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Pas d'obstacle ?: Un excellent polar à l’humour décalé !
Pas d'obstacle ?: Un excellent polar à l’humour décalé !
Pas d'obstacle ?: Un excellent polar à l’humour décalé !
Livre électronique251 pages3 heures

Pas d'obstacle ?: Un excellent polar à l’humour décalé !

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À propos de ce livre électronique

Une intrigue policière et un héros pas comme les autres !

Dernière intervention de la nuit, premier mort du matin. Dans le hangar des établissements Martinez, froidement éclairé par les néons, l’homme pend à plus de deux mètres de hauteur, en chemise de pyjama et chaussures de ville, le sexe et les jambes nus.
— Pas d’obstacle, docteur ?
— Non, pas d’obstacle… Il me reste seulement à lui croquer le gros orteil pour être sûr qu’il est bien mort…

Médecin généraliste, Marcel côtoie avec une folle énergie la faune urbaine dans toute sa diversité… Presque sans le vouloir, il va se retrouver au milieu d’une enquête étrange, voire sanglante, qui mêle Harpies grecques et rites vaudous africains. Dès le départ, une question l’obsède : quel est le lien entre l’albinos pendu et la disparition de son ami Youssef ?

Une première enquête palpitante pour le docteur Fortesse. Découvrez la suite de ses aventures dans Poussière d'anges !

EXTRAIT

— Vous savez que la pendaison (avec un p) conduit les hommes à l’éjaculation ? Pour les femmes, je ne sais pas. C’est si compliqué, le plaisir féminin...
Je lâche ça d’un ton léger, l’air badin. Pour réchauffer l’atmosphère, quoi ! Et j’attends qu’on me réponde : « Avec un “ b ” aussi ». C’est servi sur un plateau. Mais pas un mot. Pas même un regard. Richard, l’ambulancier, les yeux plissés, les dents serrées et la moustache frémissante, semble totalement concentré sur la conduite du véhicule du SAMU lancé à vive allure dans les rues de Mantes-la-Jolie. Pas la peine de jouer de la sirène. La circulation est fluide. Peu de gens dehors à sept heures du matin, ce mardi. Pour nous, équipiers du SMUR, c’est l’heure chaude malgré les fraîcheurs de l’aube. L’heure où les vivants quittent le sommeil et découvrent les morts de la nuit. Celle où l’on recense les misères accumulées depuis la veille, comme sur une plage quand la mer se retire après la tempête.
C’est l’heure des infirmières libérales qui passent au domicile des petits vieux pour leur faire la toilette et leur injecter l’insuline ou l’anticoagulant. 

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Très inspirée par l'expérience de l'auteur, cette aventure du médecin urgentiste hyperactif est prenante et jubilatoire par le ton utilisé, où les blagues de carabins font de la dérision une protection nécessaire dans ce monde de brutes. - Chevalierortega33, Babelio

À PROPOS DE L’AUTEUR

Jean-Pierre Ribat est né le 13 novembre 1961 à Toulouse. D’abord médecin généraliste, il devient médecin urgentiste à l’hôpital de Mantes-la-Jolie, puis consultant au centre de dépistage anonyme des maladies sexuellement transmissibles. Il est par ailleurs médecin capitaine des pompiers et fut ainsi missionné en Haïti après le tremblement de terre. Jean-Pierre Ribat est aussi passionné de rugby, de course à pied et est chef de chœur des Copains d’abord, une chorale de 80 personnes... La suite de Pas d'obstacle ?, Poussière d'ange, est désormais également disponible en numérique.
LangueFrançais
ÉditeurThoT
Date de sortie29 févr. 2016
ISBN9782849213575
Pas d'obstacle ?: Un excellent polar à l’humour décalé !

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    Aperçu du livre

    Pas d'obstacle ? - Jean-Pierre Ribat

    précieux.

    CHAPITRE 1

    La pendaison : paradoxalement c’est un dénouement.

    Vincent ROCA.

