Le fils du chef de gare: D'après les souvenirs de Jean-Piere Biras
Par Laurent Biras
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Aperçu du livre
Le fils du chef de gare - Laurent Biras
Stellati
Préface
J’ai été reçu à Casteljaloux, à « Belloc » comme l’appelle le clan Biras, en 1988. Lorsque Laurent, le fils aîné de Jean-Pierre, mon frère d’Armes, m’a parlé de son projet, je n’ai pas été surpris. Comme une évidence, il allait tenir la plume pour son père, quoi de plus normal lorsque l’on connaît la force des liens qui unissent leur famille. La surprise, c’est l’honneur d’avoir été sollicité pour en écrire la préface.
En émettant la volonté de laisser une trace, un témoignage, Jean-Pierre n’a pas la volonté de réécrire un livre sur la guerre d’Algérie ni d’imposer une vision mélancolique du passé, de sa jeunesse. Les souvenirs partagés amèneront le lecteur, au-delà des faits eux-mêmes, à percevoir l’esprit de cet ouvrage qui permet de comprendre combien la vie nous façonne. À travers ses mots, Jean-Pierre se livre, révélant son amour de la vie, son attachement à la famille et sa fidélité dans ses amitiés. Utilisant la narration, Laurent respecte l’authenticité des souvenirs de son père. En tenant la plume, il lui apporte son soutien pour les classer dans un style narratif qui met en exergue toute la modestie du fils qui s’est mis au service de son père. Ainsi, nous nous immergeons au fil des pages dans l’enfance du fils du chef de gare, dans le monde des gens du rail, une époque de labeur bouleversée par l’occupation allemande. Puis, il y a la guerre d’Algérie. Vingt ans, la conscription. Combien de jeunes appelés ont été marqués par ce saut depuis l’adolescence vers la dure réalité des combats, loin de chez eux ? Cette guerre longtemps désignée par les termes d’opération de maintien de l’ordre. Elle prend sa place dans le mouvement de décolonisation qui a affecté les empires occidentaux après la Seconde Guerre mondiale. Enfin, il y a l’ode à la famille, la vie à « Belloc », villa « Selona ». S’en suivent l’amitié et le bénévolat au sein de la collectivité casteljalousaine et les années de l’amicale laïque. Nombre de lecteurs se reconnaîtront dans cette volonté de partage quels que soient leur qualité, famille, copains, camarades, collègues… À travers ce témoignage, Jean-Pierre laisse une trace, sa trace, sorte de témoin transmis à ses enfants, petits-enfants, parents et amis. Ceux qui le connaissent, qui ont partagé l’hospitalité de « Belloc », reconnaîtront l’homme façonné par son histoire, sa vie. Homme de cœur et de conviction, il ne juge pas, mais partage sa vision sans l’imposer, laissant son interlocuteur appréhender le sens de ses phrases, le poids de ses mots… Cet épicurien au verbe juste, spectateur éclairé de ses contemporains, nous livre ici sa vision, son parcours, sans tomber dans le passéisme ou encore le mythe du bon vieux temps. Même si la mémoire a tendance à faire le tri dans notre passé pour en garder le meilleur, le style simple et épuré garde l’authenticité. À la lecture, il me semble l’entendre raconter un épisode de sa jeunesse, de sa guerre, de ses rencontres, parfois à l’autre bout du monde, souvenirs souvent ponctués d’une expérience culinaire. En sera-t-il de même pour vous ? Très certainement !
Merci à Jean-Pierre, à Laurent.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Thierry Pignon
thierry.jpgChef d’escadron Thierry Pignon
Préambule
Les années passent. L’idée m’est venue (tant qu’il me reste des souvenirs) de vous raconter ma petite vie. Il me tient à cœur de laisser une trace de ce qu’elle fut, à tous ceux qui m’entourent. À travers de nombreuses anecdotes, vous allez découvrir mes parents, ma jeunesse, ma femme, mes enfants, mes amis et ma guerre d’Algérie. Une bonne partie de cet ouvrage y est consacrée. Il ne s’agit pas de vous donner un énième cours d’histoire, mais de vous raconter comment j’ai vécu et traversé cette période. Une guerre à vingt ans, même si l’on est peu exposé, vous marque à vie. Un retour, cinquante-cinq ans plus tard en terre algérienne, vous marque tout autant et vous donne l’impression bizarre que la boucle est bouclée. Vous reviennent alors en mémoire, lors de ce voyage, les souvenirs d’une vie. Voici les miens…
Jean-Pierre Biras
Chapitre 1
Bienvenue au monde
Né le 4 septembre 1909 à Périgueux, il s’appelait Marcel Biras. C’était mon père et il fut chef de gare. Issu d’une famille modeste, dès l’obtention de son certificat d’études, il entra dans la vie active, et travailla comme maçon charpentier avec son frère Jean et son père Joseph, jusqu’à sa majorité. Il participa notamment à la restauration de la cathédrale de Périgueux. Appelé sous les drapeaux en octobre 1930, il effectua son service militaire au Maroc, comme infirmier-ambulancier. Mon père se maria le 3 août 1935 à Périgueux avec Geneviève Fourgeaud, ma mère, qui aura le surnom de Géno toute sa vie. Cette célébration fut originale et remarquée, car les jeunes mariés arrivèrent à la mairie en tandem.
