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On l'appellera Téhie: Tome II – Vers la lumière
On l'appellera Téhie: Tome II – Vers la lumière
On l'appellera Téhie: Tome II – Vers la lumière
Livre électronique452 pages7 heures

On l'appellera Téhie: Tome II – Vers la lumière

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À propos de ce livre électronique

Dans la nuit du 25 septembre 1992, un vieux liberty-ship datant de la seconde Guerre Mondiale quitte discrètement un port d’Afrique de l’Ouest. Il emporte dans ses soutes une cargaison de mangues à destination de New York. Mais ce que l’équipage ignore alors, c’est qu’il n’y a pas que des containers de fruits dans les cales … cinq passagers clandestins essayent tant bien que mal de survivre, cachés au fond d’un ballast désaffecté !
Seul rescapé de l’escale new-yorkaise, un homme s’apprête à affronter l’enfer sans savoir si le voyage qui s’annonce le ramènera sain et sauf dans son village. Et cet homme n’est autre que Seydou, le grand-père d’Amina. Il ne le sait pas encore, mais pour tous, il est déjà mort ! Il s’est noyé au large de la Capitale, une semaine très exactement avant son départ pour le voyage le plus extraordinaire et le plus dangereux jamais imaginé par Aboubacar, le marabout : le voyage au bout du monde !
Un destin qui en rappelle étrangement un autre … mais était-ce réellement une coïncidence ?
Le destin, encore lui, qui à la veille du nouveau millénaire qui s’annonce, vient de réunir Jean l’astronaute maudit et Amina la jeune surdouée.
Mais cette terre d’Afrique n’est pas un territoire comme les autres. Ici, l’esprit et les croyances ne connaissent pas de limite.
Tel ce puissant marabout qui éprouve un besoin irrépressible de se soumettre à une analyse, ou ce prêtre missionnaire qui au nom d’un œcuménisme universel prêche indifféremment à l’église et à la mosquée, ou encore ce pilote russe déserteur qui cache au cœur de la forêt tropicale le prototype de l’avion le plus secret de la guerre froide.
Alors qu’ils se croyaient perdus, la magie de l’Afrique les mènera vers la lumière …
LangueFrançais
Date de sortie28 nov. 2016
ISBN9782312049229
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    Aperçu du livre

    On l'appellera Téhie - Christian Sournia

    cover.jpg

    On l’appellera Téhie

    Christian Sournia

    On l’appellera Téhie

    Roman

    Tome II – Vers la lumière

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-04922-9

    Chapitre 1

    DANS MES BRAS !

    Les premiers rayons de soleil commençaient à peine à se frayer un chemin à travers le feuillage dense de la forêt. Un jeu de lumière erratique se mettait en place lentement, déformant les ombres à l’extrême. Les bruits de la nuit s’étaient tus. D’autres, encore hésitants, les remplaçaient progressivement. Combien j’aimais cette ambiance si particulière ! C’était un peu comme si la nature effectuait ses derniers réglages avant de lancer un nouveau cycle de vie.

    Ils devaient déjà être arrivés. Issa m’avait assuré qu’il ne leur faudrait pas plus d’une heure depuis la voie ferrée. Je pressais le pas. Cela ne me prit que dix minutes supplémentaires pour rejoindre la cabane. La porte n’était pas fermée, je la poussais lentement. Je suis resté ainsi dans l’encadrement le temps d’habituer mes yeux à la pénombre qui régnait dans la pièce. Il n’y avait que deux personnes à l’intérieur. Le Français me faisait face, assis de l’autre côté d’une large table en bois. La jeune fille, quant à elle, me tournait le dos…

    « Bonjour, Grand-père ! Tu m’as beaucoup manqué, tu sais. »

    Je ne sais pas pourquoi, mais je ne fus pas surpris qu’Amina ait deviné qui se cachait derrière cette histoire de rapt.

    « Bonjour, Amina ! Tu m’as beaucoup manqué, toi aussi.

    – Jean, je te présente Grand-père. Grand-père, voici le Jean de ma dernière lettre. Je vois avec plaisir que tu l’as reçue à temps. »

    Amina se retourna complètement avant de m’enlacer de ses longs bras minces. Je m’abstins cette fois-ci de lui faire une nouvelle remarque sur sa taille, comme quoi elle avait encore grandi. La futilité de cette phrase consacrée de notre petit rituel de retrouvaille ne s’accordait pas avec la gravité des évènements de ces derniers jours.

    « Comment as-tu su, la grande, pour le faux enlèvement ?

    – En fait, j’ai commencé à avoir des doutes quand leur chef a pris la décision de m’emmener avec Jean. Quel intérêt de s’encombrer d’un otage supplémentaire sans valeur marchande et au comportement plutôt envahissant ? Et puis, cinq-cents mètres avant la cabane, j’ai aperçu les premiers signes sur les arbres. Et comme tu m’avais juré que je serais la seule à pouvoir les reconnaître… »

    Le Français se leva brusquement et commença à arpenter la pièce dans toute sa longueur, passablement énervé.

