L'art de la chute: Nouvelles
Par Pierre Boxberger
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À propos de ce livre électronique
Ont été réunis, dans ce recueil de vingt et une nouvelles, des personnages aussi dissemblables qu'un CRS révolté, une adolescente maladroite, un écrivain paresseux, un vieux garçon rustique, une jeune maman analphabète, la plus belle femme de Moscou, une crémière subversive, un banquier détestant le foot, un hollandais à la gâchette facile, une éditrice surbookée, un médecin dragueur, une quinquagénaire suicidaire, un passager de TGV inquiétant, une caissière angoissée, et bien d'autres encore.
À travers cet inventaire humain à la Prévert et les mésaventures cocasses, cruelles ou dérangeantes de ces héros d'un jour, l'auteur dresse, non sans un humour parfois grinçant, un tableau en forme de satire sociale de notre monde contemporain.
Des chutes surprenantes, inspirées des pièges de notre société contemporaine...
EXTRAIT
On m’avait bien prévenu qu’un jour ou l’autre, à force de draguer sur Facebook, il m’arriverait des ennuis. Mais je n’avais voulu écouter personne. Il est vrai que tout m’avait jusqu’alors si bien réussi…C’est pourquoi le jour où Lola Makovich, médecin pneumologue résidant au Touquet et exerçant à Arras, me proposa de devenir son amie et que je découvris son profil et sa photo alléchante, je craquai aussitôt.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Boxberger est né en 1954. Il vit en Mâconnais. Il a été enseignant du primaire puis du supérieur et responsable pédagogique d'un IUFM de Bourgogne. Il a vécu au Tchad à la fin des années 70. Il a écrit un essai sur l’école (2011) et publié trois romans. Il pratique en dilettante le tir sportif et l’aviation légère. Les voyages font partie intégrante de sa vie depuis qu'il est à la retraite.
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Avis sur L'art de la chute
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Aperçu du livre
L'art de la chute - Pierre Boxberger
1. Max
Plantation sur la plage
On m’avait bien prévenu qu’un jour ou l’autre, à force de draguer sur Facebook, il m’arriverait des ennuis. Mais je n’avais voulu écouter personne.
Il est vrai que tout m’avait jusqu’alors si bien réussi…
C’est pourquoi le jour où Lola Makovich, médecin pneumologue résidant au Touquet et exerçant à Arras, me proposa de devenir son amie et que je découvris son profil et sa photo alléchante, je craquai aussitôt.
Avant d’accepter l’invitation, j’allai naviguer sur ses pages personnelles en accès libre. Ancienne interne des hôpitaux de Lille et championne de kitesurf, elle partageait étonnamment toutes mes passions : le catamaran, l’équitation, la Porsche 911 Targa et le piano. Elle avait tout pour me plaire. Et ses photos… Fille sublime. Elle était le pneumo canon idéale, en quelque sorte.
Ce soir-là, j’aurais bien fait de naviguer un instant aussi sur le site du Conseil de l’Ordre…
J’avais bien décelé sur ses pages un petit problème du côté de l’orthographe, mais je n’y prêtai pas trop d’attention, ma consœur ophtalmo dans ma clinique était également très fantaisiste en ce domaine. Heureusement, ses patients n’y voyaient que du feu quand ils échouaient dans son service pour soigner une cataracte ou une DMLA.
Sans hésiter, je cliquai sur le bouton « accepter », et dans les cinq minutes qui suivirent, Lola m’envoya ce message :
Chair confrère.
Je sui heureuse que tu a accepter mon invitation. Nous avont tellemant de point en comain ! Tu a vu comme cet étrange ? Si tu veut, je te propose un RDV un de ses week-end. Vient avec ta porche, on se ferat une petite compète tout les deux, je conait une route dézerte, je sait que tu aime sa… Et un petit resto avec des plat loco, sa te branche ? Epuit on irat se baladé le landemin sur la plage avec mes cheveaux.
Le reste du message était à l’avenant. Effectivement, son style apocalyptique surpassait de loin celui de ma consœur. Mais elle était peut-être étrangère, et j’avais compris que si elle me proposait une rencontre sur deux jours, c’est qu’il y avait une nuit entre, je n’étais pas idiot. Quoique…
Aveuglé par la beauté de la fille et la perspective d’un bon coup, j’échangeai des mails avec elle pendant une semaine, et on concrétisa.
C’est ainsi qu’un samedi de mai à huit heures du matin, je quittai Montpellier au volant de ma Porsche et filai plein nord. Direction le Touquet.
