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Mon petit Toubab: Roman
Mon petit Toubab: Roman
Mon petit Toubab: Roman
Livre électronique409 pages5 heures

Mon petit Toubab: Roman

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À propos de ce livre électronique

Au fil des pages et des photographies, découvrez l'histoire d'un petit Toubab en Afrique.

Rendant hommage à ses parents, cet ouvrage est l’histoire d’un gamin blanc qui fut happé par la magie africaine. Daniel, le petit Toubab, le petit blanc, a passé toute son enfance à la frontière mauritanienne à Saint-Louis et sa région. Il vous transporte dans un monde ocre et bleu azur dominé par le Roi Soleil telle une toile que le peintre retouche perpétuellement. Il retrace avec un cœur gros son enfance aux mille facettes insolites. Son langage d’enfant naïf et d’adulte relayé par des photos actuelles et d’époque accroît notre curiosité au fil des pages. Malgré la débauche de loisirs et de maladies qui règne dans ce paysage féerique, sa famille réussit à rester solidaire.

Dans ce roman autobiographique, l'auteur nous plonge dans le récit de vie d'un enfant blanc en Afrique.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Daniel Stancato est né en 1950 à Dakar au Sénégal. Enfant, il vécut à Saint-Louis sa ville de cœur. Adolescent, il finit ses études classiques en France. Le service militaire terminé, il se dirige vers la vente aux particuliers en tant que cuisiniste pendant trente-huit ans, une passion qu’il entretient encore en tant qu’auto entrepreneur. Son hobby, le rugby. Actuellement, il réside à Saint-Dié-des-Vosges.
LangueFrançais
Date de sortie24 juil. 2020
ISBN9791037710659
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    Aperçu du livre

    Mon petit Toubab - Daniel Stancato

    L’internat

    Un dimanche fin août 1966, il est quinze heures. Bientôt âgé de 16 ans, j’arrive par le train de Marseille qui entre en gare de Valence dans la Drôme. Une chaleur raisonnable règne sur les quais. Un brouhaha provoqué par la foule des voyageurs résonne fortement entre les murs du grand hall des arrivées. Un mal de tête commence à m’envahir cela commence bien. Un ami de mes parents m’attend pour me confier à un chauffeur de taxi propriétaire d’une DS19 qui ne me parle pas durant tout le trajet, à peine un bonjour du regard, sympathiques les gens d’ici.

    On démarre direction l’internat de Vernoux en Vivarais au Centre d’enseignement général. Un petit village pittoresque de l’Ardèche juché sur un des plateaux élevés du Massif central comme l’ensemble des hameaux de ce département que j’ai appris à aimer plus tard ainsi que sa population. J’y suis condamné à y rester 2 ans en tant qu’interne pour passer mon examen de collège, le BEPC, ainsi en ont décidé mes parents. Scolairement j’étais en retard, il est vrai que de l’endroit d’où je venais j’étais plutôt un gros, gros, très gros fainéant. La route sinueuse aux virages répétitifs via Porte-les-Valence me paraît très longue malgré les seuls 30 kilomètres qui nous séparent du lieu d’arrivée. Des lacets qui n’en finissent plus, un ravin très abrupt à gauche et une falaise sur ma droite ou à tout moment des rochers de toutes tailles peuvent se détacher et projeter la voiture dans le précipice de la peur. Mon imagination était sans limites, d’où je viens je n’ai jamais connu pareil paysage, je suis sur une autre planète. Vers le milieu du trajet, je préviens mon chauffeur qu’une envie de vomir commence à taquiner mon cerveau et qu’il faut peut-être s’arrêter. Dans la foulée, il me donne un journal afin que je puisse déposer le trop-plein qui sommeille dans mon estomac et enfin il me parle :

    — Je suis pressé, je ne peux pas m’arrêter. Jette le tout par la fenêtre côté ravin, c’est dégradable il n’y a aucun souci.

