Dépêches du Myanmar: Au fil des jours dans la Birmanie singulière
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À propos de ce livre électronique
Chaque journée est une vie entière quand on voyage un peu au hasard, mais ouvert au monde, fut-ce non loin des touristes qui fréquentent parfois les mêmes lieux. Cette alchimie de l'émerveillement est vouée au succès dans ce Myanmar qui reste - mais pour combien de temps ? -, l'un des pays les plus exotiques du monde. Bien loin des récits conventionnels de voyageurs, Dépêches du Myanmar est une promesse de désir ou de nostalgie, pour ceux qui n'ont pas encore - ou qui ont déjà -, découvert cette civilisation millénaire fascinante.
Un récit empreint de nostalgie et de désir d’ailleurs
EXTRAIT
Rien n’est lisible, pas même le visage de mister Soe à l’aéroport de Yangon. Pour mille dollars, il m’ouvrirait les routes, les temples, les nuits et les jours. Comment me passer de lui ? L’hôtelier du lac Inya m’a remis un billet pour miss Lwin, un autre pour le taxi, qui ne parle pas anglais. L’écriture est ronde comme le point mousse de ma grand-mère. Mais à qui appartient cette agence de voyages, enclave climatisée ? Miss Lwin est belle. Elle veut que j’aille à Naypyidaw, la nouvelle capitale, celle des généraux. Je préfère l’ancien, je veux aller à Taungoo. Elle rit. Comment me passer de miss Lwin ? Me trouvera-t-elle un hôtel à Taungoo, puis un à Mandalay ? Je dors 17 heures. Je suis maintenant à l’heure locale…
A PROPOS DE L’AUTEUR
Jean-Pierre Poinas s’est engagé à 65 ans dans une nouvelle vie d’écrivain-voyageur après avoir dirigé pendant trente ans une agence de presse institutionnelle.
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Avis sur Dépêches du Myanmar
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Aperçu du livre
Dépêches du Myanmar - Jean-Pierre Poinas
Préface
CE LIVRE RÉSULTE d’une manière déraisonnable de voyager : sans préparation. À l’horreur du domicile dont parlait Baudelaire, je me permets d’ajouter, pour lutter contre le nomadisme marchand, l’horreur des destinations
, au sens que donnent à ce mot les voyagistes
: un ensemble de clichés
spectaculaires pour stériliser notre capacité d’émerveillement – et une liste à cocher.
Lorsque j’ai posé le pied à Yangon en février 2013, je n’avais jamais vu, pas même sur Internet, les images convenues des pêcheurs inthas dans les brumes du lac Inle, ni celles des pagodes roses et des couchers de soleil sur Bagan, ni celles des familles costumées de la paya Shwedagon les jours de shinbyu. Et quand mister Aung Aung m’a déposé au bord du lac de Taungthaman, j’étais sans doute le seul, parmi les étrangers qui fréquentaient ce lieu, à ignorer que je parcourais le plus long pont en teck du monde
, ce dont je me moque autant que du nombre de cathédrales gothiques que peut contenir l’Aven d’Orgnac.
La Birmanie a fait la gloire facile de photographes qui n’hésitent pas à faire rugir des voitures dans des villages sans bitume pour envelopper dans des nuages de poussière des porteurs de palanche recrutés par leurs assistants. On retrouvera sans peine dans cette suffocation infligée aux villageois la vision des artistes, forcément nimbée de compassion bouddhique, comme ils le disent eux-mêmes dans des vidéos d’autoglorification.
Personne n’est parfait : il m’est arrivé de sortir de ma poche un petit appareil. La plupart de mes clichés ont été pris quelques dixièmes de secondes trop tard : j’aurais dû dépenser plus, me dit-on, pour que le déclencheur fût plus rapide. Il n’empêche : en examinant certaines de ces photos ratées
, j’ai découvert des choses que j’avais ratées moi-même sur le moment. D’où les chapitres que j’ai ajoutés à ce livre, sous le titre de retours sur image
, dans lesquels j’ai pris le risque du contre-courant en substituant les mots aux images, attentif aux moindres détails, surtout ceux que le hasard a captés à la faveur des cadrages imprécis.
