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Au fond du vert
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Livre électronique279 pages3 heures

Au fond du vert

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À propos de ce livre électronique

Suite de « L’hôte trouble ». Les faits d’hiver sont passés. Ne nous mentons pas ! « Mal passés ». Il y a eu de la viande froide au menu dans le « Nageville » italien. Mais la vie continue… Et pour sortir de cet engrenage qui menace de broyer des vies et des destins, il n’y a d’autre solution que d’entrer dans le cerveau racine de l’Organisation mafieuse. En cela on peut faire confiance à Cyril, comparable au DOS(( (Disk Operating System) pour une manip qui va pourrir ce système d’exploitation. Mais sera-ce suffisant ?
LangueFrançais
Date de sortie20 déc. 2013
ISBN9782312019611
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    Aperçu du livre

    Au fond du vert - Éric Oderen

    cover.jpg

    Au fond du vert

    Eric Oderen

    Au fond du vert

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    Il y a sur cette terre des fléaux et des victimes,

    et il faut, autant qu’il est possible,

    refuser d’être avec le fléau.

    CAMUS – La peste

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01961-1

    Avant-propos

    Mayaotho. Amérique du Sud.

    Ville sans Histoire. Ville nouvelle, giclant de terre comme un geyser de gaz qu’elle recouvrait. Son cœur battait au rythme des chantiers. Devant les murs polychromes des maisons attendaient des grappes de jeunes désoeuvrés. D’autres, assis dans des encoignures, sniffaient quelques sachets de colle ou inhalaient des fumées de résidus d’héroïne dans des bouteilles en matière plastique. Les plus jeunes tendaient la main aux passants.

    – Por gentileza ! Comer. » (« S’il vous plait ! Manger. »)

    Quant aux vieux, appuyés contre de vieilles guimbardes rouge vermeille ou jaune tournesol, ils suivaient machinalement le va et vient des camions de chantier, sans même plus prêter attention à la poussière qu’ils leur envoyaient. Leur misère n’intéressait personne. Excepté les touristes qui saisissaient au passage leur image à travers les vitres d’autocars rutilants. Car les premiers touristes arrivaient. Un nouveau genre : « touristes de guerre ». Ils arrivaient, parfois en couple, dans des voitures de luxe, ou alors en voyages organisés.

    – C’est devenu le « Main Street » de Las Vegas, commenta Laurent Portal en désignant du menton l’avenue encombrée de voitures. Les pauvres en plus. Mais le principal n’est pas l’avenue des jeux. La plupart des mecs trouvent du plaisir pour moins cher que les casinos. Dans des boites de nuit avec des gogo danseuses ou dans les bars « montants » avec des filles qui peuvent avoir douze ans.

    – Je suis anéanti. Je n’arrive pas à croire qu’en un an la ville se soit autant dégradée. Ça pue le crime et la douleur.

    – Elle ne s’est pas dégradée. Elle a tout simplement grandi.

    Rony Diez de Vegas avançait, épaule contre épaule, avec son guide.

    – La dernière fois que je suis passé dans ce quartier, il n’y avait que des immeubles en construction et quelques magasins.

    – La mafia n’était pas encore installée.

    Cabarets, bars, salles de jeux se succédaient dans leur progression. Là-bas : un casino en construction. A côté : un centre commercial, un « Golden Nuggets », un « Las Vegas Club ».

    Arrivé de Paris deux jours plus tôt, mercredi 27 juin, Rony découvrait une nouvelle jungle. Après dix mois de « Master1-Analyste risques de marché », il avait accepté de replonger dans ce pays et ses eaux boueuses en acceptant le titre de « Associé indéfiniment responsable et directeur de la banque Diez de Vegas. »

    Contre vents et marées.

    Les pressions étaient venues du directoire de la banque dans un souci de stabilité. Il était hors de question de perdre la confiance des grands clients en laissant croire, qu’après la disparition du fondateur engagé dans cette réussite financière, la banque éponyme passe en mode « survie ». Le nom « Diez de Vegas » était attaché à un engagement pour la réussite financière et de la banque et de ses clients.

    Dans cette lignée –et devant le refus catégorique de la fille de Fabio le prendre les rênes- « Ça va pas la tête ? » ne restait plus que Rony Diez de Vegas. « La bonne personne à la bonne place » puisqu’il finissait ses études d’analyste financier.

