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Le Poison du Coeur
Le Poison du Coeur
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Livre électronique232 pages3 heures

Le Poison du Coeur

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À propos de ce livre électronique

L'été 1788, dans une France pré-révolutionnaire mise à dure épreuve par un rude hiver et dans l'attente de l'assemblée des Etats Généraux qui précèderont la prise de la Bastille. Les protagonistes sont Euphrasie, fille du comte Xavier des Fleuves faisant partie des physiocrates partisans du changement, et Venance, un tueur à gages au passé trouble. Suite au mariage raté de la jeune femme, les deux se rencontrent et un solide lien se crée entre eux et connaitra d'inquiétantes péripéties qui révéleront leurs âmes sans scrupules et prêtes à tout au détriment des autres. La demande d'Euphrasie de mettre en scène son propre meurtre pour échapper au couvent et l'exécution de ce service par le bandit pousseront les deux protagonistes à changer d'identité et à se cacher dans cette France en ébullition, à genou et sous la neige incessante de l'hiver 1788. L'histoire s'articule entre Nanterre, petit bourg proche de Versailles et le Bretagne terrre d'origine des protagonistes. Euphrasie devient la Veuve, une femme toujours cachée derrière le deuil, habile joueuse de hasard et contrebandière d'arme pour la Révolution imminente. Venance se fait passer  pour le duc Stolfo Rues d'une lignée inconnue. Une série de coïncidences les font se rencontrer de nouveau, tandis que leur amour se révèle lentement malgré une peur et un refus mutuels. Mais les promesses sont des promesses et...

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie12 mars 2016
ISBN9781507134504
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    Aperçu du livre

    Le Poison du Coeur - Barbara Risoli

    PROLOGUE

    1784 – Saint-Malo (France)

    Renversé sur le comptoir de la dernière auberge de Saint-Malo où on lui faisait encore crédit, il amusait avec sa lente agonie, distillée par l'alcool et les innombrables toasts portés à la vie. Il arrivait avec peine à ses trente ans et il ne connaissait plus ni dignité ni limites; il vivait à la dérive, seulement les nuits obscures et tournoyantes ou les jours aveuglants et insoutenables. Il respirait avec difficulté, il existait pour une raison divine qui n'avait aucun sens, il n'était pas utile pas au monde qu'il scrutait avec une expression féroce : le sourire incliné et triste, capable de procurer un malaise profond. C'était tentant de le regarder quand il glissait dans le délire en s'écroulant, comme un drapeau sans vent, vaincu par lui-même. Personne ne pouvait le sauver, son indifférence éloignait, il détestait les regards apitoyés qui le fixaient ou les paroles pieuses qui lui présentaient Dieu comme seul et unique prétexte valable. Il ne se souvenait plus des désirs d'autrefois, mais il les savourait de nouveau tous les soirs, par hasard, sans qu'il ne puisse le prévoir ou que le destin ne daigna l'en avertir. Il comprit en un instant de n'avoir qu'un seul rêve, qui se présentait alors devant lui en chair et en os, lumineux comme une étoile tel un ange, lourd dans la chute qui se rapprochait de lui. Il le vit claquer sa main fine sur le bois vermoulu et regarder l'aubergiste, sourire magnifiquement, et demander quelque chose de fort, contre toute règle : un diamant entre les murs de cet établissement malfamé. 

    C'était une jeune femme élégante, habillée précieusement, pâle et parfumée, avec de grands yeux noirs et des longs cheveux de jais. Il l'observa en silence, en parcourant chaque centimètre de son corps serré dans une robe bleue, sans décolleté. Elle avait une respiration étrange, saccadée, qui soulevait et abaissait son sein épanoui et caché. Sa taille fine lui donnait un aspect royal et ses longs ongles la faisaient ressembler à un chat dangereux. Il s'attarda sur ses lèvres rouges et il nota ses dents parfaitement blanches. L'aubergiste versa du rhum dans un verre minuscule et elle l'ingurgita sans grâce. La voir boire, avec son regard tremblant d'une mystérieuse douleur, le fit souffrir. La femme demanda à être servie encore et, de façon inattendue, il appuya sa main rugueuse sur son poignet immaculé. Elle tressaillit, se rendant compte enfin de sa présence : ses yeux frémirent, comme si elle était secrètement effrayée. L'homme ne lui dit rien, il se contenta de secouer la tête avec un vague sourire implorant. Puis, il retira rapidement la main de son poignet dont il avait senti la chaleur et la douceur; et duquel sans le vouloir il avait puisé un plaisir innocent. L'inconnue ne fit pas la même chose et, sans emphase, calmée par la stupeur, elle continua à l'observer. 