Le 6 janvier 1938, naquit de cette union votre serviteur. La Seconde Guerre mondiale déclarée, Marcel fut mobilisé le 9 septembre 1939 et la débuta comme ambulancier. Ainsi, en mai 1940, il se retrouva sur le théâtre des combats de la bataille de Dunkerque et fut fait prisonnier par l’armée allemande. Le 17 août 1940, il obtint cependant un certificat de congé pour prisonnier et l’occupant lui délivra un laissez-passer pour qu’il se rende quelques jours en zone libre, dans ses foyers, à Périgueux. Le 21 août, bien qu’étant parfaitement en règle, il échappa de peu, suite au zèle d’un agent de la S.N.C.F. pétainiste, à une arrestation à la gare de Montpont-sur-L’Isle (Dordogne). Celle-ci était un passage obligé qui marquait la ligne de démarcation. Les contrôles y étaient fréquents, sous le dictat des Allemands et les employés de la S.N.C.F. se montraient particulièrement méfiants. Marcel décida que ce serait pour lui un aller sans retour et il fut déclaré, par l’ennemi, prisonnier évadé. Dès lors, il fit preuve de prudence et de discrétion, sans être pour autant passif, et passa miraculeusement à travers les mailles du filet allemand. Il attendit, aux côtés de Géno, l’arrivée de mon frère, Jacques, qui naquit le 26 janvier 1941. Lors de cet heureux évènement, pour préserver la santé de ma mère, je fus accueilli quelques semaines chez mes grands-parents maternels, Henri et Françoise Fourgeaud, qui habitaient à quelques kilomètres de chez mes parents. De ce séjour, il ne me reste que des bribes de souvenirs très vagues, mais j’ai encore en mémoire leur gentillesse, et la joie qu’ils éprouvèrent de m’avoir auprès d’eux. Mon grand-père avait été cheminot, affecté au service roulant. Il opérait sur la ligne Paris Orléans et était employé comme chef de train sur un wagon dit « serre queue » qui se trouvait en fin de convoi. Un frein manuel y était installé, le système de freinage ferroviaire n’étant pas très efficace à l’époque.
Marcel, à l’instar de son beau-père, entra à la S.N.C.F. Sa première affectation fut la gare de Buisson-de-Cadouin, en Dordogne. C’est précisément là que j’entendis pour la première fois, quelques années plus tard, une annonce dans un haut-parleur qui aujourd’hui résonne encore dans ma tête : « Prisonniers, déportés, adressez-vous au centre d’accueil ! ».
Il m’arriva de voir transiter ainsi quelques déportés, mais surtout de nombreux hommes revenant des camps de travail français ou allemands dans le cadre Service Travail Obligatoire. Ils étaient mal en point, d’une maigreur extrême, avaient des difficultés à marcher et leur regard était vide, malgré le bonheur qu’ils éprouvaient à l’idée de regagner leurs foyers. Désorientés, ils étaient pris en charge par les autorités, via des assistantes sociales à qui des bureaux avaient été mis à disposition dans le hall de la gare.