    « Mais enfin, Téhie ! Il y a moins d’un quart d’heure tu m’expliquais qu’ils envisageaient de me décapiter si la rançon n’était pas versée dans les vingt-quatre heures et de te violer aussitôt après ! Tout ça d’après la traduction que tu avais soi-disant faite de leur conversation en dialecte. Depuis, je suis fou d’inquiétude.

    – Fou d’inquiétude pour ta tête… ou pour ma virginité ? Et d’abord je ne parle pas très bien le dialecte du coin. Je n’ai compris qu’un mot sur deux. Alors, il a bien fallu combler les vides. Peut-être me suis-je laissé emporter par mon imagination…

    – Amina, tu es toujours aussi insupportable ! Monsieur Jean, je vous prie de bien vouloir lui pardonner. Je ne peux malheureusement pas compléter ma phrase par l’excuse habituelle "elle ne sait pas ce qu’elle fait", puisque comme vous avez eu l’occasion de vous en rendre compte, c’est tout le contraire. Bien, ce canular d’un goût douteux mis à part, vous avez fait bonne route ? Traverser la forêt à pied et de nuit, c’est une expérience oppressante la première fois. C’est uniquement psychologique, car il s’avère que c’est bien moins dangereux que le jour. Ah, Monsieur Jean, vous pouvez m’appeler Seydou puisque notre jeune effrontée n’a pas jugé bon d’achever les présentations. »

    Le Français vint se planter à un mètre de moi, sans toutefois prendre la main que je lui tendais ostensiblement.

    « Eh bien Seydou, vous me voyez quelque peu surpris que vous ayez jugé de bon goût de faire appel à des brigands pour se charger de notre accueil. Je vous assure qu’un foulard agité sur le quai d’une gare, c’est tout aussi efficace et pour tout dire, un poil moins stressant.

    – Mais enfin, de quels brigands parlez-vous, Jean ? Ce n’étaient qu’une poignée de braves paysans du coin, simplement heureux de participer à une gentille blague qui les a beaucoup amusés. À l’heure qu’il est, ils sont tous déjà dans leurs champs en train de retourner la terre.

    – Des paysans ? Mais… et les armes alors ?

    – Factices ! Aucun d’eux n’a jamais appris dans sa vie à se servir d’une arme. Ils ont juste reçu une petite formation pour savoir la tenir à peu près correctement.

    – Permettez-moi de douter encore un peu, Seydou. Leur chef savait parfaitement comment disposer ses hommes, comment les commander et son révolver à la ceinture était tout sauf un jouet. J’ai été moi-même militaire… dans une autre vie. Alors si cet homme est paysan, moi je… je reviens de Mars ! »

    Mon vis-à-vis arborait désormais une mine beaucoup plus détendue. Le scénario du faux enlèvement faisait progressivement son chemin dans son esprit et je crus même déceler sur son visage l’ébauche d’un sourire.

    « Heureux que le professionnalisme d’Issa vous ait impressionnés, Jean. Le contraire eut été surprenant, Issa n’est autre que le chef de la police de toute la région. N’oubliez pas que l’attaque du train a eu lieu de nuit. Ajouter à cela le stress dû à la surprise, rien d’étonnant à ce que votre lucidité ait été quelque peu altérée. Mais si vous aviez prêté attention aux autres passagers, vous auriez probablement remarqué que quelques-uns avaient du mal à cacher leur hilarité. Bon nombre ont très certainement reconnu Issa sous son déguisement de chef d’une horde de bandits sanguinaires. Et puis, que je sache, Issa n’a jamais dégainé son arme en votre présence ou menacer quiconque avec. J’ai longtemps hésité avant d’accepter sa proposition de commander cette joyeuse troupe, mais il a su me convaincre. Sans lui, aucune chance que l’attaque puisse paraître suffisamment crédible, même de nuit. Et puis il trouvait que ça rajouterait un peu de piment dans la circulation des trains. Depuis trois ans qu’il est le chef de la police, plus aucun brigand ne s’est aventuré à braquer un convoi dans son secteur.

    – D’accord Grand-père, mais en dehors d’amuser tout ce petit monde avec cette joyeuse mascarade, c’était quoi l’idée ? Il y a si peu de distractions par ici que les paysans se déguisent en bandits la nuit ? J’avais prévu que nous abandonnerions discrètement le train le lendemain à l’étape suivante au moment du repos. Je savais que tu avais balisé un itinéraire depuis cette gare. Alors, pourquoi cette mise en scène ?

    – Tout d’abord jeune fille, tu dois savoir que la rivière est actuellement en crue et vous auriez eu beaucoup de mal à trouver un gué pour la traverser à pied. Ensuite, Issa venait tout juste de recevoir de ses supérieurs l’ordre de vous intercepter à la gare du terminus, à cent-vingt kilomètres de là. Comme il n’était pas sûr que cet ordre n’ait pas été transmis à d’autres services, il fallait faire vite.

    – Et où il est Issa maintenant, Grand-père ? J’aurais bien aimé le remercier… personnellement.

