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Es-tu prêt à mourir pour moi ?
Es-tu prêt à mourir pour moi ?
Es-tu prêt à mourir pour moi ?
Livre électronique343 pages5 heures

Es-tu prêt à mourir pour moi ?

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À propos de ce livre électronique

Les femmes d’une beauté exceptionnelle ont le monde à leurs pieds et aucun diamant, aucune voiture de sport et aucun château n’est à leur hauteur. Cette beauté leur confère un pouvoir, dont elles sont parfaitement conscientes. Des hommes puissants sont prêts à se ruiner pour elles, d’autres à mettre à feu et à sang villes, pays et continents. À Québec s’est formé un groupe de ces femmes d’exception que l’on appelle les Amazones. Elles sont éduquées, aisées et extrêmement brillantes. Ce qui les intéresse se limite à leurs émotions, à leurs sensations et à leurs possessions. Elles sont allées partout, ont voyagé dans des jets privés, ont fait l’amour dans les endroits les plus extravagants et on a répondu à leurs moindres caprices. Elles ont vingt-deux, vingt-trois ans et elles sont profondément blasées. Dévorées par une ambition sans bornes, elles sont prêtes à tout pour parvenir à leurs fins. Adolphine, la chef du clan, a eu une idée qui va susciter de nouvelles poussées d’adrénaline complètement démesurées. «?Si les hommes se disent prêts à tout pour nous, sont-ils prêts à payer de leur vie?? lance-t-elle un jour à ses amies enthousiastes. Asseyez-vous bien confortablement, les filles, mon projet est M-A-L-A-D-E?!?»
LangueFrançais
Date de sortie7 mai 2014
ISBN9782894856284
Es-tu prêt à mourir pour moi ?

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    Aperçu du livre

    Es-tu prêt à mourir pour moi ? - Parrot Frédéric

    5, rue Sainte-Ursule

    Québec (Québec)

    G1R 4C7

    Téléphone : 418 692-0377

    Télécopieur : 418 692-0605

    www.michelbrule.com

    Distribution : Prologue

    1650, boul. Lionel-Bertrand

    Boisbriand (Québec)

    J7H 1N7

    Téléphone : 450 434-0306 / 1 800 363-2864

    Télécopieur : 450 434-2627 / 1 800 361-8088

    Impression : Imprimerie Lebonfon inc.

    Mise en pages : Paul Brunet

    Révision : Nicolas Therrien

    Correction : Érika Fixot

    Photographie de la couverture : Jean-François Gravel

    Les éditions Michel Brûlé bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.

    © Frédéric Parrot, Les éditions Michel Brûlé, 2014

    Tous droits réservés pour tous pays

    Dépôt légal — 2014

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    ISBN : 978-2-89485-627-7

    978-2-89485-628-4 (ePUB)

    Pour Stéphanie

    mon amour

    à nos rêves

    longue vie à nos délires

    qui te font rire aux larmes

    «  Les hardis, pour acquérir le bien qu’ils

    emandent, ne craignent point le danger ;

    les avisés ne refusent point la peine :

    les lâches et engourdis ne savent ni endurer

    le mal, ni recouvrer le bien… »

    Étienne de La Boétie

    Discours de la servitude volontaire

    Prologue

    Une peur acide lui enserra les entrailles dès qu’il entrebâilla la porte de sa chambre d’hôtel. Un goût écœurant d’hémoglobine caillée reflua de son estomac vers sa langue. La lumière trop blanche des lampes du corridor s’engouffra sans pudeur dans ses pupilles dilatées par la pénombre ambiante.

    D’un pas, d’un seul, l’air de rien, il quitterait bientôt le confort et la sécurité de sa luxueuse sphère privée. Dehors, il trouverait la menace constante et la vulgarité criarde de l’informe infini des espaces publics. Il trouverait des femmes laides, des hommes habillés sans manières, des voitures sales aux lignes anonymes et le rappel incessant d’une pauvreté qu’il ne connaissait plus depuis dix ans. Tout cela irriterait son bon goût de dandy. Mais pourquoi avait-il peur ?

