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Vérita
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Livre électronique326 pages4 heures

Vérita

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À propos de ce livre électronique

L’intrigue a pour centre névralgique le quartier de Berlose, sur les rives du lac Léman, habité par une communauté huppée et richissime avec comme point de chute Monaco, évidemment. La vie quotidienne n’est pas simple à Belrose, entre relations adultérines, égotismes de fortunes rapides et douteuses, mensonges de tous ordres. C’est un quartier où les faux-semblants et les jeux de dupes règnent en maître.
Tout aurait très bien pu continuer ainsi si une série de meurtres mystérieux concomitants au divorce couteux d’un des leurs, l’oligarque Yuri Karatov, roi de l’acier russe, n’avait perturbé la vie tranquille de ces happy-few.
L’argent, la finance, l’art se télescopent alors lorsqu’un lot exceptionnel d’un peintre célèbre arrive sur le marché. On voit l’oligarque, les découvreurs de l’œuvre, et les commissaires-priseurs monter des coups tordus et se disputer l’œuvre avec âpreté.
Tout ce beau monde est manipulé par un personnage énigmatique et d’une habileté redoutable ayant pour pseudo Vérita…

À PROPOS DE L'AUTEUR


Actionnaire et dirigeant d’une banque suisse, Karel Gaultier est un témoin averti du monde de la finance qui met son expérience au service des grandes fortunes.
Son premier roman Zalbac Brothers, se passe dans une banque d’affaires à New-York et a été publié chez Albin Michel ; en 2019 Les Editions Slatkine & Compagnie ont publié Jackson Hole, décrivant l’entrelacs des influences entre la finance et la politique.
Vérita, son dernier roman, nous plonge dans l’univers trouble et superficiel du marché de l’art et fait ressortir la connivence de certains acteurs pour transformer le faux en vrai et en tirer profit.


LangueFrançais
Date de sortie14 juin 2022
ISBN9782832111574
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    Aperçu du livre

    Vérita - Karel Gaultier

    I

    Le soleil d’été plongeait dans la Méditerranée. Sa luminosité ocre nimbait le pont du yacht d’éclats orangés aussi intenses que le bronzage de Marina, la fascinante Vénézuélienne qui œuvrait de façon lente mais experte sur le sexe de Stallone. Son attribut était un cadeau du ciel dont il avait su faire le meilleur des usages, l’offrant sans hésitation quel qu’en soit le bénéficiaire. « Si ce n’est pas le paradis, cela y ressemble », pensa-t-il : chaleur, brise marine et une déesse tropicale qui prenait soin de lui.

    Le tintement de son téléphone le tira de sa rêverie. Il attrapa avec nonchalance l’appareil et découvrit un post du patron et de sa fille, rugissant de joie en maillots rouges. Les Ours d’Ekaterinbourg avaient battu le Sporting de Monaco, les invités seraient survoltés. Il repoussa avec tendresse la tête de Marina et remit son string.

    – Le match est fini, ça va commencer pour nous. Viens vite, on doit se préparer.

    Amarré à bout de quai, le yacht « Уральская метель », (Blizzard de l’Oural), levait rarement l’ancre. C’était le domicile, le refuge, la garçonnière – ou plutôt le lupanar – de Youri Karatov, tout-puissant oligarque russe et principal employeur de Stallone. Celui-ci décrocha un petit miroir rond et lança un clin d’œil satisfait à son teint doré, son épaisse chevelure frisée, son œil noir de jais sous de longs cils. Personne ne lui donnerait 49 ans, il en faisait dix de moins. Il en était tellement persuadé qu’il en embrassa la glace et lui déclara : « Ti amo ! » Puis il plaqua le miroir sur une desserte, sortit un sachet de sa chemise et étala deux longues lignes de cocaïne sur la surface réfléchissante avant de tendre le miroir à Marina qui, toujours seins nus, sortit un billet de 100 euros, le roula d’une main agile et aspira de bout en bout l’une des lignes avant de se cambrer en rejetant sa chevelure en arrière.