    — Vous savez que la pendaison (avec un p) conduit les hommes à l’éjaculation ? Pour les femmes, je ne sais pas. C’est si compliqué, le plaisir féminin...

    Je lâche ça d’un ton léger, l’air badin. Pour réchauffer l’atmosphère, quoi ! Et j’attends qu’on me réponde : « Avec un b aussi ». C’est servi sur un plateau. Mais pas un mot. Pas même un regard. Richard, l’ambulancier, les yeux plissés, les dents serrées et la moustache frémissante, semble totalement concentré sur la conduite du véhicule du SAMU lancé à vive allure dans les rues de Mantes-la-Jolie. Pas la peine de jouer de la sirène. La circulation est fluide. Peu de gens dehors à sept heures du matin, ce mardi. Pour nous, équipiers du SMUR, c’est l’heure chaude malgré les fraîcheurs de l’aube. L’heure où les vivants quittent le sommeil et découvrent les morts de la nuit. Celle où l’on recense les misères accumulées depuis la veille, comme sur une plage quand la mer se retire après la tempête.

    C’est l’heure des infirmières libérales qui passent au domicile des petits vieux pour leur faire la toilette et leur injecter l’insuline ou l’anticoagulant. Elles trouvent le papi au sol, près de son lit, le col du fémur fracassé par sa chute dans le noir après avoir dérapé sur la carpette. À deux heures du matin, en se levant pour aller pisser, il n’a pas voulu allumer la lumière afin de ne pas réveiller mamie, qui pourtant dormait profondément, vu que ça fait deux ans qu’elle est morte et se repose au cimetière. Mais le somnifère qu’il prend le soir depuis une semaine, embrouille un peu ses souvenirs, et rend son équilibre instable...

    C’est l’heure où la fille fait un petit détour sur le trajet de la gare pour embrasser sa mère avant de partir travailler à Paris. Elle pousse la porte du salon, déjà inquiète de ne pas sentir l’odeur du café qui emplit habituellement la maison et aperçoit maman, affalée sur le canapé, la moitié gauche du corps paralysée par un accident vasculaire cérébral. La bouche tordue par un rictus imite un sourire en coin. Le bras droit, valide est désespérément tendu vers le bouton de la téléalarme qui trône près du téléphone, à trente centimètres de sa main.

    Ce matin, pour nous, c’est l’heure d’une femme de ménage qui découvre un pendu dans l’entrepôt désert d’une entreprise de transport routier qu’elle est chargée de nettoyer avant l’arrivée des employés.

    — T’en as pas marre de sortir des vannes de cul toutes les demi-heures ?

    Coincée entre l’ambulancier et moi sur les sièges avant de notre véhicule de réanimation, l’infirmière semble avoir perdu sa tolérance vis-à-vis de mes plaisanteries fines à mesure que la nuit – blanche pour nous – avance vers son terme. Elle a l’air épuisée et il y a de quoi : six interventions depuis hier soir, dont un polytraumatisé qui a nécessité beaucoup de technicité pour maintenir un peu de vie dans son corps en morceaux. Il est temps que la garde se termine. Et pas de chance, juste avant que la relève de jour n’arrive, le bip qui se remet à sonner ! Pour une pendaison... Elle est jeune, incapable encore de prendre la distance suffisante pour rire des tragédies. Ses mains tremblent, ses lèvres aussi. Elle est pâle. Les larmes ne sont pas loin.

    — C’est pas une vanne de cul. C’est une réalité scientifique. D’ailleurs certains jeux sexuels sont dérivés de cette observation et peuvent parfois aboutir à la mort accidentelle. Nous avons reçu aux urgences un jeune garçon victime de la dissection d’une artère carotide après s’être laissé volontairement étrangler par sa copine. Il y a perdu la vision d’un œil...

    — Tous des malades, les mecs...

    J’avais pas bien perçu que ce n’était pas une folle de la baise, notre infirmière... On va essayer autre chose pour la détendre.

