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Les sacrifiés inconnus
Les sacrifiés inconnus
Les sacrifiés inconnus
Livre électronique298 pages4 heures

Les sacrifiés inconnus

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À propos de ce livre électronique

Un important actionnaire pétrolier français est retrouvé dans un état pitoyable au sein de sa luxueuse résidence de Paris. Bien que toujours en vie, il est recouvert d’horribles cloques et son visage boursouffé le rend méconnaissable et l’empêche de respirer ou de voir convenablement. La police scientifque est unanime : l’homme a été exposé à un gaz toxique réputé pour ses ravages dévastateurs lors de la Première Guerre mondiale, le gaz Moutarde. De plus, son agresseur aurait porté lors du délit un lugubre masque à gaz ressemblant en tous points à ceux utilisés à l’époque des tranchées. Sur sa tunique, un étrange symbole : un crâne humain superposé sur une croix germanique.

L’excentrique Oswald Taylor et l’ex-criminologue Pierre Lemire sont justement à Paris lors de cet étrange attentat. Intrigués par l’affaire, ils découvrent que deux autres crimes extrêmement similaires ont eu lieu durant les deux semaines précédentes et que l’instigateur de ces atrocités ne s’arrêtera pas là.

Alors que les liens entre certains événements de la Première Guerre mondiale et les motivations du terroriste semblent des plus obscures, Oswald et le Professeur Lemire doivent se plonger psychologiquement dans la tête des soldats oubliés de la Grande Guerre afn de faire éclater au grand jour la conspiration qui se trame au sein des fabuleuses provinces du nord de la France…
LangueFrançais
Date de sortie5 août 2016
ISBN9782897671211
Les sacrifiés inconnus
Auteur

Simon Rousseau

Né en 1993 à Trois-Rivières, résidant aujourd’hui à Québec, Simon Rousseau a écrit et publié son premier livre de façon indépendante alors qu’il n’était âgé que de 18 ans. En 2013, il part vivre au Royaume-Uni pendant près d’un an, et c’est là-bas qu’il écrit Les pages perdues de Kells. Ce dernier, ainsi que sa suite Les sacrifiés inconnus, sont publiés aux Éditions ADA en 2016. Depuis, il enchaîne les publications ; création des Contes Interdits et de Peter Pan en 2017, La bête originelle en 2018, puis son deuxième Conte Interdit, La reine des neiges, finaliste au prix Aurora-Boréal 2019 du meilleur roman. Il est aussi l’un des instigateurs du collectif Héros Fusion, visant cette fois un public beaucoup plus jeune. Il publie en 2020 ses deux premiers romans jeunesse, Héros-Fusion: Shaman-Man et Dead: Le plus nul des chevaliers.

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    Aperçu du livre

    Les sacrifiés inconnus - Simon Rousseau

    Remerciements

    L’écriture de ce roman a été un travail de très longue haleine et aurait été impossible à achever sans le soutien de certaines personnes.

    Merci à mes amis Zyad Chouadi et Manu Lemire. L’un pour ses rappels à l’ordre, l’autre pour m’avoir permis de décrocher de temps en temps.

    Merci aux Éditions AdA de m’avoir permis d’entreprendre la création de ce deuxième récit sur les enquêtes d’Oswald Taylor et de Pierre Lemire.

    Merci à toi, papa. Merci à toi, Caro. Pour votre lecture, vos corrections, votre soutien, vos encouragements et votre foi en moi.

    Puis, bien entendu, merci à vous, mes lecteurs. J’ose espérer que ce roman sera à la hauteur de vos attentes, et sachez que vos commentaires me sont extrêmement précieux, alors n’hésitez pas à communiquer avec moi !

    SR

    Facebook : www.facebook.com/SimonRousseauR2

    Twitter : @SimonRousseau

    Blogue : simonrousseaublog.wordpress.com

    Instagram : simrousseau64

    Liste de musique

    Voici une liste de morceaux qui m’ont inspiré pendant l’écriture du livre ou qui se marient bien avec le récit.

    1. Voices, 20syl feat. Rita J.

    2. Give Me One Reason, Tracy Chapman

    3. Nina, Ed Sheeran

    4. The Sound of Silence, Disturbed

    5. Sedated, Hozier

    6. Marche funèbre, Chopin

    7. Suicide commercial, Lino

    8. Mafia Music, Rick Ross

    9. Suicide social, Orelsan

    10. Omen, Disclosure feat. Sam Smith

    11. My Eyes, Nero

    12. Everybody Wants to Rule the World, Lorde

    13. Paradis City, Jean Leloup

    Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres.

