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Rosa: Roman biographique
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Rosa: Roman biographique
Livre électronique452 pages6 heures

Rosa: Roman biographique

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À propos de ce livre électronique

Un roman biographique qui retrace la vie d'une femme dans les années soixante.

Ma mère, Rosa, illettrée née en 1926, raconte son histoire à la première personne.

Elle explique d’abord comment elle a grandi en Algarve entre sa sœur Maria et ses parents, puis comment elle a rencontré José, mon père, avec qui elle a eu plusieurs enfants.

Dans les années 1965, sous le régime de Salazar, la vie est devenue impossible pour eux au Portugal. Alors, mon père a décidé de partir clandestinement pour la France dans le but de les sauver de la misère. Elle n’aurait jamais cru qu’il puisse les abandonner, les petits et elle, surtout après les terribles épreuves qu’ils avaient traversées ensemble. Pourtant, il l’a fait. Elle ne l’a réalisé que lorsqu’il lui a envoyé une lettre de rupture stipulant qu’il ne voulait plus la revoir. N’en comprenant pas les raisons et pour l’avenir de ses enfants, elle qui ne savait pas lire, qui n’avait même jamais quitté sa maison, est partie à sa recherche.

Tiré d’une histoire vraie, ce roman traite d’illettrisme, de dictature, d’immigration et de l’accueil des immigrés en France pendant les Trente Glorieuses, mais aussi d’amour, de trahison et de pardon.

EXTRAIT

Je devais emmener Carlos, je n'avais pas le choix. Il n’avait pas deux ans et demandait encore beaucoup d’attention, ce serait trop de travail pour maman de garder les quatre garçons.
Du coup, il me fallait absolument un passeport car il m’était impossible de partir « à salto » comme mon mari.
En emmenant un enfant, il fallait que je fasse le voyage en train. Je ne pouvais pas, comme lui, faire deux mille kilomètres à pied et passer deux frontières clandestinement.
Dès la première lettre de José, j’avais fait les démarches nécessaires pour obtenir un laisser passer, mais sans résultat.
À chaque fois que je me déplaçais à la mairie pour prendre connaissance de l’avancement de mon dossier, on me répondait la même chose :
- Nous n’avons toujours rien. Mais vous devez savoir que cela vous sera très difficile d’obtenir un passeport car nous n’avons pas le droit d’en délivrer aux illettrés.
Seulement là, ma situation avait changé. Je passais du simple statut d’illettrée à celui de femme abandonnée par son mari avec quatre enfants à charge et sans ressource. Je me trouvais dans l’urgence et avoir des documents en règle était impératif pour moi.
Profitant d’être à Loulé, j’allai une fois de plus à la mairie. Je me doutais bien que ce serait la même chose, comme à chaque fois.
Pleine d’espoir, j’arriverais au guichet de l’état civil décidée à faire déplacer des montagnes, je me heurterais à une personne anesthésiée assise sur son derrière et qui ne voudrait rien entendre de ce que je lui dirais.


LangueFrançais
ÉditeurEncre Rouge
Date de sortie15 janv. 2019
ISBN9782377891191
Rosa: Roman biographique

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    Aperçu du livre

    Rosa - Marie Simoes

    cover.jpg

    Marie Simoes

    ROSA

    Roman

    Cet ouvrage a été composé par les Éditions Encre Rouge

    img1.jpg ®

    7, rue du 11 novembre – 66680 Canohes

    Mail : contact.encrerouge@gmail.com

    ISBN papier : 978-2-37789-030-9

    ISBN numérique : 978-2-37789-119-1

    PROLOGUE

    Assise à la table de la cuisine, j’épluchais des pommes de terre pour le repas de midi lorsque mon fils José entra et vint se poster devant moi, l’air embarrassé.

    ⸺  J’ai perdu les lettres, m’annonça-t-il en regardant le sol.

    ⸺  De quelles lettres parles-tu, José ?

    ⸺  J’ai croisé le facteur en bas. Il m’a donné deux lettres, mais je les ai perdues. Sur le moment, je ne voyais pas de quoi il parlait. Puis, je réalisai.

    ⸺  C’était des lettres de ton père, c’est sûr ! Comment as-tu pu les perdre ?

    Je me retins de crier, de lui hurler dessus. J’essayais de me contenir, mais je doutais de pouvoir me maîtriser très longtemps.

    ⸺  Il t’a dit quoi le facteur ? T’a-t-il dit de qui venaient ces lettres ? le questionnais-je.

    ⸺  Oui. Il a dit que c’était des nouvelles de papa.