    – Ecco Marina, tu es ma déesse !

    Stallone sniffa l’autre ligne, une moitié dans la narine gauche, l’autre dans la droite. L’Italien ferma les yeux et poussa un rugissement en agitant sa crinière. Il releva un peu le miroir et ajusta la casquette de capitaine posée à proximité.

    – Regarde-nous, Marina. Elle est pas belle la vie ?

    La métisse lui mordilla le cou et referma sa main sur le string de Stallone.

    – Le show va commencer dans peu de temps, dit Stallone.

    – Aurais-tu un autre paquet ?

    – Pour toi toujours.

    Avec un geste de prestidigitateur, il sortit un autre sachet de poudre et l’agita devant les yeux de Marina, qui l’attrapa au vol.

    – Garde le billet. Je descends rejoindre les autres.

    Stallone vérifia son déguisement. Ce soir, il serait le commandant du Yacht dell’Amore, servi par un équipage d’escortes triées sur le volet, les meilleures de son carnet d’adresses. Il enfila le faux pantalon d’uniforme, un modèle pour chippendale avec des scratchs s’arrachant en un seul geste, boutonna la veste, vérifia son stock de cocaïne et glissa son téléphone dans l’autre poche. Les portables des invités de ces soirées très spéciales étaient toujours déposés à l’entrée, mais personne n’aurait l’idée de lui demander de sien, encore moins de fouiller le « capitaine ». Le bouton de la poche était transparent et directement relié à l’objectif de la caméra de son portable. Une simple pression et les partouzeurs seraient immortalisés à leur insu. Les photos seraient vendues à un vieil obsédé qui l’avait contacté et payait bien. Stallone avait besoin d’argent, donc quand un bienfaiteur lui tombait du ciel, il acceptait de bon cœur. Un dernier sourire à son reflet et il dévala l’escalier en colimaçon.

    – Les filles, attenzione ! Je suis votre capitaine ! Revue !

    Une vingtaine de très jeunes et belles femmes s’alignèrent en file indienne. Elles étaient originaires d’Afrique, d’Asie, d’Europe ou des Amériques, Stallone les avait choisies pour contenter tous les goûts. Leur accoutrement affriolant était, selon ses critères, très sexy afin de harponner vite et bien les convives. Martial, voire théâtral, il inspecta chaque fille, mains croisées derrière le dos et l’œil acéré.

    – Molto bene. Vous êtes toutes des déesses ! Ce soir, c’est l’anniversaire du patron, je vous veux parfaites jusqu’au petit matin. Cela doit être la plus belle soirée de sa vie. Cependant, n’oubliez pas : « Chi va piano va sano. » Vous les excitez au cocktail, les rendez fous au dîner, mais aucun abandon avant le digestif. À ce moment-là, et à ce moment-là seulement, vous lâchez tout. Personne n’arrête tant qu’ils n’ont pas tous rendu les armes. Y compris le patron. Capiche ?

    Les filles acquiescèrent. Elles avaient entre 20 et 30 ans, expérimentées dans ce genre de fêtes partout sur la planète, des mondialistes du plaisir prêtes à satisfaire les fantaisies de ceux qui les payaient cher. Cette nuit, elles gagneraient cinq fois plus qu’à l’habitude et l’argent serait directement viré sur leurs comptes par les soins de Stallone. Il prendrait sa commission au passage, plus la récompense extra du patron, plus 100 euros par sachet de coke vendu, plus le paiement des photos par l’Obsédé. Ce week-end, il ramasserait suffisamment de cash pour commencer les travaux à Côme. Quoique Stallone n’ait jamais vraiment été intéressé par l’argent, il avait en ce moment un projet, et le Tout-Puissant lui tendait la main. Que Dieu collaborât ainsi à toutes ces perversions ne lui avait jamais paru contradictoire. Les voies du Seigneur sont impénétrables.