    Il ne perçut pas la pitié, il se rendit compte qu'il ne l'amusait pas avec son lent vacillement. L'aubergiste versa un autre rhum et elle le refusa d'un geste, suivant le conseil à peine reçu. L'inconnu en profita, serrant le verre avec avidité. Cette fois ce fut la fille qui le stoppa, avec un seul coup d'œil qui se voulait accusateur. La douleur avait disparu en elle, une étrange lumière s'était allumée dans cet être supraterrestre.

    «Vous ne voyez pas qu'il est saoul ? » dit-elle au propriétaire de l'auberge en n'obtenant qu'un rire gras.

    «Vous devriez savoir quand vient le moment d'aider un inconscient» le récrimina-t-elle fermement.

    «Moi je suis ici pour gagner ma vie et en plus il ne me paye pas ! Je ne suis pas un de ces prêtres fainéants qui pense pouvoir sauver le monde! Vous ne le connaissez pas, vous arrivez de votre paradis et vous crachez des jugements sur l'enfer de ce disgracié!» l'accusa-t-il allusif. Elle fit un geste de colère et elle posa une pièce de monnaie sur le comptoir. Elle ne dit rien d'autre et s'en alla courageusement : traverser cet endroit de bas étage demandait beaucoup de sang froid pour une femme haut placée! L'ivrogne la suivit avec un regard offusqué tandis qu'elle disparaissait à jamais, puis il reporta son attention sur le verre resté devant lui. Il le vida en une gorgée, posa la tête sur ses bras croisés dans l'attente du doux effet de l'oubli. Il s'endormit et fut jeté dans la rue, dans la boue nocturne, dans le mal de la solitude, seule chose qui lui restait. Au lever du soleil il ouvrit ses yeux rougis et il sentit sa tête battre comme à chaque fois, mais étrangement il ne pensa pas à boire et il se demanda ce qu'il aurait pu faire après tout ce temps, comment il aurait pu se sauver. Il oublia cette femme, il ne se rappela peut-être même pas d'elle un instant, et il se releva chancelant, avec le feu dans les veines et du sang dans le regard. 

    CHAPITRE I

    ––––––––

    Il n'y avait pas que le peuple qui était las de la situation désormais insoutenable qui se répandait dans la France de 1788 ; il y avait aussi cette classe, non reconnue politiquement, appelée bourgeoisie, composée essentiellement de libéraux : avocats, intellectuels et autres. À cette classe maltraitée, s'ajoutaient exceptionnellement certains nantis qui acceptaient l'égalité des ordres et qui interprétaient leur propre prospérité comme un moyen d'investir et donc comme un moyen de production. Il s'agissait d'aristocrates, de propriétaires terriens, qui ne vivaient pas seulement de rentes, mais bien de bénéfices des terres cultivées, des troupeaux élevés et vendus. Ils étaient les prétendus Physiocrates, ils se référaient aux idéologies dûment réfutées par les réactionnaires, de Turgot ex premier ministre du Royaume.  Fondamentalement, ils tenaient entre leurs mains le sort de la France, alors accablée cet été-là par de violents phénomènes météorologiques qui avaient mis à genoux l'agriculture. Ils soutenaient les bourgeois dans la requête de la convocation des États Généraux, afin de tracer une ligne de reprise avec des compromis équitables à la fois pour la noblesse, le clergé, et le Tiers état. Paradoxalement, c'était les nobles réactionnaires qui demandaient avec insistance les États-Généraux, convaincus que tout se serait écroulé sans que cela ne touche leurs privilèges, qui se résumaient au concept simple d'une totale exonération du payement des taxes, corvées, prélèvements, et autres. Ce qui en somme opprimait les autres sujets. D'un côté donc, les libéraux, mû par de bonnes intentions et qui acceptaient des moyens drastiques; de l'autre, les conservateurs qui voyaient dans les bonnes intentions des premiers la meilleure arme pour abattre leurs ambitions.