Le lecteur pourra ainsi mesurer l’écart entre l’émotion du moment, rapportée dans les séances d’écriture quotidiennes de ces Dépêches du Myanmar, envoyées chaque soir à un petit groupe de lecteurs, et l’examen de ces mêmes instantanés, transformé par le recul et enrichi de connaissances nouvelles.
L’émotion birmane, en ce début 2013, doit beaucoup, je crois, à la précarité dans laquelle se laisse voir ce singulier pays dans sa double transition de la dictature à la démocratie, mais aussi de la civilisation religieuse à la civilisation marchande. Chaque fois qu’apparaissent les signes de la liberté publique se signalent, comme une maladie mortelle avançant à bas bruit, les symptômes d’un capitalisme prêt à bondir au moment opportun. Comment ne pas pressentir les dégâts spirituels que provoqueront à court terme les opérateurs de tourisme auprès des sculpteurs, peintres, artisans, potiers, tisserands ou fabricants de marionnettes qui perpétuent dans l’ombre de leurs ateliers des savoir-faire séculaires, dont la valeur marchande sera décuplée du jour au lendemain, en même temps que se répandront les copies industrielles exigées par l’hystérie des consommateurs ? Déjà, des autocars climatisés déversent chaque jour dans les monastères des centaines de voyeurs braquant leurs objectifs sous le nez des enfants, à l’heure où ils lisent les textes sacrés, sous le regard des bonzes apparemment résignés. Une éclosion qui permet de découvrir un pays d’une beauté extraordinaire, une terre où désormais tout est possible
, proclame une chaîne française publique de télévision pour annoncer une série de reportages. Oui, tout est, hélas, possible. L’une de ces émissions se terminera sur l’image d’un avion emmenant à Los Angeles les cinq jeunes filles aux cheveux teints d’un groupe de rock incarnant la libération tant attendue de la République de l’Union du Myanmar. Quant aux généraux de l’ex-junte
, transformés en hommes d’affaires après avoir fait main basse sur les richesses minières et hôtelières du pays, ils ont tôt fait de comprendre leur intérêt dans le rapprochement avec les grandes puissances démocratiques
. Il suffira de quelques prête-noms et de quelques années d’oubli pour que se développe, dans ce pays à fort potentiel
, un business as usual.
Bien entendu, rien ne nous autorise à regretter la mégalomanie sanguinaire des dictateurs birmans. Rien ne nous autorise, non plus, à oublier que des bouddhistes libérés
de l’État oriental d’Arakan perpétuent par des massacres la haine des musulmans Rohingyas érigée jadis par les généraux en politique nationale. On devra même se réjouir lorsque l’ONU et les grandes puissances démocratiques
auront imposé comme ultime condition au business le respect des droits universels de la personne humaine.
Mais ce sera aussi le signal de la grande orgie libérale, un choc frontal aux conséquences imprévisibles, d’une civilisation religieuse, multiethnique et archaïque avec une post-modernité livrant clés en main
sa technologie, sa violence commerciale et ses logiques financières. Parcourant le Myanmar au début de l’année 2013, sans rien connaître ni préjuger de ce coin du monde visité comme au hasard, j’ai découvert ce pays avant que fonde l’or de ses pagodes, au risque d’un émerveillement soudain transi d’effroi. À l’heure où je boucle ce livre, je me demande si je n’ai pas rêvé et, surtout… si elle existe encore, cette grâce birmane si proche de disparaître.
JEAN-PIERRE POINAS
A mes amis, qui me lisaient.
A Carol Duheyon, enthousiaste et pertinente.
Dépêche 1. Rien n’est lisible.
