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Le Taxi Science: Psychologie Pour L'Eveil des Consciences
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Le Taxi Science: Psychologie Pour L'Eveil des Consciences
Livre électronique329 pages4 heures

Le Taxi Science: Psychologie Pour L'Eveil des Consciences

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À propos de ce livre électronique

L’opinion publique estime que les tenanciers de bar sont des thérapeutes amateurs. La même chose pourrait être dite au sujet des chauffeurs de taxi.

Andrew NJANJO s’installe à Londres en 1994 et dès 1996, exerce en qualité de chauffeur de taxi. Il prête une oreille attentive à tous ceux qui croisent son chemin et offre inlassablement au passage des conseils, mis au parfum de la dernière actualité. Il décrit dans ce livre, avec une minutie et une vivacité déconcertantes, comment son caractère et sa personnalité ont été affectés, parfois si profondément, par l'expérience acquise, au contact de milliers d'étrangers qui ont été, le temps d’un instant, aussi court fût-il, mais très enrichissant, passagers de son taxi.

Le Taxi-Science se veut un mémoire, mais il en est plus. Il explique, à travers des récits saisissants des faits de société riches et variés qu'a vécus l’auteur, comment sa perception a changé et a évolué sur les questions de race, de religion, de politique et de parité Homme-Femme. Les histoires racontées ici sont empreintes de tristesse et expriment quelques fois le désespoir. Elles sont souvent éclairantes et réconfortantes quand elles ne sont pas simplement hilarantes et triomphantes, comme c’est le cas des récits de nombreux passagers francophones, d’apparence raciste, qui ne tiennent nullement compte des compétences linguistiques de leur chauffeur, illustrant ainsi le profond impact psychologique que conducteur et passagers ont, l'un sur l'autre.

Thérapeute de fortune, le chauffeur de taxi est très souvent victime des menaces des passagers. Le risque de glisser subrepticement dans la vie du client est donc grand. Parfois, ce glissement est inévitable. Le Taxi-Science explore avec honnêteté, intégrité et humour comment cette incursion dans la vie de l’autre peut s’opérer et évalue ce qu'une relation aussi intime peut signifier pour les deux parties.

LangueFrançais
Date de sortie28 mars 2023
ISBN9781803134543
Le Taxi Science: Psychologie Pour L'Eveil des Consciences
Auteur

Andrew Njanjo

Andrew Njanjo is from Cameroon and he has been living in London since 1994. Since 1996 he has been driving a taxicab around London, lending an ear, offering advice and being privy to all sorts of conversations.

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    Le Taxi Science - Andrew Njanjo

    9781803134543.jpg

    Copyright © 2023 Andrew Njanjo

    Titre original : TAXI SCIENCE

    Traduit de l’anglais par Charles Valère Njutchoko,

    cvnjutchoko@gmail.com

    Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

    Toute utilisation à des fins de recherche ou d’étude privée, de critiqueou d’examen, comme le stipule la loi de 1988 sur le droit d’auteur, y compris les dessins et illustrations associés ainsi que les brevets de cette publication ne peuvent être reproduits, stockés ou transmis, sous quelque forme ou par quelque procédé de reprographie que ce soit, sans l’autorisation écrite préalable des éditeurs, conformément aux termes des licences délivrées par l’Agence du droit d’auteur.

    Les demandes de reproduction formulées en dehors de ces conditions doivent être adressées aux éditeurs :

    Matador

    Unit E2 Airfield Business Park,

    Harrison Road, Market Harborough,

    Leicestershire. LE16 7UL

    Tel: 0116 2792299

    Email: books@troubador.co.uk

    Web: www.troubador.co.uk/matador

    Twitter: @matadorbooks

    ISBN 978 1803134 543

    British Library Cataloguing in Publication Data.

    A catalogue record for this book is available from the British Library.

    Matador est une entité de Troubador Publishing

    Remerciements

    A Monsieur Martin Awah Atanga,

    Pour avoir été là pour moi tout au long de mon séjour à Londres. Maggie Dodson qui a été mon mentor de 1996 à ce jour. Je serai éternellement reconnaissante à Mama Lucy Nkwameni de m’avoir donné l’opportunité de vivre à Londres pour raconter mon histoire.

