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Obscurité
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Livre électronique300 pages4 heures

Obscurité

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À propos de ce livre électronique

Après avoir jonglé maladroitement avec sa nouvelle réalité, Rose quitte le nid familial pour aller à la rencontre de personnes qui partagent ses capacités surnaturelles. Le périple de Rose vers de nouveaux horizons se transformera, à son insu, en un voyage à l’intérieur d’elle-même, nous permettant de découvrir une jeune femme affirmée, audacieuse et en pleine possession de ses moyens. Sa rencontre avec la dynastie des Harrison sera la prémisse d’une montée pour Rose vers les plus hauts échelons de la bourgeoisie de San Francisco avec tout ce que ce faste a de plus disgracieux à offrir.

La suite des aventures de Rose nous transporte dans un univers plus sombre où la réalité et le fantastique continuent de se côtoyer avec naturel. Le lecteur fera la rencontre de nouveaux personnages égocentriques qui auront su tirer profit de leurs capacités surnaturelles dans le seul but d’assurer la pérennité de leur dynastie.
LangueFrançais
Date de sortie8 avr. 2020
ISBN9782898035661
Obscurité
Auteur

Mélissa Blais

Mélissa Blais nous propose sa toute première série intitulée L’Apprentie. Cette notaire de profession nous transporte dans un univers fantastique qui évolue en parallèle avec la réalité. Se qualifiant elle-même de lectrice «grand public», l’auteure a souhaité écrire un roman sans prétention, mais aussi sans longueurs et pleins de rebondissements!

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    Aperçu du livre

    Obscurité - Mélissa Blais

    jC843/.6—dc23

    CHAPITRE 1

    Rose

    Chère maman,

    Voilà maintenant deux semaines que je t’ai quittée. Le temps passe si vite ! Dans un premier temps, je tiens à te rassurer, car je sais que tu t’inquiètes, comme toute bonne mère le ferait. Tout se passe très bien ici. Permets-moi d’ailleurs de te raconter ce qui s’est passé depuis notre départ. Notre vol s’est plutôt bien déroulé, malgré quelques turbulences, et nous sommes arrivées à l’heure prévue. Le personnel à bord de l’avion était d’une grande gentillesse. Nous avons atterri sans heurt à San Francisco au beau milieu de la nuit, vers 2 h. Malgré l’heure tardive de notre arrivée, la beauté de cette ville m’a immédiatement coupé le souffle. Pendant notre trajet en direction de l’hôtel, nous avons traversé l’écarlate Golden Gate, arpenté les rues sinueuses de la ville et vu de jolies maisons victoriennes. Comment ne pas s’ébahir devant tant de charme et de caractère ? Tu comprends que j’étais impatiente d’arriver à l’hôtel pour dormir un peu et me lever aux aurores afin d’errer dans la ville et de m’enivrer de toute cette beauté.

    Malgré mon excitation de la veille, Judy et moi avons pris la décision, le lendemain matin, de réserver notre chambre d’hôtel pour quelques nuits supplémentaires afin de planifier l’itinéraire de notre voyage. Nous voulons profiter de toutes les occasions offertes par ce voyage pour rencontrer des gens qui vivent les mêmes expériences que nous, et nous ne voulons pas nous sentir pressées par le temps.

    Comme tu le sais, mon objectif premier est de revivre le voyage que grand-maman a elle-même fait il y a 50 ans. J’ai donc consulté les noms et adresses des gens qui apparaissaient dans le recueil qui a appartenu à grand-maman, sans davantage d’informations, pour établir notre itinéraire. Quelles étaient les chances que ces personnes soient encore vivantes et demeurent à la même adresse ? Malgré le passage de ces nombreuses années, j’étais déterminée à faire tout en mon pouvoir pour retrouver ces personnes, ou leurs enfants, afin d’obtenir le plus de réponses possible sur notre condition, à Judy et moi.