    – Tu en auras l’occasion Amina, mais plus tard. À l’heure qu’il est, Issa est en train d’organiser la souricière à la gare du terminus. C’est quelqu’un de très efficace, vous n’avez aucune chance de lui échapper… enfin, si vous étiez encore à bord du train, bien évidemment. Hassan va probablement passer un sale quart d’heure, car Issa va devoir le dénoncer à ses supérieurs. Ce qui, vous en jugerez par vous-même, est le comble de l’ironie, quand on sait qu’Hassan n’est autre que… son cousin. »

    Amina et Jean se figèrent avec une synchronisation quasi parfaite. Deux paires d’yeux grands ouverts me fixaient désormais. Leur air ahuri, à la limite de la caricature, réussit à m’arracher un petit rire discret.

    « Seydou, vous être en train de nous expliquer qu’Hassan est le cousin du chef de la police qui a organisé notre enlèvement ?

    – Monsieur Jean, est-ce que vous imaginez deux secondes que j’allais laisser ma petite-fille courir le moindre risque lors de votre fuite en train et alors que vous étiez tous les deux recherchés par la police et les Américains ? Dès que vous avez quitté l’hôtel, votre parcours a été sécurisé. Issa a des hommes à lui dans tous les convois. C’est comme ça qu’il a réussi à décourager les brigands. La majorité des attaques étaient téléguidées par les pilotes des trains eux-mêmes, ou par des passagers qui savaient très exactement ce qu’il y avait à voler et sur quel plateau. Le hasard a joué en notre faveur puisqu’Hassan faisait partie du convoi ce soir-là. Et comme c’est un nom que j’avais déjà donné à Amina… »

    Amina justement jugea opportun de me couper la parole.

    « Mais enfin, Grand-père, c’est impossible ! J’ai eu à peine le temps de donner ma lettre annonçant notre arrivée à Monsieur Bakary, juste avant que nous prenions le taxi pour la gare. Au mieux, tu l’as reçue hier. Alors, je ne comprends pas ?

    – Tout à fait ma Chérie, le chauffeur de Bakary me l’a remise hier matin. Il est très efficace mon ami, tu ne trouves pas ? Par la poste, il aurait fallu attendre plus d’une semaine. Vous voyez Jean, c’est tous ces petits arrangements qui me permettent de vivre presque normalement au cœur de la forêt. Un service en appelle un autre et ainsi de suite. Nous les Africains, nous sommes… »

    Le Français leva soudain la main, m’enjoignant par là de suspendre ma petite causerie.

    « Seydou, désolé de vous interrompre, mais je pense que notre jeune Téhie… enfin votre Amina, ne va pas tarder à exploser. Quand elle fait cette tête-là, c’est qu’il est en général grand temps de planquer ses abattis. Laisser une question en suspend comme vous venez de le faire, qui plus est une question pour laquelle son joli petit cerveau survitaminé n’a pas su trouver de réponse, ça s’appelle jouer avec le feu !

    – Vous n’êtes que deux vieux…

    – C’est Zella !

    – Hein ? Comment ça, Zella ! Quel rapport tout ça peut-il bien avoir avec la femme de Bassem ? Et puis elle ne m’adressait quasiment jamais la parole. Alors, ça veut dire quoi "c’est Zella", Grand-père ? Et avant de me répondre, si tu pouvais éviter de raconter à ton tout nouvel ami comment tu te fais livrer le pain et le journal tous les matins à la cabane, ça m’arrangerait bigrement ! »

    Bien sûr que j’allais répondre à Amina. Mais j’avais décidé de prendre mon temps, afin de goûter au maximum cet instant privilégié. D’abord parce que j’aimais par-dessus tout ce petit air renfrogné qu’elle prenait lorsqu’elle avait la sensation que la discussion était en train de lui échapper. Mais surtout parce que, malgré son soi-disant sixième sens, elle n’avait jamais soupçonné l’existence du réseau de protection que j’avais mis en place autour d’elle dans la Capitale au cours de ces six derniers mois.

    « Amina ! Lorsque tu étais encore chez ta tante, j’avais eu l’occasion de te glisser dans la conversation le nom d’un très bon ami, Bakary, tu t’en souviens ? Celui-ci s’était installé dans la Capitale depuis fort longtemps, dans le quartier de Koulouma. Comme avec toi aucune information, fût-elle insignifiante, ne se perd jamais, j’étais ainsi assuré d’être rapidement alerté de ta venue dans cette ville, venue que je pressentais comme inéluctable. Quand effectivement tu as pris contact avec Bakary, celui-ci t’a immédiatement accompagné chez Bassem pour te trouver un emploi de serveuse. Juste pour ton information, jeune écervelée, Issa avait pris la précaution de te faire suivre par un homme à lui qui avait voyagé à tes côtés lors de la descente en train. Bien lui en a pris, car c’est cet homme, et non pas un illustre inconnu très gentil comme tu me l’avais raconté dans ta première lettre, qui était venu à ton secours. Tu te rappelles, lorsque ce chauffeur avait essayé de te faire monter de force dans son taxi alors que tu attendais Bakary devant chez lui ? »

    Amina resta muette quelques instants, mais je savais que son cerveau fonctionnait désormais à pleine puissance. Elle venait de comprendre qu’un certain nombre d’évènements, au cours des six derniers mois, ne devaient assurément rien au hasard. Aussi, tel un ordinateur, elle était en train de décortiquer dans les moindres détails, tous ses souvenirs.