    Là, mon cœur se mit à battre si fort que je crus m’évanouir. Je me forçais à respirer.

    J’essayais de ne pas céder à la panique.

    ⸺  Les deux ?

    ⸺  Oui.

    ⸺  Mon Dieu ! Il faut les récupérer, José.

    ⸺  Mais je les ai perdues… Je ne sais pas où elles sont.

    ⸺  Tu as dû les tomber sur le chemin. On va faire le trajet en sens inverse et on va sûrement les retrouver. Viens avec moi. Tu vas me montrer par où tu es passé exactement.

    Je jetai mon tablier sur une chaise et quittai la maison à la hâte derrière mon fils.

    Empruntant le petit sentier qui passait derrière la maison, nous descendîmes la colline sur laquelle nous habitions.

    En sortant de chez nous, après avoir traversé le pré où broutait notre petit âne, le chemin commençait par une descente assez pentue, bordée d’amandiers et de caroubiers sous lesquels nous pouvions marcher à l’ombre.

    Puis, nous arrivâmes sur le plat. Les arbres étaient plus espacés et nous sentîmes la chaleur du soleil qui était à son zénith. Une chaleur écrasante, étouffante pour un mois de mars.

    Là, commençait une longue ligne droite longée de chaque côté par un petit fossé plein d’herbes sèches où chaque pas que nous faisions levait une poussière blanchâtre qui recouvrait nos chaussures et nos chevilles.

    En marchant, je me raisonnais pour ne pas être trop dure avec mon fils. Il n’avait que sept ans, je ne pouvais pas le tenir pour responsable.

    Le fautif était le facteur. Il n’avait pas voulu monter jusque chez nous pour me remettre le courrier en mains propres. En le donnant à José lorsqu’il l’avait trouvé sur sa route, il s’était évité le déplacement. Voilà le résultat.

    Et l’argent ? Il y avait certainement de l’argent dans les enveloppes, un mandat probablement. Si quelqu’un le trouve avant nous, il le prendra, c’est sûr.

    Nous parcourûmes le chemin en regardant partout dans les fossés, en fouillant chaque buisson, en cherchant dans tous les endroits où le vent aurait pu emporter notre correspondance sans rien trouver.

    ⸺  Essaye de te rappeler, José. À quel moment t’es-tu rendu compte que tu les avais perdues ?

    ⸺  Je ne sais pas… Quand je suis arrivé à la maison, j’ai voulu les sortir de ma poche pour te les donner, mais je ne les avais plus… Je les avais mises là, dans mon pantalon, m’expliqua-t-il en fouillant la poche arrière de son jean’s.

    ⸺  Tu sais que ces lettres sont importantes, José ?

    ⸺  Oui… Je ne l’ai pas fait exprès…

    Nous arrivions aux premières maisons et je ne voyais pas d’autre solution que d’aller frapper chez les gens pour leur demander s’ils n’auraient pas trouvé notre courrier. C’est là que José se mit à pleurer.

    ⸺  Elles sont perdues pour toujours, dit-il entre deux sanglots.

    ⸺  On va demander à tout le monde. Je veux ces lettres. C’est très important, tu comprends ? Je les attends depuis trop longtemps, José. Il est possible aussi qu’elles contiennent de l’argent, et tu sais qu’on en a besoin. Si une personne honnête les a ramassées, elle nous les rendra peut-être...

    Je frappai chez notre premier voisin, monsieur Pinto, qui nous ouvrit sa porte tout de suite. Je lui expliquai la raison de notre visite et l’état émotionnel de mon garçon. Malheureusement, il nous répondit qu’il n’avait rien trouvé. Il était désolé pour nous et nous souhaita bon courage.

    José pleurait toujours. Je ne sais pas si c’était dû à la honte d’avouer à tout le monde qu’il n’avait pas été à la hauteur de sa mission, à la peine qu’il m’occasionnait, à la fatigue ou à la faim, car c’était l’heure du déjeuner, mais il ne s’arrêtait plus de sangloter.

    Il était évidemment trop jeune pour comprendre l’importance de la situation et l’impact que ces lettres pouvaient avoir sur nos vies.

    J’aurais dû le consoler, lui dire que ce n’était pas de sa faute et que si le facteur avait fait son travail, rien de tout ça ne serait arrivé, mais je ne pouvais pas. Quelque chose m’en empêchait. Comme si je voulais que cela lui serve de leçon. Je voulais qu’il prenne conscience qu’il avait perdu quelque chose de précieux parce qu’il n’y avait pas prêté l’attention nécessaire.

    Au fond de moi, la colère bouillonnait et de le voir ainsi repentant me calmait légèrement.

