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Un demain sans hier
Un demain sans hier
Un demain sans hier
Livre électronique413 pages5 heures

Un demain sans hier

Par Le Ken

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À propos de ce livre électronique

Fuyant leur monde mourant, les éternels ont semé sur Terre les germes qui avaient déjà éteint leur civilisation.
Dans une petite ville du sud de la France, à l’aube de ses trente ans Laura végète, seule et taciturne.
De son côté, Raphaël vient de réussir une mission à hauts risques en délivrant la fille kidnappée d’un milliardaire chinois.
Dans un monde qui affiche tous les signes de déclin, quel est le lien entre cette jeune scientifique flamboyante que le Times compara à Léonard de Vinci, ce mercenaire impitoyable au passé oublié et ces étranges immortels ?
A priori aucun.
Pourtant, des événements extraordinaires vont les propulser au cœur d’une épopée au-delà de l’espace et du temps, là où le bien et le mal trouvent racine sur la Terre et ailleurs…
Et si l’histoire n’était qu’un éternel recommencement, et si les coïncidences n’existaient pas, et si l’éternité résidait dans un demain sans hier ?
LangueFrançais
Date de sortie5 janv. 2022
ISBN9782312087504
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    Aperçu du livre

    Un demain sans hier - Le Ken

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    Un demain sans hier

    Le Ken

    Un demain sans hier

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2022

    ISBN : 978-2-312-08750-4

    Prologue

    Californie été 1916

    En ce dimanche d’août, l’activité à l’hôpital d’Oakland avait été relativement calme. Le pasteur Harold Williams y venait chaque fois après l’office à l’église de sa paroisse.

    Les effluves captivants de jasmin canalisaient les velléités agressives des paroissiens et contribuaient à adoucir cette journée d’azur aux températures clémentes.

    « Yahvé vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. Yahvé se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé en son cœur ».

    Ainsi avait-il commencé son prêche ce matin-là en lisant un passage de la Genèse. Les dernières informations du front venant d’Europe l’avaient mis dans un état de réel désarroi. Décrites comme des moyens modernes pour écourter cette guerre terrible, de nouvelles armes naissaient chaque jour dans un charnier de boue et de sang. Les dernières en date n’étaient autres que ces canons, enchâssés sur un corps blindé mu par des chenilles d’acier. Les chars d’assaut venaient de faire leur entrée pour la première fois de l’histoire sur le champ de bataille de la Somme, dans les Hauts de France. Une fois de plus, l’ingéniosité de l’homme flirtait avec la dame à la faux qui faisait ravage à l’autre bout du monde.

    « Seigneur », pensait-il, « pourvu que la souffrance de ton fils sur la croix ne fut pas en vain ». Depuis toujours, la guerre était une de ces constantes dégradantes de la dignité humaine. Il se disait parfois que rien n’avait fondamentalement changé. Comme un spectateur de la société qui l’entourait, il avait l’irrépressible sentiment que le monde courait à nouveau le plus grand des dangers : celui de s’attirer les foudres de Dieu. Malgré sa peine et sa douleur, sa foi demeurait inébranlable. Il partageait l’amour et la vocation pour Dieu depuis sa plus tendre enfance et pour son plus grand bonheur. Il se voyait tel le berger remettre ses brebis dans le droit chemin.

    Comme chaque dimanche après sa messe, il allait à l’hôpital pour prendre soin de ceux que la santé avait abandonné. Il exprimait tous les jours de la gratitude pour ce que sa vie lui avait donné et considérait comme normal de vouer sa vie aux autres. Le soutien moral qu’il donnait inlassablement aux malades était tel un don, les soulageant de leur souffrance par ses mots d’amour et de paix.

    L’infirmière de service vint à sa rencontre ce jour-là.

    – Révérend, nous avons un malade qui demande à vous parler immédiatement. Il pense sa dernière heure venue et…

    – Je vous suis, répond-il de sa voix grave et sereine. La compassion visible sur son visage était toujours perçue comme un signe sincère de réconfort. Il apportait une dimension spirituelle qui faisait parfois défaut à la routine de l’hospice. À son contact, le corps médical se sentait plus proche de ces personnes et de leur douleur.

