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Le Gardien du Vent
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Livre électronique405 pages5 heures

Le Gardien du Vent

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À propos de ce livre électronique

En Californie, une des centrales nucléaires les plus importantes des États-Unis est ciblée par un groupe de terroristes. Aidés par une taupe, les extrémistes ont l’intention de s’emparer du réacteur et d’éparpiller les radiations au vent, causant des ravages dans le monde.


Leur escapade romantique les ayant temporairement cachés aux yeux des terroristes, le seul obstacle qui se dresse devant leurs plans sont deux gardes de sécurité mal tombés. Quand ceux-ci découvrent enfin ce qui se passe dans la centrale, ils se retrouvent dans une lutte contre la montre et complètement inégale.


Un retour en force de leur sens du devoir les pousse à prendre les armes et à s’engager jusqu’au point de non-retour. Mais leur mobilisation ne vient-elle pas trop tard ?


Exposant la vulnérabilité des centrales nucléaires de la nation, Le Gardien du Vent est un thriller puissant qui nous est offert par Frank Scozzari, quatre fois nominé au prix Pushcart.

LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2022
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    Aperçu du livre

    Le Gardien du Vent - Frank Scozzari

    PROLOGUE

    Les ombres des deux amants dansaient grossièrement sur le mur de la chambre, leurs silhouettes géantes projetées au mur s’étendant jusqu’à la moitié du plafond. Sur la table de chevet à côté du lit, un radioréveil beuglait un classique des Rolling Stones, Sympathy for the Devil. Et là, sur le lit, sous une femme dix ans plus jeune que lui, se trouvait Jack Garner. La femme le chevauchait, les mains posées contre son torse, se déhanchant en rythme avec la musique.

    Jack détourna la tête pour regarder le réveil.

    L’écran numérique affichait 20:30 en bleu. Il sourit.

    On a tout le temps, pensa-t-il.

    La jeune femme ne fut pas ravie par sa distraction. Elle déplaça les mains pour retourner la tête de Jack vers la sienne, lui lançant un regard furieux. D’un mouvement fluide, elle roula en poussant Jack au-dessus d’elle et, les bras serpentant derrière sa nuque, le força contre son corps nu. Roulant à nouveau, elle revint au-dessus, le chevauchant une fois de plus, et l’embrassa profondément.

    À l’extérieur de la fenêtre de la chambre, le crépuscule tombait sur la petite communauté côtière de San Roque. Comme toutes les autres stations balnéaires de Californie, les devantures des magasins typiques bordaient la promenade sur la plage, appelée Front Street. Les cafés, qui étaient bien plus fréquentés durant la saison estivale, tournaient pour l’instant au ralenti. Au-delà de la promenade, on apercevait les toits des nombreux complexes d’appartements, et encore plus loin les collines verdoyantes du littoral, qui seraient bientôt brunies par le soleil estival.

    La route côtière, qui disséquait la ville, s’approchait en direction du sud, serpentant entre les petites collines côtières le long d’un ruisseau bordé de platanes.

    Au nord, la route longeait la côte pendant plus de trois kilomètres jusqu’à un grand promontoire rocheux où les falaises se jetaient abruptement dans la mer. Près de l’extrémité du promontoire, une immense jetée en pierre s’étirait dans le Pacifique, formant une barrière protégeant la plage de San Roque et le petit port de San Miguel. À la pointe se trouvait un phare du dix-neuvième siècle qui fonctionnait toujours, un des phares originaux de Californie. Comme depuis plus de cent quinze ans, ses feux perpétuels flashaient toutes les six secondes, envoyant leur signal lumineux à la surface de l’océan vers des bateaux situés jusqu’à vingt kilomètres au large.