    Nous dûmes frapper à une demi-douzaine de maisons, mais personne ne pût nous aider.

    Lorsque nous arrivâmes chez Lydia Cavaco, elle était dans son jardin et étendait son linge. Dès que nous nous approchâmes de son portail, un gros chien se mit à aboyer en venant vers nous l’air agressif. Elle se retourna et me reconnut tout de suite. Reposant dans la bassine la serviette qu’elle s’apprêtait à accrocher sur le fil, elle fit taire son chien.

    ⸺  Couché, Jota !

    ⸺  Bonjour Lydia, lui lançai-je, alors qu’elle s’approchait en se protégeant les yeux du soleil avec sa main en visière. Dis donc, tu es bien gardé avec un animal pareil.

    ⸺  Oh, tu sais Rosa, il fait beaucoup de bruit, mais il n’est pas méchant. Comment ça va ? Tu cherches ton courrier, non ?

    J’en restai sans voix. Je crus même sentir mon menton se décrocher de ma mâchoire.  Elle avait mes lettres. Celles que nous cherchions, José et moi, depuis presque une heure sous ce soleil de plomb. Et elle m’annonçait ça si tranquillement, les mains sur les hanches, que je lui en voulus de n’avoir rien fait pour nous le faire savoir plus tôt.

    Comme j’avais vraiment commencé à désespérer de les retrouver, j’en ressentis quand même un soulagement immense.

    ⸺  Oui… C’est toi qui l’as ?

    ⸺  J’ai trouvé deux lettres par terre devant mon portail. Juste là, à l’endroit où tu te tiens avec ton fils… J’ai vu qu’elles étaient pour toi et j’allais te les porter dans l’après-midi.

    ⸺  Mon Dieu ! Heureusement que c’est toi qui es tombée dessus, lui dis-je en sentant tout mon corps se décrisper et le sourire revenir sur mes lèvres. Le facteur les a confiées à José, mais il n’a pas fait suffisamment attention…

    ⸺  Oh ! Le pauvre. Il est petit... dit-elle en caressant la tête de José. Ne pleure pas mon bonhomme, le consola-t-elle gentiment. Bon, je vais te les chercher. Ne bouge pas.

    Elle partit à l’intérieur et revint presque aussitôt avec deux enveloppes à la main, suivie par sa fille qui avait le même âge que José. Elle me les tendit. Seulement lorsque je les attrapai, je les sentis toutes humides. Je les retournai et remarquai qu’elles avaient été ouvertes. Elle les avait décollées à la vapeur, c’était évident. Comment avait-elle osé ?

    ⸺  Mais, tu les as lues ? ne pus-je m’empêcher, incrédule.

    ⸺  Non ! Ça ne va pas ? Pour qui tu me prends, Rosa ?

    ⸺  Tu as toute ma confiance, Lydia, sois en sûre, mais elles sont humides et je vois bien que la colle ne tient plus. Jamais je n’ai reçu aucune lettre dans cet état.

    ⸺  Je ne sais pas quoi te dire, Rosa, mais ce n’est pas moi. Je les ai trouvées comme ça et j’allais venir te les porter dans l’après-midi. Je sais que tu attends des nouvelles de ton mari avec impatience.

    ⸺  Avec la chaleur qu’il fait aujourd’hui, je ne sais pas comment tu aurais pu les trouver comme ça. Et, si c’était la PIDE{1} qui les avait ouvertes, elle n’aurait certainement pas pris le soin de le faire à la vapeur.

    Je ne pouvais l’accuser ouvertement de quoi que ce soit car je n’avais aucune preuve. Et encore, bien heureux qu’elle me les ait gardées. Elle aurait tout aussi bien pu les mettre à la poubelle après les avoir fouillées.

    J’avais aussi remarqué sa fille qui, cachée derrière ses jupes, se moquait de mon fils parce qu’il pleurait. Elle lui faisait des grimaces et lui tirait la langue, s’imaginant que je ne la voyais pas faire.

    Je jetai un œil à José qui se tenait près de moi. Il était rouge de colère et la regardait vraiment de travers. Dans son état, c’était une vraie torture pour lui de devoir rester planté devant cette gamine aussi suffisante qu’insensible et sans la moindre compassion.

    ⸺  Bon, je te remercie. Vraiment. Heureusement que c’est toi qui les as trouvées. Qui sait où elles pourraient être à l’heure qu’il est.

    ⸺  Non. Je t’assure, Rosa, c’est normal. Tu aurais fait pareil à ma place.