Ce fut une journée d’autoroute longue et pénible, je n’avalai qu’un sandwich au thon infâme sur une table de pique-nique constellée de fientes d’oiseaux du côté de Beaune. Je réussis tout de même à dormir quelques minutes sur une pelouse, cerné par les crottes de chiens et les paquets de chips vides. Il faisait un temps magnifique et lorsqu’en fin d’après-midi, j’aperçus le panneau « Pas de Calais », je fus surpris car il ne pleuvait pas. Pourtant, dès qu’on avait franchi Montélimar, il me semblait qu’on était dans le Nord avec son lot de froidure, de bise, de brouillard, de pluie et de grésil… Alors, la Côte d’Opale, vous pensez ! Pour un Languedocien de naissance, cette terre inconnue n’avait rien à envier au pays des Inuits.
J’arrivai donc au Touquet sous un soleil éclatant, la Porsche décapotée. Comme il était un peu tard, nous avions convenu que la fameuse « compète » entre nos deux bolides aurait lieu le lendemain, tout comme la chevauchée en bord de mer. Mon GPS me guida jusqu’au début de l’allée des Trois Martyrs, là où je devais retrouver Lola. J’étais soufflé. Ces gens du Nord, ils avaient de ces idées ! Construire un phare au beau milieu de la ville ! Encore plus fort qu’à Palavas.
La pneumologue m’attendait, plus sublime encore en réalité qu’en photo ! Grande, mince, une tresse d’or en couronne lui ceignait la tête. Elle avait de beaux poumons et un petit côté mannequin russe tout à fait ravissant avec son nez retroussé et ses yeux en amande.
Elle me sauta au cou, elle était plus grande que moi. Manifestement, l’affaire se présentait bien. Elle me proposa l’ascension du Phare de la Canche car elle souhaitait me faire découvrir sa ville depuis le ciel. Peu farouche, elle me tint la main tout au long des 274 marches, et j’en fus, je le reconnais, tout émoustillé.
Après avoir découvert la vue magnifique, nous fîmes un tour de ville en Porsche, j’étais conquis par cette cité si différente de mes stations du Sud bien fades à côté. Une architecture étonnante avec ses balcons de bois colorés, ses toits pentus, ses colombages… Et quel temps, on se serait cru à Carnon en juillet !
Je garai mon bolide juste en face du Centre Nautique, devant le restaurant Côté Sud. Lola avait réservé une table qui donnait sur une forêt de mâts de chars à voile.
Une fois installée, elle m’avertit :
Nous bavardâmes donc de nos passions communes : la voile, les voitures de sport, l’équitation. Elle avait un drôle d’accent qui roulait les r et je ne pus m’empêcher de lui en faire la remarque.
Elle me convainquit d’un sourire désarmant. Après avoir terminé le repas par des chats bleus excellents, en homme galant, je réglai l’addition à la caisse par carte bancaire. Lola avait posé son menton sur mon épaule…
La nuit était tombée. Elle me proposa une petite promenade romantique sur le bord de mer, elle voulait sans doute en venir au sujet qui me trottait aussi dans la tête depuis un moment car le lieu qu’elle avait choisi était vraiment très calme. Nous arrivâmes sur un parking désert, éclairé par la seule pleine lune. Il n’y avait qu’une voiture auprès de laquelle je garai ma Porsche. Une splendide Maserati GranCabrio, V8 de 450 chevaux. La même que celle de mon ophtalmo.
Nous marchâmes un moment sur la plage, main dans la main, le long des dunes, il faisait doux. Mais alors que je me penchais vers elle pour l’embrasser enfin, tout dérapa. Trois silhouettes massives et une autre plus fine surgirent de nulle part, me bondirent sur le râble, et en trente secondes, je me retrouvai totalement nu, bâillonné de plastique collant et ficelé comme les rôtis de dindonneau à la cantine de la clinique. Lola abandonna son français charmant pour bavarder avec une fille dans une langue que je ne compris pas, mais dont je me doutais bien qu’elle trouvait ses origines du côté de Vilnius. Pendant ce temps, les trois types creusèrent un grand trou dans le sable avec des pelles énormes animées par des biceps à la mesure. Puis ils me plantèrent debout dedans comme si j’avais été un rejet de tamaris, rebouchèrent le trou, et bientôt, ne dépassa plus de la plage que ma tête. Ils balisèrent ma présence de deux longs fanions et s’éloignèrent. Lola déposa un baiser sur mon front de pigeon pitoyable. Sa copine aussi. Un gros nuage noir masqua la lune juste à ce moment.
Quelques minutes plus tard, le nuage noir s’éloigna. Je découvris qu’à une dizaine de mètres de moi deux autres fanions se dressaient, entre lesquels une tête bâillonnée de scotch orange s’agitait. Un autre pigeon ! Celui de la copine, sans doute. Le propriétaire de la Maserati, évidemment ! Nous nous regardâmes piteusement, conversant par des mmh étouffés.
Puis mon oreille experte reconnut au loin le feulement caractéristique d’un V12 Ferrari. Un troisième pigeon allait bientôt se faire plumer.
