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Traqueurs 02 : Ténèbres
Traqueurs 02 : Ténèbres
Traqueurs 02 : Ténèbres
Livre électronique380 pages5 heures

Traqueurs 02 : Ténèbres

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À propos de ce livre électronique

Il y a, dans ce monde, des gens à qui la vie offre des dons extraordinaires. Leurs pouvoirs sont tels qu’ils pourraient changer le cours de l’Histoire. On les appelle les doués. Il y a aussi ceux qui remuent ciel et terre pour les débusquer : les traqueurs. Et puis, dans l’ombre, il y a la Société Zeus et le projet Trou Noir. Alexandre Day laisse une impression singulière aux gens qu’il rencontre. Bien malgré lui. Alexandre Day n’est pas un homme ordinaire. Il a des dons. Cadeau que la vie lui a fait à sa naissance. Mais si vous lui demandez son avis, il vous dira que c’est un cadeau empoisonné Le jour où Alexandre rencontre Rachel pour la première fois, il est conquis. Il retourne ensuite quotidiennement dans le même parc, espérant la revoir. Il l’admire de loin, reste à l’écart, de peur d’être repoussé. À sa grande surprise, c’est Rachel qui viendra vers lui. Le jeune homme comprendra alors qu’il faut un être particulier pour en attirer un autre. Il ignore par contre que Rachel court un grave danger. D’ailleurs, la jeune femme ne le sait pas elle-même. Démuni, Alexandre se tournera vers Jane Hart. Spécialiste dans l’étude des phénomènes paranormaux, elle soumettra le cas du couple à Michael Haggart. Celui-ci occupe un poste-clé dans un hôpital psychiatrique et dirige des recherches en parapsychologie. Ce que Jane ignore toutefois, c’est le lien qu’il entretient avec la Société Zeus. Traqueurs, une trilogie où les êtres d’exception devront choisir leur clan.
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie13 mai 2015
ISBN9782896624317
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    Aperçu du livre

    Traqueurs 02 - Boivin Mario

    limite.

    1

    Edward Blackburn, alias Smith, salua le portier de l’immeuble du centre-ville de Houston où, depuis maintenant trois ans, il occupait un luxueux appartement du vingt-deuxième et dernier étage.

    – Vous avez fait un bon voyage, monsieur Smith ? lui demanda l’homme en lui tenant la porte.

    – Très bon. Merci, Mike.

    Edward, traînant derrière lui une valise sur roulettes, pénétra dans l’édifice pour se diriger vers les ascenseurs. Il appuya sur le bouton et son regard survola furtivement le hall d’entrée, tandis qu’il attendait qu’une cabine atteigne le rez-de-chaussée. Rien n’avait changé depuis son départ une semaine plus tôt, à part l’arrangement floral que l’Administration rafraîchissait de façon régulière. Il se garda de fixer à travers la vitre du hall la voiture garée de l’autre côté de la rue, où deux hommes avaient pris place. Il l’avait repérée, sans surprise, en sortant du taxi, et l’avait ignorée.

    Cela faisait déjà six semaines que des individus – d’une faction que ni lui ni son associé n’étaient arrivés à identifier – surveillaient son immeuble. Lorsqu’il les avait remarqués pour la première fois, il avait aussitôt cherché à savoir s’il était l’objet de leur surveillance. Quand il avait croisé ces mêmes personnes sur son étage deux jours plus tard, il s’était mis en mode alerte, prêt à toute éventualité. La cible de cette filature s’était toutefois révélée être son voisin, un marchand de diamants dans la fin trentaine qui s’était installé dans l’appartement à côté du sien, six mois plus tôt, avec sa femme et leur fillette. Dès lors, il n’avait plus gardé qu’un œil désintéressé sur les hommes qui avaient tout des agents gouvernementaux.

    Un tintement se fit entendre et les portes d’un des ascenseurs s’ouvrirent. Edward y entra.

    – Tenez la porte, s’il vous plaît.

    Edward enfonça le bouton de maintien des portes juste avant qu’elles ne se referment. La conjointe du marchand de diamants et sa fille apparurent.

    – Oh, c’est vous, lança la femme en reconnaissant son voisin de palier. Merci !

    – Il n’y a pas de quoi ! répondit poliment Edward.