    – Juste quelques mois. Le temps que se tienne l’A. G. E. (l’Assemblée Générale Extraordinaire) prévue au mois de novembre, lui avait assuré le fondé de pouvoir.

    Une fois sorti de ce bureau directorial, Rony s’était pris la tête dans les mains et avait marché comme un automate pour regagner les ascenseurs. Le fait de s’installer, ne serait-ce que pour quelques mois, dans ce nid de guêpes, passait au second plan. Mais ce fut l’annonce de cet événement six mois plus tôt par Cyril qui le bluffait le plus. Comment ce gars avait-il pu prédire ce qui allait lui arriver avec une telle assurance aussi longtemps à l’avance ?

    Première partie

    Chapitre 1

    1

    Pour l’heure, 10 heures 50, Rony avançait à travers le « sul bairro ». Quartier populaire sud.

    – Tu verras, c’est chaud, avait prévenu Laurent. Terrain miné.

    Vrai. Ici il n’y avait pas encore de règles établies. Mais on flairait bien que les affaires se mettaient en place. Croisant quelques caïds, ils se sentirent soupesés, accrochés du regard, comme dans une prison invisible. Et pour cause ! Si à Paris leurs aspects eussent été des plus ordinaires, sur ces trottoirs leur allure à tous deux les faisait ressembler à deux touristes friqués, leur démarche à deux dragueurs, leur façon de visiter à deux proxénètes.

    Laurent portait, comme à l’habitude, sa veste légère sur un pantalon blanc ; la visière de sa casquette en cuir « Stetson » protégeait son regard du soleil. Un polo blanc sans marque, un bermuda jaune paille habillaient Rony. Une paire de lunettes « Roberto Cavalli » chevauchait son nez.

    – On dirait Robert de Niro dans « Casino » avec tes hublots, lui avait fait remarqué Laurent.

    – Normal ! Je les ai trouvés dans sa poubelle.

    – Là, c’est carrément une usurpation d’identité.

    D’un coup de coude, Laurent poussa Rony vers une vitrine racoleuse. Celle du « Shabada ».

    – Avant de se faire tondre au casino, les mâles viennent se faire patiner dans ce genre de bergerie.

    Ils poussèrent la porte du bar décoré façon « saloon ». Pénombre. Lumières tamisées. Deux filles dressées sur deux tabourets les accueillirent avec des sourires cajoleurs. Elles n’avaient pas seize ans. Rony retira ses lunettes. Laurent retira son chapeau. Il accosta les jeunes hôtesses.

    – Can we invite you to drink an aperitif ? {1}

    Deux rires juvéniles lui répondirent.

    Le saloon était vide de clients. Ils s’écartèrent tout de même du comptoir. Les filles se déplacèrent sur des chaussures à hauts talons vers quatre fauteuils entourant une table en bambou. Poitrines et boumboum{2} trop rebondis. Elles avaient visiblement déjà profité de la chirurgie esthétique brésilienne. Elles s’assirent l’une à côté de l’autre. Grands yeux noirs, lèvres fluo, short et Tee-shirt d’une taille trop juste, elles avaient été relookées « Californie ». Un lissage chimique des cheveux avait permis une coupe au bol avec frange sur le front. Seul le côté face du Tee-shirt arborait une pointe de personnalisation. « Why ? » interrogeait l’un.

    – I’m Juanita.

    Pendant qu’un petit chat blanc dormait sur un croissant de lune bleue sur le second maillot.

    – My name’s Stormy.

    Dans le prolongement des « petits hauts », les jupes-shorts allongeaient encore plus leurs fines jambes d’adolescentes.

    Sans que personne n’ait rien demandé, entra un jeune Indien. Il portait une chemisette noire sur un pantalon blanc et un plateau de boissons. Il s’inclina sans rien dire et déposa sur la table deux « Coca » et deux cocktails de jus de fruits. Le temps de siroter quelques gorgées et Laurent entama la discussion sans préambule.

    – Conte-nos sobre si mesmo ! Parlez-nous de vous, traduisit-il pour Rony.

    Naturellement, il s’attendait à la réaction des deux filles : un regard complice entre elles et un fou rire. Mais cela ne le désarma pas. Il répondit par un air amusé.