Je ne me trompais pas. Quelques instants plus tard, un couple d’amoureux approcha. Tout se déroula comme je le redoutais. Les trois gros bras bondirent sur le garçon, Lola et sa copine les rejoignirent en riant et en battant des mains. Le pigeon se retrouva à poil à son tour, saucissonné et scotché, puis planté à dix mètres de nous, avec ses deux fanions. Nous formions le triangle du ridicule. La troisième fille se pencha vers le type, déposa un baiser sur son nez, je ne compris pas ce qu’elle lui glissait à l’oreille. Mais je me doutais. Toute la troupe s’enfuit alors en riant aux éclats.
Puis nos trois bolides démarrèrent, le vrombissement des moteurs s’éloigna vers la ville. On klaxonnait joyeusement. Pour nous remercier, sans doute.
La seconde partie de la nuit ne s’avéra pas aussi douce. Sans crier gare, le ciel s’obscurcit, un vent glacial se leva, venu de la perfide Albion, évidemment. Ah, ces Anglais… Il était accompagné de big clouds, et une driving rain se mit à tomber, c’était terrible, j’étais gelé.
Le jour pointa enfin. La pluie avait cessé, le ciel s’était éclairci, les fanions claquaient au vent et moi des dents. Je regardai mes compagnons d’infortune. Ils éternuaient sans arrêt.
Un char à voile apparut dans le lointain, grossissant à vue d’œil, porté par une bonne brise. Il passa à dix mètres de nous. La fille qui le pilotait nous aperçut, vira de bord en effectuant un deux roues acrobatique, stoppa son engin à un mètre de ma tête…
Une heure plus tard, nous étions tous trois assis dans un bureau du commissariat, devant un parterre de flics incrédules, l’architecte, le notaire et moi le toubib, vêtus de joggings bleus dans le dos desquels on pouvait lire « POLICE ». Nous racontions en reniflant la même histoire. Nos messages et nos pages Facebook étaient projetés sur un grand écran.
Puis quand apparut le premier mail de Lola, je vis deux grandes policières blondes se lever précipitamment et se ruer hors de la pièce en se retenant d’exploser de rire.
2. Louise
La famille idéale
Je m’appelle Louise, j’ai quinze ans. Vous me connaissez sans doute, vous m’avez certainement déjà croisée dans la rue piétonne, le samedi, avec mes copines. Ou alors au cinéma et au théâtre avec mes sœurs et mes parents.
Vous savez bien, la famille idéale.
Mais si, voyons. Moi, je suis la fille mince avec son jeans slim, destroy mais pas trop, mon père ne veut pas qu’on voie la peau de mes cuisses sous les lacérations, il trouve que ça fait vulgaire. Je porte bien entendu des tennis blanches et une chemise bleue par-dessus un tee-shirt à rayures style marin. J’ai de longs cheveux blonds avec une frange bombée au ras des sourcils, des lèvres en forme de cœur, des ongles de toutes les couleurs et des Ray-Ban aviator que je relève au-dessus de mon front quand il n’y a pas de soleil… Vous voyez bien que vous me connaissez. Mes sœurs ont exactement le même look que moi, fines et élancées ; il y a Alice, l’aînée, qui est en première au lycée, et Madeleine, la benjamine, qui vient de fêter ses quatorze ans. Nous ressemblons tellement à Maman qui est si jolie et qui fait si jeune que les gens croient qu’elle est notre grande sœur. Papa qui est beau gosse aussi est très fier de nous, je le soupçonne de nous accompagner dans les boutiques de fringues juste pour qu’on l’admire et qu’on l’envie, lui et ses quatre femmes, comme il le dit en riant. Ses amis sont très jaloux, avec leurs fils boutonneux et bêtes, leurs filles laides et sottes et leurs épouses un peu bécasses qui ont des conversations au ras les pâquerettes.
Nous, nous sommes la famille idéale.
Maman est premier violon à l’Orchestre Symphonique Régional, elle vient d’enregistrer le Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns et son interprétation de la danse macabre est tout à fait remarquable. Ma grande sœur Alice a déjà obtenu plusieurs prix de piano, elle est très douée et elle sera certainement professionnelle un jour. Moi, ce n’est pas mon ambition, le piano ce sera simplement pour le plaisir, je veux faire médecine, être chirurgienne comme Anna, la sœur de Maman. Je suis hyper douée à l’école. Mes parents ont beaucoup d’espoir pour Madeleine qui, avec son violoncelle, semble porter un potentiel énorme, en ce moment, elle nous régale les soirs avec ses suites de Bach…
Comme je vous le dis, une famille idéale.
Il n’y a pas que la musique, chez nous. Il y a également la danse contemporaine, moi, je fais partie de la troupe de Marcel Marion, nous produisons six spectacles par an, la Préfète et le Président de Région assisteront en décembre