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Triangulation ou Des goûts du voyage: Essai
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Triangulation ou Des goûts du voyage: Essai
Livre électronique208 pages3 heures

Triangulation ou Des goûts du voyage: Essai

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À propos de ce livre électronique

Suivez Gloria Lanéry sur ses routes lointaines — en Chine, en Inde, en Sibérie, en Afrique —, où les rencontres et les événements forment un tableau saisissant de notre monde.

…Dans la quête géographique du point d’équilibre nécessaire à la marche entre le merveilleux et l’odieux, le monde, pas plus qu’il n’est plat sous nos semelles, n’est un objet étale de contemplation. Il est trop divers, trop complexe, trop brutal à l’autre bout d’un sourire accueillant pour ne lui accorder, en retour, qu’un fade enchantement.

Au fil de sept histoires fortes qui nous entraînent de la Sibérie aux déserts d’Afrique et jusqu’en Antarctique, Gloria Lanéry, une voix féminine assez rare dans le récit de voyage et de l’exploration, nous propose une réflexion audacieuse sur notre planète et sur celles et ceux qui l’habitent, quand on y regarde de plus près, en voyageuse plutôt qu’en touriste.

EXTRAIT

En quarante ans, l’avion a mis l’ailleurs à notre porte. Les distances se sont ratatinées. Le bout du monde est un saut de puce, l’aventure est une question de moyens et l’inconnu se mesure au bagage d’anglais dont on dispose pour retrouver le chemin de son hôtel. Si le mot « planète » évoque encore quelque espace, les routes aériennes qui la sillonnent se parcourent en termes d’heures. Le globe s’est rétréci à vous étriquer le rêve, et le mystère de ses enclaves inaccessibles est offert à l’oisiveté de chacun sur les écrans de télévision et l’internet.
Entre les aventuriers « inventeurs d’Amériques2 » et ceux d’aujourd’hui, il y a des sponsors qui vous financent, des hélicoptères qui vous transportent, l’électronique qui vous seconde. Les médias vous suivent, commentant vos « épreuves » à coup d’hyperboles, les liaisons satellitaires abolissent votre isolement, l’aléa tient lieu de risque et la nature régurgitée par l’image sert d’arrière-fond à l’image personnelle.
La dernière grande odyssée fut celle de la Lune, la prochaine sera peut-être celle des étoiles. Mais il n’y a pas de véritable danger là où il n’y a pas de rencontres, et ce qu’appréhendaient les grands marins ce n’était pas la haute mer, mais le rivage.
Nous sommes partout. Au lieu de « sauvages » tapis dans le sous-bois le long de grèves inabordées, la civilisation cache sous ses nippes contemporaines son ingrate nudité, et les côtes vierges des cartes anciennes sont colonisées, domestiquées, piscinisées par les hordes sans grâce des touristes.
Ce n’est donc pas un guide ni un récit flamboyant qu’on trouvera ici. Non que je boude une belle description qui propulsera le lecteur chez le voyagiste du coin et n’aie ma part de petites anecdotes, mais le paysage et la couleur locale sont, dans ces pages, les diversions à un voyage plus viscéral.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie3 juil. 2020
ISBN9791023612318
Triangulation ou Des goûts du voyage: Essai

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    Triangulation ou Des goûts du voyage - Gloria Lanéry

    GLORIA-couv-Final-recto.jpg

    TRIANGULATION

    ou

    Des goûts du voyage

    Pour la présente édition numérique :

    © Publishroom Factory, 2020.

    © Gloria Lanéry, 2019.

    Illustration de couverture :

    © camillegentil.com

    ISBN de l’édition numérique :

    9791023612318

    Cet ouvrage a été numérisé

    en 2020 par Publishroom Factory

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    Gloria Lanéry

    TRIANGULATION

    ou

    Des goûts du voyage

    À ma mère et à Nour

    Table des matières

    1. Avant-propos

    2. Libye

    3. Sibérie

    4. Chine

    5. Sinaï I

    6. Inde

    7. Sinaï II

    8. Antarctique

    9. Conclusion

    Avant-propos

    étonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires

    Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !

    Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,

    Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

    –Baudelaire, « Le Voyage », Les Fleurs du mal.

    Un des grands malheurs de la vie moderne,

    c’est le manque d’imprévu, l’absence d’aventures.

    Tout est si bien réglé, si bien engrené,

    si bien étiqueté, que le hasard n’est plus possible. 

    – Théophile Gautier, Voyage en Espagne, 1843

    Le voyage. L’aventure. Deux mots qui portent encore l’écho des grandes explorations, d’un inconnu redoutable qu’on croyait illimité.

    Il ne s’agit pas ici de ceux qui ont avancé avec prudence − ils sont légion depuis la nuit des temps, testant à chaque pas la tiédeur de l’eau, l’hospitalité du nouveau territoire, l’éloignement du prochain horizon. Il s’agit de ceux partis recueillir les pépites d’un soleil plus éclatant dans ses lointains berceaux, qui se sont lancés tête baissée, cette courte poignée poussée par une curiosité sans bornes qui peu à peu nous a apprivoisé la terre.

    Peu importe qu’ils aient connu des fins tragiques ou qu’ils soient morts au chaud dans leur lit. À peine avaient-ils quitté les eaux reconnues avant eux, qu’à leur tour ils abandonnaient leur destin à la bienveillance des vents et de peuples étranges. Puis certains revenaient, témoignant de nouvelles terres, laissant à chaque fois un peu moins de nouveau à leurs successeurs.

    Leurs voyages et leurs aventures nous ont coûté les nôtres, et ces deux mots vivent aujourd’hui d’une gloire usurpée.

    En quarante ans, l’avion a mis l’ailleurs à notre porte. Les distances se sont ratatinées. Le bout du monde est un saut de puce, l’aventure est une question de moyens et l’inconnu se mesure au bagage d’anglais dont on dispose pour retrouver le chemin de son hôtel. Si le mot « planète » évoque encore quelque espace, les routes aériennes qui la sillonnent se parcourent en termes d’heures. Le globe s’est rétréci à vous étriquer le rêve, et le mystère de ses enclaves inaccessibles est offert à l’oisiveté de chacun sur les écrans de télévision et l’internet.

    Entre les aventuriers « inventeurs d’Amériques¹ » et ceux d’aujourd’hui, il y a des sponsors qui vous financent, des hélicoptères qui vous transportent, l’électronique qui vous seconde. Les médias vous suivent, commentant vos « épreuves » à coup d’hyperboles, les liaisons satellitaires abolissent votre isolement, l’aléa tient lieu de risque et la nature régurgitée par l’image sert d’arrière-fond à l’image personnelle.

    La dernière grande odyssée fut celle de la lune, la prochaine sera peut-être celle des étoiles. Mais il n’y a pas de véritable danger là où il n’y a pas de rencontre, et ce qu’appréhendaient les grands marins ce n’était pas la haute mer, mais le rivage.

    Nous sommes partout. Au lieu de « sauvages » tapis dans le sous-bois le long de grèves inabordées, la civilisation cache sous sa livrée contemporaine son inconvenante nudité, et les côtes vierges des planisphères anciens sont colonisées, domestiquées, piscinisées par les hordes sans grâce des touristes.

    Ce n’est donc pas un guide ni un récit flamboyant qu’on trouvera ici. Non que je boude une belle description qui propulsera le lecteur chez le voyagiste du coin et n’aie ma part de petites anecdotes, mais le paysage et la couleur locale sont, dans ces pages, les diversions à un voyage plus brut, une triangulation de mes cartes plus viscérale.