    Je suis béni avec l’abondance d’amour montrée par Mama Suzanne Fankham. L’amour inconditionnel de maman Odette Yanzè pour moi est quelque chose que j’emporterai dans ma tombe. Un ami comme Roger Kuébové Pehuie ne vient pas très souvent. Tu as été ma colonne vertébrale. Ma femme Alvine, que je considère comme ma plus grande critique, m’a aidé à terminer ce livre.

    Dedicace

    A mes enfants, qui n’auront jamais connu mon combat, ceux-là mêmes qui ont forgé mon caractère et sont la raison pour laquelle je suis devenu l’infatigable travailleur aujourd’hui.

    L’histoire que je raconte ici, j’ai mis toute ma force à la vivre. Puisse mon expérience être un document qu’ils liront sans cesse.

    – «C’est indéniable : notre position sociale ou politique affecte négativement quelqu’un autour de nous. Comprendre dès lors le combat que mène l’autre peut être le début de la création d’un monde meilleur. Mais ceci ne sera possible que si nous sommes fidèles à notre conscience. Chaque chapitre de ce livre est le reflet d’un comportement susceptible de nous coûter cher, émotionnellement.»

    L’auteur

    SOMMAIRE

    Un

    Conduire mes semblables à la lumiere …

    Devenir chauffeur de taxi était la voie royale pour échapper aux affres du tribalisme dont j’avais souffert depuis ma tendre enfance, au Cameroun. En arrivant à Londres et totalement désarmé devant le racisme ambiant, ce métier, incontestablement, devrait me servir de bouclier. La protection métallique qu’offrait la cabine d’une belle rutilante, ajoutée à la puissance d’un moteur d’une dizaine de chevaux-vapeurs, suffisaient pour me réarmer psychologiquement devant cette situation et devenaient de fait, mon imprenable bouclier. Cette position me plaçait derechef dans une posture de leader et définissait clairement mes responsabilités dans mon milieu professionnel. J’étais comme investi d’une mission : celle de conduire mes semblables à la lumière… J’avais également la liberté de choisir les horaires de travail qui me convenaient. Les deux cultures que je connaissais jusqu’ici et dans lesquelles j’avais eu le privilège de me mouler devenaient ainsi la boussole qui orientait désormais chacune de mes décisions, du haut de mes vingt-cinq années d’exercice, en qualité de chauffeur de taxi. Chaque passager que j’ai eu le bonheur de transporter avait une histoire singulière et partageait avec moi, une expérience inoubliable. Je suis donc devenu, par la force des choses, le thérapeute du comportement humain, sur la base des données informationnelles collectées et traitées. J’aime l’humain. De quelque horizon qu’ils viennent, les humains forment un monde coloré, antagoniste et stressant, mais merveilleux. De ce point de vue, il est évident que juger les gens avant d’avoir la chance de les connaître n’a jamais été et ne sera jamais une bonne idée. Je me suis quelques fois trompé sur certains clients qui ont eu des expériences les plus formidables et les plus agréables, lorsque je les ai transportés dans mon taxi, pour la première fois. J’ai aussi été trompé par d’autres à qui j’avais naïvement fait confiance… Gagner sa vie en première ligne n’était simplement pas une affaire de noir ou de blanc ; il y avait aussi des moments de grisaille. Cependant, mon mariage avec ces deux cultures m’inspirait une approche unique de défi, face à la vie. J’avais atteint un seuil où je devenais réactif plutôt que d’être proactif, car penser que le prochain client aura un comportement similaire au précédent était, sans conteste, une grosse erreur. Du point de vue de l’expérience strictement personnelle, c’était même criminel de prendre de vitesse un autre chauffeur de taxi qui roulait devant moi, parce que je pourrais donner à un citoyen respectueux des lois, l’image d’un hors-la loi.