    ⸺  Tu as une très jolie petite fille, dis-je à Lydia en caressant la joue de l’enfant.

    La petite sursauta lorsque j’approchais ma main, comme si elle avait eu peur. Peut-être se demandait-elle si j’avais pu remarquer son manège.

    Nous rentrâmes à la maison en silence. José s’était finalement arrêté de pleurer, épuisé par toutes ces émotions.

    Tout le chemin du retour, je me demandais ce que pouvaient contenir ces lettres. Mon mari nous demandait-il enfin de le rejoindre ? J’étais impatiente d’arriver chez nous pour le savoir.

    « Rosa,

    J’avais décidé de ne plus jamais t’écrire mais, comme tu vois, j’ai du remords.

    Ceci dit, cette lettre sera la dernière.

    Tu n’imagines pas la douleur que j’ai ressentie lorsque j’ai appris ce que tu fais en mon absence. Ça me donne envie de vomir.

    Je vais disparaître de ta vie et de celle des enfants, même si je sais qu’eux n’y sont pour rien.

    Je ne veux plus te revoir. Jamais je n’aurais pu imaginer que tu sois capable de telles choses. En tous cas, saches que c’est plus que je ne peux supporter.

    Ne compte plus sur moi. Je ne suis pas parti si loin de la maison travailler comme une bête pour t’envoyer de l’argent, alors que tu t’amuses avec tes amis…

    En attendant, ne cherche pas à me revoir. Tout est fini entre nous. Adieu.

    José. »

    Je crus défaillir en entendant ces paroles. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Je ne comprenais rien à ce que me lisait ma sœur.

    Ça n’était pas possible ! Mon mari ne pouvait pas nous abandonner, les enfants et moi !

    Mais de quoi parlait-t-il ?

    ⸺  Maria, qu’est-ce que ça veut dire ?

    ⸺  Je ne sais pas Rosa. Je ne comprends pas…On va lire l’autre, peut-être qu’elle nous aidera à y voir plus clair.

    Elle s’empressa d’ouvrir la deuxième enveloppe.

    « Rosa,

    Je voulais aussi te dire que je ne t’envoie pas d’argent aujourd’hui et que je ne t’en enverrai plus jamais.

    José. »

    ⸺  Ben dis donc !... On lui répondra demain si tu veux. Pense bien à ce que tu as à lui dire et j’écrirai pour toi, proposa ma sœur.

    ⸺  Je n’ai pas besoin de réfléchir, Maria. On va lui répondre tout de suite. J’ai besoin de savoir ce qui se passe.

    Les larmes roulaient sur mes joues. Mon cœur battait si fort et me faisait si mal que j’avais l’impression qu’il allait sortir par ma bouche. Je fus prise de nausée et courus vers la salle de bain où je vomis le peu que j’avais dans l’estomac. Ma tête allait éclater. La pression sur mes tempes était insupportable. Tout tournait autour de moi.

    Je lavai mon visage à l’eau froide et tentai de reprendre mes esprits. Il fallait que je me calme, que j’arrive à réfléchir.

    C’était un cauchemar, j’allais me réveiller… Mais de quoi parlait José ? Etait-il devenu fou ?

    Il fallait que je le lui explique et tout rentrerait dans l’ordre…

    Si seulement je pouvais lui parler de vive voix. Le serrer dans mes bras. Lui dire que je n’ai pas changé, que je suis toujours la Rosa qu’il a quittée il y a quinze mois.

    Si tout allait bien, la réponse mettrait une semaine à lui parvenir. Je devais l’envoyer tout de suite, ne pas perdre de temps.

    Je m’arrangeai rapidement dans le miroir et revins dans la cuisine retrouver ma sœur.

    Maman venait de la rejoindre avec les enfants et elles étaient en pleine discussion toutes les deux. Maria finissait de lui expliquer ce qui venait de se passer.

    À mon arrivée, maman jeta sur moi un regard incrédule et si compatissant que je crus de nouveau fondre en larmes.

    Ce qui me retint fut la présence des enfants attablés autour de trois oiseaux morts qu’ils venaient de capturer dans leurs pièges. Ils étaient tout fiers d’avoir si bien travaillé et me montraient ce qu’ils avaient réussi à attraper, heureux de participer ainsi à nourrir la famille.

    Ne voulant pas les inquiéter, je pris sur moi de montrer bonne figure. D’un signe de tête, je fis comprendre à ma sœur qu’elle pouvait se préparer à écrire une réponse pour José. Elle prit donc le bloc de papier et le stylo plume dans le tiroir du buffet et me rejoignit dans ma chambre.