    Ayant fait le tour du monde d’un pôle à l’autre, je m’aperçus que mes pérégrinations se cristallisaient autour d’un arrêt sur image, un instantané d’une chose vue ou vécue qui avait provoqué chez moi une méditation sauvage au rythme de mes pas. J’en livre ici quelques-unes des plus marquantes qui pourraient interpeller le voyageur insatiable. Ce qui me lie à mes voyages, ce sont des visages, des attitudes, un moment ; des gens à qui parfois je n’ai même pas parlé, qui par leur présence, dans leur silence, m’ont raconté une histoire, que j’ai tenté de traduire, sur l’infinie noblesse d’être et la tristesse parfois infinie d’être humain.

    L’idée de ce livre est née justement lors d’un dîner chez de vieilles connaissances à leur retour d’Inde. Sur une photo qu’ils me montraient, deux gamins baignés de soleil occupaient le premier plan à s’envoyer en riant une boîte de conserve du bout de leurs bâtons. Une vache décharnée, rongée de furoncles, fouillait les immondices sur le tiers gauche. Derrière, contre un mur éclaboussé d’urines et couvert de placards en lambeaux, se tenait une jeune fille un peu floutée, les pieds nus dans une rigole de pisse. Elle regardait l’objectif avec des yeux énormes, les yeux sans fond et vides des effacés. Je n’ai pas supporté son regard ni qu’on l’escamote par un jeu d’enfants.

    Dans une formule paraphrasée à l’envi par les aventuriers actuels, Montesquieu dit : « Les voyages donnent une très grande étendue à l’esprit : on sort du cercle des préjugés de son pays, et l’on n’est guère propre à se charger de ceux des étrangers². »

    Avec mon respect intégral pour eux tous et Montesquieu, s’ils y parviennent vraiment, sous une belle tournure c’est une autre définition de l’indifférence.

    Pour apprécier sans entrave la beauté du monde et de ceux qui l’habitent, il faut accepter d’en ignorer les victimes ou se voir accusé de préjuger. Car jamais autant qu’en voyage on ne ressent combien les sociétés traînent loin, tels des boulets, derrière les techniques qui les ont tirées, contraintes et forcées, dans le xxie siècle. L’individu est semblable à ces vaisseaux d’hier et d’aujourd’hui, si vite, si loin qu’il aille, ce ne sont pas les idées qu’il fait avancer.

    Un autre aspect, celui d’être une femme, m’empêche aussi d’avoir ce souverain recul. L’homme qui voyage seul n’a pas à essuyer l’agression constante du regard masculin, où même le dernier des rustres s’arroge le droit d’évaluer le coefficient sexuel d’une femme qui passe et conteste sa liberté d’être là. Comme chez nous, dans de nombreux pays on se sent profanée, très sale, à la fin du jour. Cette autorité atavique qu’ils se pensent sur nous, et que nous-mêmes avons laissé s’enkyster au plus profond de nos cultures³, est en soi révoltante et provoque son lot de ruminations.

    L’homme en voyage voit l’élan irrésistible d’autres hommes qui s’activent et tentent de vivre. La femme en voyage s’afflige de celles invisibles, voilées, violées de mille façons. Le labeur des premiers est le gage de leur liberté, celui des secondes, le sceau de leur servitude. Une Occidentale qui ne voyage pas pour bronzer ne peut en aucun cas diluer dans le pittoresque, et travestir sous la correction politique qui aujourd’hui nous muselle mieux qu’aucune censure, l’affligeante condition de la femme dans la majeure partie du monde. Et tous les « Droits de l’homme » n’y font rien. Cette formule générique ne sert qu’à occulter encore mieux ses droits humains derrière ceux des hommes et de lents progrès qui souvent ne profitent qu’à eux. Jusque dans nos pays, elle se fraie encore entre les balles une voie vers la reconnaissance et le respect.

    Alors, un livre sur le voyage ? Oui, mais une approche dépouillée de la sensiblerie bien-pensante qui masque la réalité parfois sinistre des horizons que l’on admire et, envers ceux qui la souffrent, trahit de notre part une empathie factice, voire une franche hypocrisie.

