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Pied-noir, chef de harka et sans état d'âme
Pied-noir, chef de harka et sans état d'âme
Pied-noir, chef de harka et sans état d'âme
Livre électronique578 pages8 heures

Pied-noir, chef de harka et sans état d'âme

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À propos de ce livre électronique

L’auteur raconte son histoire et celle de sa famille : - La légende familiale constituée des souvenirs racontés par les parents et qui résument l’aventure humaine d’une famille de pied noir arrivée en Algérie vers 1850. - De sa naissance avec ses souvenirs vécus et les choses qu’il a vues et auxquelles il a participé jusqu’à son départ pour le service militaire. - Sa guerre d’Algérie comme chef de harka dans le Constantinois, ses joies, ses peines, ses peurs, et surtout l‘amour qu’il a éprouvé pour ces hommes qui ont servi sous ses ordres ainsi que pour leur famille, et leur abandon par l’armée. C’est aussi l’évocation de petites histoires qui décrivent la vie d’un chef de section de 20 ans, perdu dans la montagne et qui doit tout résoudre seul. C’est en résumé la synthèse de 21 mois à beaucoup marcher, à beaucoup observer, à beaucoup chercher, à se battre un peu mais avec intensité et à aiguiser la patience. C’est le retour à Alger en janvier 1962 avec tous ces morts et ces violences, puis c’est la fin d’une vie en Algérie heureuse, l’autre va commencer en métropole en juillet 1962.
LangueFrançais
Date de sortie10 avr. 2013
ISBN9782312009537
Pied-noir, chef de harka et sans état d'âme

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    Aperçu du livre

    Pied-noir, chef de harka et sans état d'âme - Jean-Jacques Hanriot

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    Pied-noir,

    chef de harka

    et sans état d’âme

    Jean-Jacques HANRIOT

    Pied noir,

    chef de harka

    et sans état d’âme

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Edouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00953-7

    Avant-propos

    Il est toujours difficile de commencer, et peut-être ambitieux ou vaniteux de s’attaquer à l’histoire ou plutôt aux souvenirs de la famille, mais comme il s’agit de ma famille, j’en suis un peu propriétaire et j’ai quelques droits sur elle, mais le lecteur devra être indulgent, car l’enthousiasme, la pensée et les souvenirs entraînent, quelquefois, une certaine déformation ou plutôt, un embellissement des choses et des faits. Le temps passe et les souvenirs s’estompent, nos enfants qui n’ont pas vécu comme nous, c’est-à-dire entourés des grands-parents, des oncles, des tantes, des cousins et des cousines, n’ont pas été baignés, dès leur plus jeune âge, dans les histoires de la famille.

    Les grands-parents, mon père ou la tante Germaine, sa sœur qui faisait un peu office de griot ou de dictionnaire vivant, nous racontaient cette histoire. J’évoquais souvent ces souvenirs devant mes enfants, je parlais de ce passé, et vraisemblablement en répétant une fois de plus la même histoire, quand Frédéric, notre troisième fils, me lança :

    - Quand tata Germaine ne sera plus là, et toi non plus, tout cela disparaîtra. Très vite ton passé, votre passé n’auront plus beaucoup de signification pour nous. Tu devrais mettre sur le papier tous ces souvenirs, tu n’oublies pas non plus que nous n’avons pas de base arrière, votre départ d’Algérie l’a empêché.

    Cette histoire de la famille que j’appellerai un peu « La légende familiale », s’appuie sur les souvenirs des uns et des autres, sur ceux répétés à chaque rencontre, sur ceux glanés par-ci, par-là, sur un peu de recherche généalogique, donc avec quelques traces relevées sur des documents officiels, mais elle s’embellit au cours des années, et dans quelque temps, elle risque fort de ne plus avoir beaucoup de rapport avec la réalité. Mon ambition ou plutôt mon espoir, est d’essayer de raconter ce que j’ai entendu sur la famille pour le passé, sur mes aventures de jeune homme, sur ma guerre comme chef de harka à 20 ans, c’est l’objet de ce livre.

    Ensuite, mais là c’est une autre histoire que je raconterai peu être ultérieurement, c’est la vie de la famille que j’ai fondée avec Yolande et plus tard celle avec les enfants. Si mes enfants ont le courage de lire l’ensemble j’espère qu’ils vont trouver des racines ou s’en constituer, car malheureusement notre départ d’Algérie a fait disparaître cette base solide et terrestre, que notre vie de nomade à travers les différentes garnisons de France et d’Allemagne, où nous avons été affectés, n’a pas permis de construire sur des bases immobilières ou régionales.

    La tante Germaine, la sœur de papa, était un peu la mémoire de la famille, elle a gardé les pieds sur terre et surtout la tête bien claire, on peut ajouter aussi son plaisir de parler. C’était le conteur de la famille, le « griot africain ». C’est grâce à ses récits et aux souvenirs de mon père que j’ai commencé mes recherches à la poursuite des traces de la famille paternelle et maternelle. Pour remonter le plus loin possible j’ai écrit à Nantes qui, comme chacun le sait, est le lieu de naissance ou plutôt celui où sont regroupés les documents d’état civil de tous ceux qui ne sont pas nés en Métropole. À partir des renseignements obtenus, j’ai pris contact avec l’état civil des différentes mairies de notre région d’origine. C’est le BA. Ba de la généalogie. Après il faut se rendre sur place pour faire des recherches sur la période située avant la révolution où l’état civil n’existait pas.