    Je m’exécute heureux de ne pas garder cette nourriture nauséabonde jusqu’à la destination. Dommage que ces routes serpentées gâchent ce panorama unique. Transformé en zombie je jure que les prochaines fois ma petite valise en toile sera remplie de sacs papier. Ce n’est pas trop tôt, nous arrivons au collège qui est un grand bâtiment en forme de U. Je suis admiratif devant les façades marquetées de pierres grises incrustées de paillettes argentées qui scintillent au soleil comme des milliers de petits diamants. Le directeur du CEG petit homme un peu fort au regard accueillant vient à ma rencontre en compagnie de son épouse souriante, cela me rassure un peu. Ils me guident directement au dortoir situé au premier étage et me montrent du doigt mon lit ainsi que le placard en acier couleur rouge basque fermé par un gros cadenas légèrement rouillé. Ces deux éléments qui me sont alloués pour toute la durée de mon séjour seront les seuls endroits, le soir, où je pourrai me réfugier dans une intimité à l’écart de mes camarades de chambre. Mes souvenirs d’enfance de mon pays natal me permettront de conserver le moral. Toujours habitué à être entouré et choyé je me retrouve seul et aucun ami d’enfance à qui parler.

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    Le CEG de nos jours avec sa façade rénovée.

    Le moment du repas arrive et Marie la directrice vient me chercher. Le réfectoire est une grande salle assez gaie grâce à ses couleurs vives et ses grandes ouvertures de fenêtres. La lumière aveuglante du soleil envahit sans peine cette immense pièce, ce qui me fait penser à mon pays natal que je viens de quitter. De grandes tables rectangulaires de douze places chacune habillées d’une nappe plastifiée blanche incrustée de motifs végétaux d’un bleu azuréen composent le réfectoire. Le repas préparé par Marie, qui est la cuisinière principale du collège, commence par un court-bouillon d’où nagent des pommes de terre et carottes, en plein été qu’elle misère. Ce n’est pas ma tasse de thé surtout de l’endroit d’où je viens. Une saucisse fumée accompagnée d’un excellent pain de campagne agrémente le repas suivi d’un fromage de chèvre frais de la région. Mon estomac avait retrouvé le sourire après le périple routier qui m’avait été imposé.

    Le repas fini je remonte au premier étage où se trouve la salle d’eau. Elle est composée de deux grands lavabos rectangulaires en céramique blanche fixés dos à dos au centre de la pièce d’une longueur interminable. Vingt robinets couleur laiton jaillissent des dosserets blancs. Alignés dans l’étable comme du bétail qui dévore le foin, nous ne pourrons pas nous empêcher d’égayer nos soirées d’interne par des lancées de savonnette et des batailles d’eau. Le surveillant qui a sa chambre jumelée au dortoir a souvent du mal à calmer nos ardeurs d’adolescents. À savoir qu’il n’y a que cinq douches que l’on ne peut utiliser que quatre fois par semaine afin d’économiser le fuel pour le chauffage, dimanche compris. Le directeur nous explique que le crédit de chauffage alloué au collège est réglementé pour favoriser celui de la nourriture et des outils scolaires. C’est la galère pour se laver les pieds et les parties intimes due à la hauteur des bacs. Après mettre lavé mes arpions, le haut du corps et les dents à l’eau froide j’enfile mon pyjama puis je me glisse sur le dos dans le lit.

    Le directeur me demande d’éteindre la lumière vers vingt-deux heures, j’acquiesce sans broncher. La lumière éteinte je me retrouve seul dans la pièce obscure. Une des fenêtres grande ouverte face à mon lit dénuée de rideaux ventile la grande chambrée. Une veilleuse d’une lumière bleutée fixée dans un coin de la pièce me tient compagnie.

    Certains week-ends le directeur et son épouse ne peuvent pas me garder, mon grand bonheur c’est de les passer chez mes tuteurs éleveurs de chèvres et de volailles domiciliés près du bourg. C’est un couple d’une quarantaine d’années spécialisé dans la fabrication de fromage au lait cru et terrines de volaille. Je suis heureux d’accompagner le mari chasseur dans le maquis ardéchois. Il m’autorise, ni vu ni connu, de tirer les sangliers et les perdrix, et comme il dit.

    — On va tirer le cochon et la terrine mon gaillard. Je vais voir pour ton âge si tu tires aussi bien que tu me le dis. Chez toi on doit tirer sur le gibier avec des arcs et des flèches ou des lance-pierres, ah, ah, ah, ah.

    Jules est un sacré personnage, très copain avec le garde-chasse, ils doivent faire les quatre cents coups ses deux-là.