    — Des légendes courent sur le sperme des pendus. On dit qu’il donne naissance à une plante douée de propriétés magiques, la mandragore. Elle pousse souvent dans les bois et il est arrivé qu’on la trouve sous un arbre dont la branche maîtresse avait servi de gibet, d’où l’idée qu’elle était fécondée par la semence des suppliciés. En plus, ses racines sont anthropomorphes, ce qui veut dire qu’avec un peu d’imagination, on peut y reconnaître le corps et les membres d’un être humain.

    Elle m’écoute. Ses lèvres, un peu entrouvertes, ne frémissent plus. Les sorcières maintenant.

    — Les sorcières, qui sont les ancêtres des médecins et des pharmaciens, utilisaient cette plante pour soigner ou tuer les gens, selon leurs besoins. Juste une question de dosage. Elles l’utilisaient également pour elles-mêmes en s’enduisant le corps d’un onguent préparé avec de la mandragore pour des séances d’orgies qu’on appelait les sabbats. Les substances toxiques traversaient la peau et créaient un état délirant fortement érotisé à cause de ses propriétés aphrodisiaques. Elles revenaient ensuite lentement à la conscience en gardant de leurs « voyages » des souvenirs lubriques, plus imaginaires que réels.

    La petite aime les histoires, ça se voit. Ses beaux yeux de biche se sont asséchés. Son regard, perdu au loin, contemple les images qui naissent des paroles. La couleur revient sur ses joues un peu acnéiques. On ne va pas tarder à arriver sur les lieux de l’intervention. Il va falloir revenir dans le temps présent.

    — Les scientifiques ont étudié les substances de la plante. Elles ont des propriétés pharmacologiques désormais bien identifiées : antispasmodiques, sédatives et bien sûr, hallucinogènes. On en a tiré deux substances qu’on utilise couramment en médecine, l’atropine et la scopolamine.

    — Ah oui, l’atropine je connais ! On l’utilise beaucoup aux urgences. Alors, on la tire du sperme des pendus ?

    Oui... Bon... Elle est fatiguée quand même, notre petite infirmière...

    Dans la rue devant l’entrepôt, nous sommes attendus par Robert, un sous-off des pompiers expérimenté, désigné chef-d’agrès-du-VSAB-troisième-départ-de-Magnanville (Ah la poésie si particulière des appellations pompières !).

    — Salut toubib ! Te presse pas : homme de cinquante-sept ans, déjà raide et froid. On est en galère pour le décrocher. Il s’est suspendu vachement haut et avec du câble électrique en plus. Les gars sont montés avec une cisaille, mais on a peur qu’il se casse quelque chose en tombant.

    — Parce qu’il est toujours vivant ?

    — Ben non pourquoi ?

    Oui pourquoi ? J’oublie parfois de raisonner comme un combattant du feu... Un mort est un être humain comme les autres...

    — On prend du matos ou c’est pas la peine ? demande notre ambulancier.

    — Laisse tomber. Ton toubib, il a juste besoin de son stylo pour signer le papier bleu.

    — OK, on prend seulement un certificat de décès. Montre-nous le chemin.

    J’ai confiance. Ça fait deux décennies que je monte des gardes au SMUR de Mantes et je n’ai jamais vu Bébert se tromper. C’est bien simple, même avec vingt ans de moins, il donnait déjà l’impression d’être un vieux cadre. Avec ce qu’il faut de calme, d’assurance, de coup d’œil. La brioche en moins bien sûr...

    Nous franchissons le portail de l’entrepôt en prenant la mine de ceux qui en ont vu d’autres, sauf Géraldine, l’infirmière novice, qui va se trouver face à son premier pendu.