    Je vais raconter ma guerre comme chef de harka au 151e Régiment d’Infanterie Motorisé dans le secteur de Guelma dans le constantinois. J’ai longtemps hésité, mais depuis un certain temps, la télévision projette des films ou passe des émissions où on ne parle que de tortures et de massacres, comme si la guerre d’Algérie ne s’était illustrée que par ces actions, on ne parle pas de l’action sanitaire, humanitaire et éducative que l’armée menait contre vents et marées dans des conditions très difficiles dans toute l’Algérie, en ne faisant que poursuivre l’action de nos anciens, ceux dont on ne parle jamais car on privilégie l’anticolonialisme, c’est plus facile et plus tendance, c’est plus porteur et va dans le sens de l’histoire écrite par certains qui obèrent la réalité du terrain. J’en arrive même à penser que mes enfants qui pourtant m’ont vu vivre et qui me connaissent, mais qui baignent dans ce qui se raconte, par les énormités qui se disent qui se lisent ou que l’on voit à la télévision, ont quelques réticences à comprendre ce que je raconte qui est souvent en contradiction avec ce qui se dit dans les médias. L’écriture aura peut-être plus de poids.

    C’est un peu comme la réaction des petits-fils de harkis à qui l’on a appris à l’école, en France, que leurs grands-parents qui servaient la France, étaient des traîtres, on oublie de leur dire que les traîtres c’était les autres, ceux qui s’attaquaient à la France, car l’Algérie était française jusqu’en juillet 1962 et ceux qui la servaient étaient des français, les autres des traîtres, des hors la loi.

    Enfin le combat pour convaincre est difficile et long, mais il ne faut pas baisser les bras. C’est un peu la raison qui m’a amené à choisi de mettre dans mon titre sans état d’âmes, car j’ai fait ce que je devais faire, du mieux possible, sans me poser de questions car j’ai pensé que mon pays, l’Algérie, était attaqué et qu’il fallait le défendre par tous les moyens.

    Lorsque je suis arrivé en métropole le 1 juillet 1962, j’ai tiré le rideau, une autre vie commençait, elle n’allait pas être très facile au début, mais étant d’une famille de pionniers, comme la plupart des pieds-noirs, j’ai regardé vers l’avant, il n’y avait plus rien derrière sauf les souvenirs.

    Ce que je vais écrire peut se diviser en trois parties.

    La première partie, c’est la légende familiale racontée par mon père et sa sœur Germaine. Je ne suis pas encore de ce monde.

    La seconde partie, c’est mon enfance et mon adolescence. Le bonheur dans l’insouciance, l’école, le collège, la fête malgré le début des « événements »

    La troisième partie, c’est ma guerre comme chef de harka au 151e Régiment d’Infanterie Motorisée dans le secteur de Guelma dans le Constantinois, et mon action comme civil à Alger de janvier 1962 à juin 1962.

    J’ai écrit ces souvenirs au moment où je me suis retrouvé rapatrié d’Algérie en octobre 1962, hébergé chez mon oncle Raoul à Vaulx-en-Velin. Entouré de Yolande mon épouse et de mes parents. Nous étions logés tous les quatre, Yolande mes parents et moi-même dans une chambre de 8 mètres carrés avec un lit à deux places pour les anciens, un petit lit pour Yolande et moi je dormais par terre sur un matelas pneumatique. Nous ne savions pas quoi faire en attendant de trouver du travail. J’ai donc décidé de regrouper mes souvenirs sur des cahiers d’écolier. Pour les souvenirs anciens, ils faisaient partie de moi, pour ceux de la guerre, ils avaient entre trois ans pour les plus anciens et un peu plus de neuf mois pour les autres. Je pense que j’ai restitué tout ce qui suit comme si je le vivais encore. Il m’arrive parfois lorsque je me relie de me demander si cela a été réel, et pourtant je n’ai pas pu inventer tout ce que j’ai vécu et tout ce que j’ai écrit quasiment dans la foulée des événements.

    Partie I

    La légende familiale

    Le commencement

    L’histoire commence en Haute-Saône, dans une région que l’on nomme plus familièrement la Haute-Patate, en Franche-Comté. Le premier Hanriot dont j’ai trouvé la trace s’appelait Jean-Claude, il est né à Neuvelle-les-Cromary, mais je n’ai pas retrouvé sa date de naissance. Il était agriculteur. Il s’est marié avec Marguerite, et leur fils Joseph est né le 13 fructidor de l’an VIII.

    Joseph épouse Jeanne, Denise Maire, ils ont cinq enfants. C’est une famille de paysans qui travaille autour de Neuvelle-les-Cromary. L’un de leurs fils, Bonaventure, surnommé «Bonbon», mon arrière-grand-père est né le 31 octobre 1839, cent ans avant moi. C’est lui le premier qui met le pied en Algérie. À cette époque, le service militaire durait 5 ans, les recrues étaient désignées par tirage au sort.

    Pas de chance pour lui, il tire un mauvais numéro. Sa famille n’ayant pas les moyens de lui payer un remplaçant, il part pour l’Algérie.

    Après le service, il choisit, comme cela était possible à l’époque pour les soldats, de rester en Algérie pour mettre en valeur une terre, une concession comme l’on disait. Il reçoit un bout de terrain dans la région de Boufarik au sud d’Alger, une partie de terre arable et l’autre de marais. C’est ce morceau de marécage qu’il faut assécher et assainir que l’on appelle Beni-Djendel. C’est une zone inondée de l’oued Mazagran, riche par les alluvions que les nombreuses inondations amènent, on pouvait se croire en Égypte si l’on ajoute les moustiques et le paludisme. Il devait avoir une santé de fer car, à l’époque, beaucoup de colons mouraient du paludisme.

    Nous entrons maintenant dans la légende familiale, car mon père et la tante Germaine nous ont toujours décrit leur grand-père comme un homme particulier et très fort. Bonaventure pouvait tordre une pièce d’argent de cinq francs entre le pouce et l’index, il soulevait une barrique de vin d’un demi-muid (plus de 150 kilos) entre ses bras pour la descendre des charrettes à chevaux. Impossible de savoir quelle est la réalité, mais les petits-enfants voyaient leur aïeul comme un homme extraordinaire.

