L'Enfant de la Villette
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Aperçu du livre
L'Enfant de la Villette - Pierre Bouchardon
Pierre Bouchardon
L’Enfant de la Villette
SAGA Egmont
L'Enfant de la Villette
Image de couverture : Shutterstock
Copyright © 1930, 2021 SAGA Egmont
Tous droits réservés
ISBN : 9788728078075
1ère edition ebook
Format : EPUB 3.0
Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.
Cet ouvrage est republié en tant que document historique. Il contient une utilisation contemporaine de la langue.
www.sagaegmont.com
Saga Egmont - une partie d'Egmont, www.egmont.com
A Madame Théodore Lescouvê .
P. B.
L’enfant de la villette
L’enfant avait le crâne fracassé et il portait à la gorge une blessure si profonde que la tête avait été presque entièrement séparée du tronc. A la pointe du jour, le 17 mars 1840, des maraîchers, qui traversaient la commune de la Villette en se dirigeant vers Paris, l’avaient découvert dans un fossé bourbeux, destiné à recevoir les eaux de l’agglomération. C’était un petit garçon de douze à treize ans, aux traits gracieux, mais aux membres grêles. Ses vêtements, propres et en bon état, laissaient supposer qu’il appartenait à une famille d’ouvriers aisés. Autour de ses hanches flottait une blouse brune que n’enserrait plus une ceinture de cuir verni, ramassée à quelques pas de là. Son pantalon avait glissé sur ses genoux et sa coiffure, — une calotte grecque, — faisait tache rouge au milieu du fossé. Dans une gibecière d’écolier qu’il portait en sautoir, on trouva une toupie. Enfin, une médaille de la Vierge, en argent, pendait à son cou, retenue par un cordon.
En un point du chemin vicinal que les maraîchers se trouvaient suivre, tout le long des terres labourées, au moment de la découverte du cadavre, s’étalait une mare de sang. Nul doute que le crime n’eût été commis là. D’autre part, le double sillon tracé par les roues d’une charrette et des tracés de piétinements nombreux pouvaient faire croire que la victime avait été amenée vivante et qu’on l’avait assaillie, peu de temps après sa descente de voiture.
Ce n’était qu’une hypothèse, mais, en tout cas, il parut certain que l’enfant avait reçu le coup fatal, au moment où il accomplissait un besoin naturel. La disposition de ses vêtements ne l’attestait que trop. Et, dès lors, il devenait facile de reconstituer le dernier acte du drame. Le pauvre petit avait été frappé, quand il s’y attendait le moins. Sous le choc d’un marteau ou de toute autre arme aussi terrible, sa boîte crânienne avait littéralement volé en éclats. On avait ensuite, avec un rasoir ou un couteau bien affilé, procédé à la section de la gorge et l’on s’en était allé déposer le cadavre dans un fossé tout proche ; L’autopsie ne put que confirmer d’aussi visibles constatations et elle fit remonter la mort à une dizaine d’heures avant le passage des maraîchers.
Mais quelle déconcertante audace, avait été celle des assassins ! Quelle insouciance des plus élémentaires précautions ! Le, lieu choisi pour le crime se trouvait en terrain découvert et à une portée de fusil à peiné d’une dés routes les plus fréquentées qui fût, aussi bien la nuit que le jour : la grand’ route d’Allemagne. Que l’enfant eût poussé un seul cri, et des passants fussent accourus aussitôt ! Toutefois, aucune rumeur, aucun gémissement n’étant venu troubler le silence de cette nuit de mars, les criminels (ou le criminel) avaient eu le temps de prendre leurs sauvegardes, et l’enquête apparaissait, dès l’abord, comme fort difficile. Elle devait l’être encore bien plus qu’on ne l’avait supposé.
Le Parquet de la Seine avait été averti de toute urgence. Dans la matinée, le substitut du procureur du roi Croissant se transporta sur les lieux et il procéda à la première enquête, avec l’assistance du commissaire de police Moulion.
On déposa le petit corps dans une des salles du bâtiment de l’octroi, et tous les habitants de la Villette furent admis à le visiter. Nul ne le reconnut.