    — Alexis de Tocqueville

    Toujours tu verras les hommes se révéler mauvais si quelque nécessité ne les conduit à être bons.

    — Machiavel

    PROLOGUE

    La sélection

    10 novembre 1920

    Citadelle de Verdun, France

    A uguste ne s’était jamais senti aussi tendu qu’en cet instant.

    Le célèbre chevalier de la Légion d’honneur et ministre des Pensions, André Maginot, venait tout juste de s’arrêter devant lui, un bouquet d’œillets à la main. Tous les regards étaient désormais rivés sur lui. Auguste prit une longue inspiration, puis s’empara des fleurs. C’était à son tour de jouer. Il était sur le point de passer à l’histoire.

    Le ministre exécuta un salut militaire, puis reprit sa place parmi la garde de la cérémonie.

    Huit cercueils de chêne massif, chacun recouvert d’un drapeau tricolore, étaient alignés au sein de la chapelle ardente aménagée spécialement pour l’évènement. Huit cercueils dans lesquels reposaient des corps décomposés depuis trop longtemps, des corps qui avaient dû attendre ce jour précis pour être enfin mis en terre. Néanmoins, l’un d’entre eux était voué à un destin très particulier… et c’était au soldat Auguste Thin, du 132e régiment, que revenait sa sélection. Cette responsabilité avait au préalable appartenu à un frère d’armes d’Auguste, un Martiniquais du nom de Roland, mais ce dernier avait mystérieusement été atteint de typhoïde quelques heures avant le rassemblement. André Maginot venait tout juste de désigner son remplaçant.

    Le jeune soldat devait maintenant s’avancer et poser le bouquet d’œillets sur l’un des huit cercueils disposés devant lui. La voix vacillante, Auguste annonça :

    — J’appartiens au 6e corps de l’armée française. En additionnant les chiffres de mon régiment, le 132, c’est également le chiffre 6 que je retiens. Ma décision est prise : je choisirai le 6e cercueil que je rencontrerai.

    D’un pas nerveux, le jeune homme trottina sur sa droite en longeant quatre des cercueils anonymes, tourna à gauche, passa à côté d’un cinquième cercueil, puis s’immobilisa finalement devant le sixième d’entre eux. Il jeta un bref regard au ministre Maginot, qui lui témoigna son approbation d’un hochement de tête, et porta de nouveau son attention sur le coffre de chêne, où il déposa délicatement ses œillets. Sou­lagé comme si le bouquet avait pesé des tonnes, il soupira et se figea au garde-à-vous, imitant l’ensemble des militaires présents dans la chapelle souterraine.

    Auguste Thin, un jeune vétéran, un jeune poilu¹ traumatisé par la Grande Guerre comme des centaines de milliers d’autres, venait d’indiquer quel corps on allait inhumer près de trois mois plus tard sous l’Arc de triomphe de Paris dans le but d’honorer tous les hommes ayant sacrifié leur vie pour protéger leur patrie.

    Auguste Thin venait de sélectionner le tout premier Soldat inconnu.

    1. Le terme « poilu » est utilisé pour désigner les soldats français ayant combattu pendant la Première Guerre mondiale.

    CHAPITRE 1

    Routine

    16 octobre 2014

    Castle Combe, Angleterre

    J e n’avais jamais pensé prendre ma retraite aussi tôt. J’avais dit adieu au terrible monde du travail à seulement 53 ans. Si le traitement des internés de l’Institut Philippe-Pinel avait inévitablement nui à long terme à mon moral, l’enseignement universitaire avait lamentablement échoué à l’améliorer.

    Et c’était sans parler du décès de Julie.

    C’était curieux de l’exprimer ainsi, mais je devais ma renaissance à un riche excentrique aux valeurs discutables, aux capacités sociales limitées, mais doté d’un génie incommensurable : Oswald Taylor. J’avais quitté grâce à lui ma vie de solitaire au Québec pour le Royaume-Uni, j’avais participé à une enquête ayant mené à une découverte potentiellement meurtrière pour le Vatican²… et je m’étais installé au sein du fabuleux manoir Taylor, dans le village de Castle Combe.