    Ses relations avec ses voisins étaient telles qu’il le souhaitait : cordiales et distantes. Il croisa le regard de la petite et, comme chaque fois, son cœur se serra. C’est que l’enfant ressemblait de façon frappante à sa propre sœur, Angie. Du moins, à l’image qu’il gardait d’elle dans ses souvenirs lointains.

    Edward sourit à la fillette, qui en fit autant.

    – Vous arrivez de voyage ? demanda la mère.

    – En effet.

    – Affaires ou agrément ?

    – Affaires.

    – Fructueux ?

    – Objectif atteint, se contenta de dire Edward. Ce qui était la pure vérité.

    Il avait littéralement atteint sa cible d’une balle entre les deux yeux. C’est qu’Edward Blackburn était un tueur à gages.

    Voyant que ses réponses courtes ne faisaient pas comprendre à son interlocutrice qu’il n’était pas d’humeur à faire la conversation, Edward attrapa son BlackBerry et fit semblant de consulter ses messages. Le subterfuge imposa le silence jusqu’à leur étage commun, où ils se saluèrent et entrèrent chacun chez soi.

    Edward consulta l’écran du système de sécurité haute technologie de son appartement. Il composa le code pour le désactiver et fit, comme chaque fois qu’il rentrait chez lui, une tournée méthodique des lieux. Rien à signaler. Il défit sa valise, se servit un bourbon et s’installa sur le canapé, un ordinateur portable posé sur ses genoux. Il ouvrit une session sur un site sécurisé auquel seule une poignée d’individus avait accès et sur lequel il était connu sous le pseudonyme de Ghost. Ses doigts filèrent sur le clavier :

    Ghost : De retour de voyage. Affaire conclue.

    La réponse ne se fit pas attendre.

    Captain Kirk : Bon retour. Les Rangers ont perdu. Tu me dois 100 $.

    Ghost : Alors, transfère seulement 99 900 $ dans mon compte.

    Captain Kirk : Déjà fait ! On se voit toujours la semaine prochaine ?

    Ghost : Même heure, même endroit. Une autre occasion d’affaires en vue ?

    Captain Kirk : Deux. On devra faire un choix.

    Ghost : Délai ?

    Captain Kirk : Deux mois pour conclure la vente.

    Ghost : Bon, on s’en reparle. Je te quitte.

    Captain Kirk : D’accord. Beau boulot. Gâte-toi un peu. Sors faire la fête.

    Ghost : Je n’y manquerai pas.

    Edward sourit. Blake, alias Captain Kirk, savait fort bien qu’il n’en ferait rien. Edward préférait de loin la tranquillité de son appartement aux boîtes de nuit. Il n’était plus le même depuis que Blake l’avait tiré du monde sordide de la petite criminalité, vingt ans auparavant.

    À l’époque, Edward était un jeune délinquant de dix-neuf ans se spécialisant dans les vols par effraction. Un soir, il avait pris pour cible une maison cossue d’un quartier huppé du New Jersey. Après s’y être introduit, il s’était retrouvé avec le canon d’une arme munie d’un silencieux pointé en plein visage.

    – Bonsoir, l’avait salué sans sourciller Blake, alors dans la mi-quarantaine.

    Sur le sol gisait un homme, l’œil grand ouvert, dont l’orbite gauche, vide et ensanglantée, témoignait de l’efficacité de l’arme de poing qui menaçait maintenant le cambrioleur infortuné. Posant tour à tour les yeux sur le cadavre puis sur son assassin, Edward avait demandé froidement :

    – Pourquoi l’avez-vous tué ?

    Blake avait été davantage impressionné par le calme du jeune homme devant la situation que surpris par la question.

    – Parce que c’est mon métier.

    – Vous êtes tueur à gages ? avait hasardé Edward, une lueur dans les yeux.

    S’en était suivie une conversation tordue, digne d’un film de Tarantino, au terme de laquelle Blake avait perçu en Edward les principales qualités d’un assassin professionnel : bon physique, esprit cartésien, peu d’empathie, excellent contrôle de ses émotions et sans attaches. Ayant perdu son mentor et complice, emporté par un cancer l’année précédente, et sachant que le travail en duo était plus sûr et efficace que de faire cavalier seul, Blake prit ce soir-là une décision qu’il n’allait pas regretter :

    – Tu aimerais que je t’enseigne ?

