L’affaire Smain Djebarni: "Justice où es-tu?"
Par Smain Djebarni
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Avis sur L’affaire Smain Djebarni
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Aperçu du livre
L’affaire Smain Djebarni - Smain Djebarni
Avant-propos
Les médias et documents officiels ont suffisamment fait état de la plupart des noms cités dans ce livre.
Les déclarations et faits décrits s’appuient sur des preuves, constatations, justificatifs et témoignages.
En votre âme et conscience
Un enfant de Guelma 1954-1962
Je suis né en Algérie le 3 janvier 1954, à Guelma, une jolie ville du département de Constantine qui comptait alors un peu plus de 20 000 habitants et dix fois plus aujourd’hui. J’ai le privilège d’être né dans la même ville qu’Houari Boumediene qui a dirigé l’Algérie de 1965 à 1978 et qu’Abdallah Baali qui a été ambassadeur aux USA et a même présidé les Nations Unies en 2004, mais j’ai connu un parcours beaucoup plus chaotique que ces deux illustres concitoyens !
Lorsqu’on va se promener sur Internet, on trouve beaucoup d’informations sur ma ville natale et j’en suis fier. La région était habitée depuis la Préhistoire et on y trouve plus de 3000 dolmens. Par la suite, elle a été occupée par les Carthaginois puis par les Romains et s’appelait alors Calama. Les Romains y ont construit de nombreux monuments, encore partiellement debout, comme le théâtre qui peut accueillir 4500 spectateurs. C’est vous dire que l’histoire de Guelma est riche en événements et son territoire parsemé de sites historiques et touristiques, car on y compte aussi de nombreuses sources thermales.
Si la ville a pris une telle importance au cours des siècles, c’est parce qu’elle occupe une position stratégique : elle est un carrefour dans la région Nord-Est de l’Algérie, reliant le littoral aux régions intérieures telles que Constantine tout en étant voisine de la frontière avec la Tunisie. Elle est entourée de montagnes qui conservent la fraîcheur, la terre y est particulièrement fertile et bien irriguée grâce à la Seybouse, la plus grande rivière d’Algérie. Un vrai petit paradis. Les colons Français et les Pieds-noirs l’ont bien compris ; ils sont venus s’y installer nombreux après sa conquête en 1834, et y ont développé les cultures.
Hélas ! quand je suis venu au monde, le petit paradis n’était plus ce qu’il était. Neuf ans plus tôt, le 8 mai 1945, des massacres avaient ensanglanté le pays. On parle souvent de Sétif, mais Guelma a connu également, ce jour-là, les émeutes et le deuil.
C’était prévisible. Dès le début du XXe siècle, le mécontentement social et le refus de la conscription avaient commencé à provoquer quelques insurrections. La situation des Algériens musulmans s’était encore aggravée après la Première Guerre mondiale avec la crise économique qui avait provoqué une famine sévère. Ils étaient considérés comme des « sujets » et non des « citoyens » français et soumis au code de l’indigénat qui les privait de la majeure partie de leurs libertés et de leurs droits politiques. Les conditions étaient réunies pour que la rébellion éclate un jour ou l’autre.
Quand je suis né, mes parents avaient déjà cinq enfants : trois garçons et deux filles. Dans l’ordre : Larbi, Farida, Azzedine, Rezgui dit « Messaoud » et Maïssa dite « Wasila ». Nous avions tout pour être heureux, ou plutôt nous aurions pu être heureux, profiter de ce site magnifique, de cette terre riche qui donnait à profusion fruits, légumes et fleurs. Lorsque je repense à cette période, je me revois le matin, les cheveux ébouriffés et les yeux encore pleins de sommeil : la première sensation que j’éprouvais c’était le parfum délicat et pénétrant du jasmin. Aujourd’hui encore, il m’arrive de fermer les yeux et d’écarquiller les narines quand je passe à côté d’un jardin où fleurit un jasmin, même si son parfum n’a qu’une lointaine ressemblance avec celui de mon enfance.
Hélas ! la fureur et la violence des hommes avaient transformé notre paradis en enfer. Les Algériens eux-mêmes étaient divisés : d’un côté, les indépendantistes qui voulaient se débarrasser coûte que coûte des colonisateurs, de l’autre, des gens modérés, plutôt partisans d’une intégration et d’une coopération avec la France.
Depuis août 1955 – je commençais tout juste à marcher – les indépendantistes du FLN massacraient à tour de bras, aussi bien les populations civiles d’origine européenne que, chez les musulmans, les loyalistes et les notables modérés qui avaient signé un appel condamnant « toute violence, d’où qu’elle vienne » et que les nationalistes considéraient comme des traîtres. Le Constantinois était particulièrement touché : le FLN voulait semer la peur dans les rangs de l’ennemi, des colons et de leurs auxiliaires musulmans. En représailles, l’armée française et des civils Pieds-noirs armés s’en prenaient aveuglément à la population musulmane, modérée ou non.