    Nous sommes donc parties à la rencontre de la première personne mentionnée au livre de grand-maman Helen, M. Peter Wissler, à l’adresse indiquée. Nous étions convaincues que M. Wissler ne demeurerait plus à cet endroit, mais quelle ne fut pas notre surprise de voir un vieil homme répondre à la porte ! Peter Wissler est d’une profonde amabilité et ses souvenirs de grand-maman sont d’une impressionnante précision. Il parle d’elle avec tant de douceur et de tendresse que je suspecte qu’il y ait eu davantage entre eux qu’une simple amitié…

    Comme s’il avait pressenti que j’écrivais à son sujet, Peter s’avança jusqu’à moi dans son fauteuil roulant et me contraignit à interrompre mon écriture.

    — Que fais-tu encore debout à une heure aussi tardive ? s’enquit-il.

    — J’écris une lettre aux membres de ma famille pour leur donner quelques nouvelles. Je ne voudrais surtout pas qu’ils s’inquiètent pour moi, répondis-je.

    Peter marqua une pause et se frotta les mains, le visage empreint de douleur.

    — Est-ce que ça va ? m’inquiétai-je.

    — Ah, ce ne sont que de vieilles douleurs arthritiques, rien de grave. Je vis avec ces élancements depuis si longtemps maintenant que j’ai l’impression que cette maladie fait partie de moi.

    J’étais attristée de l’entendre parler ainsi, car je ne pouvais m’imaginer avoir à subir de telles souffrances un jour. Peter aperçut ma mine déconfite.

    — Mais tu sais, je me considère tout de même chanceux d’avoir fait vieux os, ajouta-t-il. Très rares sont les gens comme moi qui peuvent se vanter d’avoir passé le cap des 80 printemps.

    Je lui souris chaleureusement. J’éprouvais beaucoup d’affection pour cet homme, même si je ne le connaissais que depuis peu. Dès que je l’avais aperçu sur le pas de la porte, l’air fier et digne dans son fauteuil roulant, il avait piqué ma curiosité. Après quelques visites à discuter de façon transparente de notre condition et des difficultés que nous avions traversées, Peter avait beaucoup insisté pour que Judy et moi restions pendant quelque temps avec lui. Il nous avait alors candidement avoué aimer notre compagnie. Nous avions beaucoup hésité à accepter, mais nos rencontres se multipliaient et nous constations à quel point cette cohabitation profiterait à chacun d’entre nous. Au moment d’accepter l’offre de Peter, nous avions toutefois insisté pour apporter notre contribution à l’entretien de sa maison et à l’accomplissement des différentes tâches ménagères afin de compenser l’hébergement gratuit. Il n’était pas question que nous devenions un fardeau pour Peter, il n’avait pas besoin de cela. Nous lui fîmes aussi promettre de nous faire part de tout mécontentement qu’il pouvait ressentir à notre égard au cours de notre cohabitation.

    La résidence de style victorien, plutôt mal entretenue, était entourée de deux tours à condominiums au look ultra moderne, et donnait l’impression d’effectuer un voyage dans le temps en seulement quelques enjambées. À l’intérieur de la résidence de Peter, la décoration, avec son papier peint et ses couvre-planchers, semblait provenir d’une tout autre époque. La maison était surchargée d’objets de toutes sortes, plus vieux les uns que les autres, et cet encombrement compliquait les déplacements de Peter de pièce en pièce. À trois personnes entassées dans cette minuscule résidence, nous étions un peu à l’étroit, mais malgré le manque cruel d’espace, Peter avait libéré une chambre pour Judy et moi. Nous étions très reconnaissantes de cette générosité qui nous permettait d’économiser les frais d’hôtel pendant notre séjour chez lui. Cependant, nous n’avions pas l’intention de nous attarder outre mesure dans la résidence de notre chaleureux hôte ; trop d’aventures nous attendaient encore.

    — Tu me fais penser à ta grand-mère. Je ne suis pas la première personne à le porter à ton attention, n’est-ce pas ? demanda Peter.

    — Ça arrive à l’occasion qu’on m’en fasse la remarque.

    — Tu as le même regard curieux et fougueux. Tu as des étincelles dans les yeux.

    — Comment avez-vous fait connaissance ? questionnai-je en souhaitant en apprendre davantage au sujet de ma grand-mère.

    — Elle m’a sauvé la vie !

    Je l’interrogeai du regard.