    Le pacte était scellé.

    Edward replia son portable, le mit de côté et se cala dans les coussins du sofa. Il était vanné, aussi laissa-t-il dériver ses pensées jusqu’à ce qu’il s’assoupisse.

    Le rêve habituel refit surface. Celui dans lequel son père, ivre et en colère, levait le poing pour l’abattre sur sa jeune sœur, qui n’était âgée que de sept ans. Edward tentait de s’interposer, mais il semblait évoluer au ralenti. Était-ce comme cela que ça s’était passé ? Le coup à la tête foudroyait la petite, envoyant son cerveau s’écraser contre la crête de l’os frontal et causant une hémorragie cérébrale mortelle. Edward ouvrit les yeux, l’estomac noué. Il laissa s’estomper le sentiment d’échec et de vide qui suivait immanquablement le rappel de cette scène qui, il le savait, le hanterait toute sa vie.

    L’appartement baignait dans la pénombre, indiquant à Edward qu’il avait séjourné au pays de Morphée pendant un bon moment. Pas assez longtemps, toutefois, pour contrer les effets du décalage horaire. Bien que la faim le tenaillât, la fatigue était plus forte. Il se mit au lit et se rendormit aussitôt.

    Une sonnerie tira Edward de son sommeil, son timbre suscitant en lui un sentiment d’urgence. Il bondit et attrapa l’arme qui trônait en permanence sur sa table de chevet, puis se dirigea vers la pièce qui lui servait de bureau. Sur un écran géant fractionné en plusieurs cadres apparaissaient les images que lui projetaient une dizaine de caméras installées dans des endroits stratégiques autour de son logis. Il vit des hommes cagoulés longeant le couloir du stationnement souterrain de son immeuble. Ils étaient armés. Leur équipement lui indiqua qu’il s’agissait de forces policières. Edward s’approcha de l’écran, les yeux plissés, et remarqua les silencieux. Voilà qui éliminait la thèse des policiers ! Forces spéciales, peut-être ?

    Il enfila en vitesse des vêtements qui ressemblaient à s’y méprendre à ceux des individus sur son écran. Ceux-ci s’étaient maintenant séparés en deux groupes de trois ; l’un prenait l’escalier de l’édifice, l’autre, les ascenseurs. Aucun signe de la sécurité de l’immeuble. Ce commando n’avait pas dû avoir de mal à neutraliser le seul et unique gardien en faction.

    L’assassin professionnel enfonça deux boutons situés sous la surface de son plan de travail. Le premier envoyait un signal à son associé et mentor. Ce dernier saurait ainsi qu’Edward était potentiellement en danger et que, s’il ne recevait pas de ses nouvelles sous peu, il devrait mettre en branle une procédure d’urgence établie entre eux. Le deuxième faisait coulisser un pan de mur, dévoilant une armurerie impressionnante. Edward sélectionna un pistolet Bul Cherokee muni d’un silencieux et d’un pointeur laser. Il passa une veste de combat contenant plusieurs chargeurs de rechange, deux grenades antiémeutes et d’autres articles militaires choisis avec soin. Il s’apprêtait à quitter son bureau lorsque son attention fut attirée par une image que lui renvoyait la caméra braquée sur le devant de la tour d’habitation. Assis sur le siège arrière d’une voiture, dirigeant selon toute vraisemblance l’opération qui se déployait autour de lui, un homme aux longs cheveux blonds attendait la conclusion du travail de son équipe. Effectuant un zoom sur lui, Edward s’imprégna des détails de son visage puis alla se poster dans le salon de son appartement, de façon à voir la porte d’entrée. Il ouvrit son téléviseur et syntonisa le circuit fermé de ses caméras, de manière à pouvoir suivre la progression du commando qui se dirigeait soit chez son voisin, soit chez lui.

    À l’écran, Edward vit s’ouvrir les portes d’un des ascenseurs de son étage. Trois individus en sortirent. À pas de loup, ils s’approchèrent de l’entrée de l’appartement d’à côté. Edward laissa échapper un soupir de soulagement ; c’était bien à son voisin que ces hommes en voulaient. Si tout se passait bien, l’escadron armé passerait la porte du marchand – qui devait avoir trempé dans une affaire de diamants de sang –, flanquant une frousse terrible à toute sa famille, et le neutraliserait. Edward n’avait donc qu’à rester bien sagement chez lui, et à informer Blake de la fausse alerte. Ce dernier pourrait retourner se coucher.