    Le hangar est violemment éclairé par de multiples rampes de néons. Il est totalement vide de marchandise. Un groupe de policiers et de pompiers, dont un juché sur une échelle, est massé au centre de l’espace, à cinquante mètres de l’entrée. Malgré la distance, on distingue le cadavre encore accroché à son fil à plus de deux mètres de haut. À mesure que nous nous approchons, se précisent peu à peu la tête violacée, la langue, énorme, sortant de la bouche entrouverte, ainsi que les yeux ouverts et exorbités aux pupilles colorées d’une étrange lueur rougeâtre. Le lien est entré dans les chairs du cou et un peu de sang a coulé sur le thorax. Il est vêtu d’un haut de pyjama rayé. Pas de pantalon pour le bas. Le sexe et les jambes sont nus. Il porte aux pieds des chaussures de ville bien cirées, sans chaussettes.

    Un grand drap a été déployé sous le corps, à un mètre du sol, tendu aux quatre coins par un pompier. Celui qui est sur l’échelle attend le commandement pour couper le câble. Il tient une longue et puissante cisaille habituellement utilisée pour les désincarcérations au cours des accidents de la voie publique. Je vois Géraldine se pencher sous le drap pendant les préparatifs de décrochage et se redresser peu après, les joues en feu. Je regarde à mon tour vers l’endroit qu’elle vient de quitter des yeux : juste sous le cadavre, on distingue sur le revêtement de béton brut une petite flaque de liquide blanchâtre qui ne peut être autre chose que le sperme du malheureux.

    — Attention toubib. Ton client va descendre. Qu’est-ce que tu fous sous la toile ? Tu vas le prendre sur le râble !

    Je m’éloigne vivement en cherchant le regard de l’infirmière. Il est posé sur l’entrecuisse nu du pendu. Le sexe est désormais et définitivement au repos, assez petit et partiellement caché par un ventre proéminent. Je note au passage que la totalité de sa peau est très blanche, et les poils aussi. Je comprends alors ce qui m’avait troublé dans les yeux rouges sans vie de cet homme : c’est un albinos.

    Bébert est à la manœuvre.

    — Vous êtes prêts à recevoir le paquet, les gars ?

    — Ouais chef ! répondent-ils. Ils sont tous penchés en arrière, les muscles pectoraux saillants, les mains crispées sur la toile.

    — Vas-y coupe, petit !

    Et le petit – un mètre quatre-vingt-dix au garrot – de sectionner d’un coup sec le fin câble de cuivre gainé. Les receveurs accusent le coup en faisant une grimace d’effort un peu exagérée et portent rapidement le corps un peu plus loin.

    Pendant cette manœuvre, réduit au rôle de spectateur privilégié, je m’ennuie et sous l’effet de la fatigue, j’ai vite fait de partir en rêveries. Je retrouve dans ma mémoire les propos d’un sauveteur, lors d’un feu d’immeuble, après l’évacuation de plusieurs habitants par la grande échelle. « T’as beau savoir que c’est con, n’empêche que cinquante kilos de jeune fille riante, c’est beaucoup moins lourd que cinquante kilos de vieille grincheuse. » L’éternelle plaisanterie des kilos de plumes et des kilos de plomb...

    Je suis resté, pensif, sous la corde du pendu (Je la prends ? Il paraît que ça porte bonheur). Et voilà qu’on m’appelle. Au passage, la petite flaque blanche a été piétinée. Est-ce que les albinos ont du sperme plus blanc que les autres ?... Certes non, me réponds-je, pas plus blanc que celui des Noirs... Mais au fait, je n’ai jamais vu du sperme de Noir ! Est-ce qu’il est blanc ? Faudra que je me renseigne... Je poserai la question au staff tout à l’heure. Il y a beaucoup de collègues africains qui travaillent aux urgences de Mantes... Ça nous changera des drames humains qu’on passe en revue sans émotion lors de cette réunion quotidienne.

    — Ça va, j’arrive ! Vous ne comptez quand même pas sur moi pour le ranimer ?