    J’en suis venu à comprendre que le comportement de tout client était dicté par son subconscient, en fonction de sa pire expérience de taxi. Si d’aventure, des clients avaient déjà été agressés par un chauffeur de taxi peu recommandable, ils réagiraient sans doute à toute nouvelle expérience. Par un soir d’hiver, autour de 18 heures, je pris en course une jeune dame qui se rendait à Beckenham. J’optai pour une voie directe qui passait par le village de Dulwich, et empruntai une route privée, quasiment inconnue de ma cliente. C’était un itinéraire inhabituel et nombre de chauffeurs évitaient cette route, en raison du péage. Ma cliente était assise juste derrière moi et je me rendis compte, en traversant la zone calme, qu’elle s’était déplacée vers le siège du milieu. A travers le rétroviseur, je remarquai qu’elle regardait nerveusement la route, de part et d’autre.

    – «Sommes-nous bien sur la route de Beckenham ?», s’enquit-elle.

    – «Oui, Madame», répondis-je, d’une voix qui la rassurait.

    D’une voix teintée de colère, elle repartit :

    – «Je n’ai jamais emprunté ce chemin auparavant».

    – «Cette route privée nous permet d’éviter l’interminable bouchon de la partie sud de la ville», expliquai-je.

    En un laps de temps, j’atteignis le long tronçon de Crystal Palace Park Road.

    – «Oh, Je sais où je suis maintenant !», s’écria-t-elle, rassérénée.

    J’aurais, si j’avais répondu hâtivement, commis une grosse erreur en réagissant négativement à sa remise en question, du choix de l’itinéraire que j’avais fait. C’eût été la première et probablement la dernière fois que je la conduirais. Elle ne connaissait rien de mes antécédents et je ne savais rien de son expérience passée. Le comportement de ma cliente prouvait, avec certitude, une chose : elle n’était pas de cette partie de Londres. En tant que chauffeur de taxi, j’étais très souvent anxieux, lorsque je transportais des passagers que je ne connaissais pas, malgré le fait que j’avais toujours cette étonnante capacité à dominer ma peur. Le transport par taxi comporte naturellement plus de risques que d’autres formes de transport. Même si les clients peuvent librement stopper ou héler un taxi, les chauffeurs ont toujours un étranger dans leur taxi. Dans cette perspective, effectuer avec succès une course, requiert de la part du conducteur et du client une exigence majeure : la confiance. Le client payant espérant que l’autorité en la matière ait approuvé et autorisé le chauffeur en tant que personne de bonne moralité, digne de confiance et apte à conduire des étrangers. C’est une lapalissade en effet, de dire que nous sommes en permanence dans un guet-apens mais croyons, inconsciemment ou non, que de mauvaises choses n’arrivent qu’aux autres.

    Londres est l’unique capitale au monde qui accueille toutes les nationalités. Ici, les gens partagent le même espace vital et le véritable défi à relever est celui de la cohabitation. La complexité du transport urbain dans cette ville, rendue criarde par l’étroitesse des routes, complique d’avantage les affaires et laisse place à deux types de taxi : les taxis de location publique, connus sous le nom de taxis noirs, et les taxis de location privée connus eux, sous le nom de mini-taxis. Ces deux types offrent aux clients, des services de transport, à des fins commerciales. Le taxi noir désigne un type particulier à l’intérieur duquel le conducteur est séparé du client à l’aide d’une baie vitrée en plexiglass. Pas de siège avant pour client. Ces taxis noirs connaissent très bien les rues de Londres, dans un rayon de 14 kilomètres. C’est incontestablement l’un des meilleurs services de taxi au monde. La facturation ici se fait en fonction du temps, plutôt que de la distance. Avec les difficultés du trafic londonien, il est onéreux de louer un taxi noir. A Londres, les chauffeurs de taxi gagnent beaucoup d’argent. Pour cette raison, je fus tenté de satisfaire aux prérequis et de devenir chauffeur de taxi noir. Je me suis donc inscrit à une école de la conduite et j’ai assisté aux cours de formation initiale. Mais à l’examen du permis de conduire, l’examinateur fit une déclaration qui me contraignit à revoir ma position.

    – «Peut-être que seuls deux ou trois d’entre vous dans cette pièce, réussiront effectivement le test», nous avait-il lancé.

    Nous étions vingt-cinq au total.

