Mémoires d'un Adjudant, la vie étrange et surprenante de Joseph Ligneau écrit par lui même: Tome 1
Par Joseph Ligneau
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Aperçu du livre
Mémoires d'un Adjudant, la vie étrange et surprenante de Joseph Ligneau écrit par lui même - Joseph Ligneau
978-2-312-04572-6
Avant-propos
Le lecteur trouvera ici les mémoires de Joseph Ligneau qui ont été retrouvées dans le fond d’une armoire, trente-six ans après sa mort.
Elles retracent la vie et les aventures étranges et surprenantes de Joseph Ligneau, né aux Granges-le-Roi, recueilli orphelin à Plénée-Jugon et qui fit mille métiers durant la Guerre de 1914-1918 avant d’épouser la carrière militaire.
Soldat, Joseph Ligneau avait un souci très vif du détail. J’imagine qu’il envisageait de compléter cet ouvrage puisqu’il est inachevé. Il est probable qu’il aurait apporté des retouches à quelques-uns de ses textes.
Il faut tout d’abord remercier Anne-Marie Touchet qui pendant toutes ces années a su conserver le manuscrit à Mortagne-au-Perche, puis déchiffrer et retranscrire celui-ci sur son ordinateur.
Il faut aussi remercier les relecteurs, Caroline Bojarski, Directrice de la Bibliothèque Oscar Wilde à Paris, Barbara Bojarski étudiante en éditique, Christel Morand-Leriche Directrice des écoles à l’école Louis-Hubert Allié de Courbevoie et Carole Touchet Lectrice, qui ont apportés leurs annotations nécessaires à la compréhension des lecteurs d’aujourd’hui.
Enfin, ce livre n’aurait pas pu exister sans le maquettage et la couverture, réalisés par Rachel Touchet, étudiante à l’EDC Paris Business school.
En publiant ces Mémoires dans l’état où Joseph Ligneau nous les a laissées, j’espère qu’elles susciteront autant de curiosité et d’étonnement qu’elles nous en ont procuré lors de leur découverte sur un cahier d’écolier écrites à la plume et à l’encre violette, relatant des faits extraordinaires mais vérifiables, parfois durs mais toujours véritables.
Maisons-Laffitte, le 29 mai 2016
Didier Touchet
Je vous aurais prévenu !
Je commence ces mémoires aujourd’hui 1er janvier 1953. Quand seront-elles terminées ? Je l’ignore totalement ! Peut-être Satan m’aura-t-il rappelé à lui avant d’en avoir terminé !
Je dis : Satan, car je n’ai pas la prétention d’aller tout droit au Paradis. Saint Pierre m’en interdirait probablement l’entrée. Les militaires de carrière, les célibataires, dont je fais toujours partie, ne sont pas des enfants de chœur et je ne crois pas que l’on puisse leur donner le bon Dieu sans confession. Dans ces mémoires, j’ai l’intention de dire tout ce que j’ai entendu, et de décrire tout ce que j’ai vu. Tant pis si cette lecture choque des oreilles virginales, ou celles de vieilles filles qui mourront sans savoir ce qu’est l’Amour !
img2.jpgPour ceux qui comme moi, ne possèdent que leur Certificat d’Études primaires, le grade d’Adjudant-chef ou d’Adjudant est le couronnement de notre carrière. Aspirer au grade d’Officier nécessite des études plus poussées. Tout le monde n’a pas le caractère à étudier chaque soir pendant plusieurs lunes, alors que le corps et l’esprit se délassent si bien devant un écran de cinéma, un jeu de cartes, un roman policier. Ce que j’ai trouvé de plus dur au régiment, la chose à laquelle j’ai eu le plus de mal à m’adapter, c’est cette vie en commun comme soldat et caporal que l’on subit dans des chambrées dont l’effectif était à cette époque (1920) de 24 au minimum. Quel soulagement lorsque l’on passe Sergent ! C’est un nuage qui occultait le soleil qui vient de se déchirer. Cependant, malgré les aléas que cette vie en commun comporte, je dis que tous les hommes valides devraient passer à l’école du régiment. Cela forme un homme, trempe son caractère, modifie parfois son tempérament, et surtout arrache ces grands dadais de fils à papa des jupons de leur mère qui leur apporte le café au lait au lit, chaque matin. Celui qui a fait 15 ans de services militaires à Versailles, Toulouse ou Poitiers, en qualité de secrétaire d’État-major ou de recrutement, ne connaît que peu de choses de la vie du soldat de campagne. Il a toujours couché dans un lit (ou dans celui de ses petites amies) n’a jamais eu ni trop chaud, ni trop froid, n’a jamais connu la soif ah, la soif !… ni la faim et autres exigences du service en campagne. Bref l’on pourrait dire que c’est un civil en uniforme.
