G&H: Comment avez-vous rejoint l’industrie aéronautique?
Pierre Sprey: En 1953, à 16 ans, je commence des études d’ingénierie mécanique et de littérature française à Yale. Le constructeur aéronautique Grumman propose alors un remarquable programme de jobs estivaux pour les élèves ingénieurs et, dès le premier été, je me retrouve sur une chaîne de production à poser des rivets sur les F-11F Tiger. L’année suivante, je suis dans un atelier qui fabrique des modèles réduits pour les essais en soufflerie. La troisième année, je suis intégré au département aérodynamique, service stabilité et contrôle.
Souhaitez-vous rejoindre un bureau d’études?
Non. Comme je le comprends vite, la pesanteur hiérarchique est telle qu’il me faudra attendre au moins vingt ans pour travailler sur mes propres projets! En revanche, je passe un quatrième été chez Grumman, au sein du département Recherche et Développement qui rassemble alors d’excellents mathématiciens et statisticiens. Auprès de ces mentors, je comprends le rôle et la valeur des outils mathématiques dans la façon d’évaluer les projets et de tester les avions. Cette expérience m’incite à poursuivre mes études en statistiques à l’université de Cornell. Grumman me propose ensuite de travailler pour eux comme consultant sur différents sujets: détection radar et visuelle, contrôle qualité en production, premières ébauches de radar aéroporté…
Comment rejoignez-vous ensuite le Pentagone?
En 1965, à 28 ans, je représente Grumman dans un séminaire. Je rencontre à cette occasion quelques-uns des « whiz kids », les petits génies qui travaillent alors pour Robert McNamara, le « SecDef » [secrétaire d’État à la Défense, NDLR]. Il les emploie pour passer en revue l’ensemble du budget de la Défense et surtout pour croiser le fer avec la bureaucratie de l’armée. Les militaires haïssent ces types qu’ils jugent arrogants et les conflits sont nombreux. À la fin du séminaire, Robert Valtz, qui fait partie de ce groupe, me propose de venir travailler avec eux sur l’analyse des systèmes de défense.
Vous voilà parti pour Washington…
Oui, et je commence en janvier