    – Is your life so fun ? {3}

    Le silence qui suivit prouva que non.

    L’expression de leurs deux visages changea. Elles se saisirent chacune de leur verre et sirotèrent leur « Coca » en observant ces deux clients.

    Après un temps d’observation Stormy affirma :

    – Policia !

    Laurent rejeta d’un signe de tête.

    – Nós precisamos de você. Ajudar as outras meninas que gostariam de devolver home. (Nous avons besoin de vous. Pour aider d’autres filles à retourner chez elles).

    Laurent avait appris cette phrase le matin même. Sans doute, les termes n’étaient peut-être pas tout à fait exacts, mais le sens y était. D’ailleurs, quelques uns de ces mots-clés ouvrirent des portes pour que d’autres passent par la cave et arrivent à la lumière. Comme à chaque fois.

    Stormy ouvrit grand les yeux et souscrit en agitant la tête.

    – Minha família está em Fortaleza ! {4}

    Juanita fut prise d’une forte émotion. Laurent étendit les mains en signe d’apaisement.

    – It will take time but we will get there. (Cela prendra du temps mais nous y arriverons).

    Le regard des filles se perdit dans le vide. Que leur arrivait-il ? Un coin de brouillard se levait sur leur vie ? Un étranger prenait une décision qu’elles n’étaient plus capables de prendre ? La brume mouilla les yeux de Juanita.

    – You are friend with the priest Cristiano ? {5} demanda-t-elle.

    Laurent ne répondit pas. Le doute lui était profitable. Il sortit discrètement deux billets de cent dollars américains qu’il tendit à chacune des deux jeunes entraîneuses.

    – Pour vous ! dit-il à voix basse en français.

    – What ? Vous Français ? s’exclama « Why ? »

    L’annonce de la nationalité escamota l’effet Franklin.

    – Yes ! You’re French ! enchaîna Stormy ragaillardie.

    – C’est la première fois que vous rencontrez des Français ?

    Elles ne comprirent pas ces mots mais leurs visages se firent graves. Laurent jeta un coup d’oeil à son voisin. Rony sourit. Dans quel pays n’avait-il pas rencontré « l’envie de France » ? L’Amérique du Sud ne faisait pas exception.

    Le barman revint derrière le comptoir. Les filles se sentirent observées. Elles reprirent leur air aguicheur. Leurs rêves s’en furent. Finie aussi la discussion en tête à tête.

    Peu importe ! Laurent n’était venu ce matin que pour une prise de contact. Une première dans cette boite. Peut-être la vingtième depuis le lancement de leur projet avec Cyril.

    – Nous reviendrons vous voir, assura-t-il en se levant. We’ll return to see you.

    Rony l’imita. Les deux adolescentes restèrent assises, silencieuses. Elles s’agrippèrent du regard sur ces passagers d’un autre monde. Quelque chose venait de se produire dans leur vie et les désarçonnait, les remuait au fond de leur âme. Des mains se tendaient.

    D’un signe de l’index, Laurent les rassura.

    – Bye, bye ! Adeus.

    Dans leur dos, Rony et lui entendirent « Aou revidg ». Un» Au-revoir » en français, déformé par l’accent portugais.

    – Merci ! répondirent-ils d’une même voix en leur souriant.

    Lorsqu’ils franchirent le pas de la porte pour retrouver la lumière solaire, Laurent remit son chapeau. Sans un coup d’oeil vers Rony, il ponctua l’épisode :

    – Nous arrivons au terme de la phase 1. Le maillage. J’ai commencé il y a deux mois.

    Depuis leur entrée dans le bar, Rony n’avait pas pipé. Il avait observé, en ce sens, le conseil de Laurent : « Ne dis rien et chouff ! ».

    2

    L’heure de midi approchant, ils se rendirent dans une pizzéria où Cyril les attendait pour déjeuner. Il avait réservé une table à l’écart, dans un coin de jardin, sous un large parasasol.

    Vingt minutes plus tard, on servit à l’équipe L. C. R. une méga pizza brésilienne recouverte de viande hachée, merguez et oeufs.

    Une fois la montagne engloutie, Cyril jeta un regard panoramique pour s’assurer de leur tranquillité, fit glisser assiette et couverts sur sa droite et, croisant les bras, se pencha vers Rony. D’un signe de tête, il lui fit signe de se rappocher.