    Ils entrèrent dans une chambre commune où vingt lits étaient parfaitement alignés. Les parfums d’éther et de discipline étaient la seule alternative au chaos de leurs derniers instants. Il côtoyait depuis longtemps la souffrance mais jamais son cœur ne s’était détaché à la vue de ces corps déformés.

    L’infirmière l’amena au chevet d’un homme âgé, avoisinant les quatre-vingts ans, visiblement affaibli. Son teint mat et sa peau burinée par le soleil soulignaient les origines méditerranéennes.

    – Je crois qu’il est d’origine Turque, chuchota l’infirmière comme pour compléter les pensées du révérend.

    Aussitôt qu’il l’aperçut, le vieil homme saisit la main du pasteur et le regarda dans les yeux avec une vivacité qui surprit Harold Williams.

    – Haji, c’est mon nom, prononça-t-il d’une voix faible au fort accent étranger. J’arrive à la fin de mon existence et je dois soulager mon âme d’un poids lourd de soixante ans, mais je ne veux parler à personne d’autre que vous.

    Il souriait. Sa sérénité illuminait son visage. Harold Williams posa sa main sur la sienne et l’écouta.

    – Vous seul, homme d’église et de foi, peut comprendre ce que j’ai à dévoiler, dit-il en regardant l’infirmière qui partit après un signe de tête du pasteur. Il s’assit près du vieil homme, sa main toujours scellée dans la sienne. Il respirait péniblement, marquait de longues pauses avant de reprendre son souffle pour poursuivre. Le pasteur l’écouta d’abord poliment, puis visiblement de plus en plus intéressé. Haji ne cessait de parler. Il buvait régulièrement afin d’hydrater sa gorge desséchée. De nouvelles étincelles de vie s’animaient en lui. Les témoins de la scène virent à plusieurs reprises le révérend tourner les pages de sa bible, comme s’il y cherchait quelque chose. Il n’écoutait plus seulement, il soutenait la conversation, posant lui-même des questions au vieillard extenué. Puis, Haji se cala confortablement dans son lit et ferma les yeux. La flamme qui s’était emparée de lui cette dernière heure l’avait consumé.

    Harold Williams prononça les derniers sacrements et après un souffle discret, Haji s’éteignit, un air apaisé drapait alors son visage.

    L’infirmière qui croisa le Pasteur, alors sur le point de quitter les lieux, le trouva bouleversé. Il lui porta un regard vide, porteur de détresse et murmura, « et Yahvé dit : je vais effacer de la surface de la terre les hommes que j’ai créés… » et il s’en alla d’un pas pressé. La croix de bois usée qui pendait à son cou depuis sa plus tendre enfance, se balançait sous ses pas.

    Fuente del sol, au sud de Valladolid, Espagne, de nos jours

    Carlos Marco arriva sur le chantier à six heures du matin. Déjà, l’aube augurait des chaleurs supplicieuses. Le genre de journée à n’accepter que des travaux à l’abri du soleil. Mais son client payait gracieusement ses services. D’ailleurs il était là, lui aussi, déjà en train d’évaluer ce que deviendrait la propriété après les travaux terminées. Mike Murray accueillit Carlos avec son sourire habituel. Ce grand dadais, légèrement voûté, se déplaçait lentement. Sa poignée de main énergique exprimait cependant toute la détermination qui l’habitait.

    Mike était de ces hommes d’affaires Anglais qui décidèrent, à la fin des années quatre-vingt-dix, de s’établir au soleil. Nombre d’entre eux avaient pris pour terre d’adoption le Sud-Ouest de la France. N’en déplaise aux mauvaises langues, ces capitaux venant de la Perfide Albion permettaient de restaurer un patrimoine laissé en désuétude en redonnant à cette région un visage patiné et revigoré. Une façon pacifique de reprendre cette Aquitaine dont ils en furent chassés lors de la bataille de Castillon le dix-sept juillet quatorze cent cinquante-trois.

    Mike, et Maria, son épouse, avaient pris un autre chemin par une poussée du destin les emmenant vers l’Espagne. Un an plus tôt, ils étaient passés à côté d’une magnifique propriété dans le Périgord Noir. Un couple d’Américains les avait coiffés sur le poteau en offrant au vendeur dix mille euros de plus que le prix initialement demandé.