img3.jpgQue dire des soldats que j’ai connus pendant ces vingt et une années passées sous l’uniforme kaki. Une grande majorité à bon moral et bon esprit, ce qui facilite la tâche des gradés. L’élément villageois serait plutôt enclin à la rouspétance et au dénigrement du service militaire qui lui est imposé, alors que le contingent fourni par les provinciaux serait de nature plus malléable avec une compréhension plus lente, du fait que l’on trouve malheureusement, encore beaucoup trop d’illettrés. Pour cette affirmation je me base sur ce que j’ai constaté à Sedan en Février 1937, étant en contact journalier avec cette catégorie d’homme.
En ce qui concerne le corps des sous-officiers de carrière, le niveau intellectuel est nettement supérieur à ce qu’il était en 1920. Toutefois, il ne faut pas partir du principe que c’est le plus instruit, instruction générale parlant, qui doit être placé au sommet de la hiérarchie ! Nous avons eu en octobre 1939, un soldat de 1ère classe qui, dans le civil, était procureur de la République dans les Ardennes ! Un de nos ministres, n’était-il pas Sergent au début de la Guerre 1914-18 ? Et beaucoup d’autres qu’il serait trop long de citer ici. Parmi les éléments Caporaux et Soldats, beaucoup de ceux-ci avaient une peur terrible des sergents corses… Pourtant l’instruction générale de ces derniers ne dépasse pas la moyenne ! Je dirais même qu’elle est en dessous ! Ce qui fait leur valeur militaire ressort de leurs aptitudes au commandement. Ajoutez à cela un regard qui en impose, des mœurs et des coutumes apportées de leur île, chère à Tino Rossi, et un caractère qui ne badine pas sur la question d’honneur… J’ai trouvé quelques-uns de ces défauts et qualités parmi les cadres Bretons et Alsaciens-Lorrains.
Pour l’élément « officiers », il ne m’appartient pas de juger cette élite de l’armée. Qu’il me soit pourtant permis de dire que nul n’étant parfait et qu’il est matériellement très difficile de trouver chez la même personne toutes les qualités physiques et morales, il ressort de cela que l’on trouve chez certains d’entre eux, des petites manies et méthodes personnelles auxquelles l’inférieur doit savoir s’adapter sans chercher à comprendre. Là, est le leitmotiv que l’on entend prononcer presque quotidiennement.
Pour conclure, disons que si l’armée déplaît à certains, il faut bien qu’elle plaise à d’autres ! Sans armée et sans police, où irions-nous ? Le plus fort égorgerait le plus faible et ce serait l’anarchie… J’ai mordu difficilement au métier. Il a fallu que je voie des camarades plus bêtes que moi, arriver au grade de sergent pour m’ouvrir les yeux. Pourquoi eux et pas moi ? Mais il y a la discipline, me rétorqueront les gens épris de liberté et d’indépendance. La discipline ! La belle affaire ! Vous cher camarade métallurgiste n’êtes-vous pas enchaîné pendant 8 heures consécutives à votre chaîne de montage moteurs, ou autre ? Pouvez-vous vous permettre d’arriver en retard, même 5 minutes, à votre travail ? Cartons de pointage, pendules enregistreuses, chronométreurs, gardiens, pointeaux, etc. sont là pour vous contrôler, vous moucharder (au sens propre comme au figuré). Et, souvent pour 5 minutes de retard, il vous en déduit une heure de travail. Si cela se renouvelle trop souvent, votre compte vous attend au bureau. Il en est de même, dans le métier militaire, mais, appliqué toutefois avec beaucoup plus de souplesse ! Autre considération : la retraite ! Citez-moi donc, une administration, une usine, une maison de commerce qui vous donnera la retraite à 33 ans. Engagé à 18 ans + 15 ans de service = 33 ans ? Pour peu que les circonstances vous soient favorables, vous pouvez réunir à cet âge 45 annuités (chose très rare je le reconnais, mais qui existe) le maximum alloué pour la retraite ayant été ramené à 40.