    Au-delà du promontoire se trouvait une bande isolée de rivage déchiqueté, une des dernières bandes de terres sauvages de la côte centrale de la Californie n’appartenant pas à l’armée ou aux parcs territoriaux. Ici, plus de trente kilomètres de collines verdoyantes et de terrasses marines balayées par les vents étaient restés pratiquement vierges depuis le temps des amérindiens Chumash. Bien que le développement effréné ait envahi presque toutes les terres du sud, surtout ces dix dernières années, il n’avait pas encore posé sa patte avide sur cet endroit. La P.A.P.C. – Pacific Alliance Power Company – s’en était assuré. La société avait loué le terrain lors d’une transaction délicate avec un éleveur de bétail pour construire une centrale nucléaire, et avait depuis acquis le domaine lors d’un procès remarquable. Ce faisant, la centrale nucléaire permettait, de manière ironique, de freiner la construction hôtelière le long de la côte. Et aujourd'hui, en vertu des lois fédérales anti-intrusion cherchant à protéger les installations nucléaires, la zone était pratiquement devenue une réserve sauvage. À part les quelques troupeaux de bétail qui broutaient le long des pentes occidentales, les membres des équipes opérationnelle et de sécurité de la centrale étaient les seuls à poser le pied dans la Zone Protégée. C’était devenu un sanctuaire pour les coyotes, les otaries, les dauphins et autres créatures sauvages qui y avaient toujours prospéré.

    À quelques kilomètres au sud, des phares serpentaient sur la route, longeant les méandres tortueux du ruisseau. Le véhicule dépassa le dernier virage bordé de peupliers, vira sur Front Street et puis à nouveau sur Second Street avant d’entrer dans le parking du complexe d’appartements Sea Gypsy. Le conducteur sortit du véhicule au faible son de la musique provenant de la petite maison située de l’autre côté de la rue.

    À l’intérieur, les ombres des deux amants dansaient toujours sur les murs de la chambre à coucher. Jack et sa jeune compagne étaient plongés dans leurs ébats passionnés, se délectant de l’intimité physique de l’amour. C’est pourquoi ils n’entendirent pas le visiteur toquer à la porte avant qu’il ne toque une deuxième fois.

    — Tu as entendu ça ? demanda alors Jack.

    La jeune femme ne répondit mais, mais l’expression sur son visage montrait que oui. Jack se retourna pour vérifier l’heure sur le radioréveil. Les chiffres affichaient à présent 20:45.

    Il est trop tôt, pensa-t-il. Il n’attendait personne. Son collègue n’était censé arriver que dans une heure.

    Quelqu’un frappa à nouveau à la porte.

    Il tendit la main pour baisser le volume de la radio.

    — Il y a quelqu’un, dit-il sèchement.

    Il repoussa la jeune femme sur le côté et se traîna hors du lit pour enfiler son pantalon avant d’attraper la chemise bleu clair abandonnée sur la chaise. Alors qu’il trébuchait dans le couloir en enfilant sa chemise, les coups se firent plus insistants.

    — J’arrive ! J’arrive !

    Sur le porche, le visiteur attendait patiemment, vêtu d’un uniforme bleu roi soigné et de chaussures noires vernies. Ses cheveux étaient méticuleusement lissés en arrière et sur son torse brillait un insigne doré, illuminé par le lampadaire.

    Jack alluma la lampe du porche et ouvrit la porte, surpris de voir ce visage familier qu’il n’attendait pas.

    — Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il.

    Il se retourna pour regarder l’horloge de cheminée située au-dessus du bureau du salon. Ce faisant, il passa le dernier pan de sa chemise par-dessus son épaule. Exactement au même moment, le visiteur dégaina un pistolet de derrière son dos. Leva le canon rapidement, contre le torse de Jack, et avant que Jack ait pu lui faire face à nouveau, tira deux coups étouffés par un silencieux.

    Pouf ! Pouf !