    — En fait, nous nous sommes rencontrés par hasard dans une ruelle tout près d’ici. Ma femme était sur le point de mourir. J’étais désemparé et furieux à la fois. Même si je réussissais habituellement à me maîtriser et à ne pas laisser mes émotions prendre le dessus, cette fois, c’était au-dessus de mes forces. Je m’étais donc isolé dans cette ruelle en toute connaissance de cause. À l’arrivée d’Helen, j’étais entre la vie et la mort… Une grande superficie de mon corps était brûlée au troisième degré.

    — Qu’a-t-elle fait pour te porter secours ? m’informai-je, impatiente de connaître la suite de l’histoire.

    — Elle s’est approchée de moi sans m’adresser la parole, comme si elle avait su ce que je vivais sans que j’aie à le lui dire. Avec le peu d’énergie qui me restait, je l’ai suppliée de s’en aller et de me laisser seul, mais elle est restée là. Ses bras se sont embrasés devant moi et j’ai eu la confirmation que nous avions beaucoup en commun. Je me souviens de m’être aussitôt senti rassuré par la présence d’une personne qui avait le même don que moi. Une fois les flammes éteintes, la peau d’ivoire de ta grand-mère était redevenue aussi intacte qu’avant l’embrasement. À cette époque, je ne croyais pas que c’était possible.

    Peter entrelaça ses doigts et laissa errer son regard dans un coin de la pièce avec un sourire au coin des lèvres. Il était perdu dans ses souvenirs de ma grand-mère. Malgré ma volonté de ne pas interrompre ce flux d’images agréables, je ne pus réprimer un bruyant bâillement et mon hôte se vit arraché à ses pensées.

    — Va dormir. Tu as besoin de te reposer. On se voit demain.

    — D’accord, bonne nuit, Peter.

    Lorsque je sortis de la pièce, il me salua de la main et éteignit. Je me sentais vidée de toute mon énergie, et l’appel de mon lit était plus fort que tout.

    Je me réveillai tôt le lendemain matin, une délicieuse odeur de crêpes me chatouillant les narines. Je me retournai vers le lit de Judy pour savoir si j’étais seule à être de si bon matin, mais Judy était déjà éveillée, assise en tailleur sur le matelas. Elle me regardait avec un air étrange et je ne pus réprimer un hoquet de frayeur à la voir me dévisager en silence.

    — Bon sang, mais qu’y a-t-il ? Pourquoi me regardes-tu ainsi ? m’inquiétai-je.

    — J’ai mal au cœur. Est-ce que tu sais combien de temps peuvent durer les nausées de grossesse ? Ça fait seulement 12 semaines que je suis enceinte et je suis déjà à bout de nerfs, se découragea Judy.

    — Ne t’en fais pas, ça va passer. Tu seras bientôt sur pied. Reste étendue encore un peu. Je vais aller rejoindre Peter pour l’aider à préparer le déjeuner.

    Soulagée que Judy n’éprouve pas d’autres problèmes de santé que ces nausées de début de grossesse, je m’habillai en vitesse et choisis des vêtements au hasard dans ma valise. Judy resta seule dans la chambre à espérer que quelques minutes de repos supplémentaires suffiraient à faire passer son malaise. Lorsque je fis mon entrée dans la cuisine, la table était déjà dressée et les crêpes avaient été déposées dans les assiettes accompagnées de fruits de saison.

    Le tout m’apparut délicieux. Cette délicate attention traduisait tout le bonheur que notre hôte ressentait à nous avoir avec lui, dans sa maison.

    — Il ne faut pas te donner autant de peine, sermonnai-je Peter.

    — Ça fait tellement longtemps que je suis seul dans cette vieille maison que j’ai un plaisir fou à m’occuper de vous deux, à la hauteur de mes capacités, bien sûr. Est-ce que Judy se joindra à nous sous peu ? demanda-t-il en pointant du menton la chambre où Judy était restée allongée.

    — Non, je ne crois pas. Elle ne se sent pas très bien ce matin.

    — Rien de grave, j’espère ?

    — Non, ce sont des nausées de grossesse. Elle a seulement besoin d’un peu de repos. Elle se sentira mieux un peu plus tard dans la journée, dis-je d’un ton que je voulais rassurant.