    – «La plupart d’entre vous commenceront le processus de sélection, mais abandonneront à mi-chemin. Et ce sera une pure perte de temps, si vous n’êtes pas sérieusement préparés ou mentalement capables, d’aller jusqu’au bout», avait-il poursuivi.

    C’était comme s’il s’adressait particulièrement à moi. Je me concentrais uniquement sur les avantages que je tirerais, à devenir un chauffeur de taxi noir ; sur les avantages financiers qui en découlaient, ignorant la masse de travail qu’il fallait abattre pour parvenir à la connaissance de Londres.

    – «Vous devriez tous rentrer chez vous et bien réfléchir avant de prendre la décision, dans un sens ou dans l’autre», conclura-t-il.

    Revenu à la maison ce soir-là, j’eus du mal à repasser les leçons de ma fille et à l’aider à faire ses devoirs. Les rudiments de l’éducation que j’avais reçus en grandissant au Cameroun, était en français. Avant d’amener ma fille au Royaume-Uni, j’avais eu une conversation avec des hauts fonctionnaires camerounais. Ils savaient que je venais de Londres et m’avaient demandé quelle était ma profession là-bas. A ma réponse, ils furent sans voix et changèrent tout de suite de sujet. Les gens considéraient que la profession de chauffeur de taxi était mal classée sur une échelle de valeurs professionnelles même si, sur le plan financier, j’étais mieux loti que la plupart de ces gars-là. Ils étaient peut-être plus bardés de diplômes que moi, grâce aux parents qui les avaient sponsorisés. L’éducation n’est pas gratuite à tous les niveaux au Cameroun. La seule chose qu’un parent ne saurait acheter pour ses enfants, quelle que soit sa fortune, c’est l’intelligence de ces derniers. Je n’avais certainement pas leur niveau d’étude, mais ma capacité à raisonner était incontestable. En rentrant chez moi ce jour-là, je fis le film de toute ma vie dans ma tête et me demandai si j’étais parvenu au terme de mon voyage. Je résolus que j’avais plus à offrir qu’à simplement conduire un taxi toute ma vie. Cependant, si j’avais su que je ferais ce travail pendant vingt-cinq années, j’aurais pris une décision tout à fait différente. Toutefois, j’ai beaucoup gagné en conduisant des étrangers jouissant d’une solide expérience sociale et politique.

    Devenir chauffeur de mini-taxi après avoir réussi à mon examen de Permis de conduire était un rêve enfin devenu réalité. J’achetai ma première voiture et souscrivis à une police d’assurance pour l’utiliser en location privée. À l’époque, c’était tout ce dont j’avais besoin pour commencer à gagner de l’argent et, à long terme, en faire une carrière de rêve. En choisissant le taxi, j’étais loin de penser que ce qui était juste mon gagne-pain serait l’une des expériences les plus riches de ma vie. Je suis arrivé à Londres adolescent. Par conséquent, ma perception de la vie et mes points de vue différaient toujours de ceux d’un Londonien de naissance. Mon parcours avait toujours nourri la manière dont j’analysais les expériences acquises lors des échanges avec mes clients. Je suis né au Cameroun. La simple évocation de mon pays d’origine réveillait chez la plupart de mes interlocuteurs des flots de beaux souvenirs. Ils se souvenaient tous, par exemple, de la grande équipe de football de mon pays et son épopée, à la Coupe du monde de 1990, organisée par l’Italie. Ils revoyaient à travers moi, Roger Miller, le célèbre avant-centre, esquissant des pas de la danse du Lion et, très récemment encore, le meilleur attaquant que le monde ait connu, Samuel Eto’o Fils. Ces figures emblématiques sont les deux personnalités les plus populaires au Cameroun. Au cours des années de ma tendre enfance, il n’y avait pas de télévision. En 1985, à la création de la télévision nationale, la Cameroon Télévision (CTV), le plus gros investissement de l’office naissant fut d’obtenir des droits de diffusion des séries télévisées américaines les plus prisées de l’époque: Dynasty et Dallas. C’étaient de très grosses productions et la quasi-totalité des téléspectateurs, y compris moi-même, les appréciaient hautement. Des séries télévisées qui ne reflétaient et n’exprimaient rien de nos cultures locales, mais étaient très appréciées de quatre-vingt-quinze pour cent d’Européens. Lorsque je commençai à planifier mon immigration à Londres, ma vision fut confuse, à l’idée que j’allais avoir un style de vie apprécié des richissimes familles de pétroliers. A Londres, dans l’optique d’obtenir un permis de conduire britannique, j’effectuai de nombreux petits boulots, question de rassembler suffisamment d’argent pour payer mes frais de formation dans une auto-école de la place. Les menus travaux que j’exécutais occasionnellement au quotidien, incluaient la plonge et le transfert des colis, en tant que porteur. Après avoir réussi à mon examen de permis de conduire à Hither Green en 1996, je décidai de me lancer dans une nouvelle carrière. J’abandonnai mon travail de plongeur et de porteur au King’s College Hospital et un autre travail de nettoyage que je faisais, à un jet de pierres de là. Walworth Road, Londres SE17. C’est là que je fis mes premiers pas dans l’univers du mini-taxi. J’ignorais que ce travail me conduirait dans certains des endroits les plus dangereux d’Europe : Aylesbury Estate, Heygate Estate et Peckham Park Estate, réputé être le quartier de Manchester United et de son légendaire défenseur central anglais, Rio Ferdinand. Il n’existait pas d’autres zones plus violentes et où l’activité criminelle atteignait son paroxysme à Londres à l’instar de la zone qui abritait le bureau en charge des mini-taxis.