    Au coup de sifflet venant de la jetée, Stallone fit un signe de croix et sortit sur le pont pour accueillir les joueurs des Ours, suivis des partenaires de Karatov s’extrayant de leurs limousines. Presque tous étaient Russes, ce qui ne posait aucune difficulté pour les filles qui parlaient ou balbutiaient dans cette langue. Youri Karatov, la cinquantaine athlétique, franchit à son tour la passerelle et dirigea son regard bleu acier vers les filles qu’il contempla en expert.

    – Pas mal, Pompeo, pas mal du tout. Merci, capitaine.

    Karatov était un des seuls qui appelaient Stallone sous son vrai nom : Pompeo Montesi et non par son nom de scène, d’acteur X, Stallone, l’étalon milanais. Le cinéma porno ayant disparu, Pompeo ne redevenait Stallone que pour des fêtes privées comme celle-ci.

    Le cocktail ne s’éternisa pas, les convives affamés se précipitèrent vers le buffet installé sur le pont arrière, à côté de la piscine, pour déguster caviar, bortsch, salade de homards, le tout arrosé de la meilleure des vodkas. De temps en temps, des filles venaient se fournir auprès de Stallone en sachets de cocaïne et pastilles de MDMA pour les invités qui les leur achetaient. Au moment du dessert, de gigantesques plateaux de fruits furent apportés à table par les filles en bikini. Youri Karatov prit alors le micro et, dans sa langue natale, remercia tous les participants pour leur présence, félicita les joueurs pour cette nouvelle victoire russe et n’oublia pas ses associés en leur promettant une année remplie de richesses avant de s’exclamer :

    – Et maintenant, des cadeaux pour tous !

    C’était le signal. Les filles prirent position sur le pont et commencèrent à ouvrir les grandes boîtes rouges dans lesquelles se trouvait toute une batterie de sextoys aux couleurs de l’équipe. Les escortes topless en assuraient la distribution et invitaient les convives à en faire usage, tandis que sur l’estrade, Stallone était pris en main par Marina et Natacha.

    La fête commença alors autour de la piscine : plus personne n’était habillé, les plus timides des invités, les plus vieux ou les plus gros avaient été déshabillés par les mains professionnelles de l’équipage de charme. La copulation devint générale. Stallone en profita pour prendre des photos des couples et de l’oligarque entrepris par une magnifique rousse finlandaise. Bête de sexe, l’Italien fit le tour du pont, en donnant quelques coups de reins ici et là, en profitant pour prendre de nouveaux clichés. L’Obsédé allait en avoir pour son argent.

    Stallone s’allongea sur une chaise longue pour contempler le spectacle en se congratulant d’avoir bien rempli son contrat. Il refréna son envie de reprendre de la coke, avisé qu’il était des risques d’un excès, lorsque Marina le rejoignit pour s’occuper de lui.

    Cette fois, Stallone ferma les yeux, il était au paradis.

    II

    Avec un soupir désabusé, la capitaine Betty Landesi remonta ses lunettes de soleil et ajusta ses jumelles sur le nouveau 4x4 blanc qui se dirigeait vers la sortie. Les coudes bien appuyés sur le couvercle de la poubelle, elle avait une vue directe sur l’enfilade de l’embarcadère, au fond duquel était amarré le yacht de Karatov. La capitaine de la police monégasque affina sa mise au point sur la plaque d’immatriculation, avant de taper violemment du pied.

    – Et merde, encore un CD ! Ils ont combien de 4x4 au consulat ces enfoirés de Ruskovs ?

    Corps diplomatique. Impossible d’arrêter ou de fouiller le véhicule. Pourtant, Betty était persuadée qu’il y aurait matière à s’intéresser à eux. Armes, drogues, putes, au mieux. Ces mafieux avaient mis la main sur Monaco et rien ne pouvait les arrêter.