    Le soir au coucher, des odeurs de charcuterie fumée traversent le plancher en bois de ma chambre située au-dessus du fumoir. Le fumet qui plane dans mon petit local trouble mon esprit et me met en appétit pour le futur petit-déjeuner du matin. Saucissons, jambon cru, fromage de chèvre, miel, beurre maison, confiture de châtaigne, terrines de lapin et volaille traînent sur la grande table en chêne. Un breakfast de roi, comment voulez-vous après cela que je ne sois pas gourmand et bien portant. Rose l’épouse m’apprend à réaliser les crottins de chèvre que nous laissons affiner dans des petites cages aux parois garnies de moustiquaire. Étalé sur une tranche de miche de pain froide ou chaude, ce nectar blanc est divin. Mon oxygène c’est de partir le dimanche matin au marché du village pour aider Rose à vendre les divers produits. La chasse, le marché, la vente des produits locaux me rappelle quelques bons souvenirs.

    Demain je vais commencer à apprendre à vivre en communauté. Mon cocon familial se désintègre dans cette grande bâtisse que l’on m’impose. Mon enfance vient de s’éteindre, mon adolescence débute. Des larmes d’abandon commencent à couler le long de mes joues et picotent mes yeux fatigués. Mon regard s’échappe par l’ouverture pour rejoindre la gamme d’étoiles accrochée au grand vide noir. Mon esprit s’apaise, je lutte pour ne pas m’endormir. Vaincu par la fatigue accumulée de mon long voyage, mes paupières finissent par s’alourdir et entraîner mes pensées vers mon pays natal le Sénégal. Chaque soir en fixant mes yeux vers la fenêtre du dortoir, une myriade d’images enfouie dans ma mémoire se ravive et me donnera du baume au cœur pendant ma première année de l’internat.

    Ces préaux n’existaient pas. Le seul se trouvait à l’arrière de l’aile droite.

    Ces préaux n’existaient pas. Le seul se trouvait à l’arrière de l’aile droite.

    *

    Mes nuits étoilées

    Dans l’immense mosaïque black and white africaine, des étoiles filantes giclent puis disparaissent par enchantement. La lune fluorescente en forme de croissant a du mal à trouver son équilibre. Gamin j’essaie de deviner qu’elles sont ces lumières blanches et rouges microscopiques, hautes en altitude, qui clignotent en cadence en symbolisant des guirlandes de noël. Elles se déplacent lentement sans bruit jusque tard dans la nuit, un spoutnik ? Un avion ? Mon père ne me laissa pas ignare longtemps et me donna un jour l’explication. La luminosité d’un spoutnik est continue puisque c’est la lumière du soleil qui se reflète sur la carcasse métallique du satellite et non l’inverse comme celle des ampoules qui clignotent à l’extrémité des ailes ou sous la carlingue des avions.

    Avoir la possibilité d’observer le ciel étoilé de ma chambre d’enfance à Saint-Louis est une bénédiction pour moi. Les étoiles sont mes somnifères, une nuit remplie de nuages ou en période d’orage m’empêche de m’endormir. Ce n’est pas le bruit du tonnerre qui me dérange mais plutôt le manque de petits points lumineux qui aident à abrutir ma calotte de gamin à moitié remplie. Maman est très à cheval sur l’horaire du coucher et m’oblige à filer très tôt au lit, ce qui n’est pas ma tasse de thé. De plus pour m’empêcher de sucer mes pouces, elle me les frotte chaque soir avec une bouillie de piments pili-pili. Une méthode africaine que ma mère s’est vite appropriée. Il faut dire qu’à force de les pomper, mes incisives centrales commencent à se déchausser vers l’avant. Après plusieurs applications je finis par abandonner ce passe-temps qui me réconforter dans mon sommeil.