    Quelques jours après le dénouement de l’affaire des pages perdues de Kells, j’étais retourné momentanément au Canada. J’avais officiellement quitté mon emploi, j’avais dû témoigner contre mon ancien collègue Richard Russell, puis j’avais bien entendu rendu visite à ma chère sœur, Rose. J’avais réussi à éviter le début du rude hiver québécois en revenant en Europe à la fin novembre.

    Près d’un an s’était écoulé depuis… et si l’enquête sur le Livre de Kells m’avait permis de me défaire totalement de mon ennui quotidien, ma nouvelle routine au manoir manquait quelque peu d’action.

    J’avais eu la chance de visiter de nombreux recoins du territoire britannique, de la ville mythique d’Oxford à Liverpool, la cité des Beatles. J’avais même eu l’occasion de m’aventurer dans le dédale de ruelles du quartier gothique de Barcelone, dans les remarquables Highlands de l’Écosse et même chez les confiseries bruxelloises les plus raffinées. Cependant, mis à part ces courtes excursions touristiques, mes journées se résumaient désormais à lire dans les différents jardins du manoir, à jouer au golf et à visiter de temps à autre Mia Müller, la chauffeuse particulière d’Oswald, que j’avais parfois plus l’impression de déranger qu’autre chose. Je dormais toutefois tous les soirs gratuitement dans une luxueuse suite pouvant aisément faire concurrence à n’importe quelle chambre du château Frontenac, alors je suppose que je ne pouvais pas me plaindre. J’espérais seulement qu’Oswald allait très bientôt solliciter mon expertise de criminologue à nouveau…

    Le climat du sud-ouest de l’Angleterre me permettait de pratiquer mon swing de golf quelques heures par jour sur le terrain privé du domaine en plein mois d’octobre. Armé d’un bois 3, je fixais la balle blanche à mes pieds et m’apprêtais à l’envoyer valser le plus loin possible lorsque Luigi, le majordome du domaine, m’interpella depuis le balcon du jardin le plus proche. Les mains derrière le dos et vêtu comme à son habitude de son smoking blanc faisant ressortir son teint caramel, il affichait une mine troublée :

    — Professeur Lemire, navré de vous interrompre pendant votre partie, mais…

    — Ce n’est rien, Luigi. Je joue lamentablement, de toute façon. Qu’y a-t-il ?

    — C’est mademoiselle Greek, signore³. Elle requiert votre présence dans les appartements de sir⁴ Taylor.

    Mademoiselle Greek, la maîtresse d’Oswald, désirait s’entretenir avec moi ? Dans la tanière de ce dernier, qui plus est. Ça ne sentait pas bon, pas bon du tout. La somptueuse jeune femme brillait généralement d’indifférence à mon égard et lors de ma dernière visite du repaire d’Oswald, il s’en était fallu de peu pour que je me fasse couper en rondelles par un authentique katana.

    — Vous a-t-elle précisé la raison de sa demande ? hasardai-je en m’approchant de mon interlocuteur.

    — Malheureusement non, répondit le petit Italien en détournant le regard et en pinçant sa fine moustache.

    Il était manifestement au courant de quelque chose que j’ignorais.

    — Quel est votre avis sur le sujet ?

    — Je crois qu’il s’agit de sir Taylor, professeur. Comme vous l’avez sans doute remarqué, il n’est plus lui-même ces derniers temps.

    Bien sûr, que je l’avais remarqué. Mon hôte et ami, légèrement marginal, souffrait de quelques symptômes inquiétants d’anxiété. Normalement tellement serein, bavard et quelque peu méprisant, il aimait depuis peu demeurer cloîtré des journées entières dans l’aile ouest du manoir, là où seuls lui et mademoiselle Greek pouvaient déambuler. La dernière fois que je l’avais croisé, pas plus tard qu’hier dans la salle à manger, son regard avait à peine croisé le mien et il s’était contenté, pour la forme, de me demander si je me plaisais toujours à Castle Combe. Oswald Taylor, dans son état normal, n’aurait jamais pris la peine de me poser une question aussi futile.

    — Vous croyez que je devrais l’apporter, par précaution ? demandai-je au majordome en désignant mon bâton de golf.

    Luigi se contenta d’un timide sourire en guise de réponse.