    Le jour même, sous le coup d’une impulsion encore inexpliquée, Mike décida de surprendre son épouse. Il loua une voiture, traversèrent les Pyrénées et offrit à Maria l’opportunité de chasser sa déception en découvrant pour la première fois le pays d’origine de ses grands-parents.

    Ce qui devait être un séjour de réconfort se transforma rapidement en une révélation. L’Andalousie leur explosa littéralement au visage, dans un ouragan d’accents, de couleurs et de saveurs. Leurs cœurs vibraient au rythme du flamenco, cette soirée où leurs regards complices disparus se ravivèrent alors.

    Curro Albaycin, chanteur et personnage de légende dans le quartier d’Albaycin de Grenade, les subjugua en donnant vie à un poème de Federico Garcia Lorca. La guitare flamenca qui l’accompagnait transcendait chacune de ses postures passionnées. De ce coup de cœur naquit une conviction, ils allaient vivre dans ce pays.

    Leur soudaine soif d’aventure les poussa plus loin. Ils voulurent en savoir davantage sur cette culture qui les stimulait. Ils remontèrent vers le nord pour explorer la province de Castillo y Léon. Les jours qui suivirent furent dédiés à découvrir cette région, et conforta leurs premières émotions. Mike remit plusieurs cartes d’affaire aux meilleures agences immobilières de la contrée. Son cahier des charges était simple et stimulant :

    – Je cherche une belle propriété, mon plafond est trois millions d’euros. Je demeure à l’hôtel El Jardin De La Abadia à Valladolid jusqu’à samedi midi.

    Avant la fin de son séjour, il reçut nombre d’appels la plupart dans un très bon anglais pour lui dévoiler « La » propriété recherchée.

    – Vous avez mon adresse électronique, répondait-il amusé et excité à la fois. Envoyez-moi des photos, des descriptifs et je vous répondrai si j’y vois un intérêt.

    Son détachement apparent était une protection à un nouvel échec, même s’il avait la certitude dans son for intérieur que cette fois serait la bonne.

    À regret ils virent les jours s’égrener et finalement ils durent retourner en Angleterre avec dans le cœur les aquarelles sonores ibériques.

    À l’atterrissage, Heathrow arborait un arc-en-ciel aux couleurs maussades d’un plafond nuageux incertain. Maria fit un vœu. À peine arrivés à leur domicile, elle se précipita sur son ordinateur oubliant pour quelques instants le froid humide des anciennes demeures londoniennes restées inhabitées. Les offres immobilières s’affichaient par dizaines. Le tri dura trois heures et quatre choix potentiels sortaient du lot. Mais l’adrénaline boostée par l’excitation se dissipa et la fatigue reprit le dessus. Ils décidèrent de s’octroyer une courte pause et d’apprécier à sa juste valeur bienfaitrice un thé de Ceylan. Le téléphone sonna, avec lassitude Mike décrocha. Une femme l’aborda alors dans un Anglais d’oxford des plus parfaits.

    – Bonjour, je suis Mélanie Miller. Notre agence de Castillo y Léon nous a informé que vous recherchiez une propriété et j’ai ce qu’il vous faut. Je suis à Londres. J’ai une vidéo à vous montrer, cela ne prendra qu’une heure tout au plus.

    Après les premières secondes de surprise, Mike articula sa réponse :

    – Chère Madame, nous avons quitté Valladolid ce matin même, s’empressa-t-il de répondre, impressionné cependant.

    – Monsieur Murray, je travaille pour une compagnie immobilière mondiale spécialisée dans les recherches de biens exceptionnels. Si je ne vous convaincs pas aujourd’hui, vous n’entendrez plus parler de nous, c’est dans nos engagements.

    Mike resta muet quelques instants. Il regarda les dossiers des quatre propriétés qui leur restaient à analyser. Après tout, une de plus pourquoi pas, se dit-il.

    – Dans ce cas, rencontrons-nous Madame Miller, mais pas plus d’une heure, nous sommes assez fatigués.

    – Monsieur Murray, puis-je vous demander de ne pas défaire vos valises, il est fort possible que je vous offre ce soir même de vous ramener en Espagne.