    Peter attaqua ses crêpes avec appétit, sans me porter trop attention. À la vitesse à laquelle il engloutit ce qui se trouvait dans son assiette, j’en déduisis qu’il devait être éveillé depuis quelques heures et qu’il avait retardé son heure de déjeuner spécialement pour le partager avec nous. Je lui fus reconnaissante de ce sacrifice et je rendis honneur à ses crêpes. Bien que mon estomac fut rassasié après ma première platée, je m’en servis une seconde. Mon compagnon de table s’amusait de me regarder manger avec autant d’appétit et semblait satisfait du succès de son repas.

    — Est-ce que ce serait possible de me mettre en contact avec des personnes comme nous, qui vivent ici à San Francisco ? m’enquis-je une fois ma dernière bouchée terminée.

    Dès que j’eus formulé ma question, qui se voulait innocente et sans détour, le visage de mon interlocuteur s’assombrit. À l’opposé de sa nature joviale et moqueuse, Peter se ferma comme une huître et me regarda gravement. Malgré ses efforts à ne laisser transparaître aucun sentiment, je pus décrypter de la douleur et de la colère sur son visage. Peut-être avait-il eu une mauvaise expérience avec certains de nos semblables. Avais-je les coordonnées de ces gens dans le recueil de grand-mère ?

    — En effet, je connais des personnes comme nous qui vivent ici. Ces gens sont les membres d’une des familles les plus riches de la région. Je n’ai jamais eu beaucoup d’affinités avec eux, je dois t’avouer. Pourquoi ?

    La réaction négative de Peter m’avait surprise et déstabilisée, et j’ignorais comment lui répondre. Je ne voulais pas le contrarier davantage.

    — Pardonne ma réaction désagréable, s’excusa Peter avant même que je ne puisse forger une réponse acceptable.

    — Mon intention n’est pas de te contrarier. Je veux simplement en apprendre davantage sur moi, sur les gens comme nous. Chaque personne rencontrée sera le morceau d’un immense casse-tête que je tente de reconstituer. Tu comprends, n’est-ce pas ?

    Je voyais dans son regard et dans son langage non verbal qu’il n’approuvait pas ma démarche, mais je ne pouvais envisager d’ignorer délibérément leur existence. Je présumai que de vieilles querelles devaient justifier la retenue qu’éprouvait Peter à leur égard, mais je n’avais pas l’intention de me mêler de ses histoires. Je n’étais qu’à la recherche de réponses et peu m’importait leur provenance. Peter roula jusqu’à l’immense bureau en érable qui meublait une partie du salon, en ouvrit l’un des tiroirs et y prit un petit carnet noir, qu’il déposa sur la table où nous étions assis.

    — Ces gens sont la famille Harrison, et tu trouveras leurs coordonnées dans ce carnet. Ils sont plusieurs générations à vivre avec ce don et ils s’en sortent plutôt bien, d’un point de vue financier. L’aînée de la famille, Lisa, a très bien connu ta grand-mère. Ils voudront sans aucun doute te rencontrer lorsqu’ils apprendront que tu es la petite-fille d’Helen.

    Une vague d’excitation me submergea. J’étais enchantée à l’idée de faire de nouvelles rencontres. Peter mit toutefois un frein à mon enthousiasme galopant.

    — Promets-moi seulement d’être perspicace et de ne pas te laisser impressionner par toute cette abondance.

    — Je te le promets, émis-je, déterminée à ce que rien ni personne ne teinte mon jugement.

    Une fois les mises en garde adressées, je m’occupai de débarrasser la table, faire la vaisselle et tout ranger. Je mis une assiette de crêpes dans le frigo pour Judy et en dépit de mon impatience à rencontrer les Harrison, je choisis de passer le reste de la journée en compagnie de Peter. Je l’avais senti agacé de mon intérêt pour la famille Harrison, alors je décidai de ne pas précipiter cette rencontre pour aujourd’hui. Toutefois, plus la journée passait, plus mon esprit vagabondait sur les possibles raisons qui expliquaient la retenue de mon hôte à l’égard des Harrison. Je ne comprenais pas pourquoi les membres d’une communauté aussi restreinte ne se prêtaient pas main-forte. Un appel à la solidarité m’apparaissait vital…

    Nous passâmes donc l’après-midi ainsi : moi, les deux mains ensevelies dans les plates-bandes négligées du jardin, et Peter, les mains dans la peinture de la clôture qui délimitait la cour arrière de son terrain. Pour sa part, Judy resta cloîtrée dans notre chambre toute la journée, terrassée par d’intenses nausées.

