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Les pages perdues de Kells
Les pages perdues de Kells
Les pages perdues de Kells
Livre électronique345 pages4 heures

Les pages perdues de Kells

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À propos de ce livre électronique

Cinq éminents experts en langues anciennes et en sciences religieuses sont enlevés. Parallèlement, la cloche d’Armagh, artefact ayant autrefois appartenu à Saint Patrick, est dérobée au musée national de Dublin. Oswald Taylor, un excentrique aux manières peu conventionnelles et héritier d’une fortune familiale douteuse, croit que les deux événements sont liés. Il décide de mener sa propre investigation et parvient à convaincre le Professeur Pierre Lemire, criminologue et collègue de l’un des savants disparus, de le suivre jusqu’au Royaume-Uni afn de l’assister. Entraînés dans un tourbillon d’énigmes et de complots, les deux associés découvrent l’objectif des ravisseurs : retrouver la couverture et les pages perdues du manuscrit le plus précieux du monde occidental, le Livre de Kells.
LangueFrançais
Date de sortie25 mai 2016
ISBN9782897671181
Les pages perdues de Kells
Auteur

Simon Rousseau

Né en 1993 à Trois-Rivières, résidant aujourd’hui à Québec, Simon Rousseau a écrit et publié son premier livre de façon indépendante alors qu’il n’était âgé que de 18 ans. En 2013, il part vivre au Royaume-Uni pendant près d’un an, et c’est là-bas qu’il écrit Les pages perdues de Kells. Ce dernier, ainsi que sa suite Les sacrifiés inconnus, sont publiés aux Éditions ADA en 2016. Depuis, il enchaîne les publications ; création des Contes Interdits et de Peter Pan en 2017, La bête originelle en 2018, puis son deuxième Conte Interdit, La reine des neiges, finaliste au prix Aurora-Boréal 2019 du meilleur roman. Il est aussi l’un des instigateurs du collectif Héros Fusion, visant cette fois un public beaucoup plus jeune. Il publie en 2020 ses deux premiers romans jeunesse, Héros-Fusion: Shaman-Man et Dead: Le plus nul des chevaliers.

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    Aperçu du livre

    Les pages perdues de Kells - Simon Rousseau

    Remerciements

    La rédaction de ce roman aurait été impossible sans l’aide de nombreuses personnes.

    Tout d’abord, merci à mes parents et à ma sœur. Votre soutien et vos encouragements me sont indispensables. Vous le savez déjà.

    Merci à tout le reste de ma famille, qui, malgré les maintes épreuves traversées, demeure soudée plus que jamais.

    Merci à toute la famille Pailing, chez qui j’ai habité en Angleterre pendant neuf mois. Sans ce merveilleux voyage, ce livre aurait perdu énormément de saveur.

    Merci aux Éditions AdA, qui m’ont offert une opportunité incroyable.

    Finalement, merci à vous, chers lecteurs. Ce roman, ce joujou que je chéris depuis plus de deux ans, ne serait rien sans vous.

    SR

    Facebook : www.facebook.com/SimonRousseauR2

    Twitter : @SimonRousseau

    Blog : simonrousseaublog.wordpress.com

    Liste de musique

    La proposition d’une liste de chansons pour la lecture d’un roman ou d’une bande dessinée devient de plus en plus à la mode. J’aime bien l’idée.

    Voici donc une liste de morceaux qui pourraient aider votre imaginaire à plonger dans le récit. Notez bien que je me suis laissé inspirer par la plupart de ces chansons lors de mon écriture !

    1. Braveheart — James Horner

    2. Take Me to Church — Hozier

    3. Give Me One Reason — Tracy Chapman

    4. The Rains of Castamere — Sigur Rós

    5. Play Dead — Björk

    6. Pretty Little Things — Jessica Greenfield

    7. Waves — Mr. Probz

    8. Stand Up — Bears of Legend

    9. I See Fire — Ed Sheeran

    10. Here with Me — Dido

    11. Nomade sédentaire — Kevin Parent

    12. Savin’ Me — Nickelback

    13. My Immortal — Evanescence

    Ce qui est terrible, ce n’est pas de souffrir ni de mourir, mais de mourir en vain.