    Il sourit intérieurement. Cette femme faisait preuve d’une opiniâtreté pimentée d’un soupçon de charme.

    – Madame Miller, soyez sérieuse et réaliste je vous prie. Permettez-moi de vous rappeler un autre principe très simple : l’humilité est la meilleure des conseillères.

    Moins de cinq heures plus tard, le vol British Airways 0624 de 22 h 35 avait à son bord des passagers de dernière minute mais voyageant en première classe. Mike et Maria, harassés par cette folle journée, s’endormirent immédiatement sous l’œil bienveillant de Mélanie Miller.

    Elle avait réussi la première étape de sa mission. Sa classe, son intelligence son rayonnement avaient immédiatement séduit le vieux couple. La vidéo pourtant très vendeuse fut en dessous de la réalité. Cette nouvelle terre d’asile se trouvait dans la province de Castilla y Léon, à une heure à peine des vignobles prestigieux de Ribero del Duero. Un ciel dense, d’un bleu infini et une légère brise ennoblissaient un environnement déjà onirique. Le couple britannique était face à une hacienda du quinzième siècle. L’architecture était magnifique, l’influence arabe évidente. Les volumes imposants laissaient place à l’imagination sans limite de Maria. Déjà, elle visualisait l’emplacement des meubles, tapisseries, rideaux chamarrés et bien entendu sa collection de tableaux aux couleurs vives qui ensoleillaient son habitat Londonien. Sa passion et son enthousiasme étaient une source de bonheur incommensurable pour Mike qui n’avait pas vu son épouse si espiègle, si jeune depuis tant d’années. Ce pays est une source de jouvence pensa-t-il, la tendresse plein les yeux. La perfection.

    La propriété de dix hectares était parfaitement close par un mur de pierres, contemporain de la maison. Des oliviers centenaires et des massifs de lavandes apportaient les couleurs pastel, contrastant avec la vivacité des roses et des camélias sertis dans un jardin harmonieusement entretenu. Pour Mike cependant, une tache au décor : une remise en décrépitude en bordure du luxuriant jardin potager aux arômes de thym et de basilic. Abandonnée depuis des décennies, les murs lézardés et la toiture effondrée portaient les meurtrissures d’un soleil implacable dont les légendes locales le disaient capable de sécher davantage les pierres. L’état de cette bâtisse était devenu une fixation pour Mike. Plus tard, il réglerait ce problème mineur, il fallait d’abord acheter ce bien.

    Les démarches ne furent que simple formalité, Mélanie Miller facilitant chaque étape de cette fabuleuse acquisition et… transaction.

    Le prix final fut plus élevé que prévu initialement, mais Mike comme Mélanie, savaient que le prix de base n’était qu’indicatif.

    – Maria et Mike, vous êtes maintenant les heureux propriétaires de « Vela Blanca ». Nos recherches patrimoniales nous ont permis de retrouver le nom d’origine de votre hacienda. Un beau non, n’est-ce pas ?

    Vela Blanca, répéta intimement Maria.

    Le jour de la signature, Mélanie recruta un professeur entièrement dévoué à leur apprentissage. Pendant sept jours, ils prirent tous leurs repas en la compagnie agréable de Miguel Serrano, professeur de langue doté d’une belle érudition.

    Miguel était un doctorant en histoire au Museo de las Ferias à Medina del Campo. Sa connaissance de la région et de son passé accéléra leur apprentissage sur les us et coutumes locales.

    Depuis leur installation à Vela Blanca, leur vie avait pris un nouveau sens, bercé par un sablier qui s’écoulait plus lentement. « J’apprécie enfin de voir passer le temps » se disait Mike.

    Il rejoignit Carlos et se dirigèrent vers la vieille remise. Le soleil pointait à l’horizon et déjà ses rayons s’agrippaient aux plis de leurs vêtements. Sous l’œil curieux de Mike, Carlos Marco examina une dernière fois les lieux. Son corps râblé aux muscles encore saillants était en harmonie avec la dureté de ces terres millénaires. Sa casquette et ses épaules fatiguées lui ajoutaient certainement des années qu’il n’avait pas. Son visage ciselé de crevasses, tranchait avec la perspicacité de son regard bleu clair et de sa voix colorée animée de passion.