    L’homme se posa la question — Pourquoi craindre ? — et il se ressaisit. Il s’était bien comporté avec sa nouvelle conquête. Il venait d’assurer au lit. Il était beau — du moins son expérience lui avait-elle prouvé que ses traits n’étaient pas désagréables et que son sourire maîtrisé possédait un pouvoir enjôleur —, il avait de l’agent liquide en quantité et des cartes de crédit or. Il avait de bonnes relations dans le monde bancaire et suffisamment de classe pour savoir exactement à quel moment se retirer pour qu’il n’y ait pas de malaise dégoulinant après l’orgasme. Alors, que pouvait-elle vouloir de plus ? Il avait assuré, voilà tout. Ça résumait leur soirée jusque-là et le plaçait en sécurité. En sécurité. C’est ce qu’il se répéta trois fois, intérieurement, pour s’en convaincre. Et, maintenant la porte de la chambre mi-close du bout de son soulier de cuir parfaitement lisse et lustré, il se retourna vers sa conquête aux allures de vamp. Elle s’appelait Tina.

    Tina était assise sur le lit défait dans une pose de nonchalance trop séduisante pour ne pas être hypocritement étudiée. Ses cuisses presque entièrement découvertes s’exposaient de profil, sa poitrine de trois quarts, et son visage tout entier faisait face à la porte comme dans l’espérance d’y trouver une caméra

    hollywoodienne. Son dos, élégamment voûté, lui permettait de pointer l’épaule gauche vers le haut, où les rayons blafards que projetait une lampe de chevet tombée à la renverse éclataient comme du cristal contre le marbre. Ces éléments réunis — la pose, l’épaule, l’éclat de la lumière — conféraient au tableau banal d’une poulette posée sur les draps tièdes de ses ébats une tension intrigante, presque violente. L’homme se dit que Tina était belle et il voulut la prendre encore.

    Elle avait le même âge que lui, presque trente ans, mais en paraissait dix de moins. Le front haut, l’œil narquois sans ridules et des cheveux de jais teints pour une couleur vibrante aux reflets ton sur ton, douceur de cachemire avec pH stabilisé. Sa chevelure, ses cils, sa peau, ses dents, toute sa tête était imbibée d’émulsions, de mousses, d’huiles, de crèmes et de pigments qui valaient à eux seuls la moitié du prix de la nuitée dans cette chambre de l’hôtel le plus renommé de la ville. Trois siècles plus tôt, des alchimistes se seraient damnés et battus pour décapiter cette sorcière et distiller secrètement les essences de jouvence qui appesantissaient ses chairs, alors qu’aujourd’hui, les laboratoires les mieux financés du monde se contentaient de la séduire à coups de commerciaux. Leur but : la convaincre d’en faire toujours plus pour elle-même. Oui, pour elle-même. Traitement anti-âge pour elle-même. Raffermissement des fesses pour elle-même. Épilation définitive des aines pour elle-même. Parce que les autres… Les autres ? Quels autres ? Ils pouvaient aller se faire voir, les autres. Ou bien aller la voir elle. Elle-même. Tellement intéressante et importante. C’est ce que lui apprenait patiemment le monde du marketing. C’est ce qu’elle se plaisait à croire. C’était sa philosophie, son nouveau féminisme, son libre égocentrisme. « Parce que je le vaux bien. »

    D’un hochement de tête, l’homme invita sa conquête à se lever pour le rejoindre. Avec des gestes nobles et lents, la femme enfila un manteau et une paire d’escarpins et se déplaça jusqu’à lui, sur le pas de la porte. Son amant lui offrit un bras galant, qu’elle prit sans véritablement s’y appuyer, et ils s’échappèrent de l’air échauffé de la chambre. D’un pas rendu chancelant par le champagne, ils pénétrèrent dans la sauvagerie vaste et froide de ce que le commun appelait la réalité.

    C’était toutefois une «  réalité » luxueuse et faste qui était la leur, bien plus richement décorée que celle que ne connaîtrait jamais la classe moyenne. Eux planaient au-dessus d’elle et ne lui jetaient que des regards de déplaisir. Eux. Qui incarnaient le succès. Eux. Qui étaient le succès.

    Sous leurs semelles de designer — lui s’enorgueillissait de porter les mêmes chaussures que Ryan Gosling sur le dernier tapis rouge de la cérémonie des Oscars, alors qu’elle chaussait une paire de Christian Louboutin fraîchement ressemelée —, une épaisse moquette bourgogne, ornée de filins d’or, étouffait leurs pas de la même façon que de lourds oreillers avaient étouffé leurs râles d’excitation quelques minutes plus tôt. À gauche, à droite, défilaient des murs pâles couverts de frises baroques au premier tiers et des portes de bois sombre aux poignées astiquées comme des miroirs de conte de fées. À chaque vingt pas, il demandait «  Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle » parce qu’il ne voulait pas se tromper, il voulait être sûr de choisir le plus séduisant des trophées. C’était son orgueil de célibataire déjà usé.