    Il devient exploitant agricole ou colon comme on disait alors, même si cette expression semble péjorative pour un certain nombre de Français, elle est pour nous pieds-noirs, un titre de gloire. Il représente le courage, la ténacité et la difficulté de la vie de ces hommes et l’orgueil de l’œuvre accomplie. D’un marécage il a fait une terre cultivable. Il épouse à Boufarik, Margueritte Barbantan originaire de Barbentane, village proche d’Avignon.

    Elle est arrivée de Provence avec son frère. Son père était concierge au palais des Papes en Avignon. C’était un entrepôt militaire qui devait servir de magasin pour le service du génie. Enfin la famille habitait dans le quartier de la Balance en Avignon. Ce quartier ne faisait pas partie des quartiers recommandables, on y trouvait les maisons accueillantes et autres bistrots de mariniers du Rhône, il avait mauvaise réputation.

    La famille Barbantan a émigré vers l’Algérie dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

    Cette union donne neuf enfants, mais seulement six viables, dont mon grand-père Clément né le 1er mai 1879 à Boufarik, 60 ans avant moi. Au cours de cette vie difficile de colon boufariquois, Bonaventure a une attaque alors qu’il labourait son champ, il devient aveugle. Ne pouvant continuer cette vie de cultivateur, il vend sa terre à un métropolitain et achète en ville, à Boufarik, une petite buvette. C’est un homme habile, car malgré sa cécité, il sert au comptoir ne se trompant jamais sur les bouteilles ni sur les quantités. Faire vivre huit personnes sur ce petit commerce ne devait pas être facile et je pense que le local a été finalement vendu.

    Clément devait entrer aux chemins de fer algériens, mais comme il était un fanatique du sport, il n’a pas été accepté, il est devenu facteur. Il épouse le 27 août 1904 Marie, Ascension Martinez. Le sang espagnol vient de faire son entrée chez les Hanriot. Mais étant d’origine francomtoise, je crois que nous devions avoir déjà du sang espagnol dans les veines. Toujours est-il que ce mariage donne naissance à quatre enfants, Marcel mon père l’ainé, Germaine, Odette et Maurice le seul à être né à Marengo, les trois autres sont nés à Boufarik.

    L’arrière-grand-mère espagnole, la mère de Marie, s’appelait Maria-Antonia Loppis, elle est arrivée en Algérie, âgée de 7 jours, dans les bras de ses parents. Dans le même bateau voyageait aussi une autre famille espagnole, les Martinez et surtout celui qui allait devenir le grand-père, Joseph Martinez âgé de 7 ans. Sa famille était originaire de Elche. Les deux familles se sont installées dans la même ferme au Camp d’Erlon proche du village de Douéra. Joseph Martinez avait une caractéristique particulière, il mesurait 2,02 mètres ce qui est inhabituel comme taille pour un Espagnol. Il était surnommé El largo par les Espagnols, et l’touille par les Arabes. Ma tante Germaine a toujours cru que c’était la tuile, mais c’était l’touille, le grand en arabe. Ils eurent cinq enfants dont Marie ma grand-mère.

    Un certain nombre d’aventures arrive à cette famille au revenu très modeste. Mon père me disait toujours que le gros pain était la base de l’alimentation, et que la viande était réservée aux jours de fête. Les cadeaux de Noël se limitaient à une orange. Il disait aussi, en riant, que l’on mettait une sardine dans une bouteille et qu’il fallait frotter son pain sur le verre pour avoir l’illusion de manger des sardines.

    Des souvenirs, de la famille de Clément Hanriot mon grand-père

    Le grand-père Clément était un grand sportif il courait le 100 mètres en 11 3/5°, il était champion d’Alger de cette spécialité. Sur les photos de la famille, on le voit avec la casquette, la ceinture de flanelle et les chaussures sans pointes, posant fièrement les poings sur les hanches. Son amour du sport lui avait valu, quelques années plutôt, d’être refusé aux Chemins de fer algériens alors qu’il avait été admis, car il faisait trop de sport. C’est pour cela qu’il est devenu facteur. Son fils, Marcel, mon père, sportif comme lui, a commencé par faire les courses autour de Boufarik dés l’âge de 9 ans. Mais très vite il s’est spécialisé dans les courses de vitesse, 100 mètres, 200 mètres, 400 mètres, saut en longueur, en hauteur. Lui aussi a été champion d’Alger du 100 mètres en faisant 11 5/10e, améliorant les performances de son père. J’ai suivi le mouvement, mais compte tenu de ma morphologie, et c’est une manière délicate de dire que j’étais gros, je me suis spécialisé dans les lancers, mais j’en parlerai plus loin.

    Toujours le grand-père, il était facteur itinérant à Boufarik, et son travail consistait à distribuer le courrier dans les villages des environs. Il parcourait chaque jour ou peut-être tous les deux jours, 30 à 40 kilomètres. Au début de 1914, il attrapa le paludisme ce qui le mit en grande difficulté pour faire son travail. Il lui était difficile de s’arrêter en se faisant porter malade, car je pense qu’à cette époque cela ne devait pas être possible. Mon père qui avait presque 9 ans, quitta l’école pour l’aider. Il portait le sac de courrier et mon grand-père se traînait à côté de lui. Cela dura presque 6 mois. Quand il voulut reprendre l’école, le maître décida de lui faire redoubler sa classe. Mon pére à 10 ans quitta définitivement l’école pour devenir apprenti.

    Le grand-père Clément était militariste, mais un très mauvais militaire, sur une année de service, il en a passé plus de la moitié en salle d’arrêts ou en prison. C’était surtout pour les paris plus ou moins farfelus que l’on faisait à cette époque qui se terminaient en taule.