    « Donc quand tu es arrivé au Phénicien, tu as rencontré Bassem et il t’a…

    – Stop, n’en dis pas plus, j’ai tout compris ! Enfin suffisamment je crois pour compléter ce joli conte de fées.

    – Ah, tout de même, tu en as mis du temps ! J’ai craint un instant que l’air de la ville ne t’ait ramolli les neurones. »

    Amina ferma les yeux, la tête légèrement penchée en avant, puis elle se lança…

    « Bon, je me pointe au Phénicien avec Bakary. Comme par hasard, la veille, une serveuse s’est faite virée par Bassem, sous la pression de Zella. Je suis embauché illico, sans autre référence que la recommandation de Bakary, lequel, bizarrement, avait l’air de rencontrer Bassem pour la première fois. Au bout de six mois, j’étais devenue une des employées cumulant le plus d’ancienneté. La majorité des filles se faisait virer au bout de quelques mois parce que Bassem ne pouvait s’empêcher de les peloter ou d’essayer de les mettre dans son lit. Curieusement, mais j’ai bien compris qu’il n’y avait plus lieu d’être étonné de rien désormais, il ne s’en est jamais pris à moi, du moins pas avant la veille de notre cavale. Et moi qui pensais qu’il me trouvait trop moche ! Ainsi donc, c’est Zella qui veillait sur moi et qui me protégeait de cette enflure ?

    – Vingt sur vingt jusque-là, jeune fille ! »

    Jean écoutait la démonstration avec beaucoup d’attention et d’amusement. Évidemment, il se doutait que celle-ci n’allait pas tarder à le concerner. Mais pour l’instant, c’était Amina qui tenait la barre.

    « Donc, lorsque je versais des sauts de glaçons sur l’entrejambe de certains clients un peu trop entreprenants, comme cet abruti de Marcello – paix à son âme – ou que je les remettais à leur place vertement devant tout le monde, Bassem passait l’éponge uniquement parce que Zella veillait au grain ?

    – La moyenne n’a pas baissé. Tu as toujours les félicitations du jury. Bon, là évidemment, les choses vont se compliquer un tout petit peu au fur et à mesure que nous approchons du jour fatidique…

    – Pas si sûr, Grand-père, pas si sûr ! Bassem ne comprenait pas ce qui poussait Zella à me protéger avec autant d’acharnement. Alors, sur la recommandation de Marcello, il s’est mis à me déléguer des missions de confiance, telles que d’aller retirer de l’argent pour le compte de clients de l’hôtel ou de l’accompagner le soir dans son bureau, lorsqu’il étalait la recette de la journée sur une table. Tout ça n’avait bien entendu d’autre but que d’essayer de me piéger, de me surprendre la main dans le sac en train de dérober de l’argent. Connaissant l’attrait maladif de Zella pour les billets de banque, ils savaient tous les deux qu’elle serait bien obligée de lever sa protection si le vol était avéré. Jean, j’en viens à regretter de t’avoir empêché de l’achever à coup de poing l’autre jour dans ma chambre.

    – On peut y retourner si tu veux, Téhie !

    – Une autre fois mes amis, il y a un temps pour tout. Pour l’instant notre jeune conférencière ici présente n’en a pas fini avec son exposé.

    – On y arrive. C’est à moi de faire durer un peu le plaisir, alors j’en profite. Bon, la suite est évidemment moins précise, mais je propose deux versions plausibles. Version un : sans que je puisse expliquer comment, Zella a surpris ma conversation avec Jean cet après-midi-là et elle s’est empressée de te prévenir. Deuxième version : lorsque Bakary est passé à l’hôtel pour chercher la lettre que je devais lui remettre à ton attention, il l’a lue et a agi en conséquence, de sa propre initiative. Ou même sans la lire forcément, je lui avais laissé entendre que nous envisagions de prendre le train cette nuit-là. »

    Je profitais de cette courte pause dans la démonstration d’Amina pour placer délicatement mes deux mains sur ses épaules, avant d’annoncer :

    « Bon, tout ça est bien beau ma chérie, mais comme je te l’ai enseigné à maintes reprises, dans la vie, on finit toujours par être confronté à un choix. Et ce moment est arrivé. Donc, quelle version finale proposes-tu au jury ?

    – Oh ! Un tel empressement me donnerait à penser que mon cher et tendre grand-père, si prompt à voler à mon secours en toute situation, serait gentiment en train de me tendre un piège. Mais puisque le jury attend impatiemment une réponse ferme et définitive, je dirais que les deux versions sont vraies… toutes les deux.

    – C’est gagné fillette ! Dans mes bras ! Ton grand-père est fier de toi. Et Monsieur Jean aussi, même s’il ne le montre pas beaucoup. »

    Nous nous étreignîmes longuement. C’était toujours la même sensation intense que lorsque toute petite, à l’âge de trois ans à peine, elle était venue se blottir pour la première fois dans mes bras pour me réciter, par cœur, les dix tables de multiplication. Elle avait entendu son grand frère tenter désespérément de les apprendre en les lisant à haute voix et elle les avait instantanément mémorisées. Les jours suivants, Amina avait continué à les réciter inlassablement en chantonnant, accrochée aux jambes de sa mère qui faisait tout pour s’en débarrasser. C’était quoi encore que cette gamine qui baragouinait des chiffres sans queue ni tête ? Il faut dire, pour sa décharge, que ma fille Kadidia n’a jamais rien compris aux mathématiques.