    Une moulure ouvrée courait à hauteur de la main, puis au-dessus d’elle, une tapisserie aux motifs floraux veloutés, puis le plafond se perdait dans un éclat de blancheur aussi féérique qu’une voûte céleste neigeuse. Ce corridor était un havre enveloppant qui suait le réconfort à grosses gouttes — à grosses perles précieuses, pourrait-on dire. Pourtant, l’homme ne parvenait pas à chasser une pointe de nervosité qui lui tenaillait toujours les viscères — ces organes horribles qu’il tentait de faire oublier sous des couches de vêtements savamment coupés. Pourquoi craindre ? se demanda-t-il encore. À cause de la sauvagerie du monde public. À cause de la Parfaite chasse à l’homme parfait.

    Une porte s’ouvrit derrière eux et l’homme ne put s’empêcher de tourner la tête. Trois personnes sortirent d’une chambre semblable à la leur, des vieillards, un homme et deux femmes, tous fanés et sans intérêt. Trois. Seul ce détail comptait pour lui. Car dans la sphère publique, il fallait qu’elle ait au moins cinq témoins pour avoir le droit de le tuer. Cinq. C’était la règle du jeu, la règle de cette Parfaite chasse à l’homme parfait. Il refit mentalement le compte : un homme et deux femmes. Trois. Que trois. Il était en sécurité.

    Au bout du corridor, devant une grande fenêtre qui descendait jusqu’au plancher, ils s’admirèrent en attendant que les portes de l’ascenseur coulissent. Leurs réflexions, suspendues à soixante mètres au-dessus du sol de la Haute-Ville de Québec, dominaient les lumières qui scintillaient dans la nuit pour donner un tableau surréaliste et kitsch : une princesse et un prince sortis tout droit d’un conte des Mille et une nuits dominant leurs sujets. Ils semblaient condamnés à ne connaître d’eux que le faible rayonnement qui s’échappait de leurs chaumières, ces cabanes qui s’empilaient des abords de l’église Saint-Roch jusqu’à Limoilou, puis s’éparpillaient vers le nord jusqu’à n’être plus que des grains de vie dispersés en plein bois, des éclats perdus dont ces deux amants n’avaient absolument rien à foutre. Leurs rêves s’arrêtaient à ce qu’ils pouvaient toucher du bout du doigt. Il toucha le verre froid de la paume de sa main.

    — Tu es super belle, tu sais.

    Tina le savait. Une ligne d’horizon à peine visible se dessinait encore au sommet des Laurentides, mais eux ne la voyaient pas. Ils ne voyaient qu’eux-mêmes. Leurs réflexions suspendues. Les chevelures bien en place, l’habit, le décolleté menu et ferme, le mollet allongé par un talon de six pouces. Et lui se dévisageait bien davantage qu’elle. «  Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle. » En se répétant cette formule in petto, il se sentit fier d’être avec elle.

    L’ascenseur atteignit le vingtième étage et ils y pénétrèrent sans rien dire. Pourtant, il fallait briser le silence avant qu’il ne s’emplisse de malaise.

    — Quel étage, madame ? demanda l’homme en prenant un accent guindé.

    Sa question était ridicule ;le mot RESTAURANT était inscrit d’une belle écriture coulée à côté du bouton nacré qui devait les mener à leur destination. Confus, l’homme tenta de se reprendre avec plus d’esprit :

    — Votre parfum, qui emplit subtilement cet espace clos, vous sied de la manière la plus exquise…

    Elle lui sourit. Flattée ? Amusée ? Méprisante ? Il ne sut le dire. Ce parfum, c’était un cadeau qu’il lui avait offert à leur entrée dans la chambre, juste avant leur première baise. Était-ce avisé de la complimenter sur cet artifice ? Il fallait plus, il le savait. Au jeu de l’amour et de la mort, les faux pas ne pardonnaient pas.

