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Le Poulpe: Vati French cancan
Le Poulpe: Vati French cancan
Le Poulpe: Vati French cancan
Livre électronique150 pages2 heures

Le Poulpe: Vati French cancan

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À propos de ce livre électronique

Il y a quelques années, nous avons entrepris d'écrire une aventure du Poulpe, aux prises avec les hordes nauséabondes de la Manif pour tous. Grands admirateurs du détective anar, il nous semblait que cette résurgence de la droite réactionnaire prenait de plus en plus d'importance, et il nous paraissait important d'en parler, d'une manière ou d'une autre. Nous nous sommes conformés scrupuleusement aux consignes présentées sur le site des éditions Baleine, qui publient la version canon des aventures de Gabriel Lecouveur et leur avons soumis notre manuscrit. S'en sont ensuivi de laborieux échanges à base de manuscrits perdus, de promesses de réponse et de doutes sur l'avenir de la collection. Deux ans après les derniers échanges, et alors que des nouveaux opus du Poupe sont régulièrement publiés, nous en avons conclu que notre proposition devait servir à caler une table de la rue Muller, et qu'elle était jugée plus utile à cette place qu'entre les mains d'un comité de lecture.
Nous mettons donc à disposition gratuitement cette petite aventure "pirate" du Poulpe, parce que nous croyons que c'est ce qu'il aurait choisi de faire...

LangueFrançais
Date de sortie5 déc. 2017
ISBN9780463515334
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    Aperçu du livre

    Le Poulpe - Frédéric Amiel

    Chapitre 1

    Dans les ruelles désertes de l'est du marais, un jeune homme guidait tant bien que mal son ivresse à travers les pavés disjoints. La silhouette élancée, la tête planant loin au-dessus de la ville dans le ciel clair de la capitale, léger sur ses baskets et habité d'une indicible joie de vivre, un léger gilet jeté sur son t-shirt dans le froid mordant de février, c'était Jeannot, retour de soirée, au meilleur de sa forme. Un refrain glané accroché à ses lèvres, il naviguait à vue entre les néons colorés des boutiques et les façades gothiques des hôtels particuliers. À gauche, dans la rue des Francs-bourgeois. C'était une belle soirée, des heures de danses et d'éclats de rire qui vous laissent au creux des tripes la sensation d'avoir su sans mesure profiter de la vie.

    Ce soir (ce matin ?) il rentrait seul, mais qu'à cela ne tienne, il était heureux de profiter de ces quelques heures au cours desquelles la mégalopole abandonne au sommeil son activité schizophrène, de respirer le parfum des rues débarrassées des odeurs de gasoil et d'écouter l'échos de ses pas dans le silence de la nuit froide. Il y avait pourtant de jolis garçon ce soir, mais depuis quelques temps, une passion exclusive dévorait le cœur de Jeannot. Un tourbillon de joie pétillante logé juste derrière son sternum et qui sublimait d'une lumière chatoyante les moindres détails de son quotidien. Ludovic.

    À bientôt 24 ans, Jeannot n'avait jamais été aussi heureux que depuis son arrivée à Paris. Dans son village des Landes, où le prénom de Jean-Noël lui avait valu dès le plus jeune âge des quolibets méprisants, l'annonce de son homosexualité avait plongé son entourage dans des abîmes d'incompréhension. Un jour que, gênée, sa mère avait remis le couvert, tentant maladroitement de renouer le contact avec un fils qui lui échappait, il avait subi la mort dans l'âme l'interrogatoire le plus humiliant de sa vie : Est-ce qu'on ne pouvait pas faire quelque chose pour l'aider ? Et est-ce qu'il ne s'intéressait pas aux filles, même un tout petit peu ? Et est-ce qu'il ne voulait pas consulter l'oncle psychiatre qui était très compréhensif et qui serait certainement disposé à l'écouter ? Sa génitrice, petite et fine, la permanente teinte de reflets carmins, avançait sur la table une main blanchie par les travaux ménagers dans une tentative maladroite pour saisir celle de son fils. Un geste qu'elle croyait rassurant et qui n'était que condescendant. Jeannot, lui, gardait le silence et les mains résolument sous la table. Quand vint la question fatidique : « Et est-ce que tu ne voudrais pas essayer, un tout petit peu, de ne pas être homosexuel ? ». Un coup d'œil à son père avait suffi : assis au bout de la table, la face rubiconde, légèrement penché au-dessus de son assiette, il regardait son fils avec le visage que devait avoir son grand-père en contemplant le premier africain débarqué dans ce coin paumé, un reste de fond de soupe allongé de vin rouge pendait à la commissure de sa bouche béante. La teneur de la discussion semblait totalement hors de portée de son entendement. À la seconde même, Jeannot avait décidé de monter à Paris. Humiliante, cette conversation l'était plus qu'on ne peut le dire. On n'est jamais fier de découvrir que ses parents sont d'une stupidité crasse.