    Entre les physiocrates convaincus, les monarchistes et les libéraux, il y avait le comte des Fleuves, un important personnage de la ville de Saint-Malo, féroce opposant au parlement local, ami loyal des bourgeois locaux, habile homme d'affaire qui avait organisé jusqu'à l'année d'avant l'importation du blé depuis la Pologne avec son splendide bateau, cadeau pour sa défunte femme et employée. Ils avaient regroupé  un talentueux et fidèle équipage, en obtenant le permis du souverain lui-même pour importer une grande quantité de blé. Un voyage avait déjà été réalisé avec de bons résultats, le prochain avait été déplacé en raison du mariage imminent de la fille unique du comte. En plus de cette initiative commerciale, il avait plusieurs lopins de terre, loués raisonnablement à des travailleurs, sélectionnés personnellement, avec lesquels il avait conclu des accords acceptables, en les mettant en marge de la crise profonde des campagnes. Ses locataires étaient des hommes satisfaits qui réussissaient à vivre dignement, sans renier leurs origines. Ils étaient la cible préférée des brigands qui commencèrent en sourdine à infester les périphéries des grands centres urbains de la France. Le comte lui-même, craignant de voir ses revenus considérables se dégrader, avait armé ses propres paysans, en leur permettant de se défendre, eux et leur bétail. Ainsi, les propriétés du comte Xavier des Fleuves de Saint-Malo avaient lentement acquis une sorte halo légendaire et étaient devenues des terres impossible à voler.

    ––––––––

    On était le 5 juillet 1788. Euphrasie se sentait heureuse. Se marier signifiait réaliser un rêve et le faire avec Aldo, après tant d'années, serait sa propre conquête. Pour lui elle avait lutté bec et ongles, contre les règles, contre le monde, contre son père qui n'avait pas eu de pitié dans la guerre sans réserve qui les avait rendu ennemis. Aldo n'était pas ce que son géniteur aurait voulu. C'était un soldat, tandis qu'elle était la fille d'un noble. Cette pensée avait toujours été le point faible de l'homme, connu pour ses idées libérales. Il n'y avait rien qui allait chez Aldo : ni son caractère, placide et patient, ni évidemment sa classe, misérable et distante. Elle l'avait aimé pour sa douceur, pour sa façon d'être aussi différent de son père, pour sa capacité d'analyse qu'elle-même n'avait pas. Aldo valait tout, en tout sens, et souvent il lui avait reproché d'être impulsive. Pour lui elle avait fait l'impossible et aujourd'hui le moment tant désiré était arrivé, le mariage, la vie ensemble !

    Elle entra dans l'église vêtue d'une robe blanche et vaporeuse qui l'enveloppait comme un nuage, la mettant entièrement en valeur : ses grands yeux noirs  et ses longs cheveux de jais, sa silhouette fine et épanouie, le charme qui émanait d'elle naturellement  et qui contrariait toute volonté.  Elle avait voulu porter l'habit immaculé, encore une fois contre les conventions, décidée à se distinguer comme toujours, sans doute amusée par cette énième contrariété contre son père et par sa défaite. Un sourire détendu et merveilleux retroussa ses lèvres fines, quand elle avança vers l'autel, presque suspendue dans les airs. Aldo la regarda incrédule, il la savait belle, mais il ne se souvenait pas d'elle comme ça. Au moment où elle arriva à ses côtés, il lui réserva un regard d'admiration émue. Elle baissa son visage tremblant.

    La cérémonie commença, mais Euphrasie n'écoutait pas un seul des mots du prêtre, ses pensées vagabondaient vers le passé qui soudainement sans aucune raison lui apparut constellé d'angoisse, d'offense, de douleur et de déception ; elle en senti le goût acide dans sa bouche et se souvint de ce soir-là. Son père lui avait dit, sans aucun détour, de se séparer  d'Aldo, en la menaçant et en en arrivant aux mains, lui qui n'avait jamais levé la main sur elle! Euphrasie l'avait défié, elle lui avait répondu qu'elle partirait avec l'homme qu'elle aimait et elle s'était enfuie du palais pour le rejoindre. Elle avait attendu Aldo devant la caserne. Après avoir pleuré dans ses bras, vaincue par le désespoir, sincère dans son récit, il lui avait sagement conseillé de retourner chez elle, de ne pas faire une folie qu'elle aurait pu regretter. À cet instant elle avait senti un déchirement au fond d'elle, un regard incrédule avait traversé le jeune, un fort tremblement l'avait traversé elle. Elle s'était enfuie en courant, seule et incomprise, trahie. Chacun de ses gestes lui avait semblé inutile et le désir d'oublier l'avait emporté. Un peu par dépit, un peu par désespoir, elle avait franchi le seuil d'un enfer qui lui était inconnu et interdit. Elle ne l'avait jamais oublié, elle avait encore en tête cet établissement enfumé, puis le goût dans la gorge et dans l'estomac.