    Jack tomba en arrière dans le salon, mort avant d’avoir touché le sol. Avançant rapidement, le visiteur entra dans la pièce, referma la porte derrière lui, se dirigea vers une table d’appoint et alluma une lampe. Il retira le silencieux du canon de son arme, le fourra dans sa poche arrière et rengaina son pistolet dans son holster. Parcourant la pièce des yeux, il s’empara d'une serviette dans une pile de lessive sur le canapé et la jeta sur le visage de Jack. Puis, s’agenouillant à côté du cadavre, il le regarda d’un air distrait. Les deux balles l’avaient touché juste sous le sternum, à moins d’un centimètre de distance. Les trous ne saignaient pas et semblaient déjà se refermer, bien que le sang s’écoulât du dos de Jack ; le visiteur pouvait déjà voir la flaque se former sur le plancher en bois.

    Le visiteur fouilla la poche de chemise de Jack et ne trouva rien. Puis il le roula pour vérifier ses poches de pantalon. Il scanna la pièce du regard, cherchant partout ; la table d’appoint, l’étagère, l’armoire et le canapé. Près de la porte se trouvait une bibliothèque encombrée d’encyclopédies, de romans et de magazines – rien d’intéressant. Sur la télévision se trouvait le bric-à-brac habituel, une télécommande et quelques boîtiers de DVD. Le fauteuil présentait de même une pile d’articles divers, de lessive, quelques magazines et deux paires de baskets. Enfin, ses yeux se posèrent sur un petit bureau cylindre accolé au mur du fond. Dessus se trouvaient un petit palmier ornemental et un cléfier d’où pendaient un assortiment de babioles et de clés.

    Il se précipita vers le bureau, parcourut son contenu et s’empara rapidement d’un badge d’identité avec photo auquel était clipsée une carte en plastique.

    Il leva la carte vers la lumière. Elle avait à peu près la taille d’une carte de crédit ordinaire. Elle arborait le symbole familier des trois atomes volants à côté du nom Jack Garner. La lumière permettait de révéler les bandes métalliques anti-contrefaçon situées à l’intérieur. La pressant à plat contre la lampe de bureau pour qu’elle soit complètement rétroéclairée, il révéla une minuscule puce rectangulaire incrustée dans le coin inférieur droit.

    Le visiteur serra fermement la carte dans sa main, et pendant un instant resta figé sur place. Il semblait satisfait de rester là à tenir la carte toute la nuit.

    Puis un bruit inattendu attira son attention vers le couloir.

    Une voix appela ; celle d’une jeune femme.

    — Jack ?

    Faisant preuve des mêmes instincts prédateurs affichés plus tôt, le visiteur dégaina son arme, pointa le canon vers le couloir et attendit en silence.

    — Jack ? répéta la voix, plus proche.

    De sa main libre, le visiteur glissa la carte dans la poche de sa chemise, agrippa le pistolet des deux mains, et avança lentement vers l’entrée du couloir.

    Sortant de la chambre, la jeune femme pénétra dans le couloir en enfilant un peignoir. Elle s’interrompit à mi-chemin pour serrer la ceinture autour de sa taille. Puis, levant les yeux, elle aperçut la silhouette sombre à l’autre bout du couloir.

    — Jack, qui est-ce ?

    Le salon était mal éclairé, de sorte qu’elle ne pouvait ni voir qui c’était, ni voir l’arme pointée vers sa poitrine.

    — Jack ?

    Au début, il n’y eut aucune réponse. Puis le pistolet répondit bruyamment, sans les bénéfices du silencieux.

    BAM ! BAM !

    Un double éclair puissant et lumineux jaillit du canon. La femme tituba en arrière comme si elle avait reçu un coup de matraque dans la poitrine et tomba au sol.

    Le visiteur avança dans le couloir, l’arme toujours pointée sur la femme. Il pouvait entendre un bruit en provenance de la chambre à coucher. Il enjamba soigneusement la femme, la chevauchant un instant pour observer son visage mort, puis, détournant le canon de l’arme, il entra dans la chambre. Visa dans la direction du radioréveil, comme si prêt à lui tirer dessus. Se rendant compte que ce n’était qu’une radio, il balaya rapidement de son arme l’autre côté de la chambre. Rien à signaler. Il se détendit, rengaina son arme de poing, se dirigea vers la radio et l’éteignit.