    Nous nous assîmes côte à côte sur le lit. Elle posa le papier sur ses genoux et me regarda, l’air grave, prête à noter ce que j’allais lui dicter.

    « José,

    J’ai bien reçu ta lettre et je dois te dire qu’elle m’a plongée dans une profonde détresse.

    Je ne comprends pas de quoi tu parles. Es-tu malade ?

    J’ai besoin de savoir ce qui se passe. Je ne te laisserai pas briser notre famille ainsi sans explication.

    Quelqu’un nous veut-il du mal ? N’avons-nous pas encore assez souffert ?

    José, je t’aime et je veux que tu reviennes vers moi. Je t’en prie. J’attends de tes nouvelles au plus vite.

    Rosa. »

    Il ne me répondit jamais.

    Les deux premières semaines, je réussis à patienter puisque je savais qu’il était matériellement impossible d’avoir une réponse.

    Les deux suivantes, je me levais tous les matins en me disant que c’était le jour où elle allait arriver, mais à chaque fois, l’espoir de recevoir de ses nouvelles s’envolait dès que midi sonnait. Le facteur ne passait jamais l’après-midi.

    La cinquième semaine, je pris la décision d’aller rejoindre José. Il était hors de question que je laisse mon mari nous abandonner. Notre vie était auprès de lui et s’il ne revenait pas, alors c’était à nous de le rejoindre.

    Bizarrement, cette décision me fit un bien fou, mais m’effraya tout autant. J’allais agir.

    Je ne savais pas encore très bien comment j’allais m’y prendre puisque je n’avais même jamais quitté ma maison, mais je n’avais pas le choix.

    À trente-huit ans, moi qui n’avais pas appris à lire, je n’aurais jamais pu imaginer qu’une lettre allait balayer tous mes repères et pousser ma vie vers l’inconnu.

    ROSA I

    Je m’appelle Rosa.

    Je suis née à Loulé, au sud du Portugal, le 17 octobre 1926. Enfin, c’est parait-il ce qui est écrit sur mes papiers d’identité.

    Je suis la deuxième enfant de mes parents, Antonio et Gertrudes.

    À seize ans, mon père avait quitté sa famille qui vivait dans une région plus au nord, l’Alentejo.

    Ses parents l’envoyaient tenir compagnie à sa grand-mère, seule depuis le décès de son mari. Elle habitait une petite maison louée à un riche propriétaire chez qui son mari avait été employé comme homme à tout faire.

    Lorsque deux ans plus tard elle mourut à son tour, il resta vivre à Loulé. Il se faisait embaucher pour la récolte des oranges, des mandarines et des citrons et vivait ainsi de petits boulots.

    C’est à cette période qu’il connut maman, en se liant d’amitié avec l’un de ses deux frères, Joao, qu’il rencontra dans une orangeraie près de chez nous.

    Comme il le savait seul, Joao invitait souvent Antonio à la maison. Ma grand-mère le gardait à déjeuner, parfois même à dîner, et c’est ainsi qu’il fit la connaissance de maman.

    Petit à petit, Ils nouèrent une relation et se marièrent.

    Lorsqu’il eut vingt ans, mon oncle Joao rejoignit son frère aîné, Pedro, en Argentine où il était parti s’installer depuis plusieurs mois.

    Deux jours seulement après son arrivée à Buenos Aires, Pedro avait trouvé un emploi de chauffeur de taxi. Quelques temps plus tard, il y épousa une jeune fille dont le père possédait une entreprise de transports routiers. Les affaires marchaient bien et lorsque son beau-père avait eu besoin d’une personne de confiance, Pedro avait été ravi de le seconder.

    L’année suivante, il demanda donc à Joao de venir le rejoindre.

    Ce dernier proposa à mon père de le suivre, avançant que Pedro aurait certainement du travail pour lui aussi et qu’il pourrait ainsi tenter sa chance.

    Mon père accepta tout de suite de partir avec lui et de faire venir maman plus tard, lorsqu’il aurait trouvé une situation et un logement pour l’accueillir, seulement, au moment du départ, maman était enceinte. Il resta donc auprès d’elle pour attendre la naissance du bébé.

    Ensuite, ma grand-mère qui était veuve depuis longtemps tomba malade et le départ fut encore retardé. Maman ne pouvait pas la laisser seule. Elle devait la soigner et s’occuper de la maison.

    Maman proposa alors à mon père de partir seul. Elle pourrait le rejoindre quand sa mère serait rétablie, mais il refusa. Il ne voulait pas l’abandonner avec sa mère malade, une enfant en bas âges et tous les travaux domestiques.