    Les plus nombreux dans le métier étaient des chauffeurs-propriétaires qui travaillaient en formule de location. Les problèmes d’immigration minaient le secteur, car la quasi-totalité de ces chauffeurs était des migrants ou des descendants de migrants. Régulièrement, des informations circulaient sur les migrants illégaux, travaillant comme chauffeurs de mini-taxis. Cette information, préjudiciable à tous égards, était semblable à un couteau que l’on retournait continuellement dans la plaie de l’activité des mini-taxis. En jetant sur moi un regard, l’image que je donnais de prime abord, ajouté à la singularité de mon accent, faisaient de moi, le parfait immigrant clandestin présumé. Aussi, la principale insulte utilisée par ces clients en colère, était de me taxer d’immigrant illégal. Ce stéréotype dépassait largement le cadre des chauffeurs pour se retrouver autour du bureau des taxis, où les places au parking étaient limitées. De nombreux voisins n’accédaient pas souvent au parking, car des chauffeurs de mini-taxis s’y garaient tout le temps, occupant les places laissées vacantes, dans l’attente de la prochaine course. Notre bureau était situé sur Westmorland Road, qui abritait des locaux commerciaux et des logements résidentiels. Cette situation créait du ressentiment envers nous et un jour, après une chaude dispute pour une place de parking, une femme d’affaires m’insulta copieusement, me traitant – «d’immigré illégal». La femme avait un emplacement privilégié près de sa boutique où elle avait l’habitude de garer sa voiture. Si un taxi se garait là, elle demandait toujours poliment au chauffeur de se déplacer pour qu’elle puisse se garer. Un jour, alors que j’étais garé là, je ne reçus pas, avec la même courtoisie qui était due à mes collègues blancs, sa demande de libérer cet espace.

    – «Hey, Sortez votre taxi de là ! C’est mon espace», avait-t-elle crié depuis sa voiture.

    Par inadvertance, je ne m’étais pas exécuté promptement. Quelques cinq minutes s’étaient écoulées sans que je n’exécute son ordre. Elle réussit à se garer dans un autre emplacement, puis revint précipitamment vers moi.

    – «Pourquoi vous comportez-vous comme un sourd ? Vous n’êtes pas autorisé à vous garer ici», me lança-t-elle.

    – «Il n’y a pas de place réservée au parking dans cette rue», avais-je protesté.

    Elle pointa du doigt sa boutique :

    – «C’est ma boutique. Je paie des charges locatives et la taxe d’habitation ici. Par conséquent, cet espace m’appartient», dit-elle.