    – En janvier, on t’a parlé d’un futur qui avait de grandes chances de se réaliser. Aujourd’hui, l’indice de risque ne se calcul plus. Il est immédiat. Voilà pourquoi dès ton arrivée à l’aéroport tu as été pris en compte par l’agence américaine « Armor and Arrow »{6} qui assure aussi la protection de ta villa nuit et jour.

    Rony but une gorgée de bière et acquiesça, attendant la suite.

    – Ce que je vais te dire, maintenenant, est le fruit de six mois d’investigation avec Laurent. Par Internet, nous nous sommes infiltrés dans les cuisines du « C. F. E. » C’est le « Centre de formalités des entreprises ». On a repris toutes les demandes de création de société et fouillé leurs dossiers. Il en ressort deux risques majeurs. Le premier s’appelle Gaboronne. Le clan a pris son essor à Naples. Ici, il chapeaute déjà deux sociétés de prêts et de rachats de crédits. Les fonds proviennent de la grande distribution parce que les Gaboronne possèdent aussi deux enseignes de supermarchés. Leurs clients, de gré ou de force, sont les commerçants ou les moyennes entreprises, qui veulent s’installer dans le Maranthao.

    Il fit le geste de prendre une photographie.

    – Clic ! Voici pour la photo de famille. C’est pas tout. Maintenant tu fermes les yeux et tu imagines un repas au « Magic Castle », le restau le plus huppé de Mayaotho. Dans un salon privé, sont reçus les cinq principaux chefs de service de la banque « Diez de Vegas ». Oh ! Rien de méchant. Juste une prise de contact, le genre repas de bonne entente. L’essentiel était juste dans une petite phrase, un toast porté par un spécialiste du chantage : « Il peut toujours y avoir des arrangements entre amis ». Autrement dit : « Je commence à contrôler le territoire ». Autrement dit : « C’est moi qui deviens ton principal interlocuteur ».

    Mains jointes devant la bouche, Rony vit alors le visage de Cyril se contracter

    Enfin, au cas où le message n’aurait pas été assez clair, le plus vieux des Gaboronne a pris par l’épaule le gestionnaire du back office, qui, tu le sais, est surtout chargé d’identifier et gérer les imprévus et lui a glissé avec son accent parmesan : « Mon animal symbole est la mante religieuse. » Sourire. Tape sur l’épaule. Point final.

    Durant ce rapide exposé, Laurent n’avait pas quitté Rony des yeux. Il profita de l’interruption pour souligner ce qui lui tenait particulièrement à cœur.

    – Tu commences à capter ? Soit la « Diez de Vegas » s’aplatit. Soit les Gaboronne arrachent le morceau. Ils sont bien sûr au courant qu’il manque une tête à la banque.

    – De toute façon, ironisa Cyril avec un geste d’impuissance de la main, même s’il y avait un lion au sommet ils n’en n’ont rien à foutre. Ils travaillent selon la méthode russe.

    – La pensée positive : « Si on pense alors on peut ».

    – C’est quoi cette méthode russe ?

    – La force tranquille. Je vais te donner un exemple. Une histoire qui remonte au début des années « 2000 » mais qui n’a rien perdu de son éclat. Un entrepreneur canadien s’était allié avec « Aeroflot »{7} pour construire un grand hôtel au centre de Moscou. L’hôtel à peine ouvert, il a vu un matin tout son personnel évacué par des types en armes. La mafia russe venait de s’approprier son établissement. Protestations, promesses, provoque, procès… Rien à faire. Mon pote tu retournes d’où tu viens. À pied ou allongé.

    – Et en dehors des Gaboronne ?

    – Là tu vas être surpris. Ce sont presque des amis. (Cyril se reprit.) Allez ! Disons des connaissances. Matthew Charton ! Le nom te parle ?

    – Charton ?!? sourcilla Rony.

    – En chair et en os ! Celui-là même qu’on a baladé dans le bois de Vincennes le lendemain de la Saint-Sylvestre. Sur lui on a appris deux choses. Tout d’abord, en tant qu’ancien gardien de but en hockey sur glace, il paye de sa personne et ne fait surtout confiance qu’à lui-même. Raison pour laquelle il a voulu voir crever ton grand-père en direct. Et surtout : il est le cerveau d’un clan canadien qui vient de relever un gigantesque défi, un plan « pha-ra-o-ni-que » qui peut leur rapporter des milliards de dollars.