    L’année suivante, maman perdit sa mère et là, mon père crut qu’ils allaient enfin pouvoir s’en aller. Il ne voulait plus rester au Portugal. S’occuper de cette maison comme un pauvre paysan sans rien y gagner le déprimait.

    Il ne pensait plus qu’à l’Argentine. Les nouvelles que lui envoyait régulièrement Joao lui racontant leur quotidien là-bas le faisaient rêver. Il avait envie de vivre à Buenos Aires, d’avoir de l’argent, d’aller au théâtre et aux concerts. Il voulait de changer de vie.

    Cependant, et ça mon père ne pouvait pas s’en douter, jamais maman ne se résignerait à quitter la propriété. C’était la sienne, et celle de sa mère avant elle. Elle était née dans cette maison et y avait grandit. Jamais elle ne partirait.

    D’autant plus qu’elle était à nouveau enceinte.

    Ma sœur Maria avait trois ans lorsque je vins au monde.

    Nous vivions dans cette jolie maison à l’écart de Loulé. Une maison modeste, caractéristique de l’Algarve. Elle était peinte à la chaux, de plein pied et toute en longueur.

    Une frise toute simple décorait la façade sous la rangée de tuiles. C’était une succession de boules pleines et de cercles de la même taille dans un long rectangle. Le tout dans un bleu profond qui rappelait l’océan et contrastait avec le blanc des murs.

    Une cour pavée courait le long du bâtiment où se trouvaient les chambres et la salle à manger. Dans l’enfilade, nous avions la cuisine qui faisait face à une citerne toujours pleine d’une eau bien fraîche. Le niveau ne baissait qu’en plein été, période de l’année où les pluies étaient rares et la température extérieure proche des trente-cinq degrés pendant plus de deux mois.

    Les terres entourant la maison étaient pleines de figuiers, d’amandiers et de caroubiers. Ces arbres donnaient des fruits tous les ans dont la vente de leurs récoltes était quasiment nos seuls revenus.

    Mes parents cultivaient aussi un jardin qui leur fournissait tous les légumes dont ils avaient besoin et ils élevaient également des poules et quelques cochons.

    Le travail ne manquait pas, mais nous étions autonomes, pour ainsi dire.

    Après sa journée de travail, maman trouvait encore l’énergie de tresser des paniers. Elle les revendait ensuite à l’atelier de vannerie de Loulé et c’est avec ces petits revenus qu’elle nous achetait, à ma sœur et moi, quelques petits plaisirs, parfois même des vêtements.

    Le temps passant, mon père ne parlait plus de l’Argentine, mais il déprimait. Chaque jour, il devenait un peu plus taciturne.

    La seule chose qu’il avait emmenée avec lui en quittant ses parents était l’accordéon dont il jouait depuis l’enfance.

    À peine arrivé à Loulé, il avait formé un orchestre avec trois amis et ils avaient même animé quelques soirées en ville.

    Un soir, il annonça à maman que ses camarades lui avaient demandé de réintégrer le groupe. Depuis quelques mois, ils jouaient dans tous les bals des villages alentour et ils avaient besoin de lui.

    Il se mit donc à s’absenter tous les soirs de l’été. Il partait en fin d’après-midi pour retrouver ses collègues musiciens et ensemble, ils rejoignaient le lieu du bal. Il rentrait à l’aube, en essayant de ne pas faire trop de bruit pour éviter de nous réveiller, dormait quelques heures et se levait pour aider un peu maman avant de repartir.

    Un matin, le facteur porta une lettre d’Argentine.

    Pedro était effondré de leur apprendre que Joao était décédé. Une énorme explosion s’était produite dans son entreprise et les flammes avaient tout emporté.

    Joao, qui vivait au-dessus des bureaux, avait péri dans l’incendie. Il ne restait plus rien des bus, ni des camions.

    Une enquête avait été menée sur place, mais n’avait rien donné. On ne saurait jamais ce qui avait pu arriver.

    Cet évènement malheureux les anéantit. Maman, qui venait de perdre sa mère, perdait maintenant un frère et mon père perdait son plus vieux camarade. Jamais il ne se remettrait de sa disparition. Avant ce drame, peut-être espérait-il encore secrètement partir le rejoindre ?

    En tous cas, ce jour-là, en plus de la douleur de perdre son meilleur ami, il voyait son rêve s’écrouler.

    Il se mit à boire et à rentrer de plus en plus tard, ivre le plus souvent. Il ne nous parlait plus. On aurait dit qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur de lui. C’était comme si son âme s’en était allée avec celle de Joao.