    — Jean-Paul Sartre

    Parler sans penser, c’est tirer sans viser.

    — Miguel de Cervantes

    À ma grand-maman,

    dont l’amour, la générosité et la force demeureront à jamais gravés dans mon cœur.

    Je t’aime.

    PROLOGUE

    CAPTIFS

    L e réveil fut abrupt pour Harrison Taylor. Lorsqu’il s’échappa des couloirs des songes pour finalement ouvrir les yeux, il comprit avec étonnement que quelqu’un l’avait volontairement ramené à la réalité en lui secouant brusquement les épaules. Au-dessus de lui se tenait un individu dont il put reconnaître le visage malgré l’éclairage tamisé de la pièce. Il s’agissait en fait de Marcus Wallace, professeur d’histoire à l’Université d’Édimbourg, avec qui il entretenait une relation amicale depuis maintenant de longues années. Le petit homme obèse au faciès généralement chaleureux et accueillant semblait terriblement troublé. Ses orbites étaient arrondies et de généreuses gouttes de sueur dévalaient sur ses joues bouffies.

    — Réveille-toi, Harrison, bon sang ! s’écria-t-il. J’essaie de te réveiller depuis près de cinq minutes ! Je crois que nous sommes véritablement dans le pétrin, mon ami…

    Harrison, toujours un peu secoué, ne s’était pas tout de suite rendu compte qu’ils ne se trouvaient nullement dans son charmant appartement d’Oxford ou dans la grandiose demeure du professeur Wallace. Les deux hommes avaient été emmenés à l’intérieur d’une vaste salle équipée de nombreux ordinateurs apparemment fonctionnels et de bibliothèques aux étagères remplies de manuscrits. Quantité de poussière s’était accumulée sur le plancher de bois glacé, comme s’il s’était écoulé plusieurs mois depuis que quiconque y avait mis les pieds.

    Puis, en tournant la tête, il remarqua que Marcus et lui n’étaient pas seuls. Trois autres professeurs d’université, tous experts dans leur domaine et familiers à ses yeux, semblaient avoir été mystérieusement emmenés dans cet environnement impersonnel. Il ne put s’empêcher de demander à son ami écossais :

    — Que faisons-nous tous ici ? Aurais-je trop bu hier soir ?

    — Je me suis posé la même question, mais je peux t’assurer que je n’ai pas bu de whisky dans les 24 dernières heures. Pendant que tu étais dans les pommes, j’ai discuté avec les autres, et nous n’avons trouvé qu’une seule explication à tout ceci.

    — Laquelle ?

    — Nous avons tous été enlevés, mon cher. Enlevés depuis nos domiciles, puis enfermés dans cette pièce sans issue, et ce, complètement à notre insu. L’unique sortie, que tu peux voir juste là, indiqua-t-il en pointant de son doigt boudiné une robuste porte en fer sur leur droite, est fermée à clé depuis l’extérieur.

    — Dans ce cas, Marcus, tu as raison, nous sommes dans le pétrin. Avez-vous au moins une idée de l’identité de nos ravisseurs ?

    — Absolument pas. Depuis que nous sommes là, personne n’est venu à nous.

    Harrison se redressa et sentit par la même occasion toutes les courbatures qui l’avaient gagné. Vieillir ne lui plaisait assurément pas. Les trois autres prisonniers, qui n’étaient nuls autres que Richard Russell, Rebecca Anderson et Dominic Brooks, le saluèrent sans conviction, évidemment trop préoccupés par leur alarmante situation pour être véritablement heureux de revoir un vieux collègue.

    — Depuis combien de temps croyez-vous que nous sommes là ?

    — Impossible de le savoir exactement, lui expliqua Rebecca, une jolie blonde dans la fin trentaine d’une intelligence remarquable et professeure d’archéologie à Oxford. Dominic a été le premier d’entre nous à ouvrir les yeux.

    — Et ça fait environ une heure, ajouta l’homme rachitique en question. Tout ça ne sent pas bon du tout. Vu la difficulté avec laquelle nous nous sommes réveillés, il est très probable que nous ayons été drogués pendant notre sommeil… à l’intérieur de nos propres domiciles.