Il n’en déplaise aux détracteurs, je ne regrette pas d’être un ancien fayot, et, si la guerre n’était pas venue interrompre cette carrière, j’aurais encore le képi sur le crâne, le poste que j’occupais me permettant de servir jusqu’à 60 ans.
Pour ceux que j’aime
Je vis le jour le 12 décembre 1899 dans la petite commune des Granges-le-Roi (environ 750 habitants) canton de Dourdan-sud, arrondissement de Rambouillet (Seine et Oise). Sur les fonts baptismaux, je fus nommé Joseph, Augustin, Désiré. Nom de famille Ligneau.
Joseph : du prénom de mon parrain, lequel était un des deux frères de ma mère, donc mon oncle, Joseph Boudan.
Augustin : l’un des prénoms de mon père.
Désiré : j’ignore pourquoi ! Peut-être mon père avait-il trouvé qu’il y avait eu trop de temps entre la commande et la livraison ? Auquel cas, l’on a coutume de s’écrier : « Ah ! Eh bien celui-là, on pourra l’appeler Désiré » !
Mon père, Elesfort Augustin, n’était plus de la première jeunesse. Il s’était marié une première fois avec une fille Vallée, dont les parents étaient cultivateurs au pays. J’ignore s’il y eu des enfants de cette union. À la mort de sa première femme, après les délais écoulés, il se remaria à 66 ans avec une jeune fille du pays, dont le père était berger dans les fermes environnantes. L’on dût attendre que cette jeune fille (qui devait être ma mère) eût atteint l’âge légal de 15 ans et 3 mois pour que le mariage puisse avoir lieu. Encore aujourd’hui, je suis à me demander quelle folie avait poussé les parents de la jeune fille à vouloir un mariage aussi disproportionné. Que l’on songe que le mari avait 51 ans de plus que sa femme ! Il aurait pu être son arrière-grand-père puisqu’il est prouvé qu’un homme peut être arrière-grand-père à 51 ans… Quoi qu’il en soit ce fut un beau charivari le jour et le soir du mariage. Les habitants de la commune, surtout les jeunes, protestaient à leur façon : sérénades sur des casseroles, lazzis contre le marié que l’on accusait de prendre les filles au berceau, etc. Ce qui n’empêcha pas mon père, d’avoir le soir de ses noces, une jeune vierge de 15 ans et 3 mois dans son lit ! Heureux papa ! Pareille aventure agréable n’est jamais arrivé à ton fils !
Ma mère s’appelait Marie Alphonsine Boudan. Elle ne voulait pas de ce mariage, c’est bien compréhensible ! Elle pleurait tout ce qu’elle pouvait, la pauvre ! Mais les parents, inflexibles, n’en avaient cure. Voyant cette jeune fille en pleurs, quelques-uns disaient : « Voyez, on livre la vierge au bourreau ! Le sacrifice aura lieu cette nuit ! » Et c’était ma foi, vrai ! Mais l’effusion de sang provoquée par ce sacrifice nuptial, ne fut que de peu de conséquences, et mon père, en habile chirurgien colmata la brèche…
Au fur et à mesure que l’on grandit en âge, l’on apprend bribes par bribes, bien des choses, et les habitants du village se chargent de vous renseigner, la plupart du temps sans qu’on le leur demande… C’est ainsi que j’eus connaissance de l’esprit mesquin et calculateur de mon grand-père maternel, le père Boudan.
Mon père qui était veuf, était cultivateur et habitait la dernière maison à main droite côté Authon-la-Plaine. Il possédait 7 hectares de terre, 1 cheval, 2 vaches, lapins, poules et cochons. Un homme seul ne peut venir à bout de tout cela. Il lui faut une femme pour tenir la maison, soigner la basse-cour, traire les vaches, bref faire tout le travail qu’il y a à exécuter et qui peut être accompli par une femme, permettant aussi à l’homme d’être aux champs du lever au coucher du soleil.