    – Monsieur Mike (prononcer Maiickeii) vous êtes bien sûr que c’est ce que vous voulez ?

    Son accent fit sourire Mike. Carlos faisait tout son possible pour accommoder sa forte inflexion espagnole à un Anglais des plus approximatifs.

    Carlos avait été unanimement recommandé par tous les professionnels de la région. La qualité de ses restaurations avait porté sa réputation au-delà des frontières régionales. Sa première rencontre avec Mike demeurait inoubliable :

    « Señor Mourraii… » Mike Murray lui demanda aussitôt de l’appeler par son prénom devenant alors malgré tout « Señor Maiickeii ».

    Carlos avait essayé à plusieurs reprises de convaincre Mike de restaurer cette remise en ruines qui l’embarrassait depuis le début.

    – Señor Maiickeii je vais vous faire du bon travail et cela ne vous coûtera pas cher. Mais imaginez ce bâtiment restauré. Señor Maiickeii, imaginez ! Vous allez faire revivre cette propriété, vous allez faire revivre Castilla y León, et même l’Espagne !

    Dans un ultime plaidoyer plein d’enthousiasme il avait enfin eu raison du rationalisme de Mike. Personne alors n’aurait pu se douter de la portée de ses mots.

    Un olivier plusieurs fois centenaire jouxtant la bâtisse en ruines contribuait à sa détérioration. Ses racines s’étaient emparées du soubassement et continueraient de nuire à la pérennité de la rénovation. Ses branches noueuses rappelaient les doigts déformés des anciens du village et comme pour eux, les maladies trouvaient avec l’âge les chemins de la victoire. Il fallait s’en débarrasser.

    Mike alla retrouver Maria qui l’attendait, plus heureuse que jamais sur leur terrasse ombragée, au sol dallé de pierres ocre pales.

    – Je t’ai préparé des œufs au bacon et des toasts à la marmelade.

    Même loin du pays, certaines habitudes persistent. Ce jour-là, le jeune Miguel fut leur invité. L’atmosphère était imprégnée d’un subtil mélange de roses et de romarin. Ces lieux ravivaient tous leurs sens.

    Depuis des semaines, le couple faisait parler de lui dans le village. La presse locale fit du déracinement de l’olivier le sujet à discuter : « Rénovation ou destruction de notre patrimoine ? ». C’est ce qui expliquait en ce jour la présence plus nombreuse de badauds autour de Vela Blanca.

    Miguel ne voulait rien rater du spectacle et arriva très tôt lui aussi ce matin.

    Mike s’assit, appréciant sa demeure et la joie retrouvée de Maria. Plus loin, Carlos entamait ses travaux d’élagage. Telle une ruche en mouvement, son équipe matinale se mettait à l’œuvre. Bientôt, les clameurs des moteurs de tronçonneuses vinrent briser la tranquillité matinale.

    Tout se passait tel que prévu. Après que les principales branches et le tronc furent sectionnés, la pelle mécanique entreprit son travail de levier pour déraciner les restes de l’arbre centenaire. Mike restait impassible à ce spectacle. Il avait taraudé la terre et les océans à la recherche d’or noir, sillonnant chaque recoin de ce monde aux réserves taries. Un trou de plus dans le sol ne l’impressionnait pas aujourd’hui. Cette vie de nomade l’avait rendu suffisamment riche pour entrevoir avec Maria une retraite baignée de chaleur, d’ombre et de senteurs subtiles. De plus, il se doutait que le bois de cet olivier referait un jour surface sous la forme d’une table ou d’objets décoratifs, et pourquoi pas labellisés « Vela Blanca ».

    Fidèle à sa promesse, le soleil indécent mordillait les chairs, se faisant d’heure en heure de plus en plus gourmand. Alors que Maria s’apprêtait à offrir une limonade glacée, pressée de citrons dorés de la propriété, elle remarqua l’effervescence des travailleurs autour de l’arbre. Elle le souligna d’un signe de tête à Mike et Miguel alors que Carlos venait à grands pas dans leur direction. Il enleva machinalement sa casquette et essuya la sueur de son front d’un revers de manche.