    Dans ma petite couche, mes pensées d’indépendance et de liberté m’envahissent, je commence à rentrer dans mon univers d’enfant. La lune ronde aussi blanche qu’un cachet d’aspirine parfois en forme de croissant m’a toujours impressionnée. Je l’observe souvent avec les jumelles de chasse de papa. Pourquoi n’est-elle pas carré ou de forme cubique comme un dé du jeu 421. Ce jeu que mon père et ses copains, à la sortie du boulot, adorent jouer au bar de l’Hôtel de la Poste situé près du pont Faidherbe en compagnie d’un verre de pastis ou d’une bière La Gazelle très prisée ici. Je pose la question aux parents, aucune réponse franche ne m’est donnée. À mon grand étonnement ma mère l’intellectuelle de la famille buta pour une fois sur une de mes questions, j’ai été un peu déçu, elle qui a réponse à tout. J’ai eu le fin mot pour le croissant tout de même, maman tu te rattrapes, bravo. Papa commença par me parler d’inertie, etc., etc. J’ai fait semblant de comprendre mais naturellement je n’ai rien compris. L’explication finale arrivera par Diallo mon maître d’école dans un cours d’astronomie. Souvent avant de m’endormir, je fixe cette grosse perle blanche que le petit fakir que je suis transforme en figurine cubique. Ce soir, celle-ci me fait penser au visage inquiétant du chien du désert. Le bras tendu vers la fenêtre je capture le joyau lumineux que je lance sur l’immense tapis noir encombré de pépites d’argent. Il roule jusqu’à bousculer ces petites quilles lumineuses qui rebondissent en s’éparpillant sans difficulté dans le grand vide. Endormi, ma petite cervelle de tourterelle arrête de faire son cinéma, que du bonheur.

    À proximité, des cocotiers élégants au tronc biscornu d’une longueur infinie se dressent très haut vers la nuit immortelle. Protégées par les longues branches galbées des arbres, des chauves-souris inquiétantes par leur grande taille semblent dormir. La tête dirigée vers le bas, leur corps emmitouflé entre leurs ailes est accroché aux rameaux au moyen de griffes acérées. Les minuscules yeux noirs faussement fermés dominent une gueule à peine ouverte qui laisse entrevoir des dents à éviter, enfin les oreilles toujours en éveil dressées en pointe adoucissent une petite tête inquiétante. Baptisé « Noix de coco » par mon imagination car elles sont toujours agrippées à proximité des fruits du cocotier que je consomme goulûment toute mon enfance. Parfois, l’une d’entre elles pénètre dans ma chambre et me tient compagnie en se plaquant dans un coin de la pièce au niveau du plafond. Une position idéale pour capturer une araignée ou un petit lézard qui chassent les insectes nocturnes tels les moustiques et multitude d’autres arthropodes qui tournoient dans ma chambre où règne une atmosphère étouffante. Les coupures de courant sont notre quotidien. L’électricité revenue alimente le ventilateur du plafond qui tourne en souffrance et ventile légèrement mon corps protégé par un drap blanc que j’ai du mal à supporter. Une moustiquaire dressée au-dessus de mon lit me protège partiellement de ces moustiques à l’appétit particulièrement vorace. Par moment, ces invertébrés arrivent à se frayer un chemin à travers la protection dressée par mon père. Mon groupe sanguin « zéro positif » attire comme un aimant ses suceurs du sang. Mes parents friands des astuces du pays me déposent chaque soir des demi-quartiers de citron vert près de mon oreiller pour que j’applique leur jus acide sur ma peau afin de repousser ces petits vampires. Juste avant le dîner j’asperge ma chambre de Fly-Tox à l’aide d’une pompe en fer, les bombes d’insecticide n’existent pas encore. Cet engin primitif fait très bien l’affaire le temps d’exterminer les premières vagues d’assaut. Rien ne pourra anéantir à long terme ces légions de petites bestioles. La période de l’hivernage, de juin à octobre, qui est la saison des pluies profite à ses envahisseurs qui n’hésitent pas à nous martyriser jour et nuit.

    Parfois, un autre copain vient me tenir compagnie, le Bateleur charognard, j’ai toujours admiré les rapaces. Surnommé à Saint-Louis « l’éboueur », il dévore toutes les ordures alimentaires ou autres détritus qu’il estime bénéfiques pour son estomac. Les rues de la ville dont l’hygiène est souvent négligée acceptent volontiers la compagnie de ces nettoyeurs volants. Grâce à eux, certaines maladies infectieuses diminuent modestement. Cet oiseau très fier par sa posture vient se poser sur le rebord de ma fenêtre ouverte et scrute la pièce afin de voir s’il n’y a pas une Noix de coco à dévorer. Habitué à ses scènes apocalyptiques de combat éclairées par la lumière lunaire, je me régale du spectacle à venir. Quand la bataille s’engage, je tire mon drap blanc jusqu’au bas de mes yeux pour me protéger. Hypnotisé par le spectacle aérien, aucune peur ne m’envahit. Les puissants battements d’ailes de mon grand copain baptisé « Plume d’aigle » ventilent mon visage et commencent à déchirer la moustiquaire. Plume d’aigle est le nom d’un chef indien qui se trouve dans un illustré de western. Des cris stridents s’échappent de la gueule de la chauve-souris, quitte à mourir elle ne se laisse pas faire et contre-attaque avec fougue. Elle arrive parfois à s’agripper au dos du rapace et le mord à plusieurs reprises ce que déteste le bateleur qui abandonne sa proie très vite. Par bonheur Plume d’aigle attrape rarement ma « noix de coco » qui, souvent, arrive à s’échapper. Mes parents maudissent mes copains volatiles car parfois, dans ce combat à mort, ma moustiquaire est déchiquetée en lambeaux. Quelques plumes majestueuses abandonnées par mon copain complètent ma collection.