Dans ce petit village essentiellement agricole, où tout le monde, patrons et ouvriers cultivent la terre, celui qui possède quelques arpents est donc un bon parti pour la femme qui cherche un foyer. Mon père de son côté avait peut-être déjà fait aussi un calcul qui aurait pris naissance ultérieurement ? En effet, lui, vieillissant, sa femme (ma mère), s’élançait vers les cimes de la jeunesse, acquérait en force ce que, lui, perdait en virilité, donnait à ce sexagénaire un ou plusieurs enfants mâles qui, à leur tour, tiendraient les mancherons de la charrue et perpétueraient la lignée des Ligneau, continuant comme leurs ancêtres.
À faire la besogne des champs, rude et solitaire
De la blancheur de l’aube, jusqu’à l’obscure lueur
Occupés à se battre avec la terre
Et laissant sur chaque herbe, un peu de leur sueur
Papa Ligneau et grand-père Boudan s’étaient peut-être concertés dans ce but, négligeant l’avis de la principale intéressée ?
Je vins donc au monde le 12 décembre 1899, comme je l’ai dit précédemment. C’était en somme, un cadeau du Père Noël, lequel en la circonstance, était en avance de 12 jours ! Mon père était fou de joie ! L’enfant mâle qu’il avait souhaité était là ! Preuve que sa virilité n’était pas encore défaillante ! Mais, dans le pays, les langues allaient leur train ! « Ce n’est jamais le vieux qui a fait ce gosse-là ! Un autre a dû y mettre la… main ? » C’est possible !
Trois ans plus tard, en juillet 1902 une deuxième naissance, un deuxième garçon ! Papa Ligneau était encore plus content que le jour de mon arrivée, et parlait de sauter à pieds joints par-dessus son cheval ! Il ne mit pas son projet à exécution et pour cause… Il avait quelques 45 ans de trop sur les épaules. Le père Tin (diminutif d’Augustin) comme on l’appelait dans le pays, continuait à faire des gosses à sa femme. Comme 3 ans plus tôt, les esprits critiques commentèrent l’évènement :
« Si ce n’est pas le père Tin, c’est un autre, mais qui ? À cet âge-là, ce n’est plus un homme, mais un taureau ! ». Des jeunes femmes, mariées depuis peu frémissaient : « je ne voudrais pas avoir ce vieux-là dans mon lit ! » Et patati, et patata…
En décembre 1905, 3ème naissance ! Ce fut une fille que l’on baptisa : « Fernande-Juliette ». Mon père était satisfait. La fille et les deux garçons feraient marcher la bricole lorsqu’il ne pourrait plus travailler. De nouveau les cancans reprirent. Ce fut un moment de stupeur chez certains, d’incrédulité chez les autres. « Bravo père Tin ! Disaient les gens de son âge… Cela fait plaisir de voir un septuagénaire forniquer comme à 30 ans ! » Les détracteurs continuaient à assurer que ma mère avait un et même plusieurs amants et que le père Ligneau était un mari complaisant, ce qui était aussi l’avis de quelques représentants du sexe dit « faible ». Un autre son de cloche tintait chez d’autres filles d’Eve, lesquelles, n’obtenant pas satisfaction pleine et entière avec leur mari, conversaient entre elles tout bas, parlant d’aller trouver le père Tin pour mourir d’amour entre ses bras ! Certains n’hésitaient pas à comparer « le vieux » à Hercule, lequel suivant la mythologie, engendra 50 fois dans la même nuit ! Et enfin pour d’autres, c’était un imposteur, qui faisait faire son travail par des jeunes bouviers travaillant dans les fermes alentour… Tous ces potins arrivaient aux oreilles des intéressés qui laissaient dire… Les chiens aboient, la caravane passe.
Mes souvenirs les plus lointains remontent au baptême de ma sœur. J’avais à cet époque 6 ans et je ne me souviens plus si ce baptême eut lieu en décembre 1905 ou au début de 1906. Toujours est-il que ce jour-là, mon frère Marcel (qui avait 3 ans) et moi, étions consignés chez nos grands-parents, lesquels habitaient à 200 mètres de là, sur le même côté de la rue. Le cortège vint à passer devant la maison de grand-père, au retour de l’église, et, tout en marchant, le parrain et la marraine jetaient à la volée dragées, pralines, pièces de un et deux sous. Les gamins couraient après, se disputant, les plus grands faisant rouler à terre les plus petits. Je voulais avoir ma part de