    À droite, pour traverser la place des Vosges. En marchant devant les arcades, Jeannot leva les yeux vers le ciel sans étoiles, et distingua dans les vapeurs de nuage le visage de son amant. Un sentiment de joie lui monta du creux des reins pour envelopper son torse et ses épaules d'une chaleur réconfortante. C'est alors, en baissant les yeux, qu'il aperçut pour la première fois le groupe de silhouettes noires qui passaient la barrière du jardin public pour se diriger vers la rue de Birague.

    Jeannot rentra la tête dans les épaules et réprima un frisson. Il accéléra le pas et, longeant toujours les colonnes de la place, se dirigea vers le porche sous lequel avaient disparus les silhouettes. La soudaine irruption de ces formes de vie avait brisé le charme de la nuit, et il avait maintenant hâte de rejoindre son studio à Bastille. À droite sous le porche de la rue de Birague.

    « Hè la tarlouze ! »

    C'était un groupe de quatre personnes. Sûrement ceux qu'il avait aperçu sortant du square. Ils se tenaient sur le trottoir entre lui et la rue Saint Antoine. Grands, le crâne rasé, engoncés dans des blousons sombres, ils le regardaient venir l'air goguenard. Serrer les dents, regarder droit devant et avancer sans changer d'allure. Comme d'habitude.

    Quand il fut arrivé à deux mètres du groupe, le plus grand des quatre fit un pas vers lui :

    « Hè ! J'te cause », l'interpella-t-il. « Mais c'est pas vrai ? Il nous ignore ! ». Jeannot continuait d'avancer. Il dépasse le groupe. Il est passé.

    À cet instant un coup violent à la poitrine le stoppe net dans son élan. Un petit râblé s'est détaché du groupe et viens de l'intercepter d'une seule détente de son avant-bras. « On t'a causé princesse ! » dit ce dernier d'une voix nasillarde. « On t'a pas appris la politesse ? C'est pas croyable ce que les pédés peuvent se sentir supérieurs ». Jeannot commençait à paniquer, il regarda son agresseur et détailla son sourire édenté, une légère balafre sous l'oeil gauche, et un tatouage en lettres gothiques sur un cou impressionnant.

    « Qu'est-ce que t'as à reluquer mon pote ? Y te plait ? » Repris le plus grand de la bande que les trois autres considéraient avec respect. Le chef de meute.

    - Ecoutez les gars, laissez-moi passer, je veux pas de problèmes, répondit Jeannot d'une voix qu'il croyait assurée.

    - Ah tu veux pas de problèmes ? C'est mignon. Mais on te demande pas ton avis ma grande. Toi et tes petits copains vous croyez que vous pouvez venir vous enfiler pénard dans les arrières salles et qu'on va pas réagir ? Mais c'est chez nous ici. On va pas vous regarder souiller tout le quartier avec vos pratiques décadentes sans rien faire.

    Maintenant Jeannot était complètement paniqué. Il ne pensait qu'à une chose : fuir. Mais déjà les deux muets du groupe s'étaient placés derrières lui et l'avaient attrapé par les épaules. Subrepticement, les quatre skinheads l'entrainaient sous une porte cochère, dans un coin sombre.

    - N'aie pas peur fit le petit tatoué d'une voix qui faisait froid dans le dos. On n'en veut pas à tes fesses, on mange pas de ce pain-là.

    - Ouais, repris l'un des muets en gloussant. Au contraire, on serait plutôt le genre à garder nos bonnes grâces pour les frangines. Mais j'ai un petit copain qui veut te dire bonsoir. T'en as déjà vu une aussi grosse ?

    Et disant cela, il ouvrit son blouson pour révéler un immense tonfa noir et luisant. La matraque réglementaire des CRS et des gendarmes mobiles.

    - Pourquoi vous faites ça les mecs ? Parvint à articuler Jeannot.

    - Parce qu'on est des vrais mecs justement, répondit le grand tondu en s'approchant de son visage. Et qu'on prend nos responsabilités. On en a marre de vous voir trainer dans le coin, arpenter le quartier avec vos airs de dépravés et transformer ce qui reste de notre civilisation en baisodrome pour sodomites.