    Elle se rendit compte, à ce moment, de n'avoir jamais été capable de pardonner Aldo, d'avoir dans le cœur une blessure jamais soulagée. Elle déglutit, tandis que le prêtre posait la question rituelle à Aldo et elle frémit à son oui. Ce fut alors son tour. Elle leva son visage indigné, tellement indigné que le prêtre hésita un instant. Il commença à prononcer la formule et elle posa son regard sur les alliances scintillantes. Il y eut une minute de silence, Aldo la scruta sans trop de préoccupation, les respirations étaient suspendues, comme si l'assemblée sentait l'arrivée imprévue d'une tempête.

    «Non» répondit-elle de manière inattendue, foudroyant du regard l'homme pour lequel elle avait pleuré, souffert, lutté et cru pouvoir mourir. Elle n'ajouta rien d'autre, posa le bouquet de fleurs sur le prie-Dieu et descendit les trois marches, balayant du regard la foule pétrifiée, s'arrêtant sur le visage de glace de son père. Ça devait être le jour le plus beau de son existence, ça l'avait été à son réveil, ça l'avait été jusque les quelques secondes précédentes, puis toutes ses convictions s'étaient ébranlées et elle se sentait alors assommée et livide, mais libérée. Elle ne savait pas de quoi. Au fond c'était elle qui avait voulu tout ça, qui avait continué avec ténacité. C'était elle. Oui elle, seulement elle. Elle regarda encore Aldo, incapable de réagir, de prendre la situation en main, de faire quelque chose, sans doute occupé à passer tout au crible dans sa tête. Elle se dirigea vers la sortie et personne ne l'arrêta. Elle ouvrit le lourd portail de sa seule force. Dehors, le ciel était gris. Elle rejoignit le carrosse blanc, traîné par deux chevaux blancs, elle y monta et les dirigea le long de l'avenue plantée, menant vers la campagne, près du fleuve Rance, où elle allait souvent se réfugier depuis qu'elle était enfant.

    Elle stoppa le convoi et descendit. C'était une grotte dans les alentours, celle qu'elle avait toujours imaginé comme son château personnel. Elle rejoignit la rive du fleuve, effleurée par les tristes saules qui déversaient leurs pleurs. Elle ôta son voile. Le soleil apparut entre les nuages, la journée serait bientôt meilleure. Elle enleva aussi ses chaussures pour tremper ses pieds dans l'eau. Un frisson la fit sourire et l'impression de liberté absolue qu'elle ressentit lui fit oublier les conséquences de son geste. Elle ne réfléchit pas non plus sur la raison qui l'avait induite à ne pas épouser Aldo, elle le ferait plus tard, pas maintenant.

    «Vraiment c'était une belle scène! Je ne me rappelle pas m'être autant amusé!» dit une voix dans son dos et Euphrasie tressaillit. Elle se retourna. Elle vit un homme appuyé sur le tronc d'un arbre.

    Crâneur et ironique, il avait l'air de celui qui en savait plus et qui comprenait l'incompréhensible. Elle se leva soudainement et l'affronta, comme s'il l'avait mise au défi. Il la fixa menaçant, mais il n'était pas vraiment comme ça : son regard obscur était souligné par des sourcils noirs touffus courbes et affûtés. Il n'était pas si vieux, bien que des reflets gris colorent le noir de ses cheveux et son visage était désordonné. Il n'était pas excessivement avenant, il n'était pas incroyablement beau, son sourire était mordant et énigmatique. Il était habillé discrètement, sans prétention, simplement avec une chemise blanche et un pantalon foncé enfilé dans des bottes noires et brillantes.

    «Tu t'appelles donc Euphrasie»  lui dit-il ce qui la troubla. Elle eut l'impression qu'il la connaissait.

    «Euphrasie» il répéta en avançant vers elle qui reculait.