    – «Je suis garé sur la route et je paie la taxe de circulation, comme tout autre usager de la route possédant un véhicule. J’ai le droit de me garer ici», ai-je répliqué.

    Elle me regarda d’un air qui exprimait le dégoût.

    – «Stupide, imbécile. Je demanderai à mon fils de s’occuper de toi… Pauvre immigrant illégal», maugréa-t-elle.

    J’éclatai de rire. Machinalement. Un rire sarcastique. C’était une africaine qui, comme moi, n’était pas née au Royaume-Uni, à en juger par son accent. Quelques-uns de mes collègues blancs furent témoins de la scène.

    – «Comment savez-vous qu’il est un immigrant illégal?», avait demandé l’un d’eux.

    – «Juste en le regardant. C’est un immigrant illégal qui conduit certainement un mini-taxi illégalement», répondit-elle.

    Mes collègues chauffeurs ne prirent pas la peine d’interroger le gérant de la boutique voisine, au sujet des allégations injustifiées à mon endroit. En effet, la femme ne connaissait même pas mon nom, mais affirmait péremptoirement que j’étais un immigrant illégal qui conduisait illégalement un mini-taxi. Je n’avais jamais résidé illégalement au Royaume-Uni. Malgré cela, j’étais déterminé à braver tout obstacle qui m’empêcherait éventuellement d’atteindre mon objectif : gagner ma vie au volant de mon taxi. Déjà, j’avais travaillé dur pour obtenir un permis de conduire britannique juste pour devenir chauffeur de mini-taxi. Tant que je savais que je n’étais pas un immigrant illégal et que je ne conduisais pas illégalement un taxi, j’étais psychologiquement armé pour affronter tout obstacle qui surgirait.

    L’on accusait également à tort, les chauffeurs privés de percevoir des prestations sociales tout en gagnant tranquillement leur vie. La nature de notre travail, caractérisé par son important cash-flow favorisait implicitement ceux qui avaient l’intention d’enfreindre la loi. Aucun des taxis privés n’exigeait une police d’assurance nationale du chauffeur. Le fisc et les douanes de Sa Majesté n’arrivaient toujours pas à vérifier, de façon systématique, si un chauffeur qui en faisait la demande gagnait de l’argent grâce à une activité de location privée. Cependant, tous les chauffeurs de taxis privés, y compris moi-même, n’utilisaient pas cette échappatoire. Je n’avais jamais demandé à bénéficier de l’allocation de demandeur d’emploi au Royaume-Uni. Et pourtant, c’était l’une des principales insultes que je recevais régulièrement. Un matin, j’eus une course pour le Kennington Job Center, après qu’un chauffeur blanc ne se fût pas présenté à son travail. Lorsque j’arrivai à l’adresse indiquée, la cliente m’y attendait. Elle craignait d’être en retard à son rendez-vous.

    – «J’attends devant mon bureau depuis plus de trente minutes. Pourquoi es-tu si en retard?», m’avait-t-elle lancé.

    – «Je viens juste de me voir confier cette course, Madame», ai-je répondu.

    Puis je conduisis aussi vite que possible pour l’amener à son rendez-vous. Quand je retournai au bureau du taxi, je dis au collègue qui, entre-temps, s’était présenté, que la cliente attendait devant son bureau depuis une demi-heure.

    – «C’est l’assistante sociale avec qui j’avais signé plus tôt» dit-il. Le conducteur faisait-là quelque chose dont j’étais régulièrement accusé. Il était blanc, mais son inconduite ne lui avait jamais valu des reproches.