    – Capitaine, que fait-on ici ? Ces mecs sont intouchables. C’est le yacht du boss du Sporting. Le Prince et tout le Palais assistaient au match hier.

    – Moi, j’en ai marre ! On passe nos journées à mettre au trou des petits malfrats pendant que ces mecs font ce qu’ils veulent à grande échelle ! Je te le dis Maldonati, bientôt il va falloir parler russe pour être flic sur le Rocher…

    – OK, capitaine, tu as toujours raison de toute façon.

    Le sergent Molina sortit de la voiture banalisée et s’approcha de la capitaine en disant :

    – Capitaine, y’en a un qui vient pour nous !

    – Pas de plaque diplo ? Tu veux les jumelles ?

    – Ça m’étonnerait, il n’a pas de bagnole. Et à mon avis ce n’est même pas un Russe. Je dirais un Italien vu d’ici.

    Betty s’est relevée d’un bond et règle ses jumelles.

    – Italien, tu vois ça à quoi ? Ce type peut être Hongrois, Grec, ou Turc, non ?

    – On a tous vu ses films quand on était gosses. Un acteur porno bien monté. Stallone. Il fait le gigolo maintenant.

    – On va bientôt en savoir plus.

    Malgré son mètre soixante, la capitaine Betty Landesi était une boule d’énergie. Elle traversa la rue à petites foulées et interpella le suspect alors qu’il passait la porte de la jetée.

    – Capitaine Landesi, Police de Monaco. Papiers, s’il vous plaît.

    L’homme avait l’air épuisé. Il sortit avec lenteur un portefeuille qu’il entrouvrit pour tirer sa carte d’identité, mais des billets de banque s’en échappèrent et voletèrent jusqu’au sol. Des billets verts. Des dollars que le vent soulevait. L’homme se baissa pour tenter de les rattraper et de sa poche tombèrent alors un des petits sachets remplis de poudre blanche et de pilules. Cocaïne et exctasy, la capitaine Landesi en était certaine. Elle recula d’un pas, posa la main sur son arme de service et ordonna :

    – Sergent Maldonati, arrêtez cet homme !

    L’Italien se laissa menotter sans opposer la moindre résistance. La capitaine Betty numérota des sacs en plastique dans lesquels elle déposa la drogue, l’argent, le portefeuille, le téléphone portable et quelques godemichés rouges et blancs trouvés dans le sac de Pompeo Montesi, dit « Stallone », l’ex-star du porno reconvertie en dealer de coke. Le prévenu ne pipa mot durant tout le trajet vers le commissariat, se contentant de murmurer de temps en temps quelques mots pour lui-même, telle une prière inintelligible.

    Betty était en train de rédiger l’inventaire des pièces à conviction lorsque le commissaire Timothée Alberti fit irruption dans la salle des scellés. Bientôt la soixantaine, joufflu comme un baigneur, son chef semblait mal à l’aise.

    – Betty, je viens de voir votre prévenu. Il m’a dit que vous lui aviez refusé son coup de fil ?

    – Commissaire, il y aura droit, mais seulement lorsque le proc sera avisé de sa détention et que tous les papiers seront remplis. Je connais le règlement. Il pourra appeler son avocat avant qu’on commence l’interrogatoire.

    – Écoutez Betty, dit le commissaire, je l’ai déjà autorisé. Et devinez qui il a appelé…

    – Dieu le Père ?

    – Presque. Karatov en direct. Betty, que faites-vous ? Le sergent Maldonati m’a avoué que vous étiez en planque à la sortie du yacht ?

    – Commissaire, nous avons fait notre travail. Ce qui a permis l’arrestation d’un trafiquant de drogue. Voyez : toutes les preuves sont ici.

    – Parfait, capitaine. Mais à partir de maintenant, c’est moi qui m’occupe de cette affaire. Allez patrouiller sur le marché avec Maldonati. On a reçu des appels au sujet d’un pickpocket. Je vous tiens au courant.