    Alors que je ramassais mes outils de jardin, Peter me fit signe de venir le rejoindre près de la clôture. Il arrêta de peinturer.

    — Est-ce que tu savais que j’avais un fils ? Il se nomme Joshua, lança-t-il sur le ton de la confidence.

    J’étais surprise de cette révélation, car je n’avais pas le souvenir d’avoir aperçu de photos de famille ou de cartes d’anniversaire à la traîne dans la maison. Il était vrai que je n’avais pas arpenté les moindres recoins de la résidence de Peter, mais j’étais presque convaincue de ne pas avoir vu ce type de décoration.

    Je vis de la fierté poindre dans le regard de mon interlocuteur et je sentis qu’il voulait m’en dire davantage. Toutefois, en même temps que j’apercevais cette fierté, il y avait aussi de la tristesse et de la nostalgie dans sa voix. Je ne pus m’empêcher de lui poser quelques questions.

    — Êtes-vous toujours en contact ? Demeure-t-il aussi à San Francisco ?

    — En fait, je n’ai pas de nouvelles de lui depuis plusieurs mois et j’ai cessé de tenir le compte des jours qui se sont écoulés depuis son départ, car ça me rendait complètement fou. Il demeure désormais en Australie et il semble se plaire là-bas. Je sais que tout va bien ; il a désormais une femme et des enfants. Tu sais, Joshua est parti comme Judy et toi, en voyage à la recherche de son identité, et il n’est jamais revenu. Je dois t’avouer que j’aimerais qu’il me visite plus souvent, mais quel intérêt y a-t-il pour lui de venir voir un vieux sénile comme moi ?

    — Mais voyons, ne dis pas des choses pareilles ! Je suis d’accord avec toi, la famille est l’une des choses les plus importantes dans la vie, mais il faut parfois s’en éloigner pour le comprendre, tentai-je maladroitement de le rassurer.

    Une question me brûlait cependant les lèvres et malgré ma timidité, je ne pus la retenir bien longtemps.

    — Et ta femme, où est-elle ? Que lui est-il arrivé ?

    Peter me regarda d’un air entendu comme s’il avait deviné que j’allais lui poser cette question. Il posa son pinceau sur le contenant de peinture et s’essuya les mains avec un chiffon. Devinant que j’allais avoir droit à quelques explications, je m’assis sur la pelouse dans une position confortable et prêtai une oreille attentive à ses propos.

    — Samantha, ma défunte femme, et moi aimions vivre dangereusement. Nous nous sommes mariés malgré notre communauté qui a fortement tenté de nous en dissuader. Nous avons violé une règle de base bien connue.

    — Laquelle ?

    — Tu ne la connais donc pas ? C’est qu’il est fortement déconseillé que deux personnes qui possèdent notre don forment un couple. C’est d’autant plus pertinent si ce couple souhaite un jour avoir des enfants.

    Je ne pouvais croire ce que je venais d’entendre. Jamais Christian ne m’avait parlé de cette règle de base ; pourtant, il aurait dû. Même si je comprenais les fondements de cette recommandation et les dangers qui y étaient associés, je ne pouvais m’empêcher d’être médusée par la nouvelle.

    Je me remémorai les doux moments passés avec Christian : son corps athlétique pressé contre le mien, son regard empreint d’un fougueux désir et ses mains dans mes cheveux. Malgré la douleur que m’avaient occasionnée ces moments, j’en gardais d’agréables souvenirs. Peter continua ses explications.

    — Premièrement, il y a tout le danger des rapprochements. Tu sais comment ça fonctionne, je présume que je ne t’apprends rien. Nous sommes tellement intenses que les risques sont énormes. Deuxièmement, nous ne pouvons avoir d’enfants, c’est beaucoup trop risqué.

    — Mais pourquoi est-ce si risqué ?