    Harrison préféra ne pas tout de suite songer à cette possibilité, désirant se concentrer sur des points plus pratiques considérant le futur fil des évènements :

    — Avons-nous accès aux ordinateurs ?

    — Négatif, signala le dernier captif, Richard. Nous ne pouvons les utiliser qu’à l’aide d’un mot de passe. Pas moyen de communiquer avec le monde extérieur. J’ai un mauvais pressentiment…

    Ils partagèrent alors tous un long moment de silence, recherchant chacun de leur côté une explication plausible à la situation. Soudain, des bruits de pas se firent entendre. Leur rythme lent et lourd n’envisageait rien de bon. Quel­qu’un s’approchait de plus en plus, descendant un escalier qui allait le mener jusqu’aux professeurs. Ces derniers ne purent que retenir leur souffle lorsque le loquet de la porte de fer cliqueta pour laisser entrer un imposant individu dans la pièce. Impossible de voir son véritable visage avec le terrible masque qu’il portait. En ayant tous déjà vu un de ce genre auparavant, les captifs savaient d’emblée qu’il s’agissait là d’un masque mortuaire. Un masque mortuaire tellement connu qu’ils ne comprirent pas comment cet étranger avait pu mettre la main dessus et pourquoi il l’avait choisi en particulier. Sa voix, rauque et sévère, ne suggérait aucune bonté ou sympathie.

    — Bienvenue dans votre nouveau bureau de recherches, professeurs.

    Tous ressentirent la terrible envie de lui sauter à la gorge afin de s’enfuir, mais aucun n’osa le faire en apercevant le pistolet 9mm que l’homme tenait avec sa main gauche le long de sa taille. Satisfait de son effet, celui-ci poursuivit :

    — Vous n’avez pas besoin de savoir comment vous êtes arrivés ici, gronda-t-il, ayant deviné les principales interrogations de ses victimes. Ce dont vous devez être au courant, c’est la raison de votre présence.

    Il enchaîna en sortant de sa poche de pantalon plusieurs feuilles semblant avoir été chiffonnées des centaines de fois et les lança par terre, près de ses prisonniers.

    — J’ai besoin de vous pour découvrir ce que cachent véritablement ces documents. Tout ce qui y est écrit est en latin, alors ça ne devrait pas trop vous causer de problèmes.

    Rebecca Anderson, un peu plus téméraire que les autres, s’empara des papiers en question pour les survoler. Il s’agissait là de photocopies de textes très anciens, à première vue d’ordre religieux.

    — Bien entendu, ce sont là des copies du document original. Comme vous avez pu le constater, vous avez accès à une foule de manuscrits et à des moteurs de recherche informatiques pour mener à bien votre travail.

    — De quelle époque datent les véritables écrits ? demanda Harrison, soudainement intrigué. Ça pourrait aider à la compréhension…

    — Probablement du XVIe siècle. Il y a des chances qu’ils nous mènent à d’autres textes du genre. Je me chargerai de les récupérer pour vous lorsque vous les aurez localisés.

    Dominic Brooks, n’en pouvant plus, s’avança pour opposer :

    — Pourquoi ferions-nous ça pour vous ? Quel est votre but, au juste ?

    Influencé par ces questions courageuses, Marcus Wallace compléta :

    — Et pourquoi nous, en particulier ? Comment osez-vous nous enfermer ici ?

    Harrison allait enchaîner avec encore plus de questions, mais l’homme masqué l’en dissuada en s’avançant vers Richard et en pointant son arme près de son visage. L’homme ciblé demeura immobile, complètement apeuré, regardant fixement le canon du pistolet. Il n’y avait assurément aucune lumière au bout de ce ténébreux tunnel. Le ravisseur détenait désormais l’attention de toutes ses victimes.

    — Je vais être clair. Si je n’obtiens pas des résultats satisfaisants d’ici une semaine, l’un d’entre vous ne reverra plus jamais le monde extérieur. Même chose si vous tentez quoi que ce soit pour vous enfuir. Compris ?

    Les professeurs n’eurent même pas à hocher de la tête pour répondre à l’interrogation. Leurs regards horrifiés suffisaient. L’individu au masque mortuaire abaissa son arme et, tout en se dirigeant vers la sortie, leur conseilla :

    — Vous feriez mieux d’entamer vos recherches tout de suite, non ?