    Certains détails le troublaient, pourtant. Le gardien de sécurité de l’immeuble n’était pas à son poste et ces hommes ne portaient aucune identification.

    – Qu’est-ce que vous tramez, les gars ? murmura-t-il pour lui-même.

    L’un des agents fit glisser une clé – un passe-partout « emprunté » à la sécurité, selon toute probabilité – dans la serrure de la porte et l’ouvrit sans faire de bruit. Quelques instants plus tard, Edward entendit le son familier de coups de feu feutrés par des silencieux.

    – Eh merde ! jura-t-il.

    Il savait très bien que fusillade égalait enquête, et que cela se traduirait tôt ou tard par la prise des dépositions des voisins. Bien que cela ne fût pas un problème en soi, le tueur professionnel en lui préférait ne pas être mêlé aux affaires policières, quelle qu’en soit la nature.

    Soudain, une image apparut à l’écran d’Edward, lui glaçant le sang. La conjointe du marchand tentait de fuir, sa fille dans les bras. Elle tomba sous les tirs d’un membre de l’escouade. Ce dernier s’approcha de la petite, qui était coincée sous le poids du corps de sa mère, dans le couloir devant sa porte. L’enfant était en état de choc. L’homme la saisit par le bras et la tira brutalement.

    Lorsque Edward vit le visage de la fillette déformé par la douleur, quelque chose se déclencha en lui. Il savait qu’il devait éviter de se mêler de cette histoire, qu’il mettait tout ce qu’il avait acquis en péril en ne restant pas assis sur son canapé, mais c’était plus fort que lui. Il ne pouvait rester sans agir devant la situation d’une fillette se faisant assassiner. Pas une fois de plus.

    Il lui fallut moins de quatre secondes pour passer la porte d’entrée et mettre deux balles dans la tête de l’assaillant de la petite, qu’il attrapa avant que l’agresseur ne s’écroule. La gamine sous le bras, il fit demi-tour et tira à nouveau. Quatre projectiles quittèrent le canon de son Cherokee. Deux se logèrent dans le cou d’un nouvel assaillant, qui s’écroula avant de comprendre ce qui lui arrivait. L’un d’eux atteignit l’épaule du dernier membre du commando, ce qui ne l’empêcha pas cependant de tirer en direction d’Edward. Ce fut toutefois le seul coup, car la dernière balle du tueur à gages fit éclater les dents de son adversaire et poursuivit son chemin jusqu’à son cervelet. L’homme s’affala sur son compagnon.

    Edward analysa la situation en une fraction de seconde. Il estima que l’équipe de soutien, qui avait pris l’escalier, serait sur place dans moins d’une minute. Il se précipita dans son logement et referma la porte. Devant les geignements incontrôlés de l’enfant, il l’attrapa doucement mais fermement par les épaules.

    – Quel est ton nom ?

    – Ariel, couina-t-elle.

    – Bon. Ariel, d’autres hommes atteindront cet étage d’un instant à l’autre. Je ne sais pas qui ils sont ni pourquoi ils ont tiré sur tes parents, mais ils ont de mauvaises intentions. Nous ne sommes pas en sécurité ici. Nous devons fuir, et j’ai besoin que tu gardes ton calme. Je sais que je t’en demande beaucoup, mais nos vies en dépendent… tu comprends ?

    Tremblante, Ariel acquiesça en faisant un effort incommensurable pour étouffer ses gémissements. Edward lui fit un sourire d’encouragement et fila attraper un sac à dos contenant ce dont il avait besoin pour une fuite d’urgence. Ce faisant, il jeta un œil sur les images du circuit fermé et constata que l’équipe de réserve n’était plus dans la cage d’escalier. Un ascenseur tinta et s’ouvrit. Trois hommes en sortirent et se figèrent en découvrant la scène. Leurs copains gisaient au sol, aux côtés d’une autre victime, féminine celle-là. Aucun signe de leur agresseur. Le chef du groupe fit signe aux deux autres de se déployer. L’un d’entre eux posa un genou au sol et braqua son arme vers l’appartement de la famille. Les deux autres se postèrent de chaque côté de la porte. Puis, le chef s’engagea à l’intérieur en silence, son couvreur sur ses talons. Ils découvrirent le corps du père effondré dans un coin du salon. Les autres pièces étaient vides.

    Edward composa un code sur le clavier de son système de sécurité, ce qui enclencha un mode personnalisé de défense ; une petite surprise de son cru pour celui ou ceux qui s’introduiraient dans son appartement sans son aval, ce qui risquait fort d’arriver après cette nuit tragique.

    – Viens, dit-il en guidant Ariel vers son bureau.

    Il ouvrit la fenêtre qui donnait sur le toit de l’immeuble voisin. Attrapant un lance-corde muni d’un grappin, il visa un emplacement qu’il avait arpenté à maintes reprises et où il savait que la pénétration du mécanisme à crochets serait adéquate. Il fit feu. Le harpon fila, tirant derrière lui un filin souple ultrarésistant, et se ficha dans un contreplaqué, déclenchant du coup quatre tiges qui se déplièrent et, en un claquement, ajoutèrent autant de points d’ancrage dans le bois. Edward passa le filin dans un mousqueton planté dans le béton du mur extérieur, près de sa fenêtre. Il le tendit au maximum et le fixa à l’aide d’un nœud de Halter. Il y glissa une poulie et un assureur, indispensable pour le freinage. Passant en vitesse un harnais autour de ses cuisses et de sa taille, il l’ajusta, puis tendit une main vers Ariel.

    – Allez, viens.

    Ariel secoua la tête, les yeux exorbités.

    Dans le couloir, le chef du commando soupira, puis murmura dans son micro :

    – Elle n’est plus sur place, patron.

    – Comment ?

    – La fillette a disparu. Le père et la mère sont morts… ainsi que trois de nos hommes. Quelqu’un est intervenu.

    – Qui ?

    – Aucune idée. La famille n’avait aucun garde du corps. Les voisins s’agitent. On passe au plan B. On maquille la scène et on déguerpit.

    – Laisse les nettoyeurs faire leur boulot et fais le tien. Trouve des indices. Tu n’as plus beaucoup de temps.

    Jeremiah était furieux du déroulement désastreux de cette mission, dont l’exécution avait été planifiée au quart de tour. Zeus ne pouvait être derrière ce massacre ; les tueries n’étaient pas le genre de ses membres. Qui alors ? Il laissa reposer sa tête sur le siège en cuir de la voiture et ferma les yeux, s’ouvrant aux ondes qui l’entouraient. Il fut instantanément assailli par un sentiment d’urgence proche de la panique : l’écho des pensées des habitants du vingt-deuxième étage de l’immeuble, qui, conscients qu’un drame se déroulait de l’autre côté de leurs portes verrouillées, lançaient des appels au secours aux autorités. Doué de catégorie six – sur une échelle de zéro à sept –, Jeremiah chercha parmi ces ondes sensorielles celles qui pourraient provenir d’une enfant endeuillée. Il trouva autre chose : un sentiment d’appréhension suivi d’une poussée d’adrénaline qu’engendrait une grande peur. L’image du toit d’un immeuble s’approchant à grande vitesse s’imposa à lui. Il ouvrit les yeux.

    – Elle s’échappe, Gary. Elle glisse le long d’une corde vers un immeuble adjacent.

    – Quoi ? Comment est-ce possible ?

    – Peu importe. Faites le ménage et tirez-vous. On va essayer de l’intercepter.

    Edward ralentit sa glissade à l’aide de l’assureur. Ses pieds se posèrent avec agilité sur le toit plat. Accrochée à son cou, Ariel lâcha un soupir de soulagement. Il la déposa, coupa le filin et retira son harnais. Puis il la prit par la main et se dirigea vers la porte donnant sur le toit, qu’il déverrouilla grâce à la clé qu’il s’était procurée dès le premier mois de son emménagement, alors qu’il préparait un plan d’évacuation. Ils descendirent deux étages, longèrent un couloir et pénétrèrent dans un débarras, où se trouvait un monte-charge. Ils y prirent place et l’appareil entama sa descente. Edward profita de ce moment de répit pour examiner la petite.

    – Rien de cassé ?

    – Pourquoi ont-ils fait ça ? Pourquoi