Stations
Il y a à Montréal, au coin du chemin de la Côte-des-neiges et de l’avenue Ridgewood, une station-service dans le plus pur style américain. Deux pompes blanches sous deux lampadaires de métal blanc. Un fil noir tendu sur la chaussée pour convoquer d’un coup de clochette le préposé invisible, installé derrière la vitrine du petit bungalow au toit tronqué, où il veille en salopette, jambes croisées sur le bureau.
Le chemin, qu’en esprit je remonte toujours à partir du sud, trace un couloir ascendant, un gradient large et paresseux, entre deux des sommets du Mont-Royal, La Grosse Montagne et la Petite. D’un côté s’étalent les vastes pelouses de la nécropole de Côte-des-neiges, veillées par la tour jaune de l’Université de Montréal ; de l’autre, des avenues dérobées, capillaires, bordées d’immeubles bas, à l’anglaise. On s’y croirait dans les banlieues de Londres.
J’y suis déjà monté à pied. Au fond du stationnement d’un des immeubles s’ouvre un sentier de terre battue, traçant vers les bois échevelés du parc Summit, sur la Petite Montagne. Au premier carrefour, un réverbère victorien s’élève en plein bois, comme dans ces contes où le bout d’une rue se confond avec le bout du monde. Les merveilles de ce monde sont tout autres. Au début du siècle, l’Université McGill entretenait sur ces hauteurs un jardin expérimental, une réserve botanique et aviaire. Guglielmo Marconi y a planté la première antenne radio de la ville. Voilà Westmount à nos pieds, alors que nous nous croyions à l’opposé absolu de la ville. Les oiseaux pépient dans le ciel de Montréal, un signal crépite,