    CHAPITRE 1

    LE CRIMINOLOGUE

    S i vous le voulez bien, résumons la matière que nous venons de survoler avant de partir. Est-ce que quelqu’un parmi vous serait capable de me nommer les quatre grands types de tueurs en série ? Oui, Étienne ?

    — Il y a ceux qui tuent pour la domination et le pouvoir, ceux qui tuent parce qu’ils sont psychotiques, ceux qui considèrent qu’ils ont une mission et ceux qui tuent simplement pour le plaisir.

    — C’est exact, approuvai-je sans réel engouement. Je vous rappelle qu’il existe des sous-catégories de tueurs lorsqu’on parle de ceux qui assassinent pour le plaisir. Quelles sont-elles ?

    Il y eut un délai de quelques secondes avant que quiconque ose lever la main pour répondre.

    — Oui, Catherine ?

    — Il y en a trois. Ceux qui le font pour le sexe, ceux qui le font pour l’argent et hum… ceux qui… désolé professeur, je ne…

    — Ceux qui le font pour le frisson, les sensations fortes, complétai-je en fermant mon cahier de notes. Finalement, laquelle de ces sous-catégories est la plus souvent représentée par les hommes, et laquelle, par les femmes ?

    — Le sexe pour les hommes, l’argent pour les femmes, déclara Étienne avant que les autres élèves puissent tenter leur chance.

    — Parfait. Je vous dis donc à la semaine prochaine. Si certains désirent me poser des questions en rapport à la matière d’aujourd’hui, je suis à votre disposition pour les 15 prochaines minutes. Pour les autres, passez une bonne journée.

    Bien entendu, ils partirent tous, sans exception. Même Étienne, celui que tous, y compris moi-même, méprisaient parce qu’il avait toujours réponse à tout, avait filé à toute vitesse vers la sortie. Les seules fois où un élève restait après les cours, c’était parce qu’il y avait examen la semaine suivante. Lorsque j’avais commencé à enseigner, soit l’an passé, je croyais que ce désintérêt général de leur part provenait de mon incompétence à enseigner ou de mon manque d’enthousiasme. C’était en interrogeant d’autres professeurs de l’université que je m’étais rendu compte que les étudiants agissaient de la même manière avec eux. Plutôt impliqués pendant les heures de classe, dès que celles-ci étaient écoulées, ils passaient immédiatement à autre chose. Comme s’ils n’étaient pas réellement passionnés par leur domaine d’études. Tout le contraire de ce que j’étais, 30 ans plus tôt.

    Je me rappelais encore à quel point je me passionnais pour le monde policier et la psychologie. La criminologie m’avait semblé un bon compromis. J’avais obtenu mon doctorat en à peine six ans à Montréal. La métropole était d’ailleurs le seul endroit dans la province de Québec où l’on pouvait espérer obtenir un emploi dans ce domaine autrefois considéré comme étant quelque peu… marginal.

    On m’avait embauché au centre de détention Philippe-Pinel en tant que consultant auprès des détenus qui souffraient des psychoses les plus troublantes. J’avais pratiqué ce métier 23 ans durant.

    Puis, Julie était partie. Sans prévenir, sans dire au revoir.

    Je n’avais plus existé pendant près de deux ans. J’avais abandonné ma carrière de criminologue, cette carrière remplie de pessimisme, de théories incomplètes, de faux espoirs, de noirceur. J’avais erré. Mes seuls compagnons se nommaient Alcool, Antidépresseurs, Nostalgie et Remords. J’avais l’impression que tout mon travail n’avait servi qu’à détruire ma vie.

    Je rangeai tous mes bouquins à l’intérieur de mon sac à bandoulière et fermai à clé la porte de l’auditorium derrière moi. Je sortis du pavillon Charles-De Koninck pour me diriger directement vers ma voiture. N’ayant plus de cours à donner, je décidai de rentrer à mon appartement pour me reposer un peu, sachant que je devais descendre le soir même à Trois-Rivières chez ma sœur cadette, Rose.