    — Et ce pendentif…

    Il se mordit la lèvre inférieure en suivant ledit pendentif du doigt jusqu’entre les seins de sa conquête. Il jouait le tout pour le tout. L’audace. Et Tina gloussa. Bien haut. Sans même se soucier de ce que lui pourrait penser, car elle le pouvait. Elle pouvait tout. Tout se permettre. Parce qu’après tout, c’était elle qui avait droit de vie ou de mort sur lui.

    L’ascenseur s’arrêta au douzième. Cinq personnes pénétrèrent. Cinq. Le chiffre magique. Le chiffre mortel. Des adolescents en maillot de bain et en gougounes qui se rendaient à la piscine et qui parlaient trop fort. Que ce serait humiliant de mourir devant ces boutonneux sans élégance… Mais non, il ne mourrait pas. Pas encore. Parce qu’il avait assuré. Parce que ses vêtements et chacun des accessoires qu’il portait — boxers, bas, chaussures, lacets, pantalons, ceinture, camisole, chemise, veston, mouchoir de poche, lunettes, portefeuille, étui à cigarettes, briquet, montre, étui à téléphone portable, eau de toilette — étaient griffés. Parce que même la peau de son dos était griffée maintenant : c’était elle qui l’avait écorchée de ses longs ongles de résine lors de leurs ébats sous la douche. Cette seule pensée lui redonna confiance et virilité. Il savait qu’il jouait gros, mais il savait aussi qu’il avait le pouvoir de gagner.

    À leur arrivée au restaurant, on les envoya au bar : ils étaient pile à l’heure, mais la table qu’il avait réservée n’était pas prête. Probablement qu’un vieux couple s’était attardé lors du premier service de la soirée ou que le commis débarrasseur responsable de leur section avait négligé son travail… Un simple impondérable qui leur donnerait l’occasion d’avaler un cocktail de plus avant le repas. Il la précéda dans la cohue qui les séparait du bar pour lui ouvrir un chemin en jouant du coude. Quel parfait gentleman ! Et ce faisant, il tenta d’évaluer ses chances d’emporter le magot. Il y avait un peu plus de six millions de dollars en jeu. Et cinq filles quasi intouchables, pour une possibilité d’un peu plus d’un million par fille survivante à la fin du défi tout dépendant du tableau de chasse. Et qu’est-ce que ça lui prenait pour gagner ? Survivre. Il pensa : Vingt-cinq gars, cinq filles, probablement cinq survivants en fin de parcours, peut-être plus. Statistiquement… Mais non, statistiquement, ça ne veut rien dire. Il y a ma gueule et celle des autres gars et la démarche et la dégaine et les alliances secrètes… Et il y a le caractère imprévisible des femmes, encore plus erratique que celui de la bourse. Eh, merde« ! On verra bien ! Et il leva son verre.

    — À quoi buvons-nous ? demanda Tina.

    Il voulut dire «  À ma victoire ! », mais se ravisa :

    — Nous buvons à la merveille du moment présent.

    Qu’en pensait-elle ? Que c’était une réponse merdique. Une fadaise anodine. Par contre, elle le trouvait séduisant. Et sûr de lui. Et ça comptait. Et presque autant que la qualité remarquable de son style, habile combinaison de raffinement sobre et de masculinité assumée. La chambre qu’il avait choisie était au-delà de ses attentes et la vigueur de son sexe, bien supérieure à la moyenne. Pas de problème de ce côté, donc. Et pour le reste ? Quoi, le reste ? Il était Québécois. Bof, c’était aussi confortable et sans surprise qu’un tailleur Chanel. Puis après ? Ils avaient discuté un peu. Il n’était pas très drôle, mais connaissait à fond son métier de courtier et il en parlait avec une verve étonnamment emballante. Bon point pour lui. Et sa voiture était aussi rutilante que ses chaussures, ce qui démontrait une hygiène sans faille.

    Elle jeta un coup d’œil à sa montre.

    — C’est long !

    Il leva les sourcils.

    — Attends que je parle au gérant !

    Il n’avait aucune réelle intention de le faire. Elle s’en douta.

    — Bon, tu devras m’excuser, mais je dois me rendre tu sais où. Si on vient nous chercher, tu m’attends ?

    — Bien entendu.

    Il lui reluqua les fesses tandis qu’elle s’éloignait vers les toilettes, sans remarquer qu’elle avait de la difficulté à avancer dans la foule compacte qui faisait la queue dans le resto.

