit la finesse et la variété des plats proposés. Le nom du restaurant « Chez François » joue sur la proximité phonétique avec « Français », image porteuse de qualités culinaires. Arthur découvre avec émotion quelques éléments de décoration dans le hall d’entrée, notamment des tableaux présents dans l’appartement de Kensington de Marion ainsi que des bibelots glanés sur le marché de Porto Bello avec lui, lors de leurs promenades dominicales. Le personnel féminin est habillé sobrement. L’élégance discrète sied à une clientèle fuyant le clinquant.
Belina est à l’accueil. Le milieu d’après-midi est calme, elle se dirige vers Arthur, tout sourire.
— Bonjour, lui dit-elle. Il se retourne et la voit.
— Belina ! s’exclame-t-il.
Elle est vraiment très belle. Elle a récupéré de sa blessure, il en est très heureux.
— Vous allez bien ? demande-t-elle.
— J’arrive, un peu de décalage horaire, rien de grave. Et vous ? Vous allez beaucoup mieux que lors de notre dernière rencontre, ajoute-t-il.
— Oui, la convalescence a été facilitée par le cadre dans lequel je me trouvais. Le château était une idée géniale. Merci à vous et à M. Powell. Nous sommes toutes très heureuses d’être ici, je tenais à le dire au nom de toutes mes sœurs d’infortune.
— Le projet a été mené à bien, il reste quelques imperfections à la maison de retraite, mais nous devrions y voir plus clair d’ici peu. J’y vais demain.
— À ce propos, Fiona pose un problème. Elle a du mal avec la langue anglaise, c’était déjà le cas à Londres. Et puis, elle a rencontré un homme, pas très clair. Allez la voir, elle est dans l’autre structure.
— Bien sûr, je la verrai demain.
Un voyageur arrive, Belina rejoint son poste à l’accueil. Arthur retourne à sa conversation avec Michael Powell qui échange nouvelles et impressions avec un membre du conseil municipal. Arthur fait sa connaissance, la conversation bascule sur la vie en France, inévitable sujet de curiosité.
— Arthur, on vous a loué un véhicule personnel, si vous voulez visiter le coin. C’est très beau et très chic aussi.
Michael Powell essaie de mettre le Français à l’aise dans cet univers qu’il ne connaît pas, mis à part une visite aux États-Unis, New York, il y a quelques années. Arthur repense à Jo et à sa femme. Ils sont dans la grande ville, la ville des villes, comme dit le romancier. L’ex-paysan alcoolique déambule sur la cinquième avenue, improbable, la tête en l’air.
— Tout est très cher ici. Le prix des chambres peut paraître excessif, mais ça ne choque personne.
— Je vous fais confiance, Michael, vous avez plus l’habitude des gens fortunés que moi. Je sais que certaines personnes estiment qu’ils doivent payer cher sinon ils trouvent ça suspect. Et dans l’autre structure, c’est cher aussi ?
— Nous sommes en milieu de gamme. Les prestations médicalisées sont hors de prix aux États-Unis donc nous ne prenons que des gens sans pathologie, des gens seuls en général, qui cherchent de la compagnie et paient pour ça. Dès qu’ils commencent à avoir des problèmes, on les transfère et on en prend d’autres. C’est un principe simple, mais on n’a pas eu le temps de préparer les filles à des fonctions plus élaborées, plus tard peut-être.
— Vous avez entendu parler de problèmes avec Fiona, une des filles qui travaille là-bas ?
— Non, pas spécialement, pourquoi ?
— Belina m’a touché deux mots à son propos, me disant de la voir et de lui parler, un problème d’adaptation apparemment.
— Nous avons beaucoup de chance avec l’ensemble de l’équipe. Parlez-lui, à Fiona, elle sera rassurée. Vous allez vous promener cette après-midi ?
— Je pense aller voir l’océan, marcher sur la plage… il y a une plage ?
— Il y a une plage, un peu ventée, un sable blanc très fin, très beau.
— J’y vais, une heure ou deux, à tout à l’heure.
— À ce soir.
Il prend la direction du cap. Arthur s’arrête sur le bord de la route côtière. La plage est proche, une dune fixée par des oyats la sépare de la route. L’immense cordon de sable déroule un arc parfait sur plusieurs kilomètres. Le cap Cod est visible au loin, la ville de Provincetown se distinguant par ses villas cossues. Il marche sur le sable, il est seul.
Presque seul. Il ne voit pas une jeune femme qui marche à sa rencontre. Elle semble vouloir lui parler, elle change de direction puis s’arrête. Il n’a toujours rien vu. Toujours plongé dans ses pensées, il lève les yeux. La jeune femme est face à lui, à quelques mètres, et le regarde fixement. Ses cheveux volent au vent, elle rajuste une mèche et lui parle. Le vent couvre ses paroles. Il s’approche.
— Vous êtes Arthur Simon ? dit-elle en français avec un fort accent d’Europe centrale.
— Oui, c’est moi, et vous êtes qui ?
— Mon nom ne vous dirait rien. Vous êtes en danger. Un type de la bande à Monaugh est arrivé hier de Londres, vous vous rappelez ?
— Oui, je m’en souviens, il veut quoi ?
— Se venger. Je suis une prostituée qui a fui après que vous ayez vidé les appartements. Je suis partie seule. Ils m’ont rattrapée, m’ont battue, je me suis enfuie de l’hôpital à Londres. Je l’ai appris parce qu’ils ont parlé de vous après m’avoir frappée, pensant que j’étais évanouie. Une fille de votre staff a téléphoné pour prendre des nouvelles de Ricky et elle a été localisée ici, aux USA, dans cette station.
— Et vous logez où, vous avez un toit ?
— Ne vous souciez pas de moi, la fille s’appelle Fiona, vous vous souviendrez ?
— Fiona ? Oui, attendez…
La jeune femme est partie, laissant Arthur ressasser les souvenirs de Londres. Il continue sa promenade sur la plage désormais déserte. Une heure plus tard, il rentre à l’hôtel. Sa chambre est prête : déco marine, bleu pâle et vieux bois, coussins gris perlés donnent à l’ensemble une douce tonalité, reposante. De multiples prospectus vantent les charmes et activités de la région, nautiques pour la plupart, pêche, découverte du milieu marin, ainsi que l’histoire locale, fort riche.
Arthur a rendez-vous avec Michael Powell pour dîner vers vingt heures dans le restaurant français. Il a reçu un message avec image de Jo et Catherine devant la statue de la Liberté, bien emmitouflés sur le ferry qui mène à Ellis Island, souriants. Il s’allonge sur le lit, met le réveil, le décalage commence à se faire sentir, deux heures de sieste réparatrice seraient les bienvenues avant le repas du soir. Son sommeil est peuplé de visages hostiles, de jeunes femmes en pleurs et du visage de Marion qui regarde, loin, l’air de ne pas comprendre. Il est secoué de tremblements et se réveille brutalement, en sueur, une heure plus tard. Rick Monaugh n’est pas un tendre. Je l’ai utilisé et il le sait. Il a perdu son gagne-pain. Il pourrait perdre son sang-froid. La peur refait son apparition, l’estomac noué va gâcher le dîner. Il doit parler à Powell et ne pas garder l’information pour lui. Il doit être concret face à une situation potentiellement dangereuse.
La fille de la plage ne doit pas être très loin. Elle va s’approcher de l’hôtel, essayer de se protéger, trouver un contact auprès de ses ex-collègues. Monaugh va se rapprocher de l’établissement. Que peut-il faire ? Il n’est pas sur