    - Je te parie que je casse cette porte d’un coup de tête.

    Et vlan! La porte en l’air, et hop en taule. Mais il aimait l’armée, et en parlait souvent à son fils aîné. Á Boufarik il jouait du clairon dans la fanfare car pendant son service dans les Zouaves, il était clairon. Papa me racontait toujours l’aventure de son père qui, au cours d’une marche, comme on savait les faire à cette époque, marche de 45 kilomètres dans la région de Médéa, et surtout avec la côte de Médéa, longue 12 kilomètres, avec le paquetage complet sur le dos. Ce paquetage comprenait, l’as de carreau (c’était un sac carré en peau de vache, sur lequel il y avait tout l’équipement, le campement, les vivres, le fagot de bois, et souvent une ration de paille ou d’avoine pour les chevaux, en tout de l’ordre de 35 à 40 kilos, sans oublier l’équipement que le soldat portait sur lui et qui comportait, même en Algérie, la capote en été). La fanfare marchait devant, avec les clairons qui sonnaient en marquant le pas pour faciliter la marche. En plein mois d’août, l’ancien a soufflé jusqu’au bout, puis il a été évacué sur l’hôpital de Blida où il a failli mourir d’insolation et d’une maladie des bronches. Cette maladie, ses quatre enfants et son métier de facteur l’ont exempté de partir se battre pendant la grande guerre.

    Papa a exercé de nombreux métiers, il a commencé à 10 ans, il était aide-charpentier. Un jour ma grand-mère l’a aperçu à quelques dizaine de mètres au-dessus du sol dans une charpente et il a dû quitter cet emploi car elle ne voulait pas que son fils de 10 ans travaille aussi dangereusement. Après il a été tonnelier, cela devait marcher, car il est resté longtemps dans cet emploi. Il apprenait aussi la mandoline, mais un coup de maillet sur un doigt lui a fait abandonner la tonnellerie et la mandoline. Je l’ai d’ailleurs toujours vu se limer cet ongle qui devait le gêner. Enfin son dernier travail dans le civil, a été mouleur dans une fonderie. Il était entré à l’usine Blachére à Maison-Carrée où sa famille avait déménagé. Ce travail a développé chez lui l’habilité à utiliser ses mains, car je l’ai toujours vu faire des poteries et des sculptures avec de la terre glaise. Il me disait que c’était chez Blachére qu’il avait appris à se servir de ses mains.

    Le facteur, Clément, est muté en France et la famille s’installe à Toulon dans un quartier près du port que l’on appelle maintenant Chicago. L’immeuble où ils habitaient, était entouré de boîtes à matelots, ce qui devait être folklorique et dangereux pour les deux sœurs de papa. Après une année, le facteur n’arrivant pas à s’habituer à la vie à Toulon a été muté à nouveau, à Hussein-Dey.

    La vie militaire de papa

    Mon père a devancé l’appel en 1925. Il a rejoint le 65e Régiment d’Artillerie d’Afrique à Blida. Sa vie militaire, telle qu’il me l’a racontée, est un vrai roman, mais dans le fond, je sais qu’il est devenu militaire beaucoup plus par amour du sport que de l’armée. Il me disait toujours

    - L’armée pour moi, c’était le sport.

    Son arrivée à la caserne s’est faite entre deux incorporations d’appelés. Il était le seul bleu entouré d’anciens. Son père l’avait averti qu’il fallait se méfier et qu’il risquait fort de se faire chahuter pendant quelque temps. Dès son arrivée dans la chambrée qui comptait 80 lits, il s’est rendu compte qu’elle était vide en attendant l’incorporation d’un contingent. Il choisit de s’installer dans un coin, près du râtelier d’armes. En prévision de la nuit, il attacha son lit à ce râtelier avec du fil de fer et de la ficelle, puis au moment de se coucher, il pris un fouet de palefrenier qu’il a caché sous son lit.

    Dans la nuit, les anciens, pour la plupart des Alsaciens et des Lorrains, déguisés en fantômes, s’approchèrent de son lit pour virer le bleu. Mais les fils de fer étaient solides, et le lit ne bougea pas, le père Marcel jaillit de ses draps avec le fouet et repoussa l’attaque. Á partir de ce moment, sa réputation était faite, il fallait laisser Hanriot tranquille, c’était un mauvais coucheur. Cette réputation l’a suivi toute sa carrière, et par principe, on le laissait tranquille.

    Puis il a commencé une partie pénible de l’instruction, les classes à cheval qui furent pour lui très difficiles. Comme manuel, il ne connaissait pas la position assise, et là c’était 4 heures de cheval par jour, ce qui transformait ses fesses en lieux propices pour les furoncles, les coupures et la douleur. Tous les matins en se levant, il devait décoller son caleçon collé par le sang et le pus. Se portant consultant, il est tombé sur un médecin Major comme on n’en fait plus :

    - Je peux t’exempter, mais quand tu remonteras, cela recommencera. La seule solution, c’est que tous les soirs, tu ailles tremper tes fesses dans l’abreuvoir des chevaux, et tu verras à la longue, ça passera.

    Connaissant papa, il a dû suivre la prescription sans nuances. La bave des chevaux ajoutée à l’eau très froide, car il devait casser la glace de l’abreuvoir pour tremper ses fesses, l’ont guériC’est ensuite les pelotons de brigadiers qu’il réussit brillamment, puis ceux de sous-officiers, enfin sa nomination comme maréchal des logis et le départ pour l’École des sports militaires à Joinville-le-Pont où il est devenu moniteur militaire d’éducation physique.