    À la fenêtre, il jeta un regard dehors. Il faisait complètement noir à l’extérieur. Il n’y avait que deux lampadaires, un terrain vague à côté, et en face, peu de fenêtres étaient éclairées dans les appartements Sea Gypsy. À part le néon d’une gitane tenant une étoile de mer et le signe ‘libre’ qui clignotaient, il y avait peu de signes de vie. Il étudia la rue. Complètement vide. Il tira les rideaux.

    Il retira la carte de sa poche et l’étudia à nouveau. Elle ne semblait en rien différente d’une clé d’hôtel magnétique, mais en vérité, il savait qu’elle était très différente. Elle détenait toute l’information dont il avait besoin. Il en était certain.

    Il plaça la carte dans son portefeuille, en sécurité dans un compartiment latéral. Puis il sortit de la chambre à coucher, enjamba la femme morte et retourna dans le salon. Il éteignit la lampe de bureau, ainsi que la lampe du porche, et quitta la petite maison après avoir verrouillé la porte derrière lui.

    CHAPITRE 1

    Cameron Taylor dévisagea pensivement son reflet dans le miroir brisé.

    Seulement vingt-huit ans et déjà brûlé comme la terre !

    Pour Cameron, se faire réveiller par un réveil à 20 h 30 n’était que le début d’une autre nuit de travail. Il se coltinait le quart de nuit à la centrale nucléaire de Mal Loma depuis huit mois, et tentait toujours de s’ajuster à son horaire inversé. Après avoir répondu à une offre cherchant à embaucher des ‘intervenants armés’ pour protéger une centrale nucléaire ‘d’actes terroristes et de sabotages industriels’, il avait été enthousiasmé par les perspectives de son nouvel emploi. Mais son job s’était avéré être une routine rasante de procédures de sécurité banales et d’heures interminables passées à parader sur le macadam avec un fusil. En vérité, protéger une centrale nucléaire ‘d’actes de sabotages industriels’ était tout simplement surfait, et pas du tout à la hauteur de ses espérances.

    Il fixa son reflet des yeux, nu sauf pour un boxer blanc.

    Rien n’avait changé, pensa-t-il.

    La petite horloge digitale pliante posée sur l’étagère sous son armoire à pharmacie affichait 21:20. À côté, le tube de dentifrice débouché était posé exactement là où il l’avait laissé la nuit dernière. Sur l’étagère voisine, négligemment abandonné et à l’envers, se trouvait son badge.

    Et voici que recommence mon monde à l’envers, pensa-t-il. Pendant que le monde ‘réel’ dort, j’enfile mon armure.

    Dès le début, son corps avait rejeté le changement d’horaire. Il avait tenté d’arrêter la caféine, essayé le Zolpidem, sans résultats. Il avait même acheté un CD de yoga en pensant que le bruit doux des vagues pourrait le bercer vers le sommeil. Pour certains, c’était facile. Pour Cameron, s’ajuster à un horaire de nuit semblait quasiment impossible.

    Il ouvrit le robinet de la douche et se glissa sous le pommeau ; des millions de pensées lui traversèrent l’esprit, aucune agréable. En moins de cinq minutes, il se tenait à nouveau devant le miroir, cette fois tout habillé, les cheveux lissés en arrière. Il enfila son uniforme bleu roi. Sur l’épaule se trouvait un patch révélateur – l’insigne des trois atomes volants sur des orbites différentes, bordé au-dessus par le mot ‘Nucléaire’ et en arc sur le dessous par les mots ‘Service de Sécurité.’

    Il ramassa son badge et le tint vers la lumière. Il ne s’était jamais imaginé le train-train abrutissant que sa vie deviendrait.

    Tout avait commencé de manière assez ambitieuse tout juste huit mois plus tôt. Enthousiasmé par les perspectives de son nouvel emploi, Cameron avait été ravi d’avoir passé l’entrevue initiale. Il avait relevé le défi des tests d’agilité physique comme un écolier à une rencontre d’athlétisme.