    Dans les toilettes, Tina se contenta de se regarder dans le miroir. Son mascara n’avait pas coulé, tout était en ordre. C’est alors qu’elle se demanda ce qu’elle en pensait. De lui. De son sort. La vie ? La mort ? Ou un simple sursis ? Elle vota pour le sursis, tâta quand même le pistolet qu’elle avait dans son sac à main et retourna vers lui. Le sursis. C’était bien sa décision. Mais une grosse dame la bouscula juste avant qu’elle n’ait le temps de se rasseoir et au même moment son ventre émit un gargouillis incongru que le bruit ambiant parvint à peine à cacher et tout ça l’emmerda au plus haut point. Alors, elle plongea la main dans son sac, en sortit le pistolet qu’il contenait et l’appuya violemment contre la tempe de l’homme avec qui elle venait de coucher à peine une heure plus tôt. Et elle clama bien haut, faisant fi du sursis :

    — Fred Bibeau, t’es mort ! Plusieurs dizaines de témoins pourront le confirmer. Adieu !

    Dans la seconde, le barman éclata d’un rire sonore et haut perché.

    — Pauvre vieux ! dit-il en s’adressant à un Bibeau bien sonné. Tiens, la maison vous offre celui-là, ajouta-t-il en poussant vers lui un whisky canadien. À votre santé quand même, monsieur le décédé !

    Bibeau descendit d’un trait le verre de boisson tiède offert par le barman pendant que sa conquête perdue rangeait l’arme de son crime, un pistolet à eau de plastique rose. Tina tourna les talons et quitta le restaurant. Qu’aurait-elle pu dire de plus ? Elle venait de l’éliminer du jeu. Sa mort venait de lui coûter deux cent cinquante mille dollars, une somme qu’il aurait intérêt à payer rapidement s’il souhaitait que son décès reste virtuel. Il devrait vendre sa maison afin de payer sa dette. Il venait de sombrer dans une dèche intolérable qu’il préféra oublier en calant un second whisky. Puis un troisième, jusqu’à en perdre le compte.

    Pourquoi craindre ? l’homme s’était-il demandé. À cause de ça : le caractère imprévisible des femmes !

    — C’est toi, Bibeau ? demanda quinze minutes plus tard une voix mielleuse au milieu du boucan du bar.

    L’homme se retourna pour se retrouver devant une jolie nymphette. Un peu rondelette, cent fois moins belle que Tina, mais tout de même intéressante avec son air coquin. Il ne dit rien, releva les sourcils et attendit.

    — C’est bien toi ! Ha ! Je viens de te voir mourir sur Internet. C’est triste… Mais, si tu as encore ta table pour souper, je pourrais te tenir compagnie ?

    Bibeau sourit. Là où il y a des médias sociaux, il y a de l’espoir ! se dit-il en lui-même.

    — J’ai encore ma table, rétorqua-t-il, et ma chambre aussi…

    Il se voyait déjà raconter son histoire aux collègues le lendemain : «  J’ai baisé deux filles dans les mêmes draps ! » Ça ne valait peut-être pas un quart de million, mais c’était quand même mieux que rien.

    — Un whisky pour elle aussi ! ordonna-t-il au barman avec son plus beau sourire.

    En souhaitant secrètement qu’elle veuille bien payer la note.

    Ainsi allaient la vie et la mort dans la Parfaite chasse à l’homme parfait. La vie, la mort et l’amour, réels ou rêvés, trio infernal qui plongerait bientôt la ville, et même le monde entier, dans une névrose joyeuse au-dessus de laquelle danseraient cinq femmes sublimes.

    Chapitre 1

    Cinq filles dans l’œil d’Oko

    S’il y a une chose au monde que je peux affirmer avec certitude, c’est qu’aucune caméra n’est objective. L’angle, l’éclairage, les retouches, la composition de l’image, la légende qu’on y ajoute sont autant d’éléments qui ne visent qu’à embrouiller le spectateur, qui ne cherchent qu’à lui faire vivre une émotion. Vive. Mensongère. Forte. Et de nos jours, plus l’émotion est forte, mieux c’est. C’est la nouvelle philosophie de l’Occident. Toujours plus, c’est toujours mieux. Capitalisme oblige, diront certains. Ou hédonisme oblige. Mais tout ça n’est ni économique ni philosophique, en fait ;c’est plutôt biologique. L’humain est profondément malade : son cerveau s’habitue à tout. Nous souffrons tous d’accoutumance. Donnez-vous de la douleur, votre cerveau finira par se désensibiliser. Donnez-vous du plaisir, il se désensibilisera aussi. Et pour jouir, il en voudra simplement plus. Plus de douleur ou de plaisir, qu’importe, mais plus de sensations, voilà ce qui compte. Et l’image est puissante pour stimuler des sensations. Cela, je l’ai si bien compris que j’en ai fait mon métier. On m’appelle Oko et je suis photographe.

