Odyssée d'un enfant d'Orleansville: 1954-1970
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À propos de ce livre électronique
À cette femme, à toutes les femmes qui ont soutenu, vaille que vaille, l’éducation, l’évolution, l’avenir de leurs enfants, permettez donc que je leur transmette, un peu en votre nom aussi, mon admiration et mon profond respect.
Pour m’avoir mené à l’âge adulte, à ce que je suis devenu dans la vie, à ce que je n’aurais jamais, au grand jamais, pu devenir sans elle, sans son appui, les efforts gigantesques qu’elle a fournis en ma faveur, malgré ses rares coups de gueule ou ses quelques plages de désespoir, somme toute éminemment compréhensibles.
À ma mère, à toutes les mères, un grand, un immense Merci.
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Avis sur Odyssée d'un enfant d'Orleansville
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Aperçu du livre
Odyssée d'un enfant d'Orleansville - Benmokhtar Abderrahmane
978-2-312-07424-5
Avant-propos
Difficile de se remémorer, en cette anné 2020, les évènements d’une époque aussi lointaine et révolue de la deuxième moitié du siècle dernier.
Lorsque les routes se comptaient sur les doigts d’une main, que les rares véhicules en circulation ne pouvaient dépasser un marathonien aguerri.
Lorsque les termes autoroute, supermarchés, ascenseurs, conquête de la lune, jet, téléphone mobile, tablette ou ordinateur ne signifiaient absolument rien pour les quelques millions d’Algériens que nous étions.
J’ai entrepris cette introspection dans un passé clair-obscur, après maintes hésitations autour, non seulement du degré de fiabilité de ma mémoire et de l’indispensable filtre ou modération de certains évènements, mais aussi autour de l’opportunité même d’un tel récit.
Après des années de réflexion, je me suis convaincu du devoir de me libérer d’une sorte de fardeau sur mon âme et sur ma conscience.
Un tribut quelque part également à l’égard de mes proches et amis à qui j’ai, maintes fois, raconté telle ou telle anecdote survenue à cette époque, avec comme seul résultat notable d’attiser encore plus leur légitime curiosité d’en savoir plus ou d’obtenir le mot de la fin.
Je me suis demandé ensuite, avec une pointe de regret, pourquoi je n’avais jamais songé, depuis toutes ces longues années, à noter tout cela noir sur blanc afin de ne rien négliger ni d’oublier quelque détail que ce soit et pour permettre, enfin, aux autres, d’avoir un éclairage, même imparfait, sur un passé aussi nostalgique que douloureux.
D’autre part, combien de fois au cours de ma carrière, n’ai-je entendu de la part de nombre de personnes, illustres ou modestes, ayant fait l’Histoire ou ayant seulement une histoire à narrer, qu’elles ont encore du temps devant elles pour écrire, ou alors qu’elles n’ont pas trouvé le temps libre nécessaire.
Ou, argument suprême d’entre tous, qu’elles ne veulent pas froisser des amis ou personnages encore vivants !
Mais alors, tout cela posé, qui peut, qui a le droit de prendre sa plume et de fixer les détails d’une époque, pour lui-même, pour ses enfants, les enfants des autres, ses amis ou tous ceux qui n’étaient pas encore nés, ceux qui ont traversé ce siècle en étant peut être de l’autre côté de la barrière ?
Et pour ceux aussi qui n’ont pas côtoyé cette tranche de vie, de découverte, ce passé enfin ?
Au risque d’oublier du coup que la grande faucheuse n’attend malheureusement pas, n’attendra jamais leur bon vouloir et qu’il vaut mieux, selon l’adage bien connu, ne jamais remettre à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui.
Comment en effet, pourquoi, et dans quel intérêt garder tout cela au fond de soi et pour soi seul ? Pourquoi ne pas permettre aux autres, tous les autres, de pénétrer ce monde étrange, ce kaléidoscope personnel et secret d’une tranche de vie, dans une petite ville qui peut, certainement même, se raconter comme un miroir parfait de toutes les autres villes et cités algériennes ?
Parvenu à l’âge de la parfaite maturité, j’ai pu retrouver, par miracle, une série de notes manuscrites relatives à cette vie d’un autre âge et que j’avais rédigées sans aucun autre but que de noter des souvenirs épars, voués sans cela à l’oubli définitif.
Plus, ou au moins aussi important que cela, je me suis aperçu en relisant ces fameuses notes, que beaucoup d’autres éléments que je pensais enfouis à jamais, ressuscitaient à ma grande surprise et venaient compléter ou éclairer sous des angles différents tel ou tel évènement ou conversation.
