Les épines du cœur
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Aperçu du livre
Les épines du cœur - Nathalie Gaboriau
Les épines du cœur
Nathalie Gaboriau
Les épines du cœur
LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
A Véro,
« Tu nous as quittés beaucoup trop tôt
Et Dieu sait que tu nous manques trop,
Mais je suis sûre que près de lui là-haut
Tu as trouvé enfin ce tant mérité repos »
© Les Éditions du Net, 2014
ISBN : 978-2-312-02890-3
Sommaire
Sommaire
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Épilogue
Chapitre I
Le lieutenant Gaëtan Monnet passa juste la tête dans l’entrebâillement de la porte du bureau de la commissaire pour crier :
– Patron, faut que vous descendiez, y a une fille en cloque et son père qui veulent pas décoller tant qu’on les aura pas reçus, mais comme c’est pour une disparition d’adulte, j’suis pas sûr que…
– J’arrive ! J’arrive ! L’interrompit la jeune femme sur un ton agacé.
Grande et mince, de longs cheveux noirs attachés en queue de cheval et une frange encadrant son visage pâle mettaient les yeux bleus de la jeune femme en valeur. Sans maquillage et comme toujours habillée de jeans et d’un pull court de couleur sombre, la commissaire Véronique Paul dégageait une autorité naturelle salvatrice pour diriger une équipe essentiellement composée d’hommes. Agée d’une quarantaine d’années, son brillant parcours dans la Police forçait en plus au respect certains collègues nostalgiques d’un certain machisme.
Quand elle descendit les marches quatre à quatre pour arriver dans le hall du commissariat, elle remarqua aussitôt un homme de grande taille se tenant debout dans une posture quasi militaire, plutôt séduisant avec son teint hâlé et ses tempes grisonnantes, et auquel elle donnait la cinquantaine. Se tenait près de lui une jeune fille enceinte de huit mois au moins et à priori d’origine maghrébine.
– Bonjour ! Lança-t-elle d’un ton ferme à l’homme qui se tenait droit comme un i. Je suis le commissaire Véronique Paul, que puis-je faire pour vous ?
L’homme lui adressa un regard à la fois curieux et froid avant de lui répondre sur le même ton :
– La tante de cette jeune fille a disparu et je suis certain que sa disparition n’est pas volontaire, c’est pourquoi nous sommes là.
Pas décontenancée une seconde, la commissaire répondit calmement :
– Vous n’êtes pas sans savoir qu’une disparition d’adulte ne peut être considérée comme suspecte seulement si des preuves tangibles laissent penser qu’il…
– S’agit d’un enlèvement ou d’un meurtre, oui, je sais, et justement, cette disparition est suspecte, croyez-moi !
Peu habituée à être interrompue de cette manière, Véronique fronça les sourcils, prête à répliquer de manière plus virulente, quand la jeune fille enceinte éclata en sanglots.
Le lieutenant Monnet, qui s’était jusque là tenu en arrière de la scène, se précipita vers elle et lui tendit une boîte de kleenex qui trainait à l’accueil.
– Tenez, asseyez-vous, lui dit-il tout en lui tendant une chaise, ça va aller, on va vous aider…
Il releva la tête et croisa juste à ce moment-là le regard noir de sa patronne.
– Le lieutenant va vous conduire à mon bureau, reprit-elle en s’efforçant de rester calme, j’arrive dans une minute.
– Oui, patron ! Répliqua celui-ci, bien conscient que l’humeur du jour n’était pas à la discussion.
Pendant qu’il accompagnait les deux plaignants à l’étage, la commissaire interrogea l’agent de permanence à l’accueil :
– Rien à signaler depuis tout à l’heure, brigadier ?
– Non, patron, rien de spécial… une plainte pour vol de voiture, une pour querelle de voisinage, la routine, quoi…
– Et ces deux là, vous les aviez déjà vus auparavant ?
– Non, patron, jamais.
– Merci, brigadier, je serais dans mon bureau si besoin.
– Ok, patron.
Arrivée en haut des marches, Véronique observa son lieutenant, assis sur son bureau, en train de faire l’intéressant devant la jeune fille enceinte qui sanglotait toujours.
– Merci, lieutenant, lança-t-elle en entrant dans la pièce et qui eut l’effet escompté de surprendre le jeune homme, vous pouvez retourner à vos occupations !