    * * *

    Un sentiment de honte juvénile m’envahissait chaque fois que mes yeux avaient la chance de se poser sur la sublime créature qu’était mademoiselle Greek. Avec ses talons aiguilles, je lui concédais près d’une tête. Ses hanches à la fois fines et généreuses, sa peau naturellement bronzée, sa poitrine invitante et ses jambes infinies que laissait dénudées sa jupe ajustée auraient laissé n’importe quel homme pantois, pour ne pas dire idiot. Durant l’Antiquité grecque, on l’aurait prise pour une sirène, à la fois magnifique, magnétique et maléfique. Pourtant, pour la première fois, l’objet de mon état hypnotique s’avérait beaucoup plus subtil que la légendaire silhouette de la jeune Anglaise : je venais tout juste de remarquer ses yeux. D’un bleu tournant presque au gris, ils témoignaient de son intellect, mais aussi d’une certaine détresse, une détresse qui ne m’avait jamais frappé auparavant. Quelque chose ne tournait pas rond. Adossée à un mur, les jambes croisées, elle tenait entre ses doigts une cigarette et fumait lentement.

    Elle m’attendait devant la seule porte (à ma connaissance, en tout cas) donnant accès à l’aile ouest du manoir, dans une pièce adjacente à la cuisine. J’allais peut-être pouvoir éviter une désagréable visite du temple improvisé d’Oswald, finalement.

    — Merci d’être venu aussi rapidement, professeur Lemire.

    Sa voix dégageait une sensualité impossible à ignorer. Je tentai de conserver ma crédibilité :

    — Beaucoup d’étudiants en médecine comme vous fument la cigarette ?

    Elle sembla plus agacée qu’amusée par ma remarque :

    — Savez-vous quand la plupart des fumeurs ressentent leur plus irrésistible envie de consommer de la nicotine ?

    — Lorsqu’ils sont nerveux ?

    — Lorsqu’ils viennent tout juste de baiser, professeur.

    Je ne m’attendais pas à une telle réplique. Elle le lut sur mon visage :

    — Rassurez-vous, Pierre, ce n’est pas mon cas. Au con­traire, je ne fume que lorsque je suis en manque de sexe.

    Sa confidence n’eut pas l’effet de me rendre plus à l’aise.

    — Je ne suis pas sûr de comprendre, marmonnai-je. Oswald ne…

    — Oswald ne me touche plus.

    — Je… je vois…

    M’avait-elle vraiment fait venir ici pour me confier ça ? Étais-je censé ressentir de l’empathie pour elle, moi qui n’avais pas touché à une femme depuis des années ?

    — Est-il distant avec vous aussi ? me questionna-t-elle en laissant échapper un effluve de fumée de ses lèvres pulpeuses.

    — J’avoue qu’il agit bizarrement dernièrement… enfin, je veux dire encore plus que d’habitude.

    — Il a peur, Pierre.

    — Peur ? Peur de quoi ?

    — Ses parents seront bientôt libérés de prison.

    Tout était bien plus clair, à présent. Mary et Joseff Taylor, les parents d’Oswald, étaient deux redoutables avocats n’hésitant pas à profiter des faiblesses du système judiciaire pour s’enrichir. L’oncle d’Oswald, Harrison, m’avait déjà raconté que son neveu avait scrupuleusement monté le dossier d’accusation contre ses géniteurs et que c’était grâce à lui que ses escrocs de parents avaient été déclarés coupables de nombreux délits, notamment de fraude, d’extorsion et de vol.

    — Il a reçu une lettre de la prison de Wandsworth⁵ il y a un peu plus de 10 jours, enchérit l’étudiante en médecine. Ses parents retrouveront leur liberté d’ici la fin de l’année.

    — Savent-ils qu’il les a trahis ? m’informai-je, soudainement inquiet. Pourrait-il perdre le manoir ?

    — Je n’en sais rien, Oswald refuse d’en discuter avec moi…

    — Et vous croyez qu’il sera plus bavard en ma compagnie ?

    Mademoiselle Greek émit un de ces ricanements arrogants capables de vous faire frissonner et de vous faire sentir minable simultanément. Elle tira une nouvelle bouffée de sa cigarette :

    — Oh non, professeur, pas du tout… Oswald ne s’ouvrira à personne. J’espérais plutôt que vous tentiez de lui changer les idées.

    — Comment pourrais-je m’y prendre ? rétorquai-je, légèrement froissé.

    — Sortez-le d’ici, Pierre. Il a besoin d’air. Emmenez-le. Faites-le voyager.

    — Le faire voyager ? Mais enfin, d’après ce que je sais, il a déjà presque tout vu ! Il a parcouru l’Asie, volé jusqu’en Amérique, visité tous les recoins d’Europe…

    — Faux ! me coupa-t-elle avec un sourire espiègle. Oswald a omis de mettre les pieds dans l’une des plus belles cités du Vieux Continent…

    — Laquelle ? demandai-je avec curiosité.