    Au fil du temps, nous ne le revoyions pas avant le lendemain et parfois, seulement après plusieurs jours. Cela dépendait de la distance à parcourir avec sa charrette et de la quantité d’alcool qu’il avait ingurgité.

    Il ne ramenait plus l’argent de ses cachets car il en avait bu la totalité lorsqu’il se décidait enfin à nous rejoindre.

    Il descendait de sa charrette en titubant, manquait souvent de tomber et tombait même quelques fois. Il parlait tout seul, racontait des choses incompréhensibles en allant se coucher.

    Je ne me souviens pas d’avoir une seule fois entendu maman se plaindre de cette situation. Elle faisait avec.

    Je pense qu’elle se sentait coupable du malheur de mon père. Elle savait que c’était elle qui avait empêché leur départ pour l’Argentine, qu'au fond, elle n’en n’avait jamais vraiment eu envie. Il lui avait été impossible d’abandonner sa mère et sa maison. Et ça, elle n’avait jamais pu le lui avouer.

    Finalement, les grossesses étaient arrivées au bon moment.

    Je garde quand même de mon enfance un souvenir heureux, quasi insouciant, ensoleillé.

    Je passais mes journées avec maman, que j’adorais, et ma sœur. Nous l’aidions comme nous pouvions dans tous ses travaux quotidiens.

    Moi, ce qui me plaisait, c’est que c’était toujours en chantant. Nous entonnions le plus souvent des chansons populaires, du fado ou des chansons folkloriques.

    Parfois, chose dont je me régalais, maman s’adressait à nous en chantant. Elle mettait ses paroles sur un air connu et les faisait rimer. Maria et moi essayions de lui répondre de la même façon, mais nous avions du mal à trouver les mots justes.

    En tous cas, c’était à chaque fois des crises de rires assurées.

    Certains dimanches, quelques amies de maman ou sa cousine Paola venaient nous rendre visite avec leurs enfants qui étaient de notre âge pour la plupart.

    Paola vivait seule avec Aurore, sa fille unique, depuis que Fabio, son mari, avait disparu. Employé dans une épicerie de Loulé, un soir il n’était pas rentré du travail.

    On l’avait cherché partout, dans tous les hôpitaux. On avait fait un signalement à la police qui mena une enquête. Les agents posèrent des questions à tout son entourage familial et professionnel. Ils suivirent ses traces aussi loin qu’elles purent les mener, mais cela n’aboutit jamais à rien.

    Depuis plus de deux ans, nous n’avions aucune nouvelle de lui, pourtant Paola tout comme Aurore attendaient toujours son retour. Souvent, j’entendais l’une ou l’autre commencer une phrase par : « Quand mon mari reviendra » ou « Quand papa reviendra », comme s’il était parti la veille pour un voyage de quelques jours.

    Nous, de notre côté, n’imaginions pas qu’il puisse réapparaître à nouveau. Cependant, nous gardions pour nous nos impressions car, après tout, nous n’en savions rien, et nous ne voulions surtout pas leur enlever l’espoir qui leur restait et dont elles avaient besoin.

    Aurore était donc notre cousine au second degré, à Maria et moi, mais elle était surtout ma meilleure amie.

    Elle avait deux mois de plus que moi, un visage très doux, très rond, de grands yeux marron et de longs cheveux châtains, le plus souvent tressés en une longue natte. Elle était toute en douceur, mais elle avait aussi une espièglerie dans le regard, un de ces petits airs qui fait se demander quelle farce elle est en train de préparer.

    Lorsque nous avions de la visite, maman faisait un gâteau. Nous mettions nos habits du dimanche et passions l’après-midi sur la terrasse où maman discutait avec ses amies pendant que nous jouions avec leurs enfants.

    Aurore, elle, arrivait toujours très chic, mais déguisée. Parfois, elle revêtait des habits qu’elle empruntait à sa mère, mais le plus souvent, c’était affublée d’étoffes drapées et attachées à sa taille avec une jolie ceinture de sa création qu’elle nous rejoignait. Elle adorait inventer des vêtements, harmoniser les couleurs et les matières pour en faire des tenues à la fois élégantes et originales.

    Sa mère étant couturière, elle avait à sa portée tout ce qu’il lui fallait en termes de tissus, de fils, de boutons, de machine à coudre et de conseils pour assouvir sa passion de styliste.

    Plus tard, elle en ferait d’ailleurs son métier. À seize ans à peine, elle vendrait ses créations dans un petit atelier de Loulé. Puis, serait repérée et embauchée par un grand couturier de Lisbonne chez qui elle habillerait les femmes les plus riches de la capitale.