    Je fais surtout des portraits ;c’est ce qui est le plus payant. Maintenant que tout le monde a son compte Facebook et que tous les célibataires du Québec s’affichent sur des sites de rencontre en ligne, c’est la manne pour moi. Chacun veut son cliché qui le rendra aussi beau que les monstres sacrés de Hollywood, alors j’en profite pour faire monter les enchères. Et ça fonctionne.

    Quand les gens entrent chez moi pour se faire photographier, ils ont toujours peur. Un peu de moi d’abord. Parce que je suis différent. Je suis défiguré. Oh, mes clients ne le voient pas, parce que je porte toujours une cagoule de coton qui me recouvre entièrement la tête, sur laquelle je passe une larva blanche (la larva est ce masque traditionnel vénitien qui est dépourvu de bouche et qui se termine en pointe sur le bas du visage). Mais bien qu’ils n’observent jamais ma difformité, mon aspect carnavalesque suffit généralement à troubler ceux qui me voient pour la première fois. D’où une partie de leur peur. La part visible de leur iceberg de terreur. Car c’est sous cette part consciente que se cache leur véritable peur, la peur de soi. La plupart de mes clients ne se connaissent pas eux-mêmes, en piètres philosophes socratiques qu’ils sont ;ils ne savent pas ce qu’ils veulent que je fasse ressortir de leur âme sur les clichés qu’ils me demandent et c’est précisément de là que provient leur malaise panique : ils craignent que les mégapixels de ma caméra révèlent quelque vice inavouable de leur nature secrète. Alors, ils tremblent toujours quand mon premier flash vient heurter leur rétine. Mais je connais mon boulot. Je sais détourner leur attention. Le masque a aussi ce rôle : faire diversion. Et ils finissent par s’oublier d’abord, hypnotisés qu’ils sont par ma dégaine fantomatique, puis de ma voix faible et légère comme un souffle de fillette, je leur permets de m’oublier enfin, pour qu’il ne reste dans leur corps qu’une torpeur molle qui les fait danser au gré de l’objectif voyeur. Et c’est à cet instant magique que je croque des portraits sublimes.

    Je peux dire qu’il y a toutes sortes de gens qui défilent dans mon studio. Des hommes et des femmes ordinaires d’abord, pères et mères de famille, banlieusards sincèrement modestes qui se satisfont sans débordement d’un joli portrait en plan poitrine de deux tiers avec un clair-obscur classique. Puis il y a les idéalistes ensuite, perfectionnistes et utopistes. Qui veulent de la fantaisie, qui se tordent et qui aboient durant d’interminables séances de pose, qui se maquillent et huilent leurs muscles et qui se dénudent et se mutilent. Ils veulent tellement s’aimer pour qu’on les aime qu’ils sont prêts à tout une fois sous le charme de l’objectif, cherchant à tâtons dans leur folie volontaire un trait de génie qui ne vient pas. Vous seriez surpris du nombre de fois où j’ai dû essuyer du sang, de la bave, de la pisse et de la merde sur mon plancher après des séances de photo qui avaient débuté plutôt timidement. Puis il y a les autres enfin, les esthètes, extrémistes des sensations et de la beauté, de la séduction et du charme. Gars ou filles, ce sont les célibataires du jeune millénaire. Trentenaires, dépensiers, informés et sévères, ils connaissent parfaitement leur corps, les angles qui leurs sont favorables et comment susciter la pitié ou la soumission par une simple moue larmoyante ou une grimace affectée. Ils sont mes clients les plus désagréables, mais aussi les plus payants. J’adore les mépriser.