    Au premier étage, ma petite demeure intime fut construite, par papa, à la place de la terrasse située côté sud de la maison. Je profite de la vue jusqu’au stade de football et plus loin encore. Mitoyenne à celle de ma sœur cela engendre parfois quelques conflits entre nous. Un toit à quatre pentes composé de tuiles orange du pays termine la construction. Des poteaux cylindriques accrochés au balcon supportent le débord de la toiture qui nous protège du soleil et des violents orages qui pendant la période hivernale inondent les rues.

    Un cinéma de fortune, à ciel ouvert, implanté à quelques encablures de ma chambre pas loin du stade de football me permet de regarder des films projetés tard dans la nuit. Un écran perdu au milieu des cases et des maisons décrépies est composé d’un pan de mur en briquettes argileuses assemblées grossièrement et surfacé d’une peinture blanche tachetée par les salissures sanguines des oiseaux qui viennent s’y écraser. Les héros des films comme Hercule, Maciste, Samson, Goliath marquent mon enfance. Ce soir, je suis dans la peau de Goliath. J’enlève mon tricot de peau, torse nu je joue l’acteur principal et je montre fièrement ma musculature à mes confrères de combat Plume d’aigle et Noix de coco. Tout en exposant mes biscotos, je bombe le torse et creuse mon ventre en expirant au maximum. Les pieds bien calés sur le matelas j’applique mes mains sur le mur qui jouxte mon lit et le pousse de toutes mes forces. J’imite mon héros qui ne recule devant aucun obstacle en repoussant le rocher qui obstrue le passage de la liberté. Sous l’effort, mon lit recule, ce qui me donne l’impression que le mur cède sous ma poussée. Je suis un héros, rien ne me résiste. De même, des films indous qui comportent des scènes de danse virevoltantes accompagnées de chansons envoûtantes m’enivrent et que mes compatriotes sénégalais raffolent. Debout sur mon lit je danse en clonant les gestes gracieux des danseurs et danseuses. Le rythme effréné m’ensorcelle, mon corps euphorique virevolte et comble ma tête de plaisir. Cette ambiance musicale abreuve mon esprit de joie de vivre, je m’écroule dans le lit exténué, mon corps recouvert de sueur ne m’empêche pas de m’endormir, que du bonheur.

    Dans les bras de Morphée, je n’entends plus l’appel répétitif à la prière de la nuit par l’Imam.

    — Allaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah Akbar.

    Habitué depuis ma naissance à entendre les invitations religieuses de la mosquée et des cloches de l’église située à deux pâtés de maisons, mes oreilles n’y prêtent plus attention.

    *

    Ma nounou

    Après la Deuxième Guerre mondiale mon père et Mokhtar firent connaissance à Saint-Louis, ils se prirent d’amitié et ne se quittèrent plus jamais. Durant la guerre, mon père de nationalité italienne fut interné à Bamako au Mali, il avait 20 ans en 1939. Prisonnier il était chauffeur d’un commandant de l’armée française, comme il me disait souvent plus tard :

    — J’étais un prisonnier libre de guerre. Aucune contrainte ne m’était imposée car par mes connaissances de la chasse dans la brousse j’étais considéré comme le guide officiel de ces messieurs.

    Notre famille fut naturalisée française par décret le 8 novembre 1963.

    Mokhtar s’occupe de la maison, c’est un homme de caractère par ses origines sahariennes. Mes parents souvent absents sous la contrainte du travail ont confiance en lui. Il nous garde, je dirai même plus c’est lui qui nous enseigne les premiers rudiments de notre éducation enfantine.

    — Va te laver les mains, bois de l’eau avant d’aller à l’école, n’oublie pas ton cartable et ta gourde.