Il m’est dès lors apparu que l’être humain a une certaine tendance, pour d’innombrables raisons, à l’oubli inconscient de ce qu’il a vécu, de ce qui a entouré son enfance, le déroulé de l’histoire de son quartier, de sa ville et de son pays.
Cependant, je tiens à avertir les lecteurs sur le fait que cet essai n’a aucunement l’ambition du chercheur, de l’historien ou du scientifique qui, bardé de diplômes, d’expérience et de certitudes, vous assène des vérités, ses vérités, sans appel, commentaires ou débats.
Sans humour aussi.
Non, il s’agit simplement pour moi de transmettre, de revisiter et de faire revivre un passé, tout en partageant avec émotion le souvenir de paysages, d’évènements et de personnes disparues ou encore de ce monde.
Une nostalgie, une période à ce point troublante et traumatisante qu’elle jaillit même après plusieurs décennies, comme d’un geyser, pour étaler sur la scène de la vie ce film qu’un enfant projette tel qu’il l’a vécu, sans artifices quelconques que ceux dus aux marques et attaques invisibles du temps sur la mémoire.
Et donc…
QUELQUES MOTS SUR EL ASNAM-ORLEANSVILLE
Mon voyage, mon pèlerinage, je l’ai réalisé entièrement dans ma ville.
Une petite ville de province, point de jonction géographique entre le centre et l’ouest du pays, de passage obligatoire pour les aventuriers vers l’ouest et le sud-ouest du pays.
Une ville enfouie au creux d’une chaine de montagnes, synonyme de fournaise tout au long des étés qui s’éternisent et y prennent plaisir, et de vrai pôle nord quand la bise arrive et s’installe.
Une ville somme toute attirante pour beaucoup, même si trop souvent synonyme de malheurs naturels.
La ville où je suis né un printemps 1949 et qui a mérité, ou souffert, d’être débaptisée plusieurs fois dans son histoire.
Et ce n’est, sait-on jamais, peut-être pas la dernière, qui sait ?
Sans ouvrir de parenthèse, je me dois de préciser, s’il en était besoin, que je me suis toujours senti, avec force, totalement « Asnami » de cœur, alors que toute ma famille est originaire de Oued Rhiou, à une quarantaine de kilomètres plus à l’ouest.
Benjamin d’une fratrie de quatre filles et de trois garçons, j’ai été le seul à voir le jour à ce qui était Orléansville.
Mon père, une disparition prématurée
Mon père, coiffeur puis gargotier à Oued Rhiou (Inkerman), choisit d’élire domicile à Orléansville avec femme et enfants en 47/48, au sortir de la seconde guerre mondiale.
Il y devint coffreur dans le bâtiment puis cheminot.
Mon père disparait fin 1950, alors que j’avais dix-huit mois à peine, après avoir été, selon ce que m’en a raconté ma mère, heurté par un wagon de marchandises lors de manœuvres de nuit dans l’enceinte de la gare de la ville.
Blessé à une jambe, peut être mal pris en charge mais déjà attaqué par un diabète sournois, il contracta une gangrène qui l’obligea à se faire hospitaliser.
Son état de santé s’aggrava brusquement et sa seule chance de survie ne dépendait plus que d’une intervention chirurgicale consistant à amputer le membre atteint.
Il refusa énergiquement.
Les médecins appelèrent alors ma mère à la rescousse et lui soumirent une alternative douloureuse.
Une signature au bas d’un document administratif mais obligatoire pour autoriser cette intervention, avec des chances notables de survie, ou le décès, très rapidement.
Désespérée, affolée, ma mère ne savait que faire, quelle décision prendre, à qui demander conseil.
Elle comprenait, avant tout et surtout, qu’elle ne pouvait prendre une quelconque décision sans consulter le principal intéressé, à savoir son mari.
Il lui tint à peu près ce langage, selon ce qu’elle m’en a dit quand je fus en âge de comprendre : « tu les laisses m’opérer, il est possible que j’y survive mais toi je te répudie lors et à jamais ; je ne veux pas perdre ma jambe parce que je veux partir entier et toi, je t’interdis de leur signer ce papier ; ce que je te demande avant tout, c’est de bien t’occuper et de veiller sur le petit. »
Il parlait bien sûr de moi, qui étais dans les bras de ma mère.
Ma mère, me racontant pour la millième fois cet épisode, se défendait toujours en disant « mais que pouvais-je faire d’autre ? c’était lui l’époux et c’est lui qui décidait