Le complexe militaro-industriel soviétique était-il si peu compétent qu’il ait dû recourir massivement à l’espionnage industriel pour fabriquer ses avions? Ceux-ci n’étaient-ils que de (mauvais) clones des appareils de l’US Air Force? Tony Ingesson, chercheur en sciences politiques et analyse du renseignement à l’université de Lund (Suède), répond à ces questions dans un article récent paru dans International Journal of Intelligence and CounterIntelligence*. La vision du potentiel soviétique évoquée plus haut n’est pas neuve: elle a été émise durant la guerre froide et rebondit aujourd’hui avec les déboires russes en Ukraine. L’étude se cantonne à l’aviation de combat de la période 1946-1990. Elle se divise grosso modo en trois parties: opinions, méthode et études de cas.
Une triste réputation
Le monde occidental avait une opinion très négative sur les capacités technologiques soviétiques: le pays du grand mensonge était , paru en 1959). La CIA, en revanche, se montrait beaucoup plus nuancée dans ses analyses, reconnaissant aux Soviétiques des capacités d’innovation; ses rapports alertaient régulièrement contre une sous-estimation fondée sur des considérations idéologiques ou socio-économiques. Tout l’intérêt de l’étude d’Ingesson est de comparer point par point quelques modèles d’avions, à partir de la masse de données déclassifiées apparues depuis 1990, afin d’y déceler l’éventuel résultat de l’espionnage, mais aussi de relire à cette lumière nouvelle les rapports de la CIA. Il ne s’agit donc pas de nier la réalité de l’effort de renseignement massif des Soviétiques, mais d’estimer à quoi et dans quelle mesure il a servi.