    L’assurance de taxi en location privée était obligatoire pour toutes les activités de mini-taxi, mais tous les conducteurs ne s’y conformaient toujours pas. Les conducteurs respectueux des lois ne lésinaient pas sur leur assurance car c’était, et c’est toujours, la loi. S’il est pris par la police transportant des passagers payants sans l’assurance appropriée, c’est une pénalité fixe de six points en moins qu’il encourait et une amende de deux cents livres. En cas d’accident avec blessures ou mort de passager, le conducteur pouvait simplement être envoyé en prison. Imaginez que vous demandiez une location de taxi privé pour votre famille et vous et que ce taxi ne dispose pas de l’assurance appropriée et vous n’êtes pas au courant… Les accidents ne sont pas des événements réguliers, mais lorsque le cauchemar se produit, la couverture d’assurance devient la seule et unique protection. Il est donc impensable de savoir, après l’accident d’un véhicule de transport en commun, que vous n’êtes pas assuré : vous faites face à une infraction pénale. Avant que Ken Livingstone ne devienne le premier maire de Londres, le gouvernement de Sa Majesté avait autorisé, mais sans licence, les mini-taxis à opérer dans la capitale. Je pense que ce fut une décision irréfléchie et une loi très dangereuse à adopter. Il y avait dans notre entourage, un chauffeur que je soupçonnais d’être louche. Il ne restait jamais assis et regardait toujours par-dessus les épaules des gens. On lui confia un jour une course : déposer une famille à une adresse précise. Vingt minutes plus tard, la cliente appela le bureau et demanda à être récupérée dans le taxi au bord duquel elle se trouvait. Le contrôleur me demanda d’aller terminer cette course et me donna des indications précises sur le lieu où se trouvait la cliente. Quand je parvins à l’adresse, la cliente et ses enfants attendaient à l’extérieur du taxi. Je lui demandai si le taxi était tombé en panne.

    – «Une voiture de police nous a interpelés. Le chauffeur a immobilisé le taxi et s’est enfui. La police s’est jeté à ses trousses et nous sommes restés bloqués dans le taxi», me dit-elle.

    Je fus sans voix, mais ne voulus nullement l’effrayer outre mesure avec mes pensées sur le chauffeur en question.

    – «Peut-être a-t-il paniqué. Quoi qu’il arrive, le coordonnateur du bureau de taxi vous le fera savoir», je tentai de la rassurer.

    Lorsque je retournai au bureau, le contrôleur savait exactement ce qui s’était passé, car les policiers chargés de l’affaire étaient déjà là, dans le cadre d’une enquête. Ce chauffeur était recherché pour meurtre. En 2000, Ken Livingstone, alors Maire de Londres, avait lancé la campagne de réglementation de la location et des licences privées. Nous avions donc été officiellement reconnus comme la London Private-Hire Drivers, l’Association des chauffeurs de taxis de particuliers de Londres. Bien que nous n’ayons reçu qu’un permis temporaire, c’était une énorme avancée, par rapport au système précédent. Cependant, si le transport par taxi privé avait été réglementé avant mon arrivée en 1996, il m’aurait été impossible d’y adhérer. J’étais un étudiant étranger avec un visa étudiant qui ne me permettait de travailler que vingt heures par semaine au maximum. L’une des conditions requises pour devenir chauffeur privé à Londres étant de n’avoir aucune restriction sur le droit de rester et de travailler sur le territoire britannique. Je n’ai profité que de la faille que présentait le secteur non réglementé du transport par taxi.

    Dans le bureau de taxi où je travaillais, il y avait un racisme manifeste des chauffeurs blancs vis-à-vis des chauffeurs d’origine africaine. Ils avaient également étendu leur haine envers les clients noirs. Ce bureau était connu pour ne pas accepter de travailler avec des chauffeurs noirs et ce n’est que lorsqu’ils perdaient de nombreux chauffeurs blancs, que les propriétaires se retournaient vers des chauffeurs de couleur. En effet, accepter ces chauffeurs noirs visait uniquement à répondre à une forte demande de leurs clients, et d’avantage à celle des clients noirs, qui sans cesse augmentait. Les zones de ramassage comprenaient une communauté africaine très importante et une population blanche établie. Certains des clients blancs ne voulaient pas être conduits par des chauffeurs noirs. C’était un dilemme pour les propriétaires qui voulaient développer leurs entreprises et ne pouvaient le faire qu’en satisfaisant leurs clients, quelle que fût leur origine raciale. Quelles que soient les raisons pour lesquelles clients et chauffeurs blancs ne voulaient pas faire de voyage avec des chauffeurs africains, cela échappait aux propriétaires. Les passagers ne requéraient pas de taxis

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