    Les prérequis comprenaient un sprint de quatre cents mètres en moins de soixante-quinze secondes, traîner un sac de sable de soixante-dix kilos sur une distance de cinquante mètres de bitume, et l’escalade d’un mur haut de trois mètres avec un faux fusil attaché à l’épaule, qu’il avait tous passés assez facilement. Ensuite, l’enquête sur son passé et le certificat de sécurité, qui l’avaient éclairé sur l’énormité du rôle. Ils voulaient connaître tous les détails de son passé, y compris l’école primaire qu’il avait fréquentée.

    Ils ne rigolent vraiment pas avec ce genre de choses, avait pensé Cameron.

    Il avait d’abord dû passer par la prise d’empreintes digitales – un scanner numérique d’empreintes qui transmettait directement aux bureaux du FBI à Washington et au bureau du ministère de la justice de Sacramento, révélant que Cameron était clean à part pour quelques infractions de vitesse. Ceci avait été suivi par un questionnaire de dix-huit pages sur ses antécédents, confirmé par un détecteur de mensonge et transmis au logiciel N.O.R.A. – Non-Obvious-Relationship-Awareness – un logiciel de référencement croisé de ‘nouvelle-génération’ capable de lier des membres de cellules terroristes et groupes criminels dans plus de soixante-quinze pays. Enfin était venu le MMPI – l’inventaire multiphasique de personnalité du Minnesota – qui avait été évalué, analysé et suivi par une interview avec un psychologue-conseil de pré-embauche.

    C’était un mec bizarre, avait pensé Cameron, chauve avec des lunettes, l’archétype parfait du scientifique. Cameron avait anticipé des problèmes quand il avait reçu la copie de son MMPI et lu la première phrase :

    A menti durant le test pour améliorer son image aux yeux de son futur employeur.

    — C’est vrai ? demanda ostensiblement le psychologue.

    Cameron hésita. Il en savait suffisamment sur le MMPI pour y réfléchir à deux fois avant de mentir. Il avait fait ses recherches à l’avance. Le test affirmait être capable d’identifier un alcoolique avec quatre-vingt-dix-sept pourcents d’exactitude et de détecter les principaux symptômes d’inadaptation sociale ou personnelle avec une précision prophétique, et était le principal outil de sélection utilisé par les employeurs pour les candidats à des postes à haut-risque pour la santé publique.

    — Bien sûr que c’est vrai, répondit-il en fixant le document. J’ai besoin d’un boulot.

    Le psychologue hocha la tête en griffonnant sur son bloc-notes.

    — D’accord, dit le psychologue. Question suivante : si vous pouviez être n’importe qui au monde autre que vous-même, qui seriez-vous ?

    Cameron dut y réfléchir un moment. Franchement, c’était assez étrange de se voir poser cette question par un psychologue. La première chose qui lui vint à l’esprit était que les thérapeutes étaient souvent bien plus fous que leurs clients. En plus, quel était le rapport avec son emploi dans une centrale nucléaire ?

    Mais après un instant de réflexion, il se dit qu’il valait mieux lui répondre. Peut-être qu’après tout, la question avait un intérêt caché.

    — Bugs Bunny, répondit-il.

    — Bugs Bunny ? répéta le psychologue, méditant sur sa réponse comme un scientifique songeant à une nouvelle équation mathématique. C’est intéressant. Je n’y avais jamais pensé.

    Il griffonna quelques phrases sur son bloc-notes.

    Cameron eut l’air inquiet. Il n’essayait pas d’être drôle. C’était une réponse honnête.

    — Et pourquoi Bugs Bunny ? demanda le psychologue.

    Cameron leva les yeux vers les lattes du plafond, pensif.

    — Et bien j’admire vraiment ce petit lapin rusé. On dirait que peu importe les choses terribles qui lui arrivent, ou les mauvaises situations dans lesquelles il se fourre, je veux dire, vous savez à quel point ils en ont après lui, et il trouve toujours un moyen de s’en sortir indemne, de rester imperturbable.

    Le psychologue le dévisagea avec fascination et griffonna furieusement sur son bloc-notes.