    « Bien, cet élan d’enthousiasme passé, je propose que nous demandions à notre ami de bien vouloir combler les derniers vides qui ont résisté à la brillante démonstration d’Amina. Je vous remercie d’avoir eu l’amabilité d’attendre la fin de son exposé. Jean. C’est à vous, quand vous voulez.

    – Co… comment ça, boucher les trous de mon exposé ? Mais Jean ne m’a pas quitté ce jour-là, alors qu’est-ce qu’il pourrait avoir à dire de plus ? Et puis il ne connaissait même pas Zella, ni Bakary d’ailleurs. Alors, c’est quoi cette embrouille tous les deux, hein ? Vous allez continuer longtemps à me mener en bateau ?

    – Amina il n’y a pas d’embrouille, mais si tu ne le laisses pas en placer une, Jean ne pourra pas nous éclairer sur la suite. »

    Comme tout à l’heure, je savais qu’Amina était en train de gagner du temps pour se repasser encore une fois les évènements qui avaient émaillé cette journée. Elle sentait confusément que quelque chose avait échappé à sa première analyse, mais quoi…

    « Bien, je vais tenter de me dépêcher alors, avant que le pot aux roses ne soit découvert. Une fois ton cher patron assommé, tu ne m’as effectivement plus quitté des yeux, sauf durant deux minutes très exactement. Deux minutes qui ont fait toute la différence…

    – Nom d’un chien… la corde !

    – La corde, oui, pour attacher Bassem. Tu n’en avais pas dans ta chambre et j’avais repéré en montant une rallonge électrique qui trainait dans l’escalier. Je suis juste sorti pour la récupérer et…

    – … et tu es tombé nez à nez avec Zella qui… qui avait suivi Bassem, car elle savait très bien que j’étais seule au dernier étage ! Et vous avez été surpris tous les deux par cette rencontre inopinée. Et tu… enfin elle a… »

    Téhie était totalement surexcitée. Plus petite, ces séances de devinettes la mettaient dans un tel état, qu’elle sautillait carrément sur place. Ce n’était plus le cas maintenant, elle avait grandi, mais je pouvais voir néanmoins les muscles de ses jambes se contracter nerveusement.

    « Ne cherche pas, Téhie… elle m’a embrassé !

    – Embrassé… toi ? Peuh… n’importe quoi !

    – Elle m’a embrassé, je te dis, et elle m’a dit merci pour avoir assommé son crétin de mari. Il allait le payer très cher quand il se réveillerait, depuis le temps qu’elle attendait une occasion en or comme celle-là. Elle s’arrangerait pour qu’on ne le retrouve pas avant le lendemain en fin de matinée, ce qui nous laisserait le temps de quitter la Capitale.

    – Et c’est tout ?

    – Non. Elle m’a demandé que nous rédigions une lettre à son attention détaillant l’agression dont tu avais été victime, ce que tu t’es empressé de faire lorsque je te l’ai subtilement suggéré. Mais elle m’a aussi demandé… ou plutôt ordonné, de veiller sur toi. Un de ses amis taxi nous attendrait à la tombée du jour dans la petite allée, à droite de l’hôtel, pour nous amener où bon nous semblerait. »

    Amina finit par s’assoir, visiblement épuisée. La tension commençait à retomber au fur et à mesure que son cerveau remettait en place les pièces du puzzle. Je jubilais intérieurement. Elle qui pensait n’avoir à faire qu’à un jeu comprenant une petite centaine de pièces, venait subitement de prendre conscience que celui-ci en comportait au final plus de mille. Mais je savais que cela n’était pas fait pour lui déplaire.

    « Alors, là, c’est la meilleure. Ça s’est passé il y a trois jours et tu n’as pas trouvé une seconde pour m’affranchir sur ces petits détails de notre évasion. Les bras m’en tombent !

    – Eh bien, ramasse-les, jeune fille ! Pourquoi, tu aurais aimé que je te raconte tout ça en dialecte, hum… un mot sur deux et le reste on improvise ?

    – Oh, ça va ! Il y a prescription maintenant, ça fait plus d’une heure. Tu vois, Grand-père, comme il est rancunier. Et encore, c’est pas son plus gros déf… »

    Il était grand temps pour moi d’intervenir et de mettre fin à ce règlement de comptes.

    « Eh, oh, les deux ! Quand vous aurez fini de vous chamailler on pourra finir l’histoire et manger un morceau. On se croirait vraiment dans une cour de récréation.

    – Allons bon, parce que ce n’est pas fini en plus ?

