Avant, j’avais peur: Roman
Par Rabiâ Fattah
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Rabiâ Fattah a toujours pris beaucoup de plaisir à raconter des histoires. Aussi, le projet d’écrire des livres est une ambition qu’elle nourrit depuis fort longtemps. Avant, j’avais peur est alors, pour elle, le début d’une belle et grande aventure littéraire.
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Aperçu du livre
Avant, j’avais peur - Rabiâ Fattah
1
L’enfant
Mars 1975, ma mère est enceinte d’Amine, le cadet. C’est aussi, au cours de cette année-là que mon père obtient un logement social. Jusque-là, nous logions dans une toute petite maison à Tamines composée d’un petit salon avec son poêle à charbon sur lequel on venait faire fondre la tête de nos poupées, ou nos jouets en plastiques, d’un vieil escalier en bois qui craque sous nos pas, de deux petites chambres avec vue sur un beau jardin et ses pommiers, de toilettes dans une petite cabane dans le fond du jardin pourvue d’une porte en bois.
Après avoir habité six ans dans une petite maison des mines, devenue trop exigüe pour notre famille, nous emménageons dans la cité des Acacias. La construction venait à peine de s’achever, nous étions les premiers occupants de cette maison toute neuve. Au rez-de-chaussée, un petit hall d’entrée, un grand salon-salle à manger, une grande cuisine. Trois chambres à l’étage, plus une petite qui se trouve au premier palier juste à côté de la salle de bain et des toilettes. La plus grande des chambres est occupée par les quatre filles, une autre pour mes parents, une troisième par mes deux frères et enfin, la chambre entre les deux étages, est occupée par notre grand frère Mehdi.
Il y a un grand espace vert. À l’avant, deux pruniers, visibles depuis la fenêtre du salon, avaient été plantés. On accédait à l’arrière de la maison par une petite barrière en bois que mon père avait lui-même fabriquée. La partie arrière du terrain était divisée en deux. D’un côté, un grand espace pelouse, où était planté d’autres arbres fruitiers, et de l’autre, une moitié pelouse et une moitié jardin. On y cultivait des oignons, de la menthe, de la coriandre et des fraises, qui n’avaient jamais le temps de mûrir. Nous les mangions encore vertes. Installée sur le petit espace pelouse, une balançoire, dont les pieds étaient juste posés sur l’herbe. Nous nous balancions si fort qu’elle finissait par se soulever en entraînant avec elle ceux qui s’y trouvaient. Après quelques incidents de ce genre, mon père estima qu’il était peut-être temps de bétonner les pieds de la balançoire au sol. Dans le prolongement de l’allée qui mène à la porte d’entrée, mon père avait planté des rosiers jaunes, roses et rouges. L’allée de garage en pente descendante nous servait de glissoire en hiver. Nous déversions de l’eau sur la neige pour former une couche de glace et utilisions le couvercle d’une grande poubelle ronde comme luge. Le fracas de nos corps, stoppés par la porte métallique du garage finissait par alerter nos parents d’une énième bêtise.
La cuve à mazout, accessible par le garage, se trouvait dans la petite cave qui servait également de garde-manger, on y conservait les vingt-cinq kilos de pommes de terre, ainsi que quelques denrées qui ne rentraient pas dans les petites armoires de la cuisine. Le grenier, lui, hébergeait tous nos vieux cahiers d’école, les vieilles valises et nos vêtements devenus trop petits. Les maisons de la cité des Acacias étaient toutes ainsi construites. Des maisons confortables, avec le chauffage central en prime. Ce qui nous changeait beaucoup de la précédente petite maison des mines, où seul un petit poêle au charbon trônait au milieu du petit salon. Ici, c’est un radiateur, dans chacune des pièces. Sur les murs du salon, mes parents avaient opté pour une peinture à l’huile d’un bleu électrique. Certainement la nostalgie du pays. Dans leur petit douar du bled, les habitations traditionnelles sont anciennes, construites en pierre ou en terre cuite.