    Dans la quête géographique du point d’équilibre nécessaire à la marche entre le merveilleux et l’odieux, le monde, pas plus qu’il n’est plat sous nos semelles, n’est un objet étale de contemplation. Il est trop divers, trop complexe, trop brutal à l’autre bout d’un sourire accueillant pour ne lui accorder, en retour, qu’un fade enchantement.


    1 Charles Baudelaire, « Le Voyage », Les Fleurs du mal, 1857.

    2 Mélanges inédits, 1892.

    3 Voir Sinaï ii.

    Libye

    Celui qui ne voyage pas ne connaît pas la valeur des hommes.

    –Sagesse saharienne

    Une brume jaunâtre d’harmattan dissolvait le ruban d’asphalte gris qui filait plein sud. Dans l’espace obstrué, notre seul repère, depuis cinq cents kilomètres, était le court segment de route devant nous à travers le tunnel de poussière. Animées par le vent, des flammèches de sable se tordaient sous nos roues. Depuis notre départ de Tripoli, à l’aube, après des heures de musique arabe sur la radio éraillée, nous nous repassions pour la troisième fois une cassette entière de chants corses que j’avais eu la malencontreuse idée de faire connaître à mon chauffeur Targui libyen, littéralement marabouté par leurs polyphonies. Rien d’autre à l’heure où nous roulions ne pouvait tenir Ramdan éveillé ni apaiser sa soif et sa faim que le jeûne lui imposait.

    Considérant les mille kilomètres à parcourir et la semaine de négociations incertaines et pénibles qui s’annonçait, j’avais bien tenté, la veille, d’invoquer le verset du Coran qui le dispensait du jeûne en voyage⁴, mais Ramdan m’avait assuré qu’il n’était pas affaibli et que, portant le nom du mois saint, il aurait l’air de quoi s’il se défilait, mais que je devais manger si j’avais faim. Rien ne me l’interdisait, en effet, mais je n’allais pas me nourrir devant lui alors qu’il mâchait sa langue.

    Depuis que je bourlinguais dans les déserts d’Afrique saharienne, j’avais suivi plus d’un ramadan avec mes équipes musulmanes. La seule entorse à cette ascèse est que je ne savais pas résister à la soif – un comble pour une amoureuse des déserts. J’usais donc de subterfuges, demandais un arrêt technique pour boire en douce. Je dois dire, pourtant, que cette solidarité que je tenais à leur témoigner quand je le pouvais m’a valu, en échange, de précieux égards de la part des hommes de ces régions.

    Bref, me voici dans mon élément, l’habitacle d’un 4x4 caduc tenu par des années de rafistolages, qui vibre à vous déboîter le squelette, aux portières duquel manquent les poignées, aux vitres rongées par la silice, fermées contre le vent, sans autre résultat que d’y suffoquer un peu plus. Une farine pâle s’infiltre par le moindre interstice et vous cimente les bronches. J’ai la tête enveloppée d’un long chèche et des lunettes de glacier sur le nez. Malgré novembre, il fait une chaleur à lyophiliser un chameau. J’ai soif et suce un petit galet de rivière pour me faire saliver. Rien de bien saillant ne vient marquer cette fin de l’an 2000. À notre insu, l’avenir est fécond d’un proche désastre.

    Ramdan, arc-bouté sur son volant, comme à son usage roule à vive allure, guettant, les yeux plissés, l’éventuel écueil sur la route, la barkhane⁵ déguisée en fumée de sable sur le sol, qui pourrait nous catapulter dans le décor. Pas un véhicule ne nous a croisés ni doublés depuis deux heures. À cet endroit, le désert, infiniment plat, s’étend mille cent kilomètres à gauche jusqu’à l’Égypte, sept cents à l’ouest vers l’Algérie, et l’on n’y voit goutte à cent mètres. Le rivage des Syrtes, le bleu mouvant des flots et les cités romaines que le soleil habille sont loin, là-haut, au nord, un souvenir marginal.

