Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Neuf moi: Nouvelles
Neuf moi: Nouvelles
Neuf moi: Nouvelles
Livre électronique132 pages2 heures

Neuf moi: Nouvelles

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Pour un premier recueil de nouvelles, Mohamed Badawi livre neuf histoires de tonalité différentes dont la clef commune est le malentendu. Le quiproquo, la confusion constituent le déclic de toutes ces mésaventures schizophréniques. Dans ce recueil, il est donné à voir sous ses multiples facettes dans une Algérie où les échelles de valeur sont interverties : la compétence, l’intégrité, l’instruction, sont devenues des tares, des virus mortels. Place alors à la perversité, à la félonie, aux tueries, au guet-apens de toute sorte. Entre grincement de dents et rire jaune, Mohamed Badawi grossit le trait de personnages pris dans les histoires « normales » qui dérapent au quart de tour, dessinant ainsi les frontières poreuses entre la raison et l’absurde.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Journaliste de métier, démographe de formation et bourlingueur par vocation, Mohamed Badawi a sillonné la planète avant d’accoucher de Neuf Moi. Il est chroniqueur au Jeune Indépendant, il est également responsable d’un call center.
LangueFrançais
ÉditeurChihab
Date de sortie1 déc. 2021
ISBN9789947394366
Neuf moi: Nouvelles

Lié à Neuf moi

Livres électroniques liés

Fiction littéraire pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur Neuf moi

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Neuf moi - Mohamed Badaoui

    Neuf_moi.jpg

    Neuf Moi

    Mohammed Badawi

    Neuf Moi

    Nouvelles

    CHIHAB ÉDITIONS

    © Chihab Editions, 2005

    Isbn : 9961-63-576-0

    Dépôt légal : 2466/2005

    À Fatma-Zohra

    LE MUTANT

    J’étais un type sans histoires. Je vins au monde, paraît-il, sans faire souffrir ma mère. Et, depuis, je fis tout pour éviter les problèmes, pour m’éloigner des conflits, pour prévenir la moindre tension et rester sourd même aux plus méchantes provocations.

    J’étais pour ainsi dire un carré incolore aux angles arrondis, un disque lisse et plat qui ne piquait pas, n’accrochait pas. J’étais, je le jure, un souffle sans consistance, une très, très, légère brise d’été, un détail négligeable, un épiphénomène, une grossière erreur d’état civil, une plante synthétique inodore, dépourvue d’ambition et posée dans un quelconque, un insipide, lieu de travail.

    Quand je rentrais dans un lieu public, c’était comme si j’en étais sorti. Personne ne me remarquait, tant je m’appliquais à n’éveiller aucune curiosité, à faire de mon mieux pour être ignoré, oublié, car je voulais la paix, cet unique droit que je réclamais.

    Mon seul délit était de vivre dans ce pays. Une terre de fous, qui ne me ressemblaient en rien, où je me sentais en permanence assiégé, en milieu hostile, en danger continu et j’avais, pour seul compagnon, une terreur qui ne me quittait jamais. Aussi je suis presque fier de dire que je n’étais ni un homme, ni un animal, ni un légume, ni même une chose ; j’avais peur, c’était ce qui me définissait le mieux alors.

    Je vivais, de jour comme de nuit, dans un interminable cauchemar et changeais, à vue d’œil, de personnalité, au fur et à mesure que le nombre d’attentats augmentait.

    Avant, bien avant, lorsque j’étais jeune et beau, j’utilisais mes frayeurs comme une marque de distinction. Je paraissais alors hautain, suffisant, bourgeois même et les gens me prenaient pour le fils d’un nabab, sorti des meilleures écoles étrangères. Toujours bien habillé, je parlais et me comportais élégamment et ne partageais aucune préoccupation avec la plèbe. Je méditais sur l’existence avec Schopenhauer, je contemplais le beau avec Kant, j’interrogeais Hegel, Marx et Weber sur l’histoire et les sociétés. La tête remplie de symphonies, les yeux tapissés de belles œuvres, la mémoire chargée de grande littérature, je passais tout l’été à la plage et une partie de l’hiver au sud à surfer sur les dunes. Je faisais de la spéléo, du ski, du camping, du parapente, sans payer un sou puisque l’État était socialiste.