    J’adore surtout mépriser les filles. Ce sont les pires emmerdeuses du monde, mais ce qu’elles peuvent faire comme photos  ! Des petits bijoux miraculeux qui me forcent à les aimer secrètement. Profondément. «  Mais sont-elles vraiment belles ? » me demande-t-on parfois. «  Dans la vraie vie, je veux dire. » Quelle importance ? Elles savent tricher et le reste, vérité incluse, devient quantité négligeable. Table rase par la tricherie. Non, pas la tricherie. Plutôt : le jeu. Camoufler le pire. Enfler le meilleur. Mais elles ne considèrent pas que c’est jouer, parce qu’elles ne font plus de distinction entre leurs fantasmes de vie de château et la vraie vie, je veux dire. Ce n’est pas jouer, c’est… devenir. Implants, rallonges capillaires, lissage brésilien, exfoliation, Botox, sudation, manucure, pédicure, drainage lymphatique… Elles deviennent. Elles se font. Elles sont.

    C’est à cette catégorie de femmes qu’appartiennent les cinq instigatrices de la Parfaite chasse à l’homme parfait. Cinq, comme les branches séduisantes d’un pentagramme maléfique. Adolphine, Pat, Kara, Jenny et Tina.

    Je me plais à les appeler les Amazones, même si une personne sur deux pense que je fais référence à un site de vente en ligne plutôt qu’à des guerrières mythologiques quand je les nomme ainsi. Les Amazones. Elles sont brillantes, parfois émotives, mais le plus souvent calculatrices. Et froides. Elles ont pris en quelques mois le contrôle d’un forum féminin dont le nom de domaine était ilafaitpourvous.com, sur lequel des femmes extatiques racontaient avec trop de détails mielleux comment leur amoureux les avait séduites, comment il avait fait sa grande demande. Elles en firent seraistupretpourmoi.com, un site de rencontre extrême d’inspiration chevaleresque sur lequel les femmes imposent des défis aux gars qui ont le culot de les courtiser.

    Ces cinq filles, les Amazones, elles gèrent tout de cette affaire toutes seules, sauf les photographies. Pour ça, je me suis proposé. Elles m’ont engagé. Oko l’étrange. Oko la bête. J’ai la prétention de dire que c’est parce qu’elles ont besoin de la chaleur d’un œil de mâle pour se stimuler dans leur entreprise.

    Pour elles, le monde se divise en deux parts : celle des nuls et celle des ambitieux. Il y a du Raskolnikov (le personnage de Dostoïevski) dans leur attitude. Évidemment, avec mon

    handicap, je fais partie de la première catégorie. Je suis l’eunuque de leur sérail. C’est sans doute pour ça qu’elles me laissent les photographier sous toutes leurs coutures. Et ce sont mes images qui nourrissent leur site Web de même que les fantasmes des hommes qui les observent, seuls devant leur écran. Et qui tentent de les conquérir.

    L’idée de la Parfaite chasse est venue d’Adolphine. C’est elle la chef des Amazones. Elle a le nez étroit et aquilin du pouvoir et une silhouette athlétique d’heptathlonnienne olympique. Elle est devenue la chef de la horde, car elle est celle des cinq qui a le plus d’ambition. L’ambition est son paradoxe : elle la fait vivre et la tenaille. À dix-neuf ans, Adolphine avait déjà presque tout vécu : elle avait des rudiments de droit et de philosophie, avait fréquenté brièvement la Sorbonne à Paris et Yale à New Haven, avait un loft dans le Upper West Side à Manhattan, connaissait toutes les boutiques de la Fifth Avenue, possédait un gros diamant de chez Tiffany & Co. et un soupirant dans chacune des capitales européennes. Elle avait vu l’Alaska, la Terre de Feu et le mont Fuji. Les richardes de Gossip Girl, elle les regardait de haut. C’est à cet âge, donc, qu’elle comprit qu’elle serait toujours plus ambitieuse que les garçons qu’elle croiserait sur sa route. Ce constat la blessa. Elle ne pouvait pas tolérer de se donner à plus faible qu’elle. Alors, elle changea sa manière d’aborder la vie : dorénavant, elle prendrait. Prendrait l’initiative ;prendrait son pied quand elle voudrait ;prendrait de l’avance après du cul pour partir avant de s’attacher. Et dire qu’il y avait des gars qui croyaient pouvoir gagner au jeu qu’elle avait créé et dont elle édictait les règles. Pauvres hères. Je crois bien que seul un parfait cinglé avec de grosses couilles et du vice avait une vraie chance auprès d’elle. Peut-être un monstre dans mon genre, qui sait ?

    Chapitre 2

    Kara

    Imaginez-la dans une salle de conférence, un tailleur pâle bien ajusté

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