    – Señora Maria, señores il faut que vous veniez voir cela !

    Cette attitude provoqua un regain de tonus chez Mike qui malgré son allure cintrée, suivi à grands pas Carlos vers le trou béant laissé par les racines arrachées.

    En observant de près, on pouvait distinguer clairement les angles de pierre d’une petite construction jadis enterrée.

    Sans attendre Carlos sauta spontanément et commença à déblayer la terre meuble à cet endroit. Des planches de bois pourries obstruaient ce qui devait être l’entrée d’un petit tunnel. On aurait pu croire à une canalisation d’égout, mais ce n’était pas le cas.

    Mike approuva du regard pour dégager le passage et explorer ce qui pouvait se cacher derrière. Miguel rejoignit Carlos et enleva avec délicatesse les planches de bois qui se désagrégèrent aussitôt. Une structure aux formes rectangulaires s’ouvrait à lui. La moue de Miguel se chargea d’intérêt. Il leva la main en demandant le silence au groupe qui l’entourait. L’excitation devenait palpable. Chacun était suspendu aux instructions à venir. Il se mit à genoux, essayant de voir ce que ce trou noir pouvait bien receler.

    – J’aurai besoin d’une torche électrique, auriez-vous cela ?

    Avant que Mike ne réponde, Carlos demanda à un des ouvriers d’aller chercher une lampe dans la camionnette. Moins d’une minute plus tard, Miguel était équipé. Il s’accroupit à nouveau et rampa dans la structure. Le faisceau lumineux fit scintiller des arrêtes métalliques d’un coffre de grande taille. Miguel s’enfonça plus loin dans ce terrier défloré et observa de plus près l’objet mystérieux. Il agrippa une des poignées de métal et tira le coffre à l’air libre. Le mutisme avait enveloppé la scène, ponctué ici et là de murmures furtifs. L’objet séculaire était lourd et de grande taille. La construction de pierre dans laquelle il avait reposé l’avait plutôt bien conservé. Le bois avait résisté, les ferrures légèrement rouillées. Miguel regarda Mike qui donna son accord pour extraire du trou béant l’objet inattendu. Trois ouvriers vinrent lui prêter la main.

    Soudain, comme un seul homme, le groupe se tut. Un son, au début à peine perceptible s’amplifia jusqu’à atteindre une stridence insupportable. Certains hommes s’enfuirent en criant, d’autres s’agenouillèrent et protégèrent leurs oreilles pendant quelques secondes. Comme animé d’une vie propre, le coffre convulsait, sous le regard anxieux des spectateurs consternés. Nul doute que la presse locale venait de trouver une manchette qui dépasserait les frontières d’un l’intérêt, jusque-là local.

    Cet objet devait avoir été enfoui là depuis des centaines d’années. L’olivier avait été certainement planté pour en masquer la présence.

    L’idée d’ouvrir le coffre était freinée par la crainte d’en découvrir le contenu. Ni Miguel, ni Mike ne voulaient profaner dans la brutalité une découverte de cette nature. L’objet était comme animé d’une vie propre. Les regards se croisèrent, des frissons parcoururent les échines des ouvriers déroutés quand il vibra de nouveau. Quel mystère détenait-il ?

    Mike ne disait pas un mot. Il n’avait jamais vu au cours de sa carrière quelque chose de semblable. Son flegme britannique fut mis quelques instants à l’épreuve, mais une éducation ancestrale reprenait finalement le dessus. La foule percevait l’angoisse croissante sur les visages des tâcherons inquiets. Miguel reprit le contrôle de la situation.

    – Mike, dit-il, nous devons l’emmener au musée. Là-bas, nous aurons les moyens d’en savoir un peu plus. Je ne pense pas que nous devrions en faire plus ici, finit-il en montrant les mines perturbées des personnes qui s’agglutinaient.

    Mike ne répondit pas immédiatement. Il regardait avec suspicion cet objet aux pulsations devenues régulières tel un cœur remis de ses émotions. L’impassibilité qu’il affichait n’était que de surface. Il composa un numéro de téléphone, une voix lui répondit.