    Cameron pensa qu’il s’était tiré une balle dans le pied.

    Malgré l’entrevue psychologique apparemment ratée, deux semaines plus tard, il avait reçu une enveloppe mince par la poste dont l’adresse de retour était la boîte postale de San Roque pour la Centrale nucléaire de Mal Loma. À l’intérieur se trouvait une lettre de cinq paragraphes lui souhaitant la bienvenue dans la ‘force de sécurité d’élite’, le félicitant d’avoir été sélectionné, et lui demandant de se présenter sans délai à l’entraînement à 8 h le mardi matin suivant, et ce dans ce qui était décrit comme ‘une tenue civile appropriée’.

    Cameron était fou de joie. Après six mois de chômage, de recherche d’emploi freinée par un CV peu reluisant criblé de longues périodes sans emploi, et d’un compte bancaire presque épuisé, il était heureux d’avoir retrouvé du travail.

    Et maintenant, en observant à nouveau sa réflexion dans le miroir, il avait le sentiment que tout ça avait été pour rien. Il y a une extase qui marque le summum de la vie, au-delà de laquelle la vie ne peut se relever. Il semblait que l’extase de Cameron se soit achevée à l’âge tendre de vingt-huit ans. À part l’occasionnel raton-laveur qui s’approchait du périmètre de sécurité et déclenchait le système d’alarme, la vérité était que son travail impliquait très peu d’action. Il n’avait trouvé ni l’intrigue ni la sophistication promises par l’offre d’emploi. Nuit après nuit, il besognait au même ennui. Cet emploi n’avait pas d’avenir, était un ramassis de règles et règlements bureaucratiques qui semblaient pour le moins absurdes, et était gouverné par un groupe de dirigeants d’entreprise qui se prélassaient dans leurs bureaux avec vue à San Francisco. Un optimiste né, charmé par la nature et amusé par l’humanité, il était à présent frappé par les affres de la monotonie.

    Debout sous la pluie pendant des heures, un fusil à la main ; des heures passées à dévisager l’écran de surveillance montrant les mêmes images immobiles ; à répéter des manœuvres qui n’ont aucun sens et ne seront jamais nécessaires ; à regarder le temps passer sur l’horloge. C’est ça, la vie ?

    Son reflet leva un sourcil douteux.

    Un garde de sécurité de nuit, pensa-t-il en lissant sa cravate. Avouons-le, c’est ce que je suis !

    Le seul point positif dans son existence autrement lamentable était Grace Baker, une nouvelle recrue de vingt-six ans de la centrale nucléaire avec qui Cameron avait entamé une romance accélérée. L’attraction avait été immédiate et réciproque. En trois petites semaines, ils avaient tous deux éprouvés un penchant pour l’autre comparable aux romances du vieil Hollywood. Chez Grace, Cameron avait découvert une beauté sauvage et rebelle ; le genre qui pousse les hommes à traverser les océans. Et maintenant, Cameron se retrouvait à penser plus à Grace qu’aux perspectives de trouver un autre job, ce qu’il avait franchement considéré avant que Grace n’apparaisse dans sa vie.

    Grace ! Grace ! Grace !

    Il inspira à fond. Allez, c’est l’heure d’aller protéger les foules.

    Jetant un dernier coup d’œil au miroir, il épingla son badge sur sa poitrine, se retourna et se rendit dans la cuisine pour se préparer un sandwich, remplir le thermos de café, placer ces deux éléments dans sa gamelle et les surmonter d’une pile de chips. Puis il attrapa ses clés de voiture et se dirigea vers la porte.

    CHAPITRE 2

    Cameron conduisit à toute allure dans les rues de San Roque en route vers la maison de Jack, sachant très bien qu’il était en retard. En s’arrêtant pour faire le plein, il s’était lancé dans une conversation sur les arbalètes avec le préposé de la station essence, et avait perdu vingt minutes. Jetant un coup d’œil à sa montre, il remarqua qu’il était presque 21 h 40 – plus tard que d’habitude.

