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Notes pour comprendre le siècle
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Livre électronique111 pages1 heure

Notes pour comprendre le siècle

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À propos de ce livre électronique

Quand Drieu publie donc en 1941 ses " Notes pour comprendre le siècle ", il a l'immense mérite de poser le problème de manière doublement courageuse.

Il s'écarte d'abord d'un conformisme officieux dominant. Celui-ci tendait à ne rechercher à la situation dramatique et à l'effondrement de la France que des responsabilités superficielles et strictement institutionnelles.

D'autre part, il se sépare aussi de cet ersatz d'anticonformisme dit " des années 1930 ".

On soulignera aussi, au besoin, que le rapport des " Notes pour comprendre le siècle " au christianisme et au Moyen Âge, pas éloigné de celui d'un Berdiaeff par exemple, l'écarte tout à fait des interprétations abusives.

Le conformisme des uns comme le faux anticonformisme des autres conduisaient et aboutirent effectivement aux dévoiements technocratiques du Front Populaire en 1936, de Vichy en 1941 ou des diverses formules de l'immédiat après-guerre entre 1944 et 1947.
LangueFrançais
Date de sortie31 janv. 2019
ISBN9783966107440
Notes pour comprendre le siècle

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    Notes pour comprendre le siècle - Pierre Drieu La Rochelle

    Enfer.

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    — Dans les plus lointains textes où peut remonter notre lecture suivie, l’antiquité grecque — comme les dix antiquités que nous connaissons maintenant — a loué le corps. Mais sans insister, car la force et la beauté alors allaient de soi. Il y a un demi-silence de l’homme sur son corps qui veut dire possession, épanouissement, joie. Dans les Pythiques et les Olympiques de Pindare, l’éloge du corps n’est à aucun moment le but ; il s’agit plutôt que de louer de beaux effets de louer la puissance des causes : dieux, familles. La vie est toute religion et la force des athlètes va de pair avec la profondeur et l’efficacité des mythes et des rites. De même dans Homère, les premières parties de la Bible, les poèmes indiens, iraniens, babyloniens, égyptiens.

    Plus tard, l’Antiquité opère toutes les distinctions que nous connaissons, distinctions fatales. Elle isole le corps sous le faux jour de l’esthétique. Faux jour un instant splendide, mais le corps et l’âme séparés vont s’opposer. On surprend ce mouvement chez Platon. Il prône l’équilibre dans les Lois, il y définit avec précision les droits et les devoirs du corps, mais déjà ce n’est plus que dans une vue d’utilité politique, et par ailleurs il sépare l’âme du corps qui en devient la prison. L’âme réduite à elle-même va perdre pied. Arrivent les philosophies qui bien avant le premier christianisme négligent, réprouvent, ou nient le corps et par là préparent l’amaigrissement, l’égarement, la destitution de l’âme.

    — Dans le cycle d’histoire où nous sommes, le Moyen Âge traite d’abord le corps comme la première Antiquité. Car il est une première Antiquité, toute jeune et fraîche.

    Sur ce chapitre, comme sur les autres, la plupart des gens instruits se satisfont de vieux préjugés. Ils croient encore que le Moyen Âge a poussé plus loin qu’aucun autre temps l’oubli ou la haine du corps. Or, il faut voir ce qu’a été réellement la vie et la pensée des Européens pendant ces siècles.

    Le Moyen Âge a été une magnifique époque de jeunesse. Cette jeunesse a triomphé non seulement dans les mœurs, mais dans les arts, la poésie, la philosophie, la religion.

    Étant une époque de jeunesse, c’est une époque de force physique. Jusqu’au XVIe siècle, le corps jaillit spontanément. Époque de splendeur corporelle, splendeur qui n’a peut-être pas tant à envier à l’Antiquité de la bonne époque, ni pour les actes, ni pour la représentation qui en fut faite.

    — L’homme du Moyen Âge a pourtant déjà perdu beaucoup de sa vivacité en perdant beaucoup de sa rudesse. Ce n’est pas un primitif.

    — La notion de primitivité du fait des progrès de l’histoire et de la préhistoire est infiniment reculée. Aussi loin que nous saisissions l’homme d’après quelque vestige figuré, 5.000 ans avant le Christ, notre science actuelle le trouve déjà dans les liens de la civilisation, déjà atténué et amorti, policé et urbanisé. De ce point de vue, Homère et Pindare paraissent des raffinés de basse époque.

    — Quand commence l’histoire de l’Europe moderne, au moment où les traits de la vie féodale sont composés du mélange du monde romain et du monde germanique, la rudesse cesse dans une partie de l’Europe. Elle est reléguée au Nord et à l’Est, aux marches du Royaume des Francs qui confond Gaule et Germanie. En France, l’homme du XIe siècle est aussi loin du sauvage désordre post-carlovingien que nous le sommes des fureurs de la Fronde.