    Puis, il y eut ce délire autour de la démocratie. Le pouvoir accusait le peuple d’être un cracheur par terre, un analphabète, un faiseur d’enfants, un bouffeur de budget, un obscur fouteur de merde et le peuple répondait: c’est toi-même! Aussi les choses étaient mûres et il suffisait qu’une poignée d’illuminés traitât tout le monde de mécréants pour allumer les rixes. Et bien évidemment elle le fit. La foire commença alors: espèce de laïc, par-ci, espèce de fanatique par-là. Intégriste! Communiste! Féministe! Dialoguiste! Éradicateur! Réconciliateur! Intellectuel! Analphabète! Antinationaliste! Dictateur! Légaliste! Boycotteur!… une vraie jungle!

    Ils en arrivèrent ensuite aux mains, à coups de rafales pour monsieur, et de viol plus décapitation pour madame et des fois le contraire ou même le service complet lorsque le temps et les moyens le permettaient. Et ainsi, le cirque devint sanglant et les clowns perdirent tragiquement le sens de l’humour.

    Qui paya la note en dernière analyse ? Bien sûr et comme toujours des gens de mon espèce.

    Il était environ 21 heures, soit deux heures avant le couvre-feu, lorsqu’un jour je pris un taxi pour rentrer chez-moi. La ville était déjà presque vide et les rares passants qui restaient dans les rues se faufilaient comme des sardines pour échapper aux filets des uns et des autres. Ce décor inquiétant me fit oublier de surveiller, comme à mon habitude, le compteur. Ce n’était pas parce que j’avais subitement changé d’avis sur l’honnêteté des chauffeurs de taxi, mais, à une heure pareille, il fallait rentrer à tout prix.

    La nuit était sans sirènes ni coups de feu et ce calme inhabituel augurait paradoxalement d’un mauvais présage. Nous roulions sur des œufs car, à chaque tournant, nous risquions de renverser un soldat en faction ou un terroriste en fuite ou, pire, les deux lors d’un accrochage.

    Nous tombâmes, comme il était prévu, sur le premier des dispositifs de sécurité qui allaient jalonner notre longue route. Il y avait plusieurs Jeep, stationnées, de part et d’autre de la chaussée, et des dizaines de policiers armés et masqués, prêts à ouvrir le feu au moindre mouvement suspect. Le chauffeur ralentit en invoquant Dieu et simultanément, mes cheveux se dressèrent comme un plant d’alfa, mon rythme cardiaque doubla de fréquence, signalant à mon corps de prendre son autonomie. Ce dernier esquissa une sorte de break dance puis se figea, avant de passer à des gestes plus étudiés.

    Les tubes de plomb creux qui avaient remplacé mes bras se posèrent en équerre contre mes flancs, et mes jambes devinrent des tréteaux inflexibles non-conducteurs d’électricité. Mon dos, quant à lui, s’écarta d’environ dix centimètres du siège pour permettre à mon torse de pivoter de trente degrés dans le sens des aiguilles d’une montre, tandis que ma tête restait résolument face au pare-brise. Il ne m’appartenait plus qu’à régler la trajectoire du regard et l’expression des yeux. Un regard de chien andalou et des yeux de la même espèce. Des questions profondes macéraient, pendant ce temps, dans mon cerveau :

     Et si j’étais un terroriste qui s’ignorerait ? Et si j’avais une tête qui ne leur reviendrait pas ?  Mes mâchoires s’espacèrent d’un demi-pouce, ma bouche s’ouvrit toute seule et, à ma grande satisfaction, me donna l’air du parfait imbécile.

    Lorsque notre tour arriva, on nous plaqua, moi et le chauffeur, la face au mur et on nous ordonna d’écarter les jambes et de mettre les mains sur la tête.

    — Vos papiers ! aboya l’officier.

    Une langue glacée me lécha le dos, car pendant un moment, qui me parut très long, je crus avoir oublié ma carte d’identité.

    — Vos papiers, j’ai dit ! tonna une nouvelle fois le militaire.

    Je sursautai alors et glissai ma main énergiquement dans la poche interne du blouson, pendant que cinq, six, sept kalachnikovs visèrent, dans un concert de cliquetis, ma calotte crânienne.

    — Bouge pas, bouge pas sale chien, cria un encagoulé en m’enfonçant son Beretta  quinze coups  dans le ventre.