    C’était d’ailleurs Rose qui m’avait sauvé de mon interminable dépression. Sans elle, j’aurais probablement poursuivi ma vie d’ermite, de bon à rien, de pauvre victime. Elle avait été la seule au monde à réellement s’inquiéter pour moi. C’était aussi elle qui m’avait appris l’existence du nouveau programme de criminologie à l’Université Laval, à Québec. Elle avait même envoyé ma candidature à mon insu. Étonnamment, la semaine suivante, j’avais été convoqué à une entrevue pour un poste de professeur dans la capitale provinciale.

    Une nouvelle ville, un nouveau métier, un nouveau mode de vie… toute cette nouveauté m’avait bien aidé à remonter la pente, même si certaines douleurs n’allaient jamais disparaître totalement. Après quelques semaines au sein de mon nouvel environnement, j’arrivais à sourire de nouveau. C’était un bon début.

    Écœuré à vie par le trafic automobile lorsque j’habitais à Montréal, j’avais décidé de me trouver à Québec un logement tout près de l’université. Oui, tout était plus cher, moins bien entretenu, moins neuf, mais tellement plus pratique et sain pour mes nerfs. J’habitais dans un simple cinq et demi, tout près de la gare d’autobus de Sainte-Foy. Voisins plutôt calmes, prix élevé sans être exorbitant, grand balcon pour le barbecue l’été… j’en avais toujours été satisfait depuis mon emménagement. J’aurais facilement pu me payer un condo plus ou moins luxueux à quelques kilomètres de là ou sur la rive sud, mais je préférais amasser mon argent pour autre chose. Un projet de retraite bien mérité, un projet me permettant d’explorer de nouveaux univers, de nouvelles cultures. Rien de bien précis encore… mais j’avais quelques petites idées en tête.

    Arrivé chez moi, j’avalai un grand verre d’eau puis m’écrasai sur le fauteuil avec en main l’édition du Devoir du jour.

    * * *

    Je parcourus aisément le chemin menant en Mauricie. La maison de Rose se situait à l’ouest de la ville, près du pont Laviolette, qui enjambait le fleuve Saint-Laurent. Seulement deux voitures étaient déjà présentes dans l’espace de stationnement, ce qui signifiait que Marcel, le mari de Rose, souvent sur la route à cause de son travail de camionneur, n’allait pas manger avec nous. La seconde auto appartenait en fait à Mathieu, mon neveu de 19 ans. Julie et moi ayant été diagnostiqués comme infertiles lors des premières années de notre mariage, j’avais toujours considéré Mathieu comme le fils que je n’aurais jamais.

    Je n’eus pas besoin de sonner pour que ma sœur vienne m’accueillir.

    — Pierre ! s’exclama-t-elle en me serrant dans ses bras. La route était belle ? Le souper est presque prêt, entre, que je te serve une bonne coupe de vin !

    Rose avait toujours été une vraie boule d’énergie. Le terme « boule » était d’ailleurs très représentatif vu la quantité de poids qu’elle avait prise depuis qu’elle avait accouché de son fils. Étrangement, son surpoids la rendait encore plus chaleureuse, encore plus vivante.

    Je pris place à la salle à manger pendant que Rose annonçait mon arrivée à Mathieu tout en débouchant une bouteille fraîchement achetée à la SAQ. J’entendis les marches menant au sous-sol grincer et l’instant d’après, mon grand neveu vint me serrer la main. Il avait de toute évidence hérité des traits de sa mère et de la physionomie de son père, ne pesant pas plus de 68 kg alors qu’il mesurait plus de 1,8 m.

    Le ragoût de bœuf fut absolument délicieux. On m’offrit de la tarte pour dessert, mais ma panse avait déjà été assez bien remplie comme ça. Pendant que Mathieu dévorait sa pointe, j’en profitai pour lui demander comment se déroulait sa deuxième année à l’UQTR, l’Université de Trois-Rivières.

    — Ça va, dit-il simplement entre deux généreuses bouchées et en replaçant ses lunettes Ray-Ban sur son nez.

    — Juste « ça va » ?