    Le commissaire prit les scellés et le procès-verbal tandis que Betty sortait du commissariat avec son coéquipier. Le prétendu pickpocket du marché était en réalité un mendiant roumain. Quand la capitaine Landesi revint au poste de police, elle trouva son prévenu en train de signer ses papiers de sortie avant de récupérer toutes ses affaires. Un chauffeur baraqué avec une tête de boxeur semblait l’attendre devant le commissariat.

    Outrée, Betty fonça vers le bureau du commissaire et ouvrit la porte sans frapper. Au téléphone, Timothée leva la main pour couper court à la charge de sa capitaine.

    – Encore désolé pour ce quiproquo, docteur. Oui, bien sûr. À demain.

    Le commissaire Alberti reposa le combiné. Betty ouvrit la bouche pour protester, arrêtée net par un nouveau signe de la main de son supérieur lui intimant le silence.

    – Vous savez avec qui je viens de parler ? Le dentiste du Palais. Votre drogue, c’est en fait du Tramadol. C’est lui qui le lui a prescrit. On n’a rien contre ce gigolo. La prochaine fois, s’il vous plaît capitaine, on laisse les amis du Sporting tranquilles. Alors ce pickpocket, vous l’avez coffré ?

    III

    Betty flanqua un coup de pied contre sa porte pour rentrer dans son appartement. Aujourd’hui était un jour sans, elle avait envie de tout casser. Elle balança son flingue et sa casquette sur le canapé et ouvrit d’un coup la fenêtre coulissante du balcon. Elle s’appuya sur la balustrade et respira avec lenteur, conformément à ce que son professeur de boxe lui avait appris. Puis elle releva la tête et contempla le panorama époustouflant de la baie de Monaco. Toute la Principauté se prélassait à ses pieds. Le Rocher, le Palais, les marinas, les immeubles de luxe agglutinés sur ce tout petit bout de terre. Au loin, se distinguaient quelques îles. Il valait mieux regarder l’horizon car, comme tous les employés de Monaco, Betty vivait en France, dans une cité HLM de l’autre côté de l’autoroute. Son salaire de fonctionnaire ne lui permettait pas d’habiter sur la roche monégasque.

    Elle revint dans le salon, se déshabilla, révélant un corps couvert de tatouages. Elle se dirigea vers la salle de séjour composée d’un canapé, d’une chaise à roulettes et d’un petit bureau sur lequel était posé un ordinateur. L’unique élément notable était un grand punching-ball noir qui pendait au centre de la pièce.

    Betty versa un peu de talc sur ses mains noueuses, les entoura de bandes de gaze et se positionna face au sac de frappe tandis que retentissait The Cure, son groupe préféré. Elle frappa de toutes ses forces en sautillant. Crochet, direct, crochet, un pas en arrière, coup de pied latéral, saut, low-kick, suivi d’une rafale de coups de poings désordonnés. En quelques minutes, le corps de Betty dégoulina de sueur. Seule la boxe française, la « savate », lui permettait d’évacuer ses frustrations et de se retrouver. Elle cogna jusqu’à épuisement pour ensuite tituber vers la douche où elle resta de longues minutes sous le jet glacé.

    Avant la boxe française, le seul moyen qu’avait trouvé Betty pour se calmer était de se scarifier. À présent, les cicatrices étaient dissimulées sous les tatouages, comme autant de trophées d’une guerre livrée contre elle-même. Lorsqu’elle revint au salon, enroulée dans sa serviette de bain, elle était plus calme. Elle saisit son pantalon, en tira deux sachets de poudre blanche et une carte mémoire. Du tramadol ? Betty en doutait. Pour s’en assurer, elle en versa un peu sur le revers de son pouce et renifla profondément. Cocaïne, et de la bonne en plus. Elle en reprit, se détendit enfin, dénoua sa serviette et, entièrement nue, s’installa face à l’ordinateur. Elle fit tourner entre ses doigts la clé USB sur laquelle elle avait discrètement enregistré les données se trouvant sur le téléphone de Stallone avant de l’insérer dans l’ordinateur.