    Ma sœur de deux ans plus âgée garde un peu plus son indépendance. Mokhtar est un solide touareg du Sahara mauritanien. Très grand il frise les deux mètres de hauteur. Son visage tatoué laisse apparaître des dessins boursouflés impossibles à déchiffrer pour un occidental. Il m’explique que çà lui permet de se reconnaître entre clans et que ce serait grave si au mariage, les couples n’étaient pas de la même caste. Je lui demande malicieusement :

    — C’est comme les animaux, un mouton et une chèvre ne peuvent pas se marier entre eux ?

    Il part d’un grand éclat de rire et me répond : Waaw, waaw, oui, oui.

    Tous les matins, il arrive à la maison sur son vélo, très fier, d’une propreté irréprochable. Habillé d’un boubou aussi blanc que le sable du désert que Bubu notre singe adore tirer pour l’embêter, sa tête est recouverte d’un turban noir qui donne une certaine élégance à sa silhouette. Ce turban que de temps à autre j’emprunte pour me transformer en homme des sables l’amuse beaucoup. Pour me faire plaisir, il vient quelquefois me chercher avec son dromadaire. Juchés sur le dos du taxi saharien nous partons à la lisière de la ville pour chercher des plantes médicinales que seuls lui et quelques-uns de ses confrères connaissent. Mokhtar apprend à mes parents à confectionner quelques recettes pour éradiquer certains malaises et bobos à condition qu’ils ne divulguent ses petits secrets à personne de leur entourage.

    Dès son arrivée, il vérifie de suite si j’ai pris ma douche avant de partir à l’école. Comme je vous l’ai déjà dit, la fainéantise est mon compagnon favori. Me laver est pour moi un vrai cauchemar. Chaque jour, une liste de servitudes écrite au stylo rouge sur une grande page de papier déposée sur le plan de travail de la cuisine m’est imposée. En cas de refus, Mokhtar répète tout à mes parents le soir et naturellement je suis encore puni. Il me considère comme son enfant ainsi que ma sœur, plus sage, avec qui il a moins de problèmes. Il la chouchoute plus car il sait très bien que le soir au retour du travail, maman demande à Viviane si tout s’est bien passé dans la journée. Les filles entre elles sont très complices et puis Viviane est l’aînée donc il est normal que ma mère s’adresse en première à ma sœur. Il faut dire pipelette comme elle est, elle rapporte tout ce qui s’est passé et le moindre méfait de ma part est divulgué. Par contre, dès que ma sœur fait une bêtise, ce qui est rare, je ne la loupe pas et je la dénonce illico, ma vengeance est consommée, que du bonheur.

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    Mokhtar et moi perché sur son dromadaire en 1955. J’ai 5 ans.

    Notre nounou habite au village des pêcheurs, une lagune de sable nommée la langue de Barbarie située à l’ouest de l’île Saint-Louis dans le quartier nord prénommé N’Dar Tout. Emprisonnée entre le fleuve et l’océan atlantique, cette terre sablonneuse n’est jamais à l’abri d’une inondation. Dans les années 1955-59 avant l’indépendance, je ne me rappelle plus trop bien, la mer avait complètement submergé ce quartier sur une hauteur d’environ un mètre. Ce n’était pas un tsunami mais une houle qui par la force des vents généra des vagues de 6 à 7 mètres de hauteur qui enjambèrent la plage de sable qui sert de rempart dérisoire au village. Ce grand malheur se passa la nuit où le sommeil des habitants était à son apogée. Quelques dizaines de morts furent enregistrés dont plusieurs flottaient sur le fleuve Sénégal. Des corps humains ainsi que des cadavres d’animaux furent retrouvés sur les berges du fleuve jusqu’à l’embouchure. La puissance de l’eau écroula plusieurs pans de mur de maisons archaïques. Des cases furent broyées. À l’époque, les médias étaient réduits en peau de chagrin, la catastrophe fut presque passée sous silence. Le consul de France et quelques diplomates ont essayé d’alerter quelques pays francophones pour obtenir des aides, mais rien n’y fit. Seule la France sous De Gaulle aida le pays. Mes parents, écœurés, n’arrêtaient pas de nous en parler plus tard. Mokhtar et sa famille ont échappé miraculeusement à ce drame, une vraie chance pour nous car nous aurions été catastrophés par leurs décès. La majorité de la population Saint-Louisienne s’était mobilisée pour aider les familles des pêcheurs, aussi des entreprises Dakaroises avaient participé à l’effort de reconstruction d’une grosse partie des habitations. Il n’a fallu pas moins d’un an pour faire disparaître les traces de ce cataclysme. Aujourd’hui, à N’Dar Tout, la peur des fortes houles qui enfantent des vagues assassines est encore présente. Des inondations moins conséquentes empoisonnent par moment le quartier. Malgré tout, ce péril qui plane au-dessus de ce peuple ne supprime en rien leur optimisme et leur joie de vivre.