    La vie à Paris comme jeune maréchal des logis a été un des ses meilleurs souvenirs. Cependant, ce qui l’avait le plus frappé, c’est l’accueil à l’école. Avant même de rejoindre les cantonnements, on les a regroupés dans une salle de cinéma et on leur a projeté des photos sur les maladies vénériennes, avec beaucoup de gros plans sur les résultats de ces contaminations, avec de la couleur et des commentaires comme on sait les faire entre hommes, la menace aussi de se faire renvoyer du cours si l’on ramenait un petit souvenir des petites femmes de Paris.

    Plus tard on leur a appris, et il m’en a toujours reparlé, qu’il n’y avait pas de risques d’hydrocution après un repas normal. On les faisait plonger dans la Marne après le repas. Par contre il a ramené aussi un principe qui l’a suivi jusqu’à la fin de sa vie et qui dans un certain sens l’a traumatisé, il fallait aller à la selle une fois par jour, et cela l’a obnubilé jusqu’à ses derniers jours. Parmi ses souvenirs parisiens, il y avait une bonne place pour les bals le long de la Seine, il aimait danser et il passait ses dimanches avec ses copains dans les caboulots rendus célèbres par un film comme Casque d’or.

    De retour en Algérie après son stage de six mois, il est affecté pour l’instruction dans une batterie du 65e Régiment d’Artillerie d’Afrique, à Boghari dans le sud algérois. Dès son retour de Métropole au début de l’été il rejoint son corp, mais il a oublié que le soleil d’Algérie, surtout dans le sud, est fort et dangereux. Il fait du sport sans précautions ni coiffure et au bout de quelques jours il est pris d’une fièvre terrible et d’un mal de tête permanent. Il doit s’aliter et entre presque dans le coma ce qui nécessite son évacuation sur l’hôpital de Blida. On commence par lui raser la tête puis il est interrogé par une infirmière. Ce souvenir lui est toujours resté car il me l’a raconté à de nombreuses reprises.

    - Quelle est votre religion ?

    - Catholique, mais pourquoi?

    - Et bien si vous mourez, on saura comment vous enterrer.

    Cette réponse l’avait beaucoup marqué. Le docteur pensait qu’il avait le typhus, et qu’il allait mourir. On l’isola dans une chambre en attendant. Ma grand-mère que l’on a cependant avertie, va tenter de faire ce que l’on appelle en Afrique du Nord, mais qui est une pratique espagnole, le soleil Ce savoir se transmet le vendredi Saint de femme à femme, il consiste à faire bouillir de l’eau dans une casserole, et après des prières à la Vierge, de retourner une cassolette en terre cuite sur cette eau. Si celui pour lequel on prie, et dont on évoque le nom et la date de naissance, a reçu un coup de soleil ou une insolation, la cassolette se remplit de l’eau de la casserole, et le soleil ou l’insolation diminue d’intensité. On y croit ou pas, mais j’ai toujours constaté les effets bénéfiques de cette opération, et prier la Vierge, de toute façon, ne peut que faire du bien. Pour mon père, dés la première prière, la cassolette a explosé, ma grand-mère s’est rendu compte que son fils avait une insolation très forte, et elle a recommencé plusieurs fois, jusqu’à ce que l’eau ne rentre plus dans la cassolette. Pendant ce temps, l’état de mon père s’est amélioré à la grande surprise du médecin qui croyait l’enterrer et qui ne le soignait plus. Quelques jours plus tard il a pu regagner la maison pour une convalescence bien méritée car il avait perdu plusieurs kilos.

    Les manœuvres ou plutôt les écoles à feux, étaient un des grands moments de la vie du régiment. Deux fois par an, il partait vers le sud de l’Algérie pour tirer dans la campagne ou la montagne. Les séjours étaient d’un mois et demi à deux mois, le déplacement se faisait à pied avec armes et bagages. Ce devait être un moment privilégié, car papa m’en parlait souvent. Le régiment ou plusieurs groupes de batteries que l’on appelait escadron, sans S comme dans la cavalerie, partaient dans la région de Boghari. Le déplacement durait un certain nombre de jour à travers la montagne.

    Il était précédé de tout le cérémonial du chargement des mulets. Papa adorait nous raconter des histoires de ces bêtes fantastiques que sont les mulets. Ma jeunesse a été bercée par l’histoire des bêtes qui ont traversé la vie de mon père. Quand j’ai dit que je voulais être militaire, mon père a été surpris en me disant qu’au fond de lui, il n’avait pas l’impression de m’avoir influencé, mais il oubliait toutes ces histoires que je connaissais par cœur, et que je lui demandais de me raconter.

    - Tu sais celle du mulet qui détachait les chevaux ou celle de Tintin.

    L’ancien démarrait, et je me régalais, il n’y avait pas de télévision, et ses histoires nous occupaient une partie de la soirée. Donc le régiment partait, mais la route était longue, chaque batterie se déplaçait sur un itinéraire particulier, tout était bon pour faciliter la marche des hommes et des mulets. Dans la batterie de mon père il y avait un nommé Bellal qui, pour la double ration, se mettait en tête de la colonne, et dès que le rythme de la marche baissait, papa lui disait :

    - Allez Bellal sid lou.

    Ce qui devait signifie « vas-y » et Bellal se mettait à chanter un chant kabyle, qui donnait la cadence, les soldats le reprenaient en cœur, et les mulets, pris par le rythme, marquaient du pas en accélérant. De ces manœuvres, on rapportait des souvenirs. Un jour papa s’est rendu compte qu’il était couvert de petites bêtes, des morpions, il les avait attrapés dans une mechta où ils avaient dormi. Comment faire disparaître tout cela ? Le DDT n’existait pas, et il a dû attendre son retour à la base arrière d’Aumale, où ma grand-mère, sa belle-mère, lui a conseillé de se frotter avec du pétrole. Très efficace, mais pas très bon pour la peau, surtout si on laisse macérer, mais papa ne faisait pas les choses à moitié.