    – Pas tout à fait, Amina, pas tout à fait ! Le chauffeur a attendu deux jours avant de faire son rapport à la police, car il était opportunément souffrant. Ensuite, lorsque vous êtes montés dans le train d’Hassan, il a annoncé en râlant qu’il devait se résoudre encore une fois à charger deux gratuits, comme il les appelle. En fait, Issa garde toujours deux hommes en réserve à l’embarquement, et ce pour chaque départ de convoi. Les chefs de train peuvent faire appel à eux s’ils ont un doute sur certains passagers. Ces deux hommes ont pédalé à l’unisson pendant trois jours à vos côtés, ou plutôt juste derrière vous. Ils occupaient le troisième rang de la loco de tête.

    – Issa, encore Issa, toujours Issa ! Mais enfin, pourquoi est-ce qu’il te rend tous ces services, Grand-père ?

    – Mais tout simplement parce qu’Issa était le grand frère de Modibo, un de mes trois compagnons à l’occasion de notre voyage au bout du monde. Tu te rappelles Amina, nous en avions parlé il y a très longtemps. Et aussi parce que je suis passé outre les menaces d’Aboubacar, le marabout, qui m’avait interdit de raconter notre histoire à qui que ce soit, et surtout pas aux proches de mes camarades d’infortune. Tu te rends compte Amina que ce bâtard nous avait déclarés tous morts, noyés en mer, une semaine avant que nous n’embarquions sur le cargo !

    – Tu ne m’as toujours pas raconté ce voyage, Grand-père.

    – Parce qu’une histoire comme celle-là ne peut pas être racontée à une fillette. Mais maintenant que tu as fêté tes quatorze ans, plus rien ne s’y oppose. Cependant, on va garder ça pour demain, si tu veux bien. Et Monsieur Jean, qui est un grand voyageur à ce que j’ai cru comprendre, pourra se joindre à nous.

    – Bon, et Zella, tu vas aussi nous annoncer que c’est la petite sœur d’Issa ! Au point où on en est, on est prêt à tout entendre, n’est-ce pas Jean ?

    – Où vas-tu chercher tout ça, jeune impertinente. Zella n’est aucunement la petite sœur d’Issa. Quelle drôle d’idée ? Elle n’est que… la sœur cadette de sa femme. Donc seulement sa belle-sœur, Amina,… sa belle-sœur, c’est tout. »

    Depuis quelques minutes je voyais bien que Jean n’était plus tout à fait avec nous. Le regard dans le vague, il murmurait des phrases incompréhensibles dans son coin, avant de se retourner finalement vers nous.

    « … déclarés morts avant votre départ… morts noyés en plus. Et… et empêché de raconter votre voyage, c’est ça ?… Alors comme ça, Téhie n’a que quatorze ans ? Ce n’est pas croyable ! Et puis pourquoi Téhie s’appelle-t-elle Amina tout à coup, hein ? À moins que ce ne soit l’inverse !

    – Jean, inutile de vous faire des nœuds au cerveau avant de passer à table. Les réponses arrivent quand elles doivent arriver. Allez, le temps de vider le panier, de mettre le couvert et bon appétit tout le monde ! »

    Le repas fut vite expédié car la fatigue commençait à se faire sentir. Cela faisait plus de seize heures qu’ils n’avaient pas dormi.

    « Bon, il est plus que temps pour vous d’aller vous reposer et d’essayer de récupérer du décalage horaire dû à la remontée de nuit. Je repasserai demain matin et nous reprendrons notre joyeuse discussion. D’ici là, vous pouvez dormir tranquille, Issa a posté deux hommes autour de la cabane. Oui, je sais Amina, encore et encore Issa… Je vous souhaite une bonne nuit à tous les deux. »

    Le lendemain, en fin de matinée, je reprenais le chemin de la cabane, mais beaucoup plus lourdement chargé que la veille. Outre les quatre sacs de nourriture et le gros sac à dos rempli de vêtements de rechange pour les deux fugitifs, j’emmenais avec moi un visiteur-surprise.

    Aux aurores, Issa avait mis son plan à exécution et ses hommes avaient, comme prévu, encerclé la gare du terminus. Ils avaient comme unique consigne : intercepter un blanc. Un ordre qui n’a pas manqué de les surprendre, car depuis la fermeture officielle de la ligne, aucun étranger ne s’était aventuré à participer à une remontée. Issa, quant à lui, s’était réservé l’interrogatoire des chefs de train, dont mon ami Hassan et accessoirement son cousin, qu’il embrassa chaleureusement. Très chaleureusement d’ailleurs, on aurait pu croire qu’ils ne s’étaient pas vus depuis des années. Une fois l’affaire terminée, Issa laissa le soin à son bras droit de faire un rapport circonstancié à la Capitale, au sujet de cette opération rondement menée.

    La veille, il avait pris la décision de m’accompagner à la cabane afin de passer un peu de temps avec ses prétendus otages. Plus par curiosité que par compassion. Il ne comprenait toujours pas ce qui pouvait justifier une telle chasse à l’homme, orchestrée qui plus est par les Américains avec qui les relations n’étaient pas des plus cordiales.