    — Il répond toujours la même chose lorsqu’on le questionne là-dessus, intervint Rose. « Alors, aimes-tu tes cours, Mathieu ? » « Ça va. » « Comment sont tes camarades ? » « Ça va. » Il ne m’en dit jamais plus. Ni à son père, d’ailleurs.

    — C’est parce qu’il n’y a rien à dire de plus, maman.

    Rose détenait toutes les qualités du monde, mais la naïveté faisait aussi partie de sa personnalité. Je connaissais bien Mathieu. Même lors de son adolescence, il avait toujours été plus bavard que la moyenne. Quelque chose clochait. Je tentai ma chance :

    — Est-ce que la physiothérapie t’intéresse autant que tu le pensais ?

    À sa réaction, je vis que j’avais visé juste. Il termina son dessert et expliqua timidement :

    — Je ne sais pas. Je croyais que ce serait plus excitant, mais bon, je suppose que ça va aller en s’améliorant.

    Il prit une courte pause et se leva de table :

    — Je m’excuse Pierre, j’ai pas mal d’études encore sur les bras. Je suis vraiment content que tu sois venu faire un tour.

    Il m’empoigna de nouveau la pince puis descendit au sous-sol.

    — Il faut vraiment que tu m’apprennes à employer les bons mots pour le cerner, frérot, remarqua Rose en me tapotant légèrement l’épaule. Jamais je n’aurais cru qu’en fait, il doutait de son choix d’études.

    — Ne t’inquiète pas, la rassurai-je. La plupart des jeunes de son âge passent par là. Tu n’as pas à t’en faire. Quand il aura quelque chose de sérieux à t’annoncer, il le fera.

    — Je l’espère bien.

    Soudain, elle sourit malicieusement. Je connaissais ce fameux sourire. Ça n’annonçait jamais rien de bon.

    — Alors, comment a été ta soirée avec Nathalie, hier soir ? Elle ne t’a pas trop épuisé, au moins ?

    Ma sœur avait toujours eu le don de faire des allusions douteuses.

    — À la fin, il est vrai que j’étais épuisé, mais pas dans le sens que tu crois. Je t’avais prévenu que ce genre de rendez-vous n’était pas pour moi.

    — Comment ça ? Que s’est-il passé ?

    Je n’avais pas envie du tout d’en discuter, alors je fus bref :

    — Elle m’a parlé de son travail, de ses loisirs, de ses ex… puis, je lui ai demandé de m’excuser et j’ai quitté le restaurant. Vraiment, c’était génial.

    — Quoi ? Mais voyons, Pierre, ça ne se fait pas ! Elle doit être furieuse contre moi d’avoir organisé ce rendez-vous ! Qu’est-ce qui t’a pris ?

    Inutile de m’expliquer. Au fond, Rose connaissait déjà la raison. Elle mit sa main sur la mienne et me souffla de sa voix la plus douce :

    — Pierre… ça fait plus de trois ans maintenant. Il faut que tu passes à autre chose, que tu rencontres de nouvelles personnes…

    — Et si je n’en ai pas envie ? lançai-je sèchement. Je n’en ai pas envie, Rose.

    Elle retira sa main et baissa les yeux. Je regrettais ma réaction si brusque, si froide. Elle ne pouvait pas comprendre…

    — Pardonne-moi. Je n’aurais pas dû te parler sur ce ton. Je suis désolé.

    — C’est rien… C’est moi qui te dois des excuses.

    — N’en parlons plus. Je crois que, finalement, je prendrais bien un morceau de ta tarte.

    La conversation redevint magiquement aussi joviale qu’elle l’avait été lors du repas principal.

    * * *

    Le lendemain, de retour à l’université, une réunion eut lieu dans l’une de nos salles de conférences pour les professeurs des facultés des lettres et des sciences humaines, des sciences sociales ainsi que celle de théologie et des sciences religieuses. On allait en fait organiser un 5 à 7 suivi d’une soirée dansante pour la semaine de relâche de la session. Pas du tout mon genre, mais la direction nous conseillait fermement de nous présenter au moins à la réunion d’organisation, prétexte pour nous empêcher de nous plaindre à propos du manque d’activités sociales proposées au sein de nos départements.