    – Du genre ?

    Cyril regarda Laurent d’un air entendu. Ils semblèrent se comprendre et attendirent quelques secondes avant de répondre.

    – On ne te dit rien pour l’instant parce qu’il vaut mieux que tu vois de tes yeux. C’est trop énorme.

    – Ce sera le pousse café, ajouta Laurent en prenant son verre de bière.

    Assommé, dérouté, muet, Rony considéra ses partenaires en se grattant la tête.

    – Tu ne nous en veux pas d’avoir eu raison trop tôt ?

    – Non.

    Ce « non » avait été à peine pensé. Rony était déjà ailleurs. Il s’adressa à Laurent.

    – Et la visite au bar à hôtesses, ce matin ?

    – Le territoire est devenu très dur. Il y a des gamines qui ont été abusées avec des promesses que leur ont faites des personnes en qui elles avaient confiance. Des maquerelles sous des allures de bonnes mères de famille qui habitent dans leurs propres villages. Aujourd’hui, les filles ne demandent qu’à y retourner. Ne serait-ce que pour foutre une branlée à ces taulières. Mais bien sûr, c’est impossible si on ne les aide pas. On a la possibilité de faire un geste pour quelques-unes.

    – Pas toutes, hélas !

    Laurent vida son verre de bière. Cyril héla la serveuse. Rony se mordillait les lèvres. Son mutisme révélait sa consternation. Machinalement il avait porté son regard sur une table occupée par une famille avec deux enfants en train de plaisanter. Ces gens d’apparence simple étaient insouciants. Il les envia. Dans sa vie de luxe, lui vivait les plaisirs. Eux connaissaient le bonheur.

    – Ça fait flipper, hein ? demanda Cyril en le tirant de son illusion. C’est dur à croire quand on n’a pas encore d’adresse dans le pays ! Le problème majeur, c’est qu’on n’est pas dans un pays ici. On est dans une zone de guerre où la culture première est le risque. Il y a un gouvernement mais il protège d’abord les riches et les mafieux. Tu comprendras mieux plus tard.

    – Bon, ça va. Crache la ta Valda maintenant. Qu’est-ce que tu veux me montrer sur tes Canadiens ?

    Cyril se pencha par-dessus la table pour chuchoter à l’oreille de Rony.

    – Un beau mille-feuille. Le résultat de millions de dollars récupérés par le biais des marchés publics frauduleux à Montréal.

    Voyant la serveuse arriver avec les cartes des desserts sous le bras, il n’en dit pas plus.

    – Mais outro ? {8} plaisanta-t-elle.

    – Eu gostaria um javali moment, {9} répondit du tac au tac Laurent.

    Elle distribua les propositions de desserts en riant et desservit. Laurent et Cyril consultèrent. Rony tint la sienne fermée, droite devant lui. Il regardait ses deux compagnons avec le recul que six mois de vie estudiantine lui avaient accordé.

    – Tu ne prends rien ? questionna Laurent au bout d’une minute.

    – Juste un café, merci.

    – Tu réalises qu’il va falloir t’appeler « Môsieur le Directeur » ? fit remarquer Cyril en reposant sa carte.

    – Arrête ce délire. Je ne suis que membre du directoire.

    – De la direction opérationnelle, nuance ! protesta Laurent.

    – Ce qui ne change rien. Jusqu’en automne, la banque est dirigée par un administrateur provisoire.

    – « Sir Evans Crowford, directeur de transition du Boston Consulting Group{10}. Cinquante-deux ans. Divorcé. » On connaît, admit Laurent. Ce type va gérer le tout-venant et te refiler les embrouilles lorsque tu passeras héritier et majoritaire. Et plus tu auras de pouvoir et plus tu auras d’ennemis.

    Rony jeta un rapide coup d’œil aux alentours et se rapprocha de ses deux compagnons.

    – D’accord, vous avez raison. Vous m’aviez prédit mon retour et la place que j’occupe. O.K. ! Je suis là. Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Que j’appelle la police ?

    L’allusion fit sourire.

    – Attends Ron ! Qu’est-ce qu’on dit ? On ne te demande pas de rejouer TA vie, riposta Cyril. Ni même du pognon ! On a

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