Gêné, Gaëtan adressa un dernier sourire à la jeune fille et tenta d’esquiver son supérieur qui le coinça sur le pas de la porte, restée à demi-fermée :
– Vous êtes vraiment incorrigible ! Vous les draguez même enceintes, maintenant ? Lui glissa-t-elle tout bas sur un ton faussement sévère.
– C’est pas ça, patron, mais elle a tellement l’air paumé… puis, c’est vrai quoi, elle est vachement mignonne en plus pour une beurette…
– Oui mais elle est aussi vachement enceinte, alors faites pas le con, ok ?
– Ok, patron ! Mais je vais finir par croire que vous êtes jalouse…
Elle haussa les épaules, ferma la porte derrière elle et alla s’asseoir à son bureau.
– Bien, je vous écoute, commença-t-elle, toujours sur un ton ferme. Vous allez tout d’abord me décliner votre identité, celle de la personne disparue, puis me décrire les circonstances de cette disparition qui vous laissent à penser qu’elle pourrait être suspecte…
L’homme sortit son portefeuille de sa veste pour présenter au commissaire sa carte d’identité puis se redressa sur sa chaise pour regarder la jeune femme droit dans les yeux. Assise un peu en retrait, la jeune maghrébine baissait la tête, le nez dans son mouchoir.
– Voilà, vous savez maintenant qui je suis, je m’appelle Maximilien Vernieux, mais tout le monde m’appelle Max. La petite, c’est Samia, sa nièce, mais dans la panique, elle est venue comme ça, sans papiers… Et la dame qui a disparu s’appelle Lara, Lara Guilleroux. J’étais, enfin… je suis toujours, son employé, son homme à tout faire en quelque sorte… c’était… enfin, c’est une dame de 66 ans qui a du mal à se déplacer, très gentille mais très solitaire, elle ne voyait jamais personne… elle était retraitée depuis quelques années, une ancienne prof je crois… elle sortait aussi très peu, en général un jour sur deux, elle faisait des courses le matin à la supérette du quartier, à pieds « pour ne pas complètement rester rouillée » comme elle disait… et hier matin, elle est effectivement sortie mais elle n’est jamais revenue et personne ne l’a vue à la supérette, alors…
La commissaire avait écouté son interlocuteur avec beaucoup d’attention, comme subjuguée par son regard sombre et intense, sa voix grave et assurée. En jetant un œil sur la pièce d’identité posée devant elle, elle avait aussi pu vérifier sa juste appréciation quant à son âge, il avait en effet tout juste 51 ans. Mais elle reprit vite ses esprits qu’elle n’avait pourtant guère l’habitude de perdre :
– Et elle n’avait pas de voiture ? Interrogea-t-elle, sans rien laisser paraître de son trouble.
– Elle ne conduisait pas, répondit Max, je lui servais aussi de chauffeur à l’occasion.
– Et sa famille ? Si elle a une nièce, c’est qu’elle doit avoir une sœur, ou un frère ?
Max regarda la jeune fille enceinte qui n’osait pas lever le nez de son mouchoir.
– Je ne sais pas exactement, répondit-il toujours avec assurance, je n’étais que son employé, mais je crois que la petite s’est réfugiée chez sa tante parce que ses parents n’ont pas accepté son état, enfin, vous comprenez… des histoires de famille, quoi…
– Je vois… répondit Véronique en s’adressant cette fois à la petite Samia. Vous confirmez cela, Mademoiselle ?
Samia hocha la tête puis se remit à sangloter de plus belle.
– Excusez-la, intervint Max avec une voix soudain adoucie, mais elle est tellement bouleversée, la petite… après tout ce qu’elle a supportée, si en plus elle n’a plus sa tante…
Véronique esquissa un sourire de compassion et reprit son interrogatoire.
– Et pourquoi avez-vous donc conclu à une disparition suspecte ?
Max fixa à nouveau son interlocutrice dans les yeux :
– Quand je suis arrivé hier en début d’après-midi pour faire le jardin, comme tous les mercredis, j’ai trouvé la petite en larmes, complètement paniquée parce que Lara n’était pas rentrée des courses où elle la pensait partie pendant qu’elle dormait… jamais Lara n’aurait laissé Samia seule, surtout sans prévenir… mais son portable était en permanence sur messagerie, c’est pour ça que j’ai décidé d’aller interroger les gens de la supérette, mais ils ne l’ont pas vue… où voulez-vous qu’une dame comme elle aille à pieds avec une patte folle ?