    Les trois autres firent échos à ce trait boiteux avec un rire de hyènes hystériques.

    - Vous autres, vous vous croyez tout permis, continua-t-il. Les politicards vous couvrent alors vous croyez qu'on va se laisser faire sans rien dire. Mais j'en ai ma claque. Je veux plus de tantouzes qui matent le cul des mômes dans le square, qui font des œillades aux ados, et dont tout le monde applaudit la dégénérescence comme si c'était un courage inouï. Je nettoie, je rétablis la morale, et je protège mon pays !

    Ce que disant le tondu, il lui décochât un monumental coup de poing dans l'estomac. Jeannot sentit sa rate éclater. L'agresseur devait porter un poing américain. Il se plia en deux, les bras serrés sur l'abdomen, et à l'instant, reçu une volée de tonfa en travers du dos. Tombé sur les genoux, il eu le réflexe de se recroqueviller au sol en protégeant tant bien que mal son visage. Imperméable aux coups qui pleuvaient sur lui, il eut une pensée pour Ludovic, tandis qu'un ultime élan d'amour irradiait son corps meurtri. Puis la chaleur disparue, Jean-Noël baignait de larmes sa honte de l'humanité. Il se mit à neiger.

    Chapitre 2

    Une fois de plus, la réaction soulevait son corps noir en un sursaut étique, et vomissait à la face du monde des imprécations qu'un vent putride de complaisance portait à travers le pays. Les fascistes, conservateurs et moralistes de tout poil, les catholiques intégristes et les nazillons néo-païens, les nationalistes, traditionalistes et européanistes, les royalistes, les pères-la-morale et les mères-la-pudeur, s'étaient trouvés un étendard commun. On n'avait pas vu ça depuis l'Algérie française. Quand le nouveau gouvernement socialiste avait décidé d'ouvrir aux couples homosexuels la possibilité de se marier et d'adopter des enfants, toute cette poussière s'était remuée, et les avenues de l'ouest bourgeois de la capitale s'étaient couvertes d'une foule hystérique et braillarde. La droite, comme en 1984, descendait dans la rue pour lutter jusqu'à son dernier souffle contre l'égalité et la justice sociale. Emportés par cette fièvre de l'ordre ancien, les hordes contre-révolutionnaires allaient jusqu'à parler de révolution (mais où allaient-ils chercher tout ça ?). Et ce qu'il y avait de dramatique, c'est que ce combat d'arrière-garde avait fédéré des forces qui depuis des années s’abîmaient dans des luttes intestines. Plus encore, cette vitrine médiatique avait ouvert les colonnes de la presse et les plateaux télé aux porte-paroles bégayants de ces militants rétrogrades et l'on voyait fleurir partout des discours de plus en plus fascisants. Le pire c'était que, ignorance ou manipulation, les tribuns de la réaction mobilisaient sans scrupules les figures historiques de la lutte contre l'obscurantisme : Jaurès, Gandhi et La Boétie furent régulièrement violés en public par des bigots et des bigotes que l'honnêteté eu du pousser à admettre leur parenté d'idées avec Boulanger, Maurras et Drieu la Rochelle. C'était à vomir.

    Gabriel Lecouvreur, dit le Poulpe, ruminait ces sombres pensées, attablé devant son café quotidien à l'enseigne du Pied de porc à la Sainte-Scolasse. Gerard, à son habitude, furetait tout autour. Il reconnaissait cette impatience chez son client, et savait que le Poulpe ne tarderait pas à s'ouvrir des pensées qui l'habitaient. Mais il savait aussi qu'il ne fallait pas le brusquer et prenait son mal en patience. Leon, le chien boiteux du bistrot, percevait également une agitation inhabituelle dans la grande carcasse dont les mains, emmanchées de longs bras souples, étaient d'habitude si promptes à la caresse. Moins patient que son maître, le vieux berger allemand, en désespoir de cause, vint poser une gueule baveuse sur les genoux du penseur. Répondant machinalement à cette sollicitation, le Poulpe replia son journal pour mieux flatter l'animal, le posa sur la table, et éclata enfin : « Putain d'enculés de fascistes de merde ! », rugit-il entre ses dents. Puis il porta à ses lèvres sa tasse de café froid et la reposa avec une moue de dégoût. Gérard saisit cette opportunité pour engager la conversation. Il fit couler un nouveau café, et

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