    — Paris.

    Oswald n’avait jamais vu la ville la plus visitée au monde ? J’avais peine à y croire. J’y avais moi-même fait quel­ques excursions touristiques par le passé, et Paris demeurait pour moi un grand coup de cœur. Rien ne me faisait plus plaisir que d’y retourner. Néanmoins, je me devais d’interroger mademoiselle Greek sur la raison de ce boycottage de la part d’Oswald. Elle essaya de m’éclairer :

    — Oswald n’a absolument rien contre les Français. La preuve, il vous considère comme l’un de ses très rares amis.

    — Je suis Québécois, je viens du Canada… la repris-je.

    — Bien sûr, bien sûr, confirma-t-elle en balayant ma remarque de la main. Peu importe. Oswald n’a rien contre les francophones. Mais il déteste les Parisiens presque autant qu’il déteste ses parents.

    Mademoiselle Greek venait tout juste d’achever sa phrase que la porte à côté d’elle s’entrouvrit. Je parvins à peine à distinguer la silhouette d’Oswald à travers l’embrasure. Il ne portait visiblement pas beaucoup de vêtements. J’étais sur le point de le saluer lorsqu’il annonça d’un ton résolu :

    — Mademoiselle Greek, je crois que je suis enfin disposé à faire un peu d’activité physique.

    Il claqua la porte aussitôt. Il ne semblait même pas avoir remarqué ma présence. Dans tous les cas, sa déclaration réglait momentanément le problème de mademoiselle Greek. Cette dernière, habitée par un engouement nouveau, me fit comprendre que ce revirement de situation ne changeait en rien sa requête. Je lui promis que j’allais tenter de trouver un moyen pour remonter le moral d’Oswald, puis un évènement ahurissant se produisit. Avant de gagner l’aile ouest du manoir afin de rejoindre son employeur et amant, mademoiselle Greek s’avança vers moi et apposa sur ma joue un brûlant baiser.

    Stupéfait, je tournai les talons et me dirigeai vers ma suite. Pendant tout le trajet, je tentai du mieux que je le pus de cacher mon érection.

    * * *

    — Tu rigoles, Pierre ? Bien sûr qu’il sera content ! Ça fait près d’un an qu’il ne t’a pas vu !

    C’était ma sœur, Rose. Vautré dans mon lit, accompagné de mon ordinateur portable et de Bouddha, le distingué bouledogue d’Oswald, je m’étais rappelé que mon neveu, Mathieu, désormais étudiant en journalisme, effectuait justement une session d’études à Paris grâce à un programme d’échange étudiant. Il s’agissait là d’une excellente occasion pour lui rendre visite et respecter ma promesse à mademoiselle Greek. J’avais donc appelé ma chère sœurette afin de m’assurer que ma venue et celle d’Oswald n’importuneraient pas Mathieu.

    — Tu en es certaine ? Je ne veux pas qu’il se sente obligé de nous accueillir là-bas… Après tout, il doit être pas mal occupé !

    — Ça va lui faire plaisir, frérot. Je me charge même de le lui annoncer, si tu veux. Il pourra vous attendre à la gare à votre arrivée.

    — C’est très apprécié, Rose, la remerciai-je en grattant le crâne bourré de plis de graisse du bouledogue à moitié endormi à mes côtés. Et toi, quoi de neuf ?

    — Je vais bien… J’avais déjà un mari qui n’était à la maison qu’à peine deux jours par semaine, et voilà que mon fils m’abandonne comme mon frère pour l’Europe !

    — Rose, je…

    — Je te taquine, Pierre, gloussa-t-elle chaudement. J’écoute plus souvent la télé que d’habitude et je cuisine moins, c’est tout. Maintenant, achète tes billets pour aller voir ton neveu préféré.

    — Je t’aime, Rose.

    — Je t’aime aussi. Soyez prudents.

    Quinze minutes plus tard, j’avais déjà commandé deux billets aller simple pour la capitale française. Il ne restait plus qu’à convaincre Oswald de m’y accompagner.

    2. Lire le premier tome des Enquêtes Taylor, Les pages perdues de Kells.

    3. Monsieur.

    4. Monsieur.

    5. Prison de Londres célèbre pour avoir compté parmi ses détenus des personnalités telles que Oscar Wilde, Ronnie Biggs et Charles Bronson.