    Au sud, un passé bien plus reculé repose entre les mers de sable d’Oubari et du Mourzouk, sur les grès patinés du Messak Settafet, quand le Sahara préhistorique était encore une belle prairie en eau que parcouraient la grande faune africaine et les premiers pasteurs-cueilleurs. Par centaines, éléphants ciselés et lions en poursuite, crocodiles et hippopotames y témoignent, là où rien ne pousse plus, d’un âge ancien verdoyant, propice à la vie et à l’émergence des mythes. Des scènes d’une stupéfiante beauté s’y déploient, incisées au silex, où des chasseurs couronnés de têtes de lycaons et de girafes, d’antilopes et de rhinocéros, créatures dansantes mi-hommes, mi-monstres préfigurent les dieux. Au fil de mes passages, j’ai noué un lien particulier avec la mémoire gravée des ancêtres du Messak sur les parois ferriques et rouges des oueds encaissés. L’on peine à s’expliquer qu’une conscience tout juste naissante, dont l’entité humaine est encore obscure, ait su ruser avec la lumière et les tourments de la roche en une poésie des formes, un rendu du mouvement aussi éblouissants et aboutis. Ce musée de l’âge de pierre est l’exubérante déclaration de ces hominidés à la nature de leur volonté d’être plus que ce qu’elle avait prévu pour eux, plus que des bestioles près de leurs bestiolières. Devant leurs œuvres, ou en ramassant un de leurs burins ou grattoirs qui affleurent sur les planchers dunaires, on a la conscience aigüe de notre filiation ininterrompue. Ce n’est pas une abstraction scientifique pour les férus du passé de la terre, mais une apothéose incarnée aujourd’hui dans les foules modernes. Or, au regard de leur nombre et de leurs moyens insignifiants, de leur savoir inexistant, sapiens balbutiants qu’ils étaient, on a le sentiment que leurs prémices dans ces gravures magistrales s’annonçaient plus prometteuses que notre apparent avancement douze mille ans plus tard.

    I Muvrini entonnent A voce Rivolta pour la énième fois et je sature à présent.

    Il est là, le désert, fait de pierre et de sable si dépouillés qu’il semble montrer l’armature du monde. Ce soir, je me loverai dans cette matrice aréneuse, ce soir je boirai à son silence, mon corps à même la dune, la tête dans les étoiles, à flotter dans son vide où je suis seule à régner, animé par mes délires tissus d’enchantements et de peurs.

    Mais revenons à notre ferraille.

    Bien que fréquentant la Libye régulièrement, je me lançais cette fois-ci dans une entreprise risquée, attendu les relations antagoniques entre Kadhafi et le reste du monde, les méthodes policières odieuses du bonhomme et l’embargo international qui pesait sur le pays. Quand j’avais soumis mes sujets à la chaîne française, le directeur des programmes s’était montré très sceptique, au point de me demander si j’avais des accointances avec le régime, comprenez un galant dans les hautes sphères. Non, j’avais seulement beaucoup d’amis touareg dans le sud, quelques Libyens de confiance au nord, et une bonne dose de

    démerde. Aussi étais-je parvenue à convaincre la chaîne de me laisser tourner mes sujets sans autorisations, clandestinement ; d’infiltrer le matériel par la Tunisie, à condition de trouver un caméraman assez fondu pour se jeter avec moi dans l’aventure. Je ne leur avais rien caché des risques très réels auxquels nous nous exposions, le moindre étant de finir dans un bac de chaux vive. Le pire… je n’osais y penser.

    Ce qu’en revanche j’avais tu, est que le Sud libyen observait la ségrégation sexuelle absolue, à savoir que les femmes étaient voilées, recluses et rigoureusement séparées des hommes hors la famille directe, conformément aux prescriptions du Coran⁶. Ainsi, rien n’était moins sûr que de pouvoir

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