    Une autre chose qui l’avait profondément marqué, c’est la rencontre aux environs de Boghar avec les disciplinaires des bataillons d’Afrique, plus simplement appelés « Bat’ d’Af. » Les hommes se déplaçaient toujours en courant. Ils étaient chargés de monter un immense camp de tente. Cela a été monté en moins de temps qu’il ne faille pour le dire au sifflet et à la trique. La distribution du repas se faisant aussi en courant, avec une poignée de sel dans la gamelle de celui qui avait mal travaillé. Papa était très dur, mais très humain, et ce qu’il avait vu l’avait fortement troublé.

    Dans les histoires d’animaux, il aimait celle de Tintin, son cheval pendant de nombreuses années. Cet animal n’aimait pas les sous-officiers, surtout ceux ayant des sardines sur les manches (galons des maréchaux des logis, des chefs et des majors) il avait sûrement été battu par un porteur de galon sur les manches. Il était toujours bien attaché dans son écurie, mais il avait à côté de lui, un mulet qui devait être très intelligent, car il arrivait à le détacher en faisant passer le bout du licol en forme de croix à travers l’anneau de fixation du mur. Il a d’ailleurs fallu les observer longuement pour découvrir le pot aux roses. Donc Tintin, lâché dans le quartier, partait à la chasse aux sous-officiers. Un jour d’été, les cadres attendaient devant le mess pour aller manger, quand un soldat apercevant Tintin qui déambulait la queue en l’air, très fier de lui en gambadant dans la cour à l’aventure, lançât l’alerte,

    - Attention Tintin est détaché.

    Cela a provoqué l’affolement devant le mess qui n’était pas encore ouvert. Les sous-officiers les plus souples, dont papa, se hissèrent dans les arbres de la cour, mais un sergent-major ventripotent ne put se sauver à temps et ne trouva son salut qu’en se jetant dans le bassin qui était au milieu de la cour. Le cheval est arrivé à toute allure, la bouche ouverte, prèt à mordre en hennissant. Papa me disait, des larmes de joie dans les yeux :

    - Le cheval s’est approché du bassin, et on avait l’impression qu’il riait en secouant sa tête à hauteur du visage effaré du major.

    Un peu comme s’il lui disait :

    - Je t’ai bien fait peur, tu m’as fait rire, pour cette fois on est quitte.

    Une autre histoire de chevaux. Papa n’aimait pas trop monter à cheval en fait il ne les aimait pas trop, il les trouvait peu intelligence, mais à mon âge, à cette époque, je ne cherchais pas à comprendre, je m’amusais.

    Tout ce que je raconte là peut sembler puéril et nul, mais ma jeunesse a été bercée par ces histoires, elles me rappellent mon père, qui sous son aspect rude avait un cœur d’or. Encore une, et j’arrêterai, sinon il va me falloir des tonnes de papier. Un jour de 1958 ou 1959, je revenais du stade avec papa, quand une Citroen traction avant s’est arrêtée près de nous, un immense noir avec un turban sur la tête et une gandoura blanche flottant au vent s’est précipité vers nous. À cette époque, quand nous nous promenions en ville, nous gardions toujours un œil vers l’avant un autre vers l’arrière en prévision d’un attentat ou d’une attaque. Voir ce grand noir arriver sur nous, nous a surpris et fait marquer le pas.

    - Chef, chef comment tu vas.

    et il prit papa dans ses bras en commençant à l’embrasser :

    - Bellal, filou comment tu vas.

    C’était le Bellal dont j’ai déjà parlé. Il avait une histoire commune avec papa. Appelé au service militaire comme c’était la coutume pour les indigènes, il avait refusé de se présenter. Amené par les gendarmes au quartier du 2é Groupe du 65e Régiment d’Artillerie d’Afrique à Aumale, il avait commencé par se battre dés le premier jour avec l’adjudant de batterie, mis en prison, il avait recommencé dès sa sortie. Il faisait un refus d’obéissance systématique. Avant de lancer la procédure de comparution devant un tribunal militaire, que l’on appelait alors le falot, le colonel le reçut dans son bureau.

    - Bellal je vais être obligé de te faire passer le falot. Qu’est-ce que je vais faire de toi.

    Bellal au garde-à-vous lui répond :

    - Mon colonel tu me mets avec l’adjudant Hanriot, c’est un homme lui.

    Voulant faire une dernière tentative, le colonel le fait affecter dans la batterie où mon père était adjudant d’unité. Recevant Bellal dans son bureau, et connaissant la réputation de l’oiseau, mon père lui dit :

    - Si tu m’emmerdes, je quitte les galons et on verra qui est le chef.

    Toujours dans la dentelle papa, mais en 20 ans de service, il n’a posé qu’une punition contre un de ses soldats, le reste il l’a réglé à la main, entre hommes. À compter de ce jour, Bellal est devenu un bon soldat, il essayait bien de montrer sa force, mais papa jouait le jeu, j’ai oublié de dire que Bellal devait mesurer 1 mètre 90 et peser près de 100 kilos. Un matin, mon père aperçoit Bellal qui, devant une cour admirative, présentait les armes avec un tube de canon de 65 de montagne qui devait peser 100 kilos. Mon père s’approcha, et Bellal lui lança le défit :

    - Et toi chef.

    Bien sûr l’ancien ne s’est pas dégonflé, et lui a rendu le salut avec un autre tube de 65. Autre époque autre mœurs, mais la notion d’être un homme, et le montrer, avait une énorme importance.