La commissaire avait toujours été d’un naturel méfiant, ce qui contribuait sans doute à faire d’elle un excellent flic. Mais l’homme qu’elle avait en face d’elle lui semblait sincère et son histoire crédible. Cela dit, les indices étaient minces.
– Je veux bien vous croire, dit-elle sur un ton qui se voulait rassurant, mais nous avons des procédures strictes et les circonstances que vous m’avez décrites, par rapport à la personnalité de la disparue, sont hélas insuffisantes pour ouvrir une véritable enquête… elle n’avait ni passé sulfureux ni ennemis avérés… elle a très bien pu décider de partir sur un coup de tête, prendre un taxi, un train… je suis désolée mais je ne peux pas ignorer le fait qu’un pourcentage important d’adultes disparus est le résultat d’un simple coup de tête…
Max se leva alors brusquement puis fit signe à la jeune fille enceinte de faire de même.
– Viens, Samia, je te l’avais dit que ça ne servirait à rien de venir ici, on va se débrouiller nous-mêmes…
Véronique bondit à son tour de sa chaise pour venir se poster devant lui :
– Je n’ai pas dit que nous n’allions rien faire, rétorqua-t-elle fermement. Je vais ouvrir un dossier et faire une enquête de…
– Routine, oui, je sais, l’interrompit-il à nouveau, interroger le voisinage, les employés de la supérette, etc., bref, rien de plus que ce que je peux faire moi-même… Excusez-nous de vous avoir dérangée.
– Je n’aime pas beaucoup votre ton sarcastique, Monsieur ! Répliqua la commissaire sur un ton glacial. Je pourrais aussi avoir envie de vous suspecter d’avoir fait disparaître cette vieille dame et vous mettre en garde à vue !
L’homme de grande taille eut alors du mal à dissimuler un rictus moqueur :
– Vous avez raison, je l’ai assassinée et fait disparaître le corps pour lui piquer son pognon… c’est vrai qu’une retraite d’enseignante, ça vaut le coup ! Déjà qu’elle me payait au black pour pas que ça lui coûte trop cher… mais là aussi, vous allez me dénoncer sans doute ?
La commissaire se rendit soudain compte que ce n’était pas les propos de cet homme si séduisant qui l’agaçait, mais le fait même qu’il ose lui tenir tête. Après tout, il n’avait rien d’un assassin, la petite semblait à bout, et toute cette affaire ne rimait pas à grande chose car la vieille dame allait sans doute réapparaître dans quelques jours comme dans bien des cas de pseudo-disparitions.
Soudain, le téléphone sonna et sortit Véronique de ses pensées :
– Oui, j’écoute ? fit-elle en décrochant sur un ton autoritaire tout en faisant signe à Max de patienter. Ok, j’arrive tout de suite !
Puis, s’adressant à nouveau à Max :
– C’est-ce qui s’appelle être sauvé par le gong ! Je dois partir sur un braquage de station-service, le lieutenant Monnet va prendre votre déposition en bas. Et nous vous tiendrons au courant, quoi que vous en pensiez… conclut-elle en reprenant le même ton sarcastique que son interlocuteur.
Les deux plaignants la suivirent sans un mot jusque dans le hall où régnait une soudaine agitation. Le jeune lieutenant se précipita alors au devant de Véronique.
– On y va, patron ? Demanda-t-il, tout excité.
– Non, j’y vais avec le Capitaine Ben Affra, c’est des jeunes de la cité, il sera plus qualifié que vous… vous, vous allez prendre la déposition de ces messieurs-dames et ouvrir un dossier, et n’oubliez aucun point de détail surtout…
Puis elle adressa un regard soutenu à Max avant de se précipiter vers la sortie où l’attendait déjà son autre collègue au volant d’une voiture toute sirène dehors.
Chapitre II
Le lendemain matin, le commissariat avait retrouvé son calme. Situé dans une banlieue plutôt tranquille de la région parisienne, il était rare que de grosses affaires viennent en bousculer les habitudes.
La commissaire Véronique Paul n’avait d’ailleurs pas sauté de joie en apprenant sa nomination dans un secteur où l’action risquait de manquer, mais ses supérieurs estimaient qu’un bon officier devait aussi apprendre à gérer les hommes et les conflits ailleurs que sur le terrain. Il est vrai que son caractère bien trempé ne faisait pas d’elle un manager des plus conciliants, mais ses hommes la respectaient justement pour cela car elle savait aussi monter au créneau auprès de la hiérarchie pour soutenir l’un ou l’autre en cas de difficultés.