    — Cet homme vit dans ce que nous sommes convenus d’appeler une civilisation, dans une société de nouveau plus qu’à demi ordonnée. Du côté de la Méditerranée, il a derrière lui des milliers et des milliers d’années de vie élaborée. L’héritage de mainte culture lui est plus sensiblement présent qu’on ne croit. Il vit dans le voisinage éblouissant de Byzance et de l’Empire arabe.

    Du côté nordique, il est moins loin, mais déjà fort loin de ses débuts. Nous savons maintenant qu’il y a eu dans le nord de l’Europe, tant chez les Celtes que chez les Slaves, chez les Germains que les Scandinaves, de nombreux stades de création originale, et aussi beaucoup de contacts avec toutes les autres aires de civilisation.

    — Cependant cet homme a encore un corps, et un corps magnifique. C’est pour lui le plein du printemps. Il est assez civilisé pour raffiner sur sa vigueur, pas assez pour commencer de la détruire. Le XIIe, le XIIIe siècle, ce sont les beaux siècles archaïques de la Grèce.

    — Cet homme est plus ou moins un paysan et un guerrier. Il n’y a pas alors de différence aussi forte qu’aujourd’hui entre le campagnard et le citadin. Le moine hier encore était un pionnier et il vit à la campagne. Le marchand est un voyageur armé. L’artisan, le bourgeois dans leur petite ville fortifiée sont à même la campagne. De leur taudis, de leur rue puante, ils n’ont que trois pas à sauter pour aller aux champs où ils ont encore affaire. Il y a peut-être moins de distance en ces siècles entre le baron et le roturier qui commence à se risquer comme homme de pied en rase campagne qu’aux siècles précédents quand la noblesse d’essence germanique, croisée d’éléments gallo-romains retrempés, vivait dans une notable supériorité d’entraînement physique par rapport au reste du peuple, encore mal remis de son long internement dans les cités romaines.

    Alors, tous les hommes devaient résister au froid et au chaud, à la faim et à la soif, aux sièges, aux incendies, aux inondations, aux épidémies, aux massacres, à la torture. Les conditions étaient rudes pour les pauvres comme pour les riches. Les épreuves physiques étaient presque universellement répandues. Mais sans doute ne faudrait-il pas croire que la guerre et la maladie fissent une sélection toujours sûre des plus robustes.

    — Quand on considère les monuments qui nous restent de cette époque, on y trouve une expression éclatante de la force et de l’allégresse des corps. Cela éclate dans l’architecture, dans la sculpture, l’enluminure, la poésie et la philosophie religieuse.

    Ces châteaux et ces cathédrales n’ont pu être bâtis par des chétifs ni par des tristes. Il y a à la fois une raison et une audace de la raison dans le plan des cathédrales qui ne peuvent être comprises seulement comme l’effet d’une ardente foi extraterrestre, mais comme confiance dans la vie, joie de vivre, affirmation exubérante de l’immédiat.

    Cela se certifie dans les figures des contemporains que l’imagier nous a léguées. Aussitôt que la sculpture médiévale sort de ses tâtonnements, ou plutôt des réserves inspirées par l’art byzantin, elle trace un poème à la gloire du corps humain qui rejoint les réussites de l’art grec, égyptien ou assyrien. En dépit de la défaveur d’un climat moins ensoleillé qui ronge tout, en dépit des subséquents ravages huguenots ou jacobins, on peut voir encore quelque chose de ce qui fut témoigné d’une humanité en plein épanouissement. Regardez les statues de Reims ; elles valent les Korai d’Athènes. Voyez ces corps élancés, sveltes et souples, ces membrures fortes et élégantes, ces visages secrètement expressifs ; ils valent les visages grecs de l’époque archaïque, ceux qui ont été tracés avant la fixation trop rationnelle et trop extérieure d’un type.

    Et ne demeurez pas sans imagination devant ces formes, évoquez les couleurs. Songez que là où aujourd’hui règne la morne grisaille du vieillissement éclatait un bariolage printanier, dans les costumes, dans la décoration des maisons et des églises. Il suffit d’ouvrir un livre d’heures pour être ébloui par la révélation multicolore de ces siècles qui furent créateurs autant et plus que nos autres siècles créateurs.

    Si vous vous arrêtez devant cette vieille grotte noircie et poussiéreuse qu’est aujourd’hui une cathédrale, songez que tout y rutilait comme sur un temple grec ou égyptien. Les vitraux qui n’ont pas été fracassés par les iconoclastes des siècles soi-disant plus civilisés vous crient ce que fut le Moyen Âge ; mais vous ne voyez pas qu’ils ne sont que la dernière réverbération de ce qui flambait sur la pierre alors vivante, maintenant morte, et sur la chair en fleur qui comblait ces grands vaisseaux.

    Regardez un vitrail, un livre d’heures, des armoiries, vous verrez surgir une époque éclatante, où l’or, l’argent, l’azur,

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