    Dès les premières images, Betty sut qu’elle détenait une bombe : la partouze des Ruskovs en haute définition. Les filles étaient magnifiques et certains des footballeurs bien dotés par la nature.

    Son regard était maintenant figé sur l’écran de l’ordinateur. Après avoir ouvert différents programmes afin d’arriver sur le darknet en suivant une route empêchant de remonter jusqu’à elle, elle lança la page Monaco Interdit. Son intention était de rentrer en contact avec celui qui s’ingéniait à mettre sur la place publique toutes les frasques des puissants tel un justicier. Dans l’ensemble des articles qui relataient les travers de personnages connus sur le Rocher, il semblait avoir pris en grippe l’oligarque russe Karatov et ses transactions financières dont la base légale apparaissait souvent contestable. Ses articles étaient signés Vérita, journaliste d’investigation.

    Betty se considérait comme une lanceuse d’alerte et décida que c’était le moment ou jamais de faire tomber Karatov en faisant parvenir à Vérita l’ensemble des photos de cette partouze cyclopéenne. Avec calme, protégée par l’anonymat, elle transféra les meilleurs clichés de Stallone et y ajouta tous les commentaires salaces appropriés. L’article « Orgie russe sur le yacht de Youyou », décrivait avec l’application d’un reporter la manière dont le patron du Sporting avait fêté son anniversaire. Elle s’était ingéniée à truffer son texte de phrases satiriques, de remarques insultantes et de rumeurs propres à rendre furieux l’oligarque russe afin de le pousser à la faute et de le cueillir comme un fruit mûr. Elle savait que Monaco Interdit était relayé par Wikileaks et tout un réseau de lanceurs d’alertes. C’est là, nue face à son ordinateur, que la capitaine Landesi eut l’impression de faire vraiment son travail de flic.

    Satisfaite du résultat, Betty appuya sur la touche « Envoyer » avec la certitude que Vérita ou les lecteurs du site, sauteraient sur l’occasion pour transformer une partie privée en une affaire publique, presque une affaire d’État.

    IV

    Le TGV Lyria de Paris s’arrêta en gare de Genève-Cornavin. Gretel Artsmann, attendit que le couloir se libère pour déplier de son siège son mètre quatre-vingt-cinq et ses cent vingt kilos. Gretel était monumentale, et pourtant elle se mouvait avec grâce et énergie. Pour preuve, la première chose que l’on remarquait chez la jeune femme n’était pas son obésité, mais son visage, rose et rond, rayonnant, encadré par une corolle de boucles brunes, les fins sourcils soulignant ses yeux pétillants, son nez parfaitement droit et sa bouche pulpeuse qui semblait toujours sourire. Il émanait d’elle un tel magnétisme qu’il était difficile de détacher son regard de sa personne.

    Elle récupéra le long tube cartonné posé sur le porte-bagages, le passa en bandoulière avant d’empoigner deux grands sacs en nylon noir glissés derrière son siège et de se diriger vers la rampe de sortie. Arrivée au rez-de-chaussée, elle salua les douaniers français qui la connaissaient bien, car elle transportait souvent des peintures de sa galerie parisienne vers ses clients suisses. Au moment de son passage, le fonctionnaire l’interpella et lui demanda :

    – Avez-vous des marchandises à déclarer ?

    – Non, je n’ai rien d’autre que quelques toiles, et pour lesquelles j’ai tous les justificatifs.

    – Très bien, madame, suivez-moi dans la zone de contrôle.