    *

    L’hivernage et mon ami l’orage

    La période d’hivernage, à la saison des pluies de juin à octobre, est assujettie à de forts orages. C’est l’époque où l’on adore se baigner dans l’Atlantique avec mes potes le long de la plage de l’Hydrobase, notre coin favori. Ne pas se baigner pour des raisons de danger pendant un orage est un conseil inconnu par notre petite communauté, au contraire nous prenons un malin plaisir à côtoyer ces moments privilégiés. Insouciants, nous sommes les princes de l’Hydrobase. Avec mes copains, la discrétion est de rigueur, aucune allusion sur notre divertissement même à nos camarades d’école et nos relations familiales.

    Avant la tourmente, il arrive que la mer soit d’huile, ce moment est irréel. Un océan immobile, aucun frémissement de vagues, aucune ondulation, une écume inexistante en bord de plage. On s’amuse à tracer avec nos doigts à la surface de l’eau des figurines qui disparaissent aussitôt. Au loin, une masse noirâtre déverse une forte pluie qui s’approche lentement vers nous. Le tonnerre rugit de colère, des éclairs transpercent le manteau sombre et laisse apparaître un grand zèbre rayé noir et blanc sur la toile du ciel rageur. Ce spectacle apocalyptique nous fascine, aucune peur ne nous habite au contraire nous attendons avec impatience la pluie. Je pense que si nos parents furent au courant de ce passe-temps, l’interdiction serait tombée sans sommation. Arrivée au contact de nos petits corps à moitié introduits dans la mer tiède, des gouttes aussi grosses que les olives vertes importées d’Italie, que papa adore se délecter à l’apéritif, commencent à nous marteler. Elles éclatent, au contact de la mer figée, en plusieurs agates aux couleurs neutres que l’on essaie de capturer au rebond d’un geste rapide. Nous adorons aussi, nos mains jointes au-dessus de notre nuque, offrir à notre dos courbé ces perles géantes d’eau douce tombées du ciel. Elles nous martèlent sans nous blesser. Ce pétrissage dorsal, réparateur, va nous plonger cette nuit dans un profond sommeil. Nous profitons de ce passe-temps au maximum, que du bonheur.

    Un matin de septembre, au réveil, un spectacle utopique mais habituel règne suite à l’orage subi cette nuit que j’ai complètement zappé durant mon sommeil, quand je dors, je dors ! Souvent pendant la période d’hivernage des trombes d’eau s’abattent sur la ville et n’arrivent pas à s’évacuer. Généralement, mon départ pour l’école s’effectue dans un liquide terreux d’une hauteur atteignant le plateau de vitesse de ma bicyclette. Sur la route à vélo avec mes copains de classe, nous nous amusons comme des petits fous à zigzaguer dans la masse d’eau. Arrivé dans la classe puis assis à mon pupitre en bois, mes pieds baignent dans l’eau rougeâtre qui rafraîchit mon être tout entier. Car malgré cette pluie diluvienne tombée cette nuit, une forte chaleur ambiante et humide règne dans l’atmosphère. Imaginez que vous étudiez dans une pièce remplie d’eau d’une hauteur atteignant vos mollets. Cette piscine enchanteresse et rafraîchissante nous dérange nullement, au contraire nous sommes plus à l’aise pour écouter notre instituteur. Deux fenêtres délabrées permettent aux rayons réchauffant du soleil de pénétrer sans retenue dans la classe. Mon corps s’adapte facilement au choc thermique de l’eau fraîche et de la chaleur. Suite aux intempéries, les pièces situées au rez-de-chaussée ont les prises de courant situées à un mètre du sol pour éviter les désagréments électriques. Notre enseignant africain, sans chichinier, s’adapte à la situation le pantalon relevé jusqu’aux genoux et comme d’habitude attaque le premier cours matinal

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