    Il arrivait aussi, deux ou trois fois dans l’été, que nous allions à la plage. La mer étant à douze kilomètres, c’était une véritable expédition. Il fallait se lever tôt pour faire le trajet en charrette et avoir encore le temps de profiter de la journée sans rentrer à la nuit.

    La veille, nous préparions un panier repas en prévision de cette journée que nous voulions parfaite. Pour nous, la fête commençait déjà là, au moment des préparatifs.

    Mon dieu, quelle joie ! Le bonheur de voir la mer était immense, mais plus encore celui de faire ce petit voyage pendant des heures. Nous chantions durant tout le trajet. A tour de rôle, l’une de nous entonnait une chanson et les autres suivaient toutes en chœur.

    Sur le chemin du retour, alors que la nuit commençait à tomber, Paola et maman se mettaient parfois à raconter des histoires qui leur avaient été transmises d’on ne sait où et qui nous faisaient peur, à Aurore et moi. Maria jouait les grandes en se moquant de nous, mais je reste bien persuadée qu’elle devait trembler elle aussi.

    Elles relataient des histoires extraordinaires de chats qui devenaient fous, comme habités par le mal, et qui se jetaient au visage de leur maîtresse toutes griffes dehors pour leur crever les yeux et les défigurer.

    Je me souviens aussi d’une histoire qu’elles juraient être vraie : Leurs mères étaient sœurs et vivaient alors dans notre maison avec leurs parents. Elles avaient pour amies deux voisines, Térésa et Louisa, qu’elles voyaient très souvent.

    Un jour de novembre, elles étaient toutes les quatre à ramasser des olives quand Louisa rapporta qu’elle avait entendu parler d’un lieu tout proche qui était le théâtre d’apparitions surnaturelles. Plusieurs personnes avaient été témoins de phénomènes étranges et la plupart disaient avoir vu une dame blanche se promener à la nuit tombée sous un olivier au tronc tortueux.

    Térésa éclata de rire et lui dit qu’elle entendait parler de cette histoire depuis si longtemps qu’elle se demandait comment elle avait pu faire pour ne pas en avoir eu vent jusqu’alors. Elle lui assura que ce n’était que des fadaises et que la personne qui lui avait raconté cette farce avait voulu se moquer d’elle.

    Maman et Paola nous expliquèrent que leurs mères non plus, n’avaient jamais entendu cette histoire et qu’elles avaient été impressionnées par le récit de Louisa.

    Ce jour-là, en tous cas, pour leur prouver qu’elle disait vrai et qu’elle ne craignait pas le moins du monde la dame blanche, Térésa se mit au défi d’aller sur les lieux le soir même, à la nuit tombée. Pour preuve de son passage, elle planterait un pieu sous l’arbre où on avait l’habitude de voir cette apparition.

    Elles se donnèrent donc rendez-vous le lendemain de bonne heure pour aller ensemble constater qu’elle avait relevé son défi.

    Le jour suivant, à l’aube, elle fut retrouvée morte sous l’olivier. Son pieu avait traversé le tissu de sa robe longue avant de s’enfoncer dans la terre. Elle avait gravé dans le sol « Térésa est venue ici » avec son bâton avant de le planter, et de mourir de peur, certainement.

    Parfois, il m’arrive encore de repenser à cette pauvre Térésa et à ce qu’elle a pu imaginer au moment où elle aura voulu quitter le lieu en sentant que quelque chose la retenait.

    Aurore et moi étions terrifiées en entendant ces histoires. Pourtant, jamais nous ne nous en plaignîmes car nous adorions ça et nous ne voulions surtout pas qu’on arrête de nous en raconter.

    Je garderai de ces moments des souvenirs impérissables.

    Cette période de l’enfance, de l’insouciance, dura à peu près jusqu’à mes huit ans.

    À cette époque, l’école n’était pas obligatoire, mais Maria, qui avait bien compris l’importance de l’éducation, avait commencé sa scolarité depuis deux ans déjà. Elle partait avec nos voisins tous les matins et rentrait dans l’après-midi.

    Moi, je restais avec maman.

    Lorsque j’eu huit ans, maman me dit que moi aussi je devais apprendre à lire, pour ne pas être comme elle qui n’avait jamais eu la chance de pouvoir s’instruire.

    Cette nouvelle ne m’enthousiasma pas car je ne voulais pas la quitter. Je n’étais nulle part mieux qu’avec elle. Nous nous entendions si bien…

    Maman dût insister. Il n’était pas question pour elle que je reste à la maison. De plus, Aurore avait dit à sa

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