    – Mélanie Miller ? En effectuant des travaux, nous avons trouvé un coffre bien étrange. Pouvez-vous vous renseigner sur les propriétaires précédents de Vela Blanca aussi loin que vous le pouvez. Merci.

    PREMIÈRE PARTIE

    Chapitre I

    La nuit amplifiait le climat contrasté et rude du désert de Gobi. Rien n’altérait la détermination du groupe d’hommes se déplaçant à vive allure et en silence. Ni le froid, ni la poussière de quartz, ni le tranchant des cailloux que leurs bottines foulaient ne les ralentissaient. Leur aisance indiquait un groupe aguerri aux actions de combats.

    La nature de leur mission ne laissait place à aucune erreur d’estimation. L’objectif était en vue. Ils se mirent à ramper, négligeant l’inconfort et la douleur provoqués par l’âpreté du sol hostile. Tels des caméléons, ils s’étaient suffisamment rapprochés pour avoir en ligne de mire les sentinelles susceptibles de donner l’alarme.

    Là, plantée au milieu de nulle part, se dressait une des forteresses de Kwan Chenko. Ténébreuse, imposante, étrangement entourée d’une brume que les reflets lunaires animaient d’un voile troublant. La rugosité des murs était un écho à cet environnement sauvage, raboteux, déserté de toute conscience.

    Ici, tel un artiste de lugubre inspiration, le vent sculptait tous les jours et avec constance, un paysage avide de mort.

    Personne n’avait voulu jusqu’alors s’attaquer au repaire de Chenko, et le mystère qui l’entourait demeurait total. De généreux pots de vin ainsi que des analyses précises de photos satellite, dévoilèrent enfin son mystérieux emplacement.

    Kwan Chenko avait bâti sa réputation sur trois piliers : terreur, puissance et vengeance. Sa fortune immense s’abreuvait à la source de trafics en tous genres : armes, drogues, femmes, enfants, organes. Son influence dépassait de loin les limites de l’Orient. Il s’était diversifié et avait accru ses gains grâce aux rançons extorquées de ses attaques cybernétiques. Nul doute que cette forteresse abritait des serveurs et des hackeurs capables d’attaquer entreprises et gouvernements du monde entier. Les nouvelles formes de piraterie se développaient à la vitesse des évolutions technologiques. Dans ce domaine aussi, Chenko confortait son monopole.

    De mère Chinoise et de père Russe, Kwan Chenko était le seul à avoir pu fusionner la mafia Chinoise et Russe qu’il dirigeait d’une main de fer. Ses ennemis disparaissaient dans des morts violentes. La trahison d’une personne se traduisait par l’exécution immédiate de toute sa famille et de ses relations connues. Qui pouvait alors oser le défier ? Son sens du business en faisait un homme à part.

    Les économies d’échelle faisaient du sens dans l’industrie du crime, comme dans n’importe quel autre business, et se chiffraient en milliards de dollars. Il n’avait désormais plus de concurrence en Asie ou en Russie, ses plus gros marchés. Certains experts estimaient que la puissance financière colossale de Kwan Chenko dépassait le produit intérieur brut de certains pays Européens, mais en fait, personne ne savait grand-chose sur lui. La neutralité bienveillante dont il bénéficiait de la plupart des gouvernements en faisait un « intouchable ». Statut acquis en contrepartie d’informations compromettantes sur les puissants de ce monde. Une différence sensible cependant : les hommes politiques changent, les mafieux résistent ou meurent. Kwan Chenko était lui, toujours en vie.

    Ici, il régnait en maître absolu. Son droit de vie et de mort en faisait l’égal d’un dieu, celui que l’on craint par confort, habitude ou absence d’esprit de rébellion. Jamais personne n’avait eu le courage de s’opposer à ce monstre.

    Jamais avant ce soir.

    La formation se déployait dans un ordre précis où chacun connaissait son rôle, fruit d’une préparation dans laquelle le hasard n’avait pas de place. Nom de code « CASABLANCA ». La règle était immuable : à chaque mission, toujours un nom de ville de dix lettres, chacune attribuée à un membre du commando.

    « C1 à CASABLANCA », le message, murmuré au travers de l’équipement radio, n’avait nul besoin d’être plus explicite. Le silence pour seule réponse annonçait l’imminence de l’action. Sur les remparts, pas moins de douze gardes armés étaient déjà repérés.