Mon père occupa, dans un premier temps, la fonction de facteur mixte intérimaire. Très vite, il se déplaça dans toutes les gares de Dordogne pour remplacer au pied levé ses collègues cheminots. Mes parents étaient logés dans une petite maison située à un kilomètre de la gare, dont le propriétaire, monsieur Millac, était militant communiste, ce que nous ignorions. L’information nous fut révélée, lorsqu’un jour, alors que je fouinais dans le grenier, je fis une découverte magique. Je ne savais pas encore lire, mais venais de trouver dans une malle, de magnifiques livres, dont la couverture rouge était ornée d’un liseré doré. Je descendis fièrement présenter ma trouvaille à mon père. Lorsqu’il lut rapidement le contenu, il blêmit tout en marmonnant et m’ordonna de ne plus me rendre à l’avenir dans le grenier. Il s’agissait d’ouvrages vantant avec ostentation les valeurs du parti communiste. Dès 1941, ce parti avait pris part activement à la résistance et ses membres, ou sympathisants, étaient les ennemis jurés des Allemands. Beaucoup d’entre eux furent d’ailleurs fusillés pendant la Seconde Guerre mondiale. Marcel partit illico presto rendre les livres au propriétaire et lui demanda de bien vouloir retirer de la maison tout document ou objet faisant allusion au parti communiste.
gare le buisson ok-filtered.jpegLa gare de Buisson-de-Cadouin
mariage marcel géno.bmp-filtered.jpeg3 août 1935. Mariage de Marcel et Géno, à Périgueux
papa bébé.jpgpasted-image.tiff1940. Marcel, soldat
Moi en 1941
papa jacques le buisson.jpgÉcole de Le Buisson avec mon frère Jacques
Chapitre 2
Mon père et la résistance
Depuis peu, mon père venait d’intégrer les rangs de la résistance. Le poste qu’il occupait lui permettait de circuler librement dans tout le département. C’est précisément cette mobilité, et les différentes informations qu’il récolta sur le terrain, qu’il mit au profit de la résistance (réseau Fer). Son libre accès aux voies ferrées, et notamment à un wagon Lorry à commandes manuelles, lui permit d’effectuer plusieurs missions de sabotage, mais aussi de ravitaillement d’armes et de vivres destinés au maquis, ce au nez et la barbe des Allemands.
C’est à l’occasion d’un trajet ferroviaire Agen-Périgueux partagé avec lui qu’il aborda pour la première fois le sujet de la résistance. Il m’expliqua sommairement ce qu’était le maquis, la zone libre, la zone occupée, et me dressa un portrait peu flatteur du Maréchal Pétain. Puis, il me confia que quelques jours plus tôt, ses camarades résistants et lui avaient piégé la voie ferrée, et fait dérailler un train de marchandises allemand, sur la ligne que nous empruntions. Il me fit jurer bien sûr, de surtout garder le secret. Et en effet, quelques kilomètres plus loin, au bas d’un remblai longeant la voie, je constatai ses dires. Je découvris alors un wagon-citerne « Foudre », destiné au transport vinicole, couché là, sans plus aucune utilité.
Quelques semaines auparavant s’était déroulé l’évènement le plus marquant de sa vie. Il eut beaucoup de mal à me le décrire, tellement ce qu’il avait vécu était lourd à porter. Ce jour-là, mon père et un camarade accompagnaient le chauffeur et le mécanicien d’une locomotive tractant un convoi ferroviaire allemand sur une zone critique où plusieurs trains avaient déjà déraillé. La voie étant encombrée, le train stoppa. Les deux cheminots affectés à la conduite de la locomotive descendirent sur le ballast. Tout à coup, suspicieux et sans raison apparente, le soldat allemand, juché sur le wagon tender (wagon rempli de charbon placé à l’arrière de la locomotive), chargé de la surveillance du train, se mit à vociférer dans sa langue maternelle, arma son pistolet mitrailleur et le braqua sur mon père et son collègue. Sentant sa dernière heure proche, et dans un geste de la dernière chance sans doute, ce dernier saisit alors discrètement l’outil artisanal qui lui servait de tisonnier (un long manche muni de deux crochets à son extrémité). Puis, profitant d’un moment d’inattention de l’occupant, il le frappa violemment à la tempe. Celui-ci, sonné, s’écroula. Ils firent disparaître le corps de ce soldat, sûrement encore vivant, dans la chaudière de la locomotive, et s’enfuirent. Mon père ne me parla jamais plus de cet épisode macabre.
Le corps n’a bien sûr jamais été retrouvé. Marcel ne sut pas s’il était suspecté ou recherché par l’armée allemande, mais il vécut dès lors, la peur au ventre. Aussi, lorsque des patrouilles ennemies étaient signalées par ses camarades résistants, nous dûmes quitter le domicile familial. À plusieurs reprises, nous prîmes la route à toute hâte, chargés de vivres, pour nous réfugier dans une église isolée que mon père savait déserte, non loin de la gare de Buisson-de-Cadouin. Du haut de mes quatre ans, je ne comprenais pas trop