    Je rejoins le groupe des pompiers et des policiers qui font cercle autour du corps. Il y a comme un flottement dans l’action. Les hommes attendent des ordres, notamment les miens. Je suis censé déclarer le décès, et déterminer son caractère suspect ou non. Moi qui ai toujours trouvé suspecte cette façon qu’à la mort de se moquer des espoirs des vivants : un jeune homme prometteur est écrabouillé par un camion lancé à vive allure au volant duquel le conducteur s’est endormi. Un vieux con dont tous les proches souhaitent la disparition les enterre tous un à un. Tous les matins au réveil, je pousse le cri de désarroi du Macbeth de Shakespeare : « La vie est un conte, raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et ne signifiant rien. »

    Derrière nous, un nouveau venu se racle la gorge pour se signaler.

    — Pardonnez-moi, je suis Yves Marcheur, officier de la police judiciaire de Versailles. J’étais tout près et j’ai entendu parler de cette intervention sur la fréquence locale. Je suis venu jeter un coup d’œil à tout hasard. Qui fait fonction d’OPJ sur les lieux ?

    Un major de la police se signale et s’avance en tendant la main.

    — Ça par exemple ! Mais c’est le capitaine Marcheur, le chouchou de ces dames ! Ça fait un bail que je ne t’ai pas vu par chez nous. Alors maintenant, à la PJ, vous écoutez les fréquences locales et vous débarquez sur les inters avant même qu’on vous appelle ?

    — Salut Thierry, heureux de te voir. J’étais dans le véhicule d’une amie, que tu connais puisqu’elle est de la maison, et on a entendu l’appel à la radio, c’est tout. C’est juste pour ne pas partir pour Versailles et revenir dans une heure quand vous aurez décidé que c’est un crime.

    Derrière lui, tentant de se faire toute petite, une jolie blonde en habit de police rougit avec embarras à mesure que les regards de tous les spectateurs se posent sur elle et son décolleté nettement débraillé. Elle y remet rapidement de l’ordre. Dommage...

    Le visage de l’officier me dit quelque chose. Gérard Depardieu ou Niels Arestrup ? Belle gueule, pas grand, massif, blond et mal rasé, la quarantaine. Il se tourne vers moi.

    — Bonjour. C’est vous le médecin du SAMU ?

    — Oui. Mais vous savez, vous n’avez pas besoin de ma science. Tous ces messieurs-dames autour de nous peuvent vous confirmer comme moi qu’il est définitivement mort. Mon stéthoscope n’est pas fondamental dans le diagnostic, ni dans le pronostic d’ailleurs...

    — On se connaît, non ?

    — C’est ce que je me suis dit aussi, mais je regarde peu la télévision. Vous avez joué dans quel film ?

    Il sourit avec indulgence. On a déjà dû lui faire le coup.

    — Je suis dans la police, pas dans le cinéma. Je dois vous demander d’examiner le cadavre pour déterminer les causes de la mort.

    — Pendaison, il me semble...

    — Volontaire, accidentelle ou criminelle ?

    — OK compris. Messieurs, s’il vous plaît, aidez-moi à retirer la veste du pyjama de cet infortuné.

    À contrecœur, les pompiers s’exécutent. Personne n’aime toucher les morts. Les bras sont déjà rigidifiés et le déshabillage est difficile. L’inspecteur, lui, ne nous aide pas. Il faut dire qu’il n’a pas de gants... Il me dit :

    — Vous n’avez pas joué au rugby quand vous étiez jeune ?

    Je me relève, surpris et vexé.

    — Mis à part à la fin d’une garde au SMUR comme ce matin, je me sens assez jeune pour jouer encore au rugby. Mais je ne sais pas si c’est l’instant idéal pour échanger nos opinions sur la sélection de l’équipe de France pour le prochain tournoi des six nations...

    À bien le regarder, c’est peut-être sur un terrain de sport que je l’ai déjà croisé. Les pompiers prennent mille précautions pour ne pas casser les coudes du mort. Ils ont des airs de pucelles effarouchées devant une érection. La peau laiteuse et froide les rebute. Ils la touchent le moins possible, du bout des doigts. À ce rythme-là, on a le temps de causer... En plus, une lumière clignote dans ma tête.