On l’apporta alors à la Morgue. C’était déjà ce minuscule bâtiment sinistre que tous les Parisiens ont bien connu, adossé au parapet du petit bras de la Seine, derrière Notre-Dame, et dont la disparition ne date que de ces dernières années. Jusqu’à la fin de la journée du 17 mars et pendant toute celle du 18, les curieux ne cessèrent d’affluer, se bousculant pour mieux voir, les femmes poussant des cris d’effroi, chacun regardant de tous ses yeux l’enfant de la Villette qui reposait, sanglant encore, sur la dalle nue. L’enfant de la Villette ! On ne parlait plus, à tous les carrefours, que de l’enfant de la Villette, et il n’était pas, d’ailleurs, d’autre nom que l’on pût donner à la victime, car, circonstance assez singulière, malgré tout le bruit fait par la grande presse autour de ce crime horrible, malgré le retentissement douloureux qu’il avait eu dans les cœurs, personne ne signalait d’enfant disparu, personne ne venait dire : « C’est le petit Un tel, je le reconnais », personne même ne laissait échapper un de ces mouvements de surprise que les agents en bourgeois, intentionnellement dissimulés au milieu de la foule, n’eussent pas manqué de saisir au vol.
Décidément, l’affaire se présentait mal.
Toutefois, le 19, on crut bien tenir le coupable, sans que la question de l’identité fût résolue encore. Un sergent de ville remarqua, parmi les spectateurs les plus empressés, un guenilleux à la mine sombre, dont la blouse — une loque — était maculée de sang en plusieurs places. Conduit aussitôt devant le commissaire de police, l’homme déclina son nom, son adresse et sa profession : Gabriel Loiseau, trente et un ans, ouvrier de port. Il fit connaître qu’il avait accompli son congé au 28e régiment de ligne, d’où il était revenu avec les galons de caporal, et qu’il logeait dans un garni du faubourg du Temple. Les taches dont il était couvert provenaient, expliqua-t-il, de certaines blessures qu’il portait effectivement aux mains et que, faute de serviette, il avait épongées avec sa blouse. Disait-il vrai ? Peutêtre, Toutefois, on jugea plus prudent de le garder à la disposition de la justice, car il avoua que ses travaux l’appelaient d’une façon fréquente dans la commune de la Villette. D’autre part, il rendait un compte peu satisfaisant de l’emploi de sa soirée à l’heure probable du crime.
Loiseau se laissa arrêter, sans esquisser même un geste de révolte. Apathique de nature, il paraissait indifférent à son sort, et cette attitude venait plutôt à sa décharge. D’ailleurs, une perquisition effectuée dans sa misérable chambre ne donna aucun résultat et des vérifications précises démontrèrent qu’il ne pouvait être l’auteur de l’assassinat de la Villette. Il fallut donc le relâcher, et l’instruction replongea dans la nuit. Alors…
Alors, comme les recherches s’annonçaient longues et qu’il fallait avant tout éviter la décomposition du petit cadavre, on décida de recourir à une mesure sans précédent dans les annales judiciaires. Un savant français, M. Gannal, venait de découvrir un procédé d’embaumement qui donnait à la chair morte, aussi longtemps qu’on voulait, l’illusion de la vie. Une simple injection dans les carotides d’une solution de sel alumineux, et la peau reprenait son incarnat ainsi que sa fraîcheur. Le juge d’instruction Garnier-Dubourgneuf commit donc M. Gannal à l’effet de procéder à cette résurrection, et l’opération réussit à merveille, en dépit des affreuses blessures du crâne et de la face.
Recousu, embaumé, revêtu de ses habits, le visage discrètement enluminé de vermillon, les bras disposés le long du corps en un geste gracieux, l’enfant de la Villette fut étendu sur un petit lit blanc qui surmontait une estrade. Il semblait s’être endormi en faisant de beaux rêves…
Aussitôt, se produisirent d’étranges coups de théâtre.