Mes parents étaient très pragmatiques, les choses achetées et ramenées à la maison devaient impérativement avoir une utilité pratique, simple et immédiate. Pas de place pour le superfétatoire. Les vêtements devaient être de qualité, à la bonne taille et bien chaud. Leurs motifs ou leurs couleurs importaient peu. Les chaises, servaient à s’assoir, et tant pis si l’une était en bois, l’autre en formica ou d’autres encore en métal. Mon père ne se laissait jamais influencer par la publicité, ou les démarcheurs à domicile, qui vous vendent un tas de trucs complètement inutiles. Excellent comptable, connaissant la valeur de chaque centime durement gagné, il ne dépensait jamais inutilement. Le plus important pour lui était qu’on ait un toit au-dessus de nos têtes, de ne manquer ni de nourriture, ni de vêtements, ni de chauffage en hiver. Nous avons eu beaucoup de chance, mes frères et sœurs et moi, de faire partie de la génération d’enfants qui jouaient toujours dehors. Nos parents s’arrangeaient quand même de temps en temps pour nous offrir des jouets neufs ou d’en récupérer de vieux chez des amis. La rue et le cadre presque bucolique de cette petite cité nous offraient tout le loisir de nous distraire, tout en inventant nos propres jeux. Nous ne manquions de rien, au contraire, nous avions tout.
Dans la maison mitoyenne, une famille italienne était déjà installée depuis quelques semaines. Giulia, Tonio, et leurs six enfants. De suite, nos deux familles se sont très bien entendues. Quelques jours à peine après notre installation, maman devait accoucher d’Amine. Tonio s’est gentiment proposé pour accompagner mes parents à l’hôpital. Nous n’avions pas de voiture et la température extérieure était particulièrement glaciale cette année-là. Il était tombé huit centimètres de neige à la veille du printemps. À cette époque-là, nous étions la seule famille marocaine de la cité. Quelques années plus tard, mon oncle paternel et deux autres familles marocaines sont venus nous rejoindre.
C’est une cité joyeuse et pleine de vie, remplie d’enfants qui jouent dans la rue ou sur les terrains vagues aux alentours. Dans une rue assez large, notre maison était située, dans un tournant. L’endroit ressemble un peu à la rue chic de Wistéria Lane. Le quartier imaginaire où se déroule la série américaine Desperate Housewives, mais en version plus modeste. On est entouré par des champs de maïs, de blé et de quelques pâturages où des vaches viennent brouter par-ci par-là. Les vibrations des tondeuses à gazon annonçaient le retour des beaux jours. Cette petite cité tranquille, à l’abri du vacarme des grandes villes, a été le témoin, de nos plus grandes peines et le berceau de nos plus beaux souvenirs d’enfance.
Maman
Je ne ratais jamais le rituel du petit déjeuner, de la préparation du café. Maman faisait bouillir de l’eau dans une casserole après avoir moulu quelques grains de café torréfiés, elle sortait de l’armoire une cafetière ancienne en aluminium. Son côté rustique rajoutait une touche de charme au cérémonial. Composée de trois éléments. D’un récipient et son anse en bois, d’une partie supérieure, sorte de filtre-passoire avec des tout petits trous, et d’un couvercle. Elle déposait, dans le filtre de cette cafetière, le café fraîchement moulu avant d’y faire passer l’eau chaude. La fumée odorante, qui se libérait de la mousse dense, emplissait la cuisine et finissait par réveiller les derniers endormis. D’un rythme régulier, maman tapotait sur le filtre de son index, pour accélérer le passage du café. Il était servi dans des verres transparents, comme on le fait au Maroc, mélangé à du lait chaud, agrémenté de sucre. Pour elle, maman rajoutait un morceau de bâton de cannelle dans son verre. Mon regard ne quittait pas d’une seconde la rythmique harmonieuse de son index expert. Simplement le goût du bonheur, le plaisir de boire un café parfumé préparé avec délicatesse par maman.
Amine est né un mois après notre installation dans la nouvelle maison. Je me souviens qu’un jour, alors qu’il était endormi dans l’une des chambres à l’étage, il s’était mis à pleurer. J’avais trois ans. Ces cris me transperçaient le cœur. Je pensais que personne à part moi ne l’avait entendu s’époumoner. J’ouvris la porte de sa chambre et m’approchai de son berceau. Je le pris dans mes bras avec l’intention de le ramener à ma maman, qui se trouvait en bas, dans le salon. Je descendis la première série des neuf marches d’escalier et arrivai au palier. Je m’apprêtais à descendre les huit dernières marches, lorsque ma grande