    « Rapport de mission en trois exemplaires :

    – Gare du terminus district de Koura, le mercredi 10 novembre 1999 à 7 heures du matin

    – Rapporteur : Inspecteur principal Oumar Diakité

    – Tôt ce matin, la gare du terminus a été encerclée puis prise d’assaut par les forces spéciales de la police du district, et ce conformément aux ordres reçus de la Capitale. Il y avait bien un blanc dans l’un des trains, celui du sieur Hassan Bouali. De nombreux témoins dignes de confiances l’ont confirmé à l’issue d’un interrogatoire particulièrement rigoureux. Le train aurait été attaqué la nuit précédente par une horde de brigands lourdement armés et dirigés par un chef redoutable. Ils avaient préalablement barré la voie avec des troncs d’arbres et provoqué un éboulement en aval. Le blanc et une jeune fille ont été enlevés et emmenés de force dans la forêt par les susdits brigands. Nous envoyons une équipe de nos meilleurs enquêteurs sur place, mais le chef Issa pense que, malgré l’extrême efficacité de nos hommes, maintes et maintes fois prouvée par le passé, nous risquons d’arriver trop tard pour les intercepter.

    – Fin du rapport »

    Depuis bien longtemps, Issa avait décidé de ne plus perdre de temps avec cette paperasserie inutile. On lui avait adjoint un jeune inspecteur prometteur, Oumar, et c’était lui qui s’y collait désormais. Issa lui laissait carte blanche pour décrire les évènements à sa façon, et en inventer si besoin était. Une seule règle à respecter, il fallait que ça fasse vrai, et que ça soit un poil spectaculaire. Issa tenait à sa réputation.

    « Alors Seydou, content d’avoir retrouvé ta seule raison de vivre, Amina ?

    – J’aurais préféré la revoir dans d’autres circonstances, mais je m’en satisferai amplement. Tu penses que je devrais les garder dans la cabane combien de jours encore ?

    – Laisse-moi juste le temps de m’assurer qu’ils n’auront pas l’idée saugrenue de m’envoyer quelqu’un de la Capitale et qu’ils se contenteront du rapport d’Oumar. Je dirais une petite semaine au minimum. Tu as prévu de quoi les ravitailler ?

    – C’est déjà dans le coffre de ta voiture. Alors comme ça tu tiens toujours à m’accompagner ? Tu envisages de leur présenter des excuses pour ta conduite inqualifiable de brigand mal éduqué ?

    – Peu de chance. La dernière fois que je me suis excusé, c’est lorsque mon père m’a mis une rouste parce que je m’étais fait virer trois jours du collège pour une bagarre. Ce furent mes dernières excuses et ma dernière rouste, mon père est mort six mois plus tard en tombant d’un manguier. Non, juste pour vérifier quelque chose. Ta petite-fille parle d’une histoire de voyage sur Mars et d’un avis de recherche lancé par le FBI. Tu conviendras qu’il s’agit de deux sujets assez éloignés de nos préoccupations habituelles par ici.

    – Rassure-toi, Issa. J’ai pris la peine de recouper les informations avec qui tu sais, et il confirme ses propos. Et puis Jean me donne l’impression de quelqu’un de posé qui a toute sa tête. Bon, gare-toi là, le chemin commence juste après l’arbre mort, sur la droite. »

    « Jean, Amina, c’est nous !

    – Ben comment ça "c’est nous", Grand-père ? Tu es tout seul !

    – Ah, oui ! Issa s’est arrêté deux minutes pour discuter avec ses hommes et les rassurer quant à leur relève cet après-midi. Alors, bien dormi ? Le décalage horaire… plus qu’un mauvais souvenir ? C’est assez étrange, quand on y pense. Un voyage en train à pédales de la Capitale à Koura fait subir aux passagers un décalage horaire équivalant à celui d’un vol Paris-Tokyo. Ah, voilà Issa ! Amina, Jean, j’ai le plaisir de vous présenter Issa. Issa, voici Jean et Ami… »

    La claque retentit dans la cabane avant même que j’eusse achevé les présentations. Surpris lui aussi, Issa ne put esquiver la gifle que venait de lui administrer Amina.

    « … na. Amina pour les très proches, Téhie pour le reste du monde, mais certainement pas la… pisseuse ! »

    C’était typiquement le genre de situation où l’on donnerait tout ce que l’on possède pour se retrouver ailleurs. Ou alors, pour remonter le temps l’espace d’une minute, avec l’espoir illusoire d’infléchir le court des événements. Amina, un mètre soixante quinze, cinquante et un kilos toute mouillée, venait de gifler Issa, le chef de la police de toute la région. Tous ses hommes tremblaient en face de lui, les brigands avaient déserté le secteur de peur de croiser sa route, et elle venait de le frapper ! Je m’embrouillais le cerveau à essayer désespérément de trouver une excuse plausible à présenter à Issa, quand celui-ci attrapa Amina dans ses bras puissants, la souleva de terre et… se mit à rire aux éclats. Jean avait esquissé un geste pour s’interposer, mais je le retins par l’épaule.

    « Nom d’un bâtard ! Je n’en reviens pas ! La moitié de mes hommes s’évanouiraient rien qu’à l’idée de me donner une gifle, et elle, du haut de ses quatorze ans, elle vient de m’en coller une ! Tu sais fillette, que depuis que j’ai eu ton âge, c’est la toute première fois que quelqu’un me donne un coup sans se retrouver KO dans la minute qui suit ? C’est décidé, dorénavant tu as l’autorisation de m’appeler Tonton. Je retire le qualificatif de pisseuse, c’était juste pour faire plus vrai devant les hommes. Mais là, après ce que tu viens de faire, ce n’est clairement plus de circonstance, Amina.