Le 23 mars, un écolier revêtu de l’uniforme d’un pensionnat de la banlieue, — veste bleue à boutons d’or, ceinturon de cuir et haute casquette, — entra à la Morgue et, se faufilant dans les rangs de la foule, réussit à s’approcher de la vitrine, assez près pour bien voir. A peine eut-il jeté les yeux sur le corps, qu’il poussa cette exclamation : « Tiens, c’est Edouard ! » Des agents accoururent et le pressèrent de questions. Sans se troubler et avec l’accent d’une sincérité évidente, il leur répondit qu’il reconnaissait, sans doute possible, un de ses camarades de classe. Quelqu’un alors sauta dans un cabriolet et ramena en toute hâte le maître de pension. Mais celui-ci, au premier coup d’œil, dissipa l’erreur. Il venait de laisser Edouard bien vivant dans la cour de son école ; même, le petit était en train de jouer à la balle.
Hallucination d’enfant ! Toutefois, vingtquatre heures ne s’étaient pas écoulées que la victime fut reconnue, et reconnue dans des conditions aussi peu faillibles que dramatiques.
Le mardi 24 mars, à peine les portes de la maison des morts étaient-elles ouvertes, qu’une femme, d’une quarantaine d’années, toute petite et vêtue de façon modeste, se mêla au public. Longtemps, sa taille ne lui permit pas de voir quoi que ce fût. Mais, à force de persévérance, elle parvint à gagner le premier rang. Elle n’eut pas plus tôt regardé du côté du petit lit qu’elle jeta des cris affreux et tomba à la renverse. Ses voisins s’empressèrent, tout émus, et tentèrent de la ranimer. Ils y parvinrent à grand’peine et seulement quand la police eut fait évacuer la salle. Alors, dans l’atmosphère apaisée, l’inconnue se mit à parler à mots précipités, ne s’interrompant que lorsque les sanglots étouffaient sa voix :
« C’est mon fils, j’en suis sûre. Eh bien ! j’aime mieux le retrouver là que de vivre au milieu des angoisses dont je suis torturée depuis neuf mois. C’est mon petit Philibert, un enfant que j’ai eu, il y a dix ans, à Sainte-Reine, dans la Côte-d’Or. Au mois de juillet dernier, je l’avais envoyé reporter de l’ouvrage dans une maison voisine du 8 de la rue d’Ormesson où j’habitais alors. Il n’est jamais revenu. Et cependant, j’ai appris qu’il s’était fidèlement acquitté de la commission. Qu’a-t-il fait depuis cette époque ? On me l’aura volé avant de l’assassiner, car il n’y avait pas plus sage et plus régulier que lui. Grand Dieu ! Le pauvre innocent était bien incapable de vagabonder et de se mal conduire. Demandez plutôt à tous nos voisins ! »
Et pendant qu’elle discourait ainsi, dans la salle même où se dressait le lit funèbre, elle contemplait avec désespoir la petite momie.
« Tenez ! Voilà la cicatrice qui marquait son front ! Que vois-je encore ? La médaille de la Vierge que je lui avais attachée au cou ! Oh ! c’est lui ! C’est bien lui ! »
La malheureuse mère avait nom Chavandret et était portière, depuis peu de temps, rue du Four. Pour ne négliger aucun élément, le juge Garnier-Dubourgneuf manda plusieurs habitants de la rue d’Ormesson.
Tous reconnurent, en l’enfant de la Villette, le jeune Philibert, dont les traits leur étaient familiers. On sut d’autre part que celui-ci avait fréquenté l’école d’enseignement mutuel de la rue de l’Homme-Armé. M. Metge, le directeur, le reconnut également, et il en fut de même d’un portier de la rue Bellechasse, beau-frère de la femme Chavandret, qui s’écria, en entrant dans la salle :
« Pauvre Philibert ! Te voilà donc mort ! »
L’identité se trouvait établie, tout autant que le témoignage humain peut renfermer de force probante. Restait à découvrir le criminel. Restait à savoir dans quel dessein l’enfant avait été aussi longtemps dérobé à sa mère, sans que, vivant, il eût pu s’évader ou donner de ses nouvelles, et pourquoi surtout il avait été égorgé.
Mais, avant de s’aventurer sur ce terrain difficile, le juge eut l’idée d’entendre à nouveau la portière de