    Il regarda par le pare-brise d’un air absent.

    Putain ! Pourquoi je me mets toujours dans des situations pareilles ?

    Dépassant presque la rue de Jack, il écrasa la pédale de frein, glissa à moitié au croisement, fit gronder le moteur, passa la marche arrière et accéléra dans Second Street en dépassant les néons clignotants des appartements Sea Gypsy.

    En s’arrêtant le long du trottoir de la petite maison de plage de Jack, il remarqua que la lumière du porche était éteinte.

    Pas bon signe, pensa-t-il.

    Il descendit de voiture, s’approcha vivement du porche et toqua à la porte. N’obtenant pas de réponse, il tenta la sonnette, l’enfonçant avec insistance, et puis martela la porte du poing – toujours rien. Il se pencha sur le côté du porche pour jeter un coup d’œil par la fenêtre du salon, mais les rideaux étaient complètement tirés. Il essaya la poignée de la porte mais elle était verrouillée.

    Il éprouva une inévitable sensation de naufrage.

    Il est parti sans moi !

    Cameron s’éloigna du porche à toute vitesse, sans penser à vérifier le carport. De retour dans sa petite Honda, il fila à toute vitesse dans les rues étroites de San Roque. Quelques virages serrés le menèrent sur la route côtière en direction de la porte de San Roque, l’entrée principale de la centrale nucléaire, située à quelques kilomètres au nord.

    Pense à une excuse, songea-t-il en tripotant nerveusement le volant. Il vaut mieux avoir un plan.

    Larry Harkin, son superviseur exigeant et à-la-lettre, l’avait déjà sanctionné pour retards excessifs, absentéisme et autres mauvaises conduites au travail. Le seul point en faveur de Cameron, c’était que quand il voulait travailler et prenait les choses au sérieux, il était vraiment bon. Et Harkin le savait.

    Pourtant, Cameron savait qu’il avait quasiment épuisé ses chances, et malgré le fait qu’il détestait son boulot, il en avait besoin. Et puis il y avait Grace. Le boulot lui offrait du temps avec elle, même si c’était du temps strictement surveillé – par les caméras de surveillance et les détecteurs de mouvement – et s’il voulait d’un avenir entre eux, il aurait besoin d’un boulot.

    Heureusement, Harkin lui était redevable, pensa Cameron en suivant la route.

    Il se souvenait de plusieurs instances durant lesquelles il était venu en aide au superviseur Harkin, et il espérait aujourd’hui qu’Harkin s’en souviendrait aussi.

    Harkin me doit une fière chandelle, pensa-t-il. Quoi qu’il ait à dire sur mes retards, il me doit une faveur !

    Par exemple, l’histoire de Kelly Murphy. Oui ! Comment pourrait-il l’oublier ?

    Les superviseurs avaient lancé une compétition pour savoir lequel d’entre eux pouvait qualifier le plus rapidement son équipe aux armes à feu, et avec le score le plus élevé. C’était un événement annuel ; une obligation de l’état. Comme d’habitude, l’équipe du superviseur Harkin avait tiré juste, et bien. Trois des cinq meilleurs tireurs d’élite des forces de sécurité faisaient partie de son quart, Cameron inclus. Mais l’exception était Kelly Murphy. Elle manquait tout simplement de l’agilité naturelle pour manier une arme de poing. Et puisque les gradés souhaitaient spécifiquement voir des femmes dans des rôles armés, et qu’elles se qualifient en premier – un souhait conforme à la discrimination positive et au politiquement correct – il était impératif que Kelly réussisse. À la demande d’Harkin, Cameron avait pris Kelly sous son aile et l’avait formée grâce à une technique différente de celle d’Harkin, dans son style direct mais rassurant. En fin de compte, elle n’avait pas fait que se qualifier, elle s’était classée en première place de tous les agents de sexe féminin. C’était un immense point en sa faveur.