    CHAPITRE 2

    Sous la Manche

    17 octobre 2014

    Castle Combe, Angleterre

    O swald déjeunait enfin dans l’immense salle à manger plutôt que dans ses appartements. Ce ne pouvait être qu’un signe favorable à ma mission. Pour l’occasion, Luigi nous avait préparé des crêpes, afin de bien appâter Oswald à la cuisine française. Mademoiselle Greek avait donc aussi mis l’ancien voleur à la tire italien sur le coup. Comme toujours, Bouddha s’était installé à notre table et partageait notre menu. L’observer savourer ses crêpes une fois que le majordome les eut arrosées de sirop était un véritable spectacle en soi. Il parvenait à déguster sa nourriture avec la même grâce qu’un goûteur professionnel.

    — Les manières de Bouddha ne cesseront jamais de vous surprendre, n’est-ce pas, professeur ? intervint Oswald en buvant sa tasse d’Earl Grey⁶.

    — C’est que je me demande chaque fois comment vous avez pu lui apprendre de telles prouesses.

    — Je vous raconterai un jour.

    Accoutré uniquement d’une robe de chambre de velours, la barbe négligée, les cheveux ébouriffés et le cou parcouru de marques de rouge à lèvres, Oswald n’avait pas dû beaucoup dormir. Même ses petites lunettes rondes mal apposées sur son nez semblaient en témoigner. Malgré tout, il dégageait encore une certaine classe, classe que, même pourvu de son authentique accent britannique, je n’oserais espérer posséder.

    — Mademoiselle Greek m’a confié que vous aviez quelque chose à me proposer, dit-il en croisant les bras. Je suis tout ouïe.

    J’engloutis ma dernière crêpe, qui manquait d’ailleurs cruellement de sirop d’érable canadien, puis raclai ma gorge afin d’aller droit au but :

    — Figurez-vous que je me suis souvenu pas plus tard qu’hier que mon neveu, Mathieu, étudiait à Paris pendant tout l’automne grâce à un programme d’échange étudiant. Je comptais aller le visiter bientôt, et je me demandais si…

    — Vous partez quand ?

    — Ce soir.

    — Parfait. Je vous accompagnerai.

    Je m’étais préparé à toute éventualité, sauf à celle-là. Sans paraître extasié par l’idée, Oswald semblait résolu à quitter le manoir pour quelque temps.

    — Vous êtes sûr ? Mademoiselle Greek m’a pourtant précisé que…

    — Je déteste les Parisiens. Mais vous êtes francophone, non ? Je vous laisserai la tâche ignoble de converser avec ces énergumènes lorsque ce sera nécessaire.

    — Bon, j’imagine que je pourrai porter ce lourd fardeau, ajoutai-je avec une bonne dose de sarcasme.

    — Deal, then⁷. À quelle heure partira notre train ?

    — Dix-sept heures trente.

    — Retrouvez-moi devant le manoir à 15 h. Mia se chargera de nous déposer à la gare.

    Il s’essuya les lèvres à l’aide d’une serviette de table, puis quitta la pièce après avoir remercié Luigi pour le déjeuner. Satisfait, je posai ma main sur la nuque du bouledogue dans le but de la masser, puis me rendit compte que ce dernier grognait de façon menaçante. J’avais oublié : on ne devait jamais déranger monsieur Bouddha durant son repas.

    * * *

    La beauté de la gare St. Pancras de Londres me faisait chaque fois m’apercevoir à quel point l’architecture européenne écrasait celle de l’Amérique du Nord.

    Mia, toujours aussi placide, nous avait sans un mot escortés jusqu’à la métropole anglaise en laissant Phil Collins briser le silence. J’avais bien tenté de lancer une conversation avec la jolie rousse, mais ses réponses monosyllabiques avaient fini par me convaincre de laisser tomber. Oswald, quant à lui, avait dormi pendant tout le trajet, récupérant ainsi ses heures de sommeil perdues la veille. Il avait d’ailleurs retrouvé son style vestimentaire à la fois dépassé et avant-gardiste avec ses gants de cuir, ses pantalons de toile rouges trop courts, sa chemise à carreaux boutonnée jusqu’au menton et son veston gris doté d’un mouchoir de costume agencé à ses chaussettes violettes.

    Aussitôt garés entre St. Pancras et Kings Cross, nous remerciâmes la chauffeuse

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