L’ambition n’était pas ce qui motivait la jeune femme. Ecraser les autres en léchant les bottes de ses supérieurs ne faisait pas partie de ses objectifs. Et pourtant, elle avait tout sacrifié à son métier. Célibataire, sans enfant, elle habitait un petit deux pièces non loin du commissariat où elle rentrait essentiellement pour dormir. Peu d’amis en dehors de quelques collègues, la dure bataille qu’elle avait du mener en tant que femme pour en arriver là l’avait rendue méfiante et solitaire. Une solitude qu’elle considérait parfois comme salutaire pour se reconnecter à soi-même et ne pas craquer. Et elle évitait d’avoir des regrets quant à sa vie de femme, préférant le sport comme exutoire.
Mais ce matin-là, en arrivant au commissariat, elle ressentait comme une sensation de doute qu’elle ne se souvenait pas avoir déjà connue auparavant. Pourtant, elle avait eu la veille sa dose d’action, même minime, en attrapant la bande de petits braqueurs de la station-service, et était retournée à son bureau pour rédiger son rapport jusque tard dans la nuit, sur le vif, comme elle aimait à le faire habituellement.
Installée à son bureau, elle tria quelques dossiers, signa quelques formulaires, reçu même un coup de fil de félicitations de la part du commissaire divisionnaire. Mais cette étrange sensation ne la quittait pas. Elle essaya alors de se persuader que c’était la faute de la routine, de ce poste trop sédentaire pour elle, qu’elle devrait peut-être demander sa mutation et changer carrément de région.
C’est encore la sonnerie du téléphone qui la tira de sa réflexion. Au bout du fil, la voix du lieutenant Monnet semblait embarrassée :
– Patron, y a le type d’hier qui est revenu pour vous voir… vous savez, la disparue… qu’est-ce que je lui dis ?
– Amenez-le-moi, répondit la commissaire, sans même réfléchir.
– Vous êtes sûre ? Répondit le jeune lieutenant, surpris.
– Oui, lieutenant, faites le monter.
Lorsque Max entra dans son bureau, Véronique admit pour elle-même que cet homme ne la laissait décidément pas indifférente. Mais elle en ignorait la cause.
– Bonjour, Monsieur Vernieux, lui dit-elle sur un ton qu’elle s’efforçait de rendre aimable, asseyez-vous si vous le voulez bien.
Il répondit d’un hochement de tête et s’exécuta tout en posant au pied de sa chaise un sac plastique rempli de cahiers. Silencieux, son regard se balada dans la pièce avant de venir se figer dans celui du commissaire.
– Je suis venu vous apporter ça, déclara-t-il enfin tout en posant sur le bureau le contenu du sac plastique.
– Et qu’est-ce que c’est que « ça » ? Rétorqua Véronique, interloquée.
– Des journaux, des journaux intimes. Ceux de Lara. Un jour, elle m’a montré dans sa chambre une caisse au fond de son armoire en me disant : « toute ma vie est là, Max, c’est-ce que j’ai de plus précieux… tout le reste, c’est du vent… mais ça, Max, c’est-ce qui restera vraiment de moi quand je ne serais plus là… » Alors, je vous les ai apporté.
La jeune femme fixa la pile de cahiers sans comprendre.
– Et vous voulez que j’en fasse quoi exactement ? Rétorqua-t-elle.
– Que vous les lisiez, car il s’y cache peut-être les causes de sa disparition…
– Et pourquoi vous ne les lisez pas vous-même ? Vous la connaissiez mieux que moi, non ?
– Parce je pense que seule une femme peut comprendre ce qu’une autre femme peut écrire dans son journal intime… même une femme flic !
Piquée au vif par ces derniers mots, elle poussa la pile de cahiers sur le côté et fronça les sourcils pour répondre sur un ton qui avait perdu toute trace d’amabilité :
– Et bien, la femme flic que je suis, comme vous dites, a aussi la responsabilité d’un commissariat et un emploi du temps qui ne lui laisse guère le temps de s’attarder sur de la littérature, aussi passionnante soit-elle. Aussi, je…
– C’est vrai que vos soirées doivent tellement être bien remplies que ce serait