    Une vraie perte de temps. Je sentais que j’étais le seul à ne pas participer du tout aux discussions. Richard Russell, mon collègue expert en sciences religieuses, aurait probablement agi comme moi, mais étant plus chercheur qu’enseignant, il avait pris des vacances qui ne s’étaient toujours pas achevées et qui expliquaient son absence. M. Bouchard, directeur de la faculté de théologie et des sciences religieuses, bien au courant de la relation amicale que j’entretenais avec Richard, me demanda :

    — Pierre, croyez-vous qu’il vous serait possible de porter cette invitation à la fête au domicile de Richard ? Il ne répond ni à ses courriels, ni au téléphone et nous tenons à ce qu’il vienne !

    Bien sûr. Quelle sincérité.

    — C’est bon. Par contre, puis-je partir tout de suite ? J’ai des trucs à préparer pour mon prochain cours…

    Transmettre ce bout de papier à mon collègue ne me dérangeait nullement puisqu’il habitait à seulement quelques rues de chez moi. De plus, j’en profiterais pour prendre de ses nouvelles, voir s’il planchait sur un nouveau sujet intéressant ou s’il avait fait une quelconque excursion durant son congé. La température étant carrément superbe pour une journée de fin septembre au Québec, je décidai de m’y rendre à pied.

    Divorcé depuis près d’une décennie et n’ayant engendré aucune descendance, lui aussi vivait seul. J’avais déjà pris plus d’une fois un café chez lui, il m’était donc facile d’affirmer que la simple vue de l’intérieur de son appartement permettait à quiconque de deviner quel genre de vie il menait, soit celle d’un célibataire endurci.

    Je pénétrai dans son immeuble à logements, puis gravis les quelques marches qui allaient me mener à son appartement, le numéro 26. Je croisai sur mon chemin quelques locataires qui eurent la politesse de me saluer, comme si je vivais aussi dans cet immeuble. Me tenant finalement devant la porte 26, j’y frappai plusieurs fois en espérant que mon collègue et ami était chez lui et qu’il viendrait m’ouvrir. Après quelques secondes d’attente, j’appuyai sur le bouton de la sonnette, juste pour être certain que s’il était là, il pouvait m’entendre. Toujours aucun signe de vie venant de l’autre côté de la porte. Par réflexe ou par curiosité, je ne le sus pas vraiment, je vérifiai si la porte d’entrée était verrouillée ou non. Jamais je ne me doutais que ce simple geste allait complètement bouleverser ma vie.

    Étonnamment, ce n’était pas verrouillé. Richard avait peut-être tendance à être un peu tête en l’air et à se laisser traîner, mais il n’était pas du genre à oublier une telle précaution. Peut-être dormait-il profondément, tout simplement ? Cette hypothèse me semblait invraisemblable, mais je désirais en avoir le cœur net. En me déplaçant le plus silencieusement possible après avoir fermé derrière moi, je me dirigeai vers le salon, le hall d’entrée et la salle de bain étant vides.

    Pas de Richard dans le salon non plus. Il ne restait que la cuisine, la salle à manger et la chambre. J’optai bien entendu pour l’endroit où il était le plus susceptible de s’endormir. Même en m’approchant, je ne pus entendre quelque ronflement qui m’aurait permis de deviner la présence de qui que ce soit. Délicatement, je tournai la poignée de porte de la chambre et pénétrai dans la pièce.

    Vide, elle aussi. Enfin, c’était ce que je croyais à première vue.

    J’allais retourner au salon afin d’y déposer l’invitation à la soirée et ensuite retourner tranquillement à mon appartement lorsque quelqu’un déclara derrière moi :

    Very sorry, my friend¹ !

    Une vive douleur au crâne me gagna, accompagnée d’un bruit sourd, très désagréable à l’oreille. Ma vision devint de plus en plus floue, je commençai à perdre l’équilibre et mes paupières semblèrent peser des tonnes. J’eus à peine le temps de me retourner afin de me faire une idée de ce qui m’était arrivé avant de tomber dans les pommes. Une grande et mince silhouette masculine se tenait tout près de moi avec dans la main ce qui ressemblait à une casserole. Avant que je puisse arriver à mieux distinguer le visage de celui qui m’avait frappé de dos, je m’étais écrasé au sol, sans connaissance.

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