    Et puis, se souvint Cameron, il y avait eu l’incident lors de la réunion trimestrielle de la NRC. La ‘NRC’ ou Autorité de sûreté nucléaire américaine, l’agence de surveillance fédérale chargée de la tâche de contrôler, réguler et surveiller tout ce qui était nucléaire, organisait des réunions trimestrielles, et cette réunion particulière s’était tenue à la centrale et devait inclure un membre du congrès local.

    « Un clown, » comme l’avait décrit Harkin, avait lancé une alerte à la bombe à l’hôpital local, leur conseillant de « préparer cents lits d’hôpitaux. »

    Cameron avait donc été requis de faire demi-tour à la fin de son quart de nuit et de se poster sur un sommet montagneux avec des jumelles et un fusil de haut calibre. Ses ordres étaient simplement d’observer et de rapporter toute activité inhabituelle dans l’arrière-pays.

    Malgré l’avertissement au pied levé et le manque de sommeil, Cameron avait accepté avec joie et sans se plaindre. En fait, ça ne le dérangeait pas du tout. Il avait été payé une fois et demi ses heures et avait passé la majorité de la journée à observer la migration des baleines grises à l’aide de sa lunette puissante.

    Tandis que Cameron filait sur la route côtière, il pouvait voir l’écume blanche scintillante des vagues déferlantes du Pacifique. Au loin, le phare s’éclaira, là, à la pointe du promontoire. Alors qu’il s’approchait de la porte principale de la centrale, il put voir de l’activité dans le port de San Miguel, juste à sa gauche. Un groupe de pêcheurs était rentré en retard et hissait un petit bateau de l’eau jusqu’à la plateforme du quai.

    Cameron accéléra après le virage dans la petite route d’accès. Une silhouette solitaire se tenait dans le box des gardes – une cabine minuscule de deux mètres et demi sur deux, aux quatre côtés vitrés, juste assez grande pour asseoir un garde sur un tabouret, fourrer de l’équipement et une étagère pour le café et les registres.

    Au-delà se trouvait la route d’accès illuminée menant à la centrale nucléaire de Mal Loma. Un kiosque se tenait à côté de la cabine des gardes avec deux barrières qui ressemblaient à un passage à niveau. Des projecteurs perchés sur des poteaux élevés, similaires à l’éclairage des terrains de base-ball, inondaient la zone de lumière dans un rayon d’une trentaine de mètres. De chaque côté de l’entrée se trouvaient des clôtures-cyclone hautes de trois mètres et surplombées de fils barbelés. Un grand panneau éclairé posté à droite en bordure de route ne laissait aucun doute quant à la propriété et à l’accès restreint du site :

    CENTRALE NUCLÉAIRE DE MAL LOMA

    Pacific Alliance Power Company

    ACCÈS STRICTEMENT INTERDIT

    Marvin Spencer, l’agent de sécurité de service cette nuit, portait le même uniforme bleu roi impeccablement repassé avec les atomes volants et les mots ‘Sécurité Nucléaire’ en gras sur l’épaule. Il sortit de sa cabine avec une carabine Ruger Mini-14 à l’épaule. Une ceinture d’agent de terrain, passée autour de sa taille, contenait une arme de poing dans son holster, une radio, une lampe de poche et plusieurs cartouches de munition.

    Alors que Cameron s’approchait de la barrière, il regarda sa montre.

    Vingt minutes de retard !

    — Salut, Marv, salua Cameron en baissant sa vitre.

    — Harkin veut que j’enregistre tes heures, dit Marvin franchement.

    — Quoi ?

    Ouais, désolé mec, mais il m’a appelé pour me demander de noter tes heures.

    Cameron fronça les sourcils.

    — Il a dit autre chose ?

    — Non, juste ça, ‘note ses heures.’

    Fait chier !

    Marvin se pencha par la vitre et regarda le siège passager vide.

    — Où est ton comparse ?

    — Il n’est pas déjà là ?

    — Non.

    — Il n’est pas encore arrivé ?

    — Non. C’est ce que je viens de dire.

    Cameron eut l’air dérouté. Il avait supposé qu’en raison de son retard,

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