    Une des spécialités qui avaient beaucoup intéressé papa, c’était celle d’aide orienteur. Dans l’artillerie, cela touche aux cartes, à l’orientation, à la mise en batterie des pièces. Pour la partie orientation, papa avait suivi un stage où il avait appris à tracer les relevés pour faire les cartes. Sa grande manie, et il me l’a transmise, c’était de toujours bien affûter les crayons, avoir toujours une mine longue et pointue, de préférence, une mine dure, il disait toujours :

    - Sur la carte au 50 millièmes, la pointe du crayon représente 50 mètres, tu dois être le plus précis possible.

    Toute ma jeunesse a été bercée par cette musique. Autant dire que la topographie a toujours été pour moi un point fort grâce à lui. Donc d’aide orienteur, il est passé à aide-topographe et a participé à la levée des terrains du sud algérois.

    Il avait comme chef direct, le capitaine Brialy, le père de Jean-Claude Brialy. Cet homme avait la particularité d’avoir un pas ou plutôt un double pas qui faisait toujours un mètre. Dans le sud, il marchait suivant une direction, papa assis par terre avec une planchette et une boussole faisait les relevés. Pendant des semaines, ils ont fait la levée du sud de Djelfa. Cette période lui a laissé un souvenir fantastique. Surtout une fois où il faisait ses relevés et où le capitaine s’est approché de lui doucement en disant :

    - Hanriot avez-vous vu ce que vous avez entre les jambes.

    Papa a levé la planchette, et a découvert une grosse mygale entre ses pieds. Inutile de dire le bond en arrière qu’il a du faire.

    Il faut arriver maintenant à un moment important pour nous tous : La rencontre de papa et de la future madame Hanriot. Papa était en garnison à Aumale, toujours au 65e RAA.. C’était un gros régiment, à deux groupes, l’un à Blida, l’autre à Aumale. À cette époque, chaque changement de garde correspondait à un changement d’unité. À la nomination comme maréchal des logis, changement de section, comme maréchal des logis-chef changement de batterie, comme adjudant, changement de groupe, ce qui permettait de voyager tout en restant dans le même régiment. Donc il fait connaissance avec Mathilde, Léontine Jundt qui avait à ce moment là seize ans. Les distractions dans ces petites garnisons étaient réduites, mais il y avait le bal du dimanche après-midi auquel assistaient les familles. Les mères présentes, les jeunes filles pouvaient danser. Les sous-officiers allaient aussi au bal. Il n’y avait pas d’autres distractions, et comme papa adorait danser, il était normal qu’ils se rencontrent. Une petite anecdote qui faisait rire papa et rougir maman. Ils se promenaient sur le cours à Aumale l’un près de l’autre, quand ils sont tombés sur le père Jundt.

    - Tu ne me présentes pas Mathilde !

    En fait comme tout se savait dans le village, le grand-père s’était mis en embuscade pour faire connaissance avec papa. Après des fiançailles de plus de dix-huit mois, ils se sont mariés le 22 octobre 1930.

    C’est là qu’arrive le sang suisse allemand qui s’ajoute au reste. Du côté de ma mère, l’origine lointaine serait la Savoie ou tout au moins les Alpes.

    Ma grand-mère maternelle s’appelait Malmanche, elle est née à Bir-Rabalou le 2 octobre 1882, de Jean Paulin et de Léontine Fumey. Elle avait deux frères que j’ai connu, les oncles Émile et Honoré et deux sœurs, Hélène et Hermance. C’est une famille de cultivateurs qui deviennent gérants de fermes mais à aucun moment propriétaires. Ce sont des travailleurs acharnés et quand arrive la Grande Guerre, les deux garçons sont mobilisés et partent pour le front. Emile est fantassin, il est grièvement blessé aux poumons, il a toujours gardé une faiblesse de la poitrine comme on disait. Honoré lui rejoint les « crapouillot », sorte de mortier de tranchée. Ils étaient très peu appréciés des fantassins, car ils apportaient leur engin sur des brancards, ils se positionnaient dans les tranchées pour tirer sur les tranchées allemandes, puis après quelques salves, ils reprenaient leurs engins et regagnaient l’arrière laissant leurs camarades fantassin recevoir les tirs de contrebatterie allemand.

    Du côté du grand-père maternel, c’est un peu l’aventure et le mystère qui sont arrivés. Je ne l’ai pas connu, mais il a beaucoup parlé à son gendre, mon père, et grâce à lui, j’ai découvert cet homme qu’il admirait, et je l’ai aimé sans le connaître. Une partie de ma vie militaire s’est faite en pensant à lui. Il était suisse alémanique, né le 22 août 1868 à Bâle Bubendorf, dans une famille protestante de dix enfants, son père Jean-Jacques Jundt, sa mère Marie Minder. Sa jeunesse se passe sans problème, ensuite le service militaire suisse, l’Abitour (je crois que c’est l’équivalent du bac), puis comme c’est la coutume à cette époque, il part faire le tour de l’Europe à pied avec des camarades. Ils se font refouler à la frontière allemande après avoir, semble-t-il, reçu une raclée par les douaniers allemands, ce qui explique qu’il ne pouvait pas sentir ce peuple. De retour chez lui il va faire quelque chose dont il faut que j’explique l’origine. Il avait deux ou trois ans lorsque la France est battue pendant la guerre de 1870. L’armée de Bourbaki se replie en Suisse et beaucoup de ses soldats, toujours revêtus de l’uniforme français, se déplacent dans le pays. Malgré son jeune âge, ces soldats l’ont impressionné. Il avait dit à ses parents, et l’avait raconté à mon père :

    - Je serai soldat français.