    — J’ai connu un Yves Walker qui vous ressemblait quand je jouais au Paris Université Club. C’était vous ?

    — C’est moi.

    — Marcheur... Walker...

    — Je suis anglophobe. J’ai demandé à changer de nom.

    — Ah ? Ça suffit comme raison ?

    — Non. Mais j’ai des amis bien placés. Vous, vous étiez l’intello de l’équipe, celui qui lit des livres, je me souviens.

    — Vous ne lisez pas de livres, vous ?

    — Si, mais moins que toi. Tu lisais n’importe où. Dans le bus, dans les vestiaires...

    Ah ça y est, on est copains, on se tutoie.

    — C’est un principe chez moi : la chanson « la grosse bite à Dudule », je ne la chante qu’une seule fois par jour. Après, je fais autre chose. Je lis par exemple...

    — J’ai rien contre, je respecte, il en faut...

    Bon ben c’est clair : la lecture n’est pas son truc. Les pompiers, qui ont achevé l’effeuillage mortuaire, attendent patiemment la fin de nos échanges de civilités. Et survient alors l’entrée tonitruante d’un type taillé comme une armoire normande : grand, large et brun.

    — Ah nom de Dieu, le con, c’est pas vrai, il a pas fait ça !

    Il s’arrête aux pieds du mort et continue ses imprécations en le couvrant d’un regard à la fois courroucé et effrayé.

    — Vous êtes ? demande mon nouvel ami.

    — Gérard Martinez. Patron des établissements Martinez où vous vous trouvez en ce moment. Et employeur de cet abruti qui était gardien ici. Il aurait pu choisir un autre endroit pour se suicider, merde ! Tiens, la Seine, elle est à deux pas d’ici. Il avait qu’à se foutre à la baille... C’est que dans une heure, j’ai trois semi-remorques bourrés de fret qui déboulent ici, moi. Va falloir me nettoyer ça vite fait.

    Il me déplaît fortement, ce sinistre salaud. Il faut que je m’exprime. Mais du calme, mon Marcel. De la compassion...

    — Il était certainement très malheureux pour en arriver là. Il ne vous a jamais parlé de son désir de mourir ?

    — Il était toujours à se plaindre de quelque chose. À force, on n’y faisait plus gaffe. Mais d’habitude, il s’en prenait bien plus aux Arabes et aux Noirs qu’à lui-même.

    — Vous pouvez nous donner son identité ? demande le policier.

    Je décroche encore de la conversation pendant que les autorités notent l’état civil de la victime, et de son patron. Je me souviens d’un cours de français au collège avec mademoiselle Mousnier. J’étais dans ma onzième année. Elle nous avait donné à lire la Ballade des pendus de François Villon. Son auteur l’avait écrite en prison, nous avait-elle expliqué, dans l’attente de sa propre exécution après avoir blessé un notaire au cours d’une rixe. Je murmure les paroles que je connais encore par cœur :

    Frères humains qui après nous vivez

    N’ayez contre nous le cœur trop endurci

    Car, si pitié de nous pauvres avez

    Dieu en aura plus tôt de vous merci.

    « Merci doit se comprendre comme Miséricorde » ajoutait notre jeune professeure, l’éveilleuse de nos âmes. Ce poème fut une de mes premières émotions poétiques. Et ce terme « frères humains » me revient immédiatement en tête quand je tente de définir ceux auxquels mes soins sont destinés.

    — Docteur...

    Ma première expérience compassionnelle aussi. J’ai partagé à l’orée de mon adolescence l’angoisse du condamné à mort. J’ai perçu comment le destin peut parfois tourner au drame, pour un coup de poing imprudemment porté à un individu influent. J’ai, depuis lors, fait en sorte de ne jamais trop endurcir mon cœur à l’égard des délinquants... Qualité utile à un urgentiste souvent confronté à la violence. Faut-il voir dans la lecture de ce poème le point de départ de ma vocation de médecin ?

    — Docteur...

    Pour être honnête, bien avant mes années de

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