    L’absence de coordination dans leur ronde prouvait que Kwan Chenko ne redoutait ici aucune menace. La mission n’en était pas moins dangereuse.

    Éliminer le barrage des sentinelles ne prendrait tout au plus qu’une minute, tout comme l’entrée dans la citadelle du groupe Un. Atteindre l’objectif et ressortir ne devra pas excéder sept minutes trente, permettant au groupe Deux, de préparer le repli.

    Remontant de la citadelle, des bruits de débauche et de souffrance parvenaient aux oreilles des « Ombres », nom que les membres du commando avaient adopté.

    De son poste de garde, un des hommes de Kwan Chenko faisait sa ronde.

    Impassible, il détourna son regard, surplombant depuis son rempart l’immensité et la noirceur du désert. Ses yeux noirs aux paupières lourdes se plissèrent comme pour chercher une lueur de nouveauté dans ce paysage de désolation qui l’entourait. Rien de spécial ne vint éclairer un regard déjà éteint, aujourd’hui pas plus qu’hier, dans cette vie inerte dont il était finalement prisonnier.

    Chaque rafale de vent arrachait au désert ses feux follets de sable tournoyants. Ce spectacle simple d’une nature indomptée ne lui inspira pas la moindre réflexion. Il racla sa gorge, cracha au loin dans un geste automatique et s’essuya le nez du revers de sa main. Il fit quelques pas et marqua un bref d’arrêt. Il haussa mécaniquement les épaules et laissa percer un léger ricanement. Ici, seule la raison avait fui ces lieux maudits. Un sourire édenté prit forme sur sa peau vérolée et se résorba tout aussi vite qu’il était apparu.

    Dans moins de deux heures, il retournerait dans la moiteur du baraquement où il noierait l’insipidité de son existence dans un flot de bière. Telle était la vie de ces pauvres bougres qui, dans leur monde, se pensaient du bon côté.

    Il alluma négligemment une cigarette…

    – « C1… Top »-

    … et fut surpris de ne trouver que le goût du sang dans sa bouche, avant de s’effondrer le regard fixe dans le clair de lune. La précision de la première balle tirée avait fait son œuvre, et il ne fallut que trois secondes pour que les onze autres tirs silencieux eussent le même effet. La barrière de gardes venait d’être effacée.

    Déjà, les grappins étaient lancés et hissaient l’escouade de mort. L’opération était dans les temps.

    La préparation rigoureuse avait familiarisé les Ombres aux lieux à investir. Six hommes étaient entrés dans l’enceinte. Leur attitude ne laissait entrevoir aucun flottement. Ils atteignirent l’aile Est de la cité et y pénétrèrent rapidement. Les lieux défilaient avec automatisme. Un immense couloir, trois coursives, six Ombres. Deux d’entre eux se précipitèrent jusqu’à la dernière coursive, passant devant la septième porte, objet de la mission. Deux autres se positionnèrent respectivement devant la deuxième et la troisième coursive. La rumeur du vent voilait leurs pas rapides. L’effet de surprise fut total.

    La somnolence des gardes dans cette salle les empêcha de comprendre le sens de l’irruption des hommes armés. Simultanément les six hommes entamèrent un concert de feux nourris, une symphonie mélancolique dont l’épilogue était déjà écrit dès la première mesure.

    La puissance des armes, associée à la précision méthodique des mercenaires, ne pouvait laisser la moindre chance aux vingt-quatre gardes de l’aile Est. Leurs visages se figeaient dans une dernière stupeur alors que les balles meurtrières éclataient organes et os qu’elles rencontraient.

    Lorsque les fusils se turent, leurs silencieux fumaient encore. Avant que le dernier garde n’expire son ultime souffle, la porte numéro sept s’ouvrit enfin.

    Sur un lit, inconsciente, gisait une enfant d’une dizaine d’années. Fille d’un richissime homme d’affaires Chinois, elle avait été enlevée voilà quatre mois. À ce jour, elle était toujours la monnaie d’échange aux vingt millions d’Euros de la rançon demandée.

    A1 examina rapidement son état.

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