    Il prend le train, direction Marseille en juin 1887, et s’engage à la Légion étrangère pour cinq ans. Incorporé au 2éme Régiment étranger, il rejoint Saïda le 16 juin 1887 pour faire son instruction. D’après ce que j’ai lu depuis, il a dû avoir une période très dure, mais son attitude devait être très bonne, car rapidement, il fait partie des renforts pour le Tonkin où l’on se bat contre les pavillons noirs. Il sert au 2e Régiment Étranger au Tonkin jusqu’à la fin de son contrat. Il a reçut la médaille commémorative de l’expédition du Tonkin, de Chine et de l’Annam le 12 juillet 1890.

    De sa vie là-bas, nous n’avons qu’une photo jaunie où on l’aperçoit avec le casque colonial, le bourgeron blanc, une sorte de treillis et une lettre de remerciement du commandant de la place de Yen Bay où il a été détaché quelque temps comme infirmier.

    Il rejoint la Suisse pensant s’y établir, mais l’hiver 1892-1893 très froid et la vie tranquille de son pays ne lui conviennent plus. Il rengage en 1896 et rejoint à nouveau le 2e Étranger et le Tonkin en novembre de la même année. Une anecdote le concernant, et qui montre son opiniâtreté : il a travaillé dans un atelier comme tourneur, et un éclat métallique s’est logé dans son œil gauche le rendant borgne, mais cela ne se voyait pas. Quand il a repassé la visite d’aptitude, il avait appris par cœur la table des lettres, et il a été déclaré apte. De retour au Tonkin, il participe à des chasses aux tigres, et cela fait partie de la légende familiale. Grimpé dans un arbre avec une chèvre attachée au pied, en embuscade pendant une partie de la nuit. Malgré son œil, c’était un bon tireur et il aimait chasser. Autre anecdote, malgré son instruction, il ne voulait pas faire le peloton de sous-officier, il était heureux comme cela, mais on faisait souvent appel au 1er classe Jundt pour faire les calculs de tirs au canon, son capitaine l’obligea à faire le peloton de caporaux :

    - Jundt, pour la retraite, il vaut mieux que vous soyez gradé.

    Il devient français le 29 juillet 1899, il faut se souvenir qu’il était légionnaire depuis presque douze ans, on ne devenait pas français aussi facilement! Au cours de son dernier contrat, il sert aux compagnies montées, un mulet, deux hommes, deux bardas, un qui court, un qui monte, changement toutes les heures. Une vie très difficile, mais c’est l’élite de la Légion. Enfin il prend sa retraite le 2 avril 1906 et reçoit la Médaille Militaire. Il fait un court séjour en Suisse, mais il ne s’y fait pas.

    Il revient en Algérie et obtient un emploi réservé de facteur à Aumale, un facteur de plus dans la famille. Il fait connaissance avec Marie, Etiennette Malmanche dont j’ai déjà parlé et ils se marient le 17 avril 1910, il a 42 ans, elle 28 ans. Ils ont deux enfants, Raoul et Mathilde née le 27 novembre 1912. Il a souvent parlé de sa vie à mon père, se confiant plus facilement à un militaire comme lui, mais il gardait au fond de lui l’amour de la Légion. Ma mère qui après son brevet était aussi devenue postière, a vu un jour son père, un homme tranquille pondéré de petite taille jamais en colère, sauter par-dessus le comptoir du bureau de poste, et étendre d’un coup de tête, un jeune facteur qui avait dit :

    - Á la Légion, il n’y a que des voleurs et des bandits !

    La vie militaire de mes parents continue mais en chemin ma sœur Claude est née en 1934. Mon père, devenu adjudant-chef, est muté à nouveau à Blida, la famille s’installe à Montpensier, la ville des roses, un quartier de Blida.

    Au début de 1939, il est affecté dans un régiment de métropole, le premier régiment qui va se mécaniser, il est stationné à Sarrebourg, ville qu’il doit rejoindre le 1 septembre 1939.

    Sur ces entrefaites, j’arrive le 18 juin 1939, la guerre éclate, les mutations sont annulées, et grâce à Dieu, nous restons en Algérie. Double chance, car ce régiment a été décimé à plus de 80% au début des combats de 1940. Mais pour papa cette période le marque pour toujours, car lui militaire de carrière, il n’a jamais fait la guerre, au fond de lui, il a ressenti cela comme une grande honte, mais que pouvait-il y faire ?

    La mobilisation générale commence, il y participe comme tout le monde en Algérie, et en Métropole. D’après lui, et avec ce que j’ai connu plus tard comme commandant d’un centre mobilisateur, c’était un mélange d’organisation qui utilisait beaucoup le système D cher aux Français, car on imagine mal maintenant, aller chez le mercier du coin, pour réquisitionner des slips, des mouchoirs ou des chaussettes, c’est pourtant ce qui se passait. Donc le paternel avait une «affectation mobilisation» dans une batterie qui était mise sur pied par le 65e RAA. Elle comprenait un capitaine d’active, papa comme adjudant-chef de batterie, et le maréchal des logis-major, d’active aussi. Pour le reste, des réservistes.

    Dans un premier temps, les cadres et les hommes sont arrivés. Pour les cadres, la grande majorité était composée d’européens d’Algérie, pour les hommes, presque tout venant du Djebel, partagés entre kabyles et arabes et quelques pieds-noirs d’Alger et d’Oran. Il a fallut, à partir de ce moment, faire jouer les réquisitions pour les paquetages, comme je l’ai dit plus haut, les cadres responsables ont commencé à faire le tour des merceries de la ville pour rapporter les sous-vêtements, les affaires de toilette, les chaussettes. Dans le même temps, les hommes recevaient les tenues et les équipements du paquetage stockés au quartier.

    Dans un deuxième temps, les réquisitions ayant été déposées par les gendarmes chez les propriétaires d’animaux mobilisés, ils ont vu arriver les mulets de réquisition. Il y a quelque temps encore, la réquisition portait sur des véhicules que les usines devaient livrer à l’état neuf, mais

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