Rien n’est lisible, pas même le visage de mister Soe à l’aéroport de Yangon. Pour mille dollars, il m’ouvrirait les routes, les temples, les nuits et les jours. Comment me passer de lui ? L’hôtelier du lac Inya m’a remis un billet pour miss Lwin, un autre pour le taxi, qui ne parle pas anglais. L’écriture est ronde comme le point mousse de ma grand-mère. Mais à qui appartient cette agence de voyages, enclave climatisée ? Miss Lwin est belle. Elle veut que j’aille à Naypyidaw, la nouvelle capitale, celle des généraux. Je préfère l’ancien, je veux aller à Taungoo. Elle rit. Comment me passer de miss Lwin ? Me trouvera-t-elle un hôtel à Taungoo, puis un à Mandalay ? Je dors 17 heures. Je suis maintenant à l’heure locale…
Dépêche 2. Perplexe.
Perplexe, au terme du second jour, qui m’a donné à voir la pagode Sule, très vieille affaire bouddhique, où j’ai fait grimper mon ex-voto, déposé dans une nacelle d’or comme un navire céleste, au sommet du stûpa. Il m’a fallu pour cela actionner la manivelle d’un téléphérique, sous la direction d’une bonzesse joviale, avec laquelle j’ai prononcé quelques prières en m’inclinant comme un autiste.
Tout en haut, entre deux toits d’or, veille la tour d’une banque et l’œil de qui l’on sait. On remet ses chaussures pour consulter les astrologues, car ils sont, quant à eux, sur le trottoir. Puis c’est la rue indienne où l’on épluche, cuit, frit et mange tout ce qui nourrit l’Asie, poissons et crevettes, papaye et goyaves qu’on dévore avec les dents noires de bétel, dont les chauffeurs de taxi tirent de longs jets ensanglantés par la fenêtre droite de leurs voitures, qu’ils conduisent à droite, klaxonnant pertinemment – doublant à droite, également, mais c’est la seule chose logique dans le trafic birman. Essayez, vous verrez.
Sur le marchepied des autobus, des crieurs de destination préfigurent nos afficheurs à diode, hurlant avec une étonnante conviction, comme s’ils croyaient pouvoir ajouter de nouveaux voyageurs à ceux dont on aperçoit les mains en grappe à travers les vitres hautes, esclaves aux galères ornées de nymphes occidentales mini-jupées véhiculant leurs extases informatiques dans la poussière des gaz, que respirent à pleins poumons les pilotes de rickshaws, en danseuse, leurs longyis parfois retroussés.
Perplexe, car mon avenir immédiat s’annonce incertain dans un pays submergé par l’arrivée de milliers de touristes, et dont tous les hôtels semblent devoir afficher occupé
jusqu’à… la prochaine mousson.
On peut dormir dans les temples, paraît-il. Mais le sol est dur – et comment se doucher ?
On verra demain, si miss Lwin m’a trouvé des places. Sinon, il me faudra rappeler mister Soe, mon énigmatique chauffeur, qui s’est laissé congédier avec le sourire et la visible assurance d’être rappelé bien vite par son ami Jean
, qu’il prononce comme une marque de pantalon. Mister Soe en saurait-il plus que miss Lwin ?
Dépêche 3. Excel Tower
Pour un euro et demi et des tonnes de gaz d’échappement, un taxi me pose au cybercafé où de jeunes Birmans m’assistent en riant de mon incompétence. Miss Lwin m’a trouvé un lit à Yangon et un autre à Mandalay où doivent rôder les âmes perdues des conquérants alcooliques de 1885. Congédié mister Soe, donc, et saved a lot of money. À moi désormais les bus, les trains, les bateaux… Doucement, tout doucement je me dissous dans le métabolisme du continent, par un abandon progressif de mon vieux principe européen d’individuation.
Dépêche 4. Des moineaux saturés de microbes.
De la ronde pagode Sule au bouddhisme dévot et bon enfant, je descends comme d’une station spatiale sur le trottoir circulaire jalonné de cabinets d’astrologues dont les patentés consultent, sérieux et débonnaires comme les médecins généralistes français avant leur disparition. Tout autour, les bâtiments officiels se nappent de bleu et de rose comme des puddings, dominés par la tour d’une banque. Ainsi l’argent,