    Gretel déposa avec soin ses grands sacs rectangulaires sur les tables métalliques. Elle les avait fait coudre et rembourrer sur mesure pour transporter des tableaux. Le premier contenait un petit Chagall dans son cadre original. Le second recelait trois œuvres désencadrées, séparées par des feuilles de carton rigides. Une huile mineure de Dali et deux paysages impressionnistes de Charles-François Daubigny. L’agent de douane prit le temps d’admirer chacune de ces pièces avant de vérifier qu’elles correspondaient bien aux documents fournis.

    – Tout est en ordre, mademoiselle Artsmann.

    – Merci.

    La galeriste referma les sacs mais, avant qu’elle ne les saisisse, le douanier l’arrêta.

    – Une minute, je vous prie. Que transportez-vous dans ce tube ?

    – En fait, euh… il contient des reproductions, qui ne sont que des copies des œuvres originales.

    – Je peux y jeter un coup d’œil ?

    Le sourire de Gretel se figea. Elle détacha le tube avec une réticence perceptible et en retira plusieurs grandes feuilles aux bords écornés, séparées par du papier de soie. Avec précaution, le douanier les déroula sur la table, révélant des esquisses au fusain. Sur la première, on distinguait deux corps allongés, avec de toutes petites têtes et des membres désarticulés. La seconde représentait un personnage debout, avec une cape stylisée et le haut du corps mangé dans son entièreté par un casque énorme. Sur la troisième, deux individus étaient assis autour d’une table basse sur laquelle ils jetaient des dés. Là encore, l’artiste avait étiré les silhouettes et ajouté des pieds de tailles diverses. Sur la dernière, une forme monstrueuse ouvrait une mâchoire dévorante vers la gauche, elle aussi dotée de jambes étrangement disproportionnées.

    Les quatre esquisses partageaient le même style : de grands traits au fusain comme si leur auteur cherchait des lignes de force, recouverts d’épais traits au crayon gras, définissant des contours nets et ajoutant des détails. Elles semblaient avoir été froissées, pliées. Sur l’un des dessins, tout un coin avait été arraché.

    – Des copies, vous dites, mademoiselle Artsmann ?

    – C’est une vieille dame qui me les a confiés. Elle n’a pas toute sa tête et son histoire est difficile à croire. Je viens les montrer à un grand collectionneur pour avoir son avis.

    – Pourtant là, et là, nous avons une signature.

    Le douanier montrait des clous stylisés dessinés au bas de deux des esquisses. Il sortit une tablette et compara les formes.

    – Pour moi, vous transportez ici des esquisses signées Picasso. Ces « P » sont les mêmes que sur la signature du maître.

    – Ces œuvres n’ont jamais été mentionnées dans le catalogue raisonné de Picasso. C’est pourquoi je les tiens pour des imitations ou des faux.

    – Mademoiselle Artsmann, je comprends vos précautions, cependant je ne peux pas vous laisser passer sans que vous vous acquittiez des taxes. Coupons la poire en deux : nous taxons les deux esquisses signées et vous accordons le bénéfice du doute pour les deux autres.

    Gretel soupira.

    – Combien cela va-t-il me coûter ?

    – Donnez-moi quelques minutes pour prendre attache avec ma hiérarchie, afin de déterminer l’acte à rédiger et la pénalité à percevoir pour cette absence de déclaration.

    Sur la base de ces nouveaux éléments, le douanier suisse s’isola dans un bureau avant de revenir muni d’informations.

    – Madame, vous allez devoir vous acquitter d’une pénalité de 5000 euros par dessin signé. En ce qui concerne les deux dessins non authentifiés, nous n’allons rien relever à votre encontre. Le procès-verbal va être établi sur-le-champ, et vous pourrez partir après le paiement de la pénalité due.

    Pendant que le douanier photographiait les esquisses avec sa tablette, Gretel s’éloigna pour téléphoner à sa banque et s’assurer qu’une telle somme pouvait être débitée de sa carte de crédit. Après avoir raccroché, elle revint vers le guichet et, de mauvaise grâce,

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