    – Et… ?

    – Comment ça, et… ? »

    Issa la regardait droit dans les yeux et leurs visages se touchaient presque. Amina avait toujours les pieds décollés du sol d’une dizaine de centimètres.

    « Et vous vous ess… cu… ?

    – Je m’excuse… c’est ça ? Affirmatif, Mademoiselle ! Je m’excuse, et devant témoins en plus.

    – Excuses acceptées… Tonton ! Maintenant si tu pouvais me relâcher, je n’arrive plus à respirer. Ah, oui, j’allais oublier… merci de nous avoir sauvés ! »

    Et elle l’embrassa sur les deux joues avant qu’il ne la repose délicatement au sol.

    Je poussai un ouf de soulagement qui arrachant un sourire à Issa.

    « Bon, de votre côté Monsieur Jean, quelque chose aussi à me reprocher ? Pas de gifle, ni embrassade ? Attention tout de même, je ne suis pas sûr d’être aussi patient et magnanime qu’avec Amina.

    – Non, rien de tout cela, Issa. Je m’excuse seulement de ne pas avoir pris au sérieux Téhie lorsque hier, elle s’est juré de vous donner une gifle si jamais vous veniez à croiser son chemin. Ceci dit, le dernier à l’avoir affublée de ce diminutif si peu seyant, a fini écrasé comme une crêpe sous un pick-up, il y a moins d’une semaine. Sur le coup, vous vous en sortez plutôt bien. Et puis, comme elle m’avait annoncé quelques heures plus tôt que vous envisagiez de la violer, alors…

    – Que je quoi… ?

    – … et que ma tête roulerait dans la poussière de cette pièce avant la tombée du jour.

    – N’importe quoi ! J’ai jamais dit ça comme ça ! Et puis c’était dans le cas où la rançon ne serait pas versée. Du coup, pas de demande de rançon… donc, pas d’étêtage. »

    Issa roulait des yeux médusés. Il choisit finalement de se rabattre vers moi.

    « Euh, Seydou, sers-nous quelque chose à boire, tu veux bien ! J’ai un peu de mal à comprendre ce qu’ils racontent tes deux protégés.

    – Oui, moi aussi ! Et c’est comme ça depuis hier. Allez, vin de palme pour tout le monde… enfin, presque. Heureusement, j’ai prévu aussi du jus d’orange.

    – Laisse tomber le jus d’orange, Grand-père ! Tu oublies que j’ai été serveuse dans la Capitale pendant six mois. Certes, je n’étais pas une gogo-danseuse, mais il m’est arrivé plus d’une fois de me faire offrir un verre par un client. »

    J’ai sorti les verres et la bouteille du panier et nous avons trinqué tous les quatre dans la bonne humeur. Issa leur a fait un compte rendu haut en couleur de son intervention de ce matin dans la gare du terminus, ce qui a eu le don de les faire rire aux éclats. Je m’en voulais d’avoir imaginé le pire lorsqu’Amina a giflé Issa. Comment ai-je pu douter de sa réaction ? C’était mon meilleur ami et c’est lui qui avait mis en place le réseau de protection autour d’Amina dans la Capitale. Certes il ne l’avait pas revue depuis ses sept ans et elle ne se souvenait pas de lui, mais je sentais bien qu’il s’était créé au fil du temps une certaine forme d’attachement lorsque, tous les deux, nous en venions à parler d’elle.

    Nous avions déjà bien entamé le repas, quand Issa décida de rentrer dans le vif du sujet.

    « Alors, Jean, racontez-moi ! Qu’est-ce qu’ils vous veulent ces incapables du FBI ? J’ai besoin d’en savoir un peu plus avant de passer un dernier coup de fil. Si je dois me mouiller pour vous, j’aimerais le faire en toute connaissance de cause. Ah, et épargnez-moi les détails de votre mission sur mars ! Ce n’est pas que ça ne m’intéresse pas, mais un voyage qui a duré…

    – … six ans, six mois et un jour très exactement, ou si tu préfères, deux-mille-trois-cent-soixante-treize jours. Soit une distance de deux-cent-quarante-six millions de kilomètres parcourus à une vitesse de 1,2 kilomètre par seconde. D’autres questions, Tonton ?

    – Amina ! Pourrais-tu avoir l’extrême amabilité de laisser répondre Jean ? Issa a des questions sérieuses à lui poser. »

    Amina décida alors de nous tourner le dos, bras croisés. Elle allait probablement bouder un bon quart d’heure, un délai suffisant pour qu’Issa obtienne ses réponses.

    « Alors, Jean ! Ce FBI… c’est quoi le problème ?

    – Issa, j’ai découvert que le FBI me recherchait grâce à miss boudeuse, il y a seulement quatre jours. La NASA et la Marine étaient fermement décidées à me maintenir enfermé sur un vieux cargo, amarré dans un port du Japon.

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