Quand on a des enfants, on rêve pour eux de sécurité, de douceur et de tendresse. Je suis moi-même père et j’imagine le calvaire de mes propres parents qui vivaient au quotidien l’horreur et la barbarie dans un pays à feu et à sang. La mort était présente partout, on pouvait la rencontrer à tout moment, sur le chemin de l’école, au coin de la rue et parfois dans sa propre demeure. J’imagine combien le cœur de ma mère devait se serrer quand nous quittions la maison. Tout pouvait arriver : une balle perdue, l’explosion d’une grenade… En revanche, à force de fréquenter la mort, nous, les enfants, nous finissions par la considérer comme quelque chose de banal et elle ne nous effrayait plus, ou du moins elle nous effrayait moins tant qu’elle ne nous touchait pas directement. C’est affreux à dire : nous étions presque habitués aux meurtres et aux exécutions qui frappaient les familles sans distinction d’âge et tuaient des innocents sans défense. Il n’y avait pas de jour où l’on n’entendît pas les pleurs de femmes qui hurlaient leur désespoir, agenouillées à même le sol et tenant dans leurs bras le corps sans vie d’un mari, d’un fils, d’un père ou d’un frère. Beaucoup se griffaient le visage jusqu’au sang. On entendait dire que certaines s’étaient suicidées car leur vie n’avait plus de sens.
Malgré cela, avec l’insouciance qui caractérise l’enfance, je ne songeais même pas que je pourrais moi aussi perdre l’un des miens, et c’était tant mieux.
Pourtant…
Mes parents travaillaient tous les deux : mon père tenait un commerce de primeurs tout près du marché couvert. Dès qu’il avait été en âge, mon frère aîné, Larbi, avait naturellement commencé à y travailler. C’était l’occasion pour mon père de développer son activité. Mon frère passa le permis de conduire et mon père acheta un camion. Larbi pouvait ainsi sillonner le pays pour trouver de la marchandise au meilleur prix. C’était en quelque sorte le VRP de la maison. Il s’absentait souvent pour plusieurs jours et ramenait un camion rempli d’énormes oranges, de tomates sucrées, d’oignons dorés, d’aubergines violettes et luisantes comme si on les avait vernies, de courgettes souvent parées de leurs fleurs jaunes… J’aimais, lorsque Larbi arrivait, soulever la bâche du camion et me remplir les poumons de ce mélange de parfums si différents, où dominaient la coriandre, la menthe et le basilic. Et je trouvais magnifique cette profusion de couleurs éclatantes. Je ne me faisais donc pas prier pour aider mon père et mon frère à transférer fruits, légumes et herbes dans les grands couffins de paille qui garnissaient l’étal de la boutique.
Ma mère, quant à elle, travaillait au centre médico-social de Guelma.
Je passais souvent au centre pour voir ma mère et Houria Guena, sa responsable. Il faut dire que ma visite était un peu intéressée : chaque fois que je voyais la gentille Houria, elle me donnait des sous pour m’acheter des mille-feuilles dans la pâtisserie voisine ! J’avais beau ignoré la véritable activité de ma mère, je ne restais jamais très longtemps au Centre car je trouvais cet endroit passablement effrayant. Avec la guerre et tous ces événements dramatiques, les gens, qui venaient là chercher un peu d’aide et de réconfort, étaient souvent dans un état pitoyable : beaucoup d’entre eux étaient affreusement blessés, certains mutilés des jambes ou des bras, le visage déchiqueté par les éclats de grenades.
Tous les soirs, lorsque ma mère rentrait de son travail, nous lui demandions les nouvelles de la journée. Elle nous racontait toutes les atrocités qu’elle avait vues et les accrochages qui avaient eu lieu non loin de Guelma. Ces récits terribles n’avaient rien des histoires que l’on raconte aux enfants le soir pour les endormir. Toutes les nuits, je faisais des cauchemars épouvantables. Je criais tellement dans mon sommeil que je réveillais toute la maison. Ma mère finissait en général par venir me chercher dans mon lit et me couchait entre elle et mon père mais elle avait beau cherché à me consoler, mes cauchemars étaient si effrayants que je retrouvais rarement le sommeil et que je gardais les yeux grands ouverts jusqu’à la fin de la nuit. Je ne sombrais qu’à l’aube lorsque ma mère se levait pour faire le café Turc du matin.
Tous les récits que j’entendais étaient déjà effrayants, mais ce n’était rien à côté de la réalité. Un après-midi, ma mère demanda à mon père de me conduire chez le coiffeur, sur la place de la rue Barberousse, l’endroit le plus fréquenté de Guelma, car c’était le lieu où s’installaient tous les commerçants ambulants qui venaient exposer leurs produits. Il y avait beaucoup de petits marchands qui venaient aussi brader leurs articles. L’endroit était donc très populaire car on était à peu près sûr d’y trouver ce que l’on cherchait à très bon prix et de faire une bonne affaire. Mon père me tenait par la main pour ne pas me perdre. La foule était particulièrement compacte pourtant curieusement silencieuse, ce jour-là. Ni conversations animées ni rires. Les regards étaient tous tournés dans la même direction, vers quelque chose qui se trouvait par terre et qu’on n’arrivait pas à distinguer. Mon père était curieux de savoir quel était cet article qui attirait autant de badauds. Il m’entraîna donc en direction de l’attroupement. Rapidement, comme ma petite taille me permettait de me faufiler facilement, je marchai devant lui et je lui frayai un chemin. Tout content, je réussis à m’insérer au premier rang de la foule. Soudain, l’horreur me figea sur place. Un homme entièrement nu gisait au