    «Attention, Euphrasie! Tu pourrais tomber dans le fleuve» la reprit-il sardonique, en la fixant avec insistance, en pénétrant son âme avec une facilité déconcertante. Il n'avait pas deux yeux, mais bien deux lacs de sang, une veine écarlate qui le rendait démoniaque, ce qu'elle aperçut nettement. Il sourit en espérant la tranquilliser, mais il obtint l'effet contraire.

    «J'étais présent à ton mariage, le hasard m'a amené jusqu'à cette église. Mon retour à Saint-Malo a vraiment été amusant! Je pense qu'on parle de ton refus dans toute la ville et je me demande avec quel courage tu rentreras chez toi» dit-il pensif, levant le regard au ciel et un rayon de soleil percuta son iris sombre. Euphrasie ne répondit pas, elle le scrutait méfiante.

    «Tu ne me demandes pas qui je suis? » l'interrogea-t-il étonné. Obstinée, elle ne bougea pas d'un muscle.

    «Je me présente, je suis Venance, fils de peu mais d'honnêtes gens» il esquissa une révérence. Euphrasie leva un sourcil et sourit finalement.

    «Peu?» lui fit-elle remarquer, intriguée par la boutade. Venance, satisfait, ouvrit grand les paupières.

    «Tu m'écoutes» affirma-t-il, en feignant une joie exagérée.

    «J'écoute toujours ceux qui m'adressent la parole» s'assombrit-elle.

    «Oh, je sais! Tu écoutes même ceux qui ne t'adressent pas la parole» dit-il sibyllin. Elle ne releva pas cette obscure provocation et continua à le fixer, cherchant à comprendre ses intentions. C'était difficile de soutenir ces yeux qui la mettaient très mal à l'aise, qui la faisaient se sentir sans défense. Elle serra les dents, elle ne supportait pas la supériorité psychologique d'autrui, elle aimait l'exercer mais pas la subir. Elle refusa de détourner son attention et elle sentit son cœur battre la chamade sans raison. Venance semblait capter ses émotions, jouant avec elles sans vergogne. 

    «Que voulez-vous?» siffla-t-elle à bout, le silence était sa meilleure arme, mais aussi la plus efficace pour la renverser. L'homme secoua la tête en signe de refus.

    «Pourquoi êtes-vous ici?» elle était rigide, l'hilarité provoquée par la réplique peu avant avait disparu. Venance soupira résigné.

    «Si tu pouvais seulement imaginer pourquoi je suis là Euphrasie! Si seulement tu le suspectais, tu serais exactement comme je voudrais, mais la perfection n'existe pas, bien que tu la frises»

    Elle trembla encore.

    «Que savez-vous sur moi? » elle fronça les sourcils d'un air menaçant.

    «Rien qui puisse me faire dire que je te connais. Sur toi je sais juste que tu existes et j'ai passé quatre longues années en sachant cela» il n'était pas clair, vraiment pas et Euphrasie sombrait dans la plus complète confusion.

    «Je ne sais pas si je suis revenu pour toi, en réalité je t'avais oublié, toi, ton parfum et ta peau, si lisse. Je t'ai revu par hasard et je t'ai suivie» il fut si direct qu'elle chancela presque. 

    «Ma peau? Qu'est-ce que vous êtes en train de raconter? Vous êtes ivre» elle s'attaqua à ce qu'il y avait de plus déplacé dans ce discours décousu.

    «Pendant un temps. Plus maintenant» répondit-il du tac au tac. Il sourit maléfique, effrayant et elle prit peur. Il la vit blanchir, et se rendre compte que sa mémoire se déroulait était gratifiant. Euphrasie oscilla la tête. Elle soupira incrédule.

    «Vous» murmura-t-elle dans un filet de voix. Il ne réagit pas «Vous êtes l'homme de l'auberge» enfin  la brume se dissipa.

    «Tu ne m'as pas oublié?» il fut subtil, plein d'espoir. La jeune femme chancela, et elle le dépassa soucieuse, lui tournant ainsi le dos.

    «Vous êtes l'homme qui m'empêcha de boire. Oui, je me souviens bien, je me souviens de tout comme si c'était hier! Et vous vous souvenez de moi?» elle parut enfantine, troublée par le fait que devant l'autel elle s'était justement souvenue de cette soirée-là. Venance eut une expression attendue, comme si tout était logique et

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