    Je ne me rappelle pas de ce qui s’était vraiment passé par la suite, ni comment je m’étais retrouvé à plat ventre, le nez dans le caniveau et la main coincée dans la poche alors que mon âme s’en fut allée acheter des cigarettes et donner quelques coups de fil avant de réintégrer son enveloppe charnelle, renversant au passage un liquide tiède entre mes cuisses.

    Je fus fouillé comme si j’étais un tas de fripes. Ils avaient trouvé sur moi, à défaut d’une arme, le quart d’un sandwich merguez et ceci leur causa une déception proportionnelle à la trouille qu’ils avaient ressentie. Dans un geste désespéré, j’aurais pu, en effet, dégainer mon casse-croûte, refroidir cinq ou six d’entre eux avant de mourir en martyr de la cause. Moi, faire ça ? Pourquoi ? Et avec quel courage ?

    Je fus donc battu comme un tambour durant un jour de fête et jurai, par conséquent, que désormais le sandwich merguez était péché dans ma religion.

    Arrivé à destination, le chauffeur qui laissa le compteur tourner pendant les trois arrêts aux barrages, me jeta, tordu et puant l’ammoniac, comme si j’étais un sac de patates dès qu’il vit que mon quartier était bouclé par l’armée, puis détala sans réclamer son dû.

    Putain ! Où est-ce que je vais aller maintenant ? pensai-je. Bizarrement (était-ce la proximité de mon foyer qui me conféra ce sentiment ?), un grand élan de bravoure s’empara de moi. Après tout,  ne suis-je pas citoyen ordinaire s’apprêtant, en toute simplicité et en vertu de toutes les lois, à regagner son domicile ? Et la démocratie, alors ? Et les Droits de l’homme ? Ce n’est tout de même pas de la nourriture pour chats de gouttières. 

    Ignorant les soldats qui couraient dans tous les sens et les terroristes tapis dans l’obscurité, j’enjambai une herse métallique et me dirigeai vers la maison, tel un touriste norvégien pris dans un orage tropical. Plus que quelques dizaines de mètres me séparaient de la porte, et alors que les rafales répondaient aux rafales, moi, je marchais, sans vraiment me presser, en fredonnant en sourdine un air à la mode tout en m’efforçant de ne regarder que ce qui ne me mêlait pas.

    Personne ne semblait me voir, comme si mon corps avait disparu. J’étais devenu une paire d’yeux volant entre ciel et terre. Peut-être que je ne fus même pas descendu du taxi ou que tout cela ne fut qu’un film d’horreur projeté dans un esprit malade ? Existais-je ? Étais-je là ? Et comment avais-je pu me retrouver chez moi en train d’embrasser ma mère sur le front, ne m’arrêtant que pour siffler l’hymne olympique et serrer la main au chat, tout en agitant mon pantalon humide au-dessus de ma tête pour le faire sécher ?

    Ni ma mère, ni le reste de la famille, ni même le chat ne m’avaient vu aussi nu que ce jour-là. Ce n’était qu’une fois sur la terrasse, allongé sur le béton froid, que je pus mesurer objectivement la gravité de la situation politique du pays.

    Dans l’ambulance qui m’emmena aux urgences psychiatriques, je tins un meeting politique avec l’infirmier et la bouteille d’oxygène oblongue que je prenais pour un soldat au garde-à-vous.

    — Non, nous sommes devenus complètement fous ! ne cessais-je de répéter.

    C’est pour cela que l’on vous emmène à l’hôpital, répondit gentiment l’homme en blouse blanche qui avait une mine sympathique et rassurante, contrairement à la bouteille d’oxygène qui ne m’inspirait aucune confiance ; surtout que j’étais dévêtu et dépourvu, par surcroît, de toute identité.

    Dans la salle des urgences, il m’avait semblé reconnaître la petite blonde de doctoresse qui paraissait heureuse à l’idée de m’injecter une cochonnerie dans les veines.

    — Je vous connais, vous, dis-je avec transport. Nous avions fait l’université à la même époque.

    Et c’est ainsi qu’elle sut que c’était elle la femme de ma vie, que j’en rêvais depuis longtemps, que je refusais de me marier avec une autre dans l’espoir de la revoir un jour, que ses yeux étaient plus beaux qu’un ciel

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1