    — Les enfants qui ont un père et une mère doués sont surdoués à tous les niveaux. En fait, au lieu de voir leurs aptitudes faire surface à l’âge de la majorité, comme pour toi et moi, ces enfants voient leurs habiletés se manifester dès la naissance. Avant un an, ce n’est pas si grave parce que dans la mesure où leurs besoins primaires sont comblés, les enfants demeurent plutôt sages. Après un an, les choses tendent à se gâter. Les enfants deviennent plus colériques, plus difficiles à satisfaire, ce qui fait en sorte qu’ils vivent davantage d’émotions fortes. Aucun enfant n’a jamais survécu à des crises de colère. S’il y en a, je ne les connais pas.

    Ahurie, je ne pouvais croire ce que je venais d’entendre. Pourquoi n’avais-je jamais entendu parler de ceci avant aujourd’hui ? Mon esprit valsait entre Judy et Sam, et je ne pouvais me résigner à croire que l’enfant de Judy serait destiné à ce triste sort. Ça ne pouvait être réel.

    Peter ne prêta pas attention à ma réaction et continua plutôt son récit.

    — À l’époque, nous avions jugé, Samantha et moi, qu’il serait plus prudent de ne pas avoir d’enfant. Nous ne pouvions nous résigner à perdre un enfant avant même de lui avoir donné la vie. Alors, par l’entremise de gens qui nous étaient semblables, nous avons pris la décision d’adopter un enfant qui possédait les mêmes habiletés que nous. Nous avons élevé Joshua comme notre propre fils.

    Je ne prêtai que peu d’attention aux dernières paroles de Peter. Mon esprit était plutôt accaparé par le risque que représentait la grossesse de Judy. Je doutais fort qu’elle était informée du danger auquel était exposé son enfant. Comment allais-je pouvoir lui faire part de cette situation ? Mon cerveau tentait de retrouver des moments dans les derniers mois où il aurait été question de ce danger, mais aucun souvenir ne me revint. Je ne pouvais me résoudre à croire que Christian n’en était pas informé, lui qui avait voyagé partout. Il m’en aurait parlé.

    Sans ajouter quoi que ce soit, je me levai et allai ramasser mes outils pour occuper mes mains. Mais mon esprit demeura en ébullition. Pour sa part, Peter avait repris le pinceau et recommencé à peindre silencieusement. Avait-il perçu mes craintes et mes inquiétudes ? Savait-il que Judy était en danger ? Je voulais à tout prix éviter qu’il énonce ces règles devant mon amie ; elle en mourrait d’inquiétude.

    J’aurais aimé pouvoir parler à Christian en ce moment. À la simple évocation de son nom, une vague de tristesse me submergea. Mon cœur était davantage brisé que je voulais me l’avouer. Je pensais à lui tous les jours. Sa perte de mémoire avait été un deuil pour moi. La personne de qui j’étais tombée amoureuse n’existait plus. Même s’il était toujours vivant, nos souvenirs avaient migré dans un recoin inaccessible de son esprit. J’avais espéré que de m’éloigner de lui m’aurait permis de faire le vide et peut-être même de l’oublier, mais quelle sotte j’étais ! Je ne pourrais pas l’oublier, car il était le premier, l’inoubliable premier…

    CHAPITRE 2

    Judy

    Jamais je n’avais été aussi malade de toute mon existence. Ma santé ne m’avait jamais fait faux bond jusqu’à maintenant, mais là, la situation devenait de plus en plus intolérable. Depuis l’avènement de ma grossesse, mes nausées étaient si présentes qu’il m’était difficile de vaquer à mes occupations quotidiennes. Je voulais de tout cœur faire ce voyage avec Rose, mais je n’étais plus aussi convaincue que cette décision soit la bonne. Nous n’en étions qu’à notre première escale et déjà, mes nausées m’empêchaient de suivre Rose dans ses activités. Qu’allais-je faire pour toutes les autres escales à venir ?

    Cette grossesse aurait dû se dérouler d’une tout autre façon. Sam aurait dû être là avec moi, comme il l’avait été toutes ces années. Comment en étions-nous arrivés là ? Je n’arrivais pas à comprendre de quelle manière Leila avait pu s’immiscer dans le cœur de mon amoureux et pour le moment, je ne me sentais pas le courage de connaître la vérité. Je préférais me bercer dans mon ignorance.

    Il était tard dans l’après-midi, mais j’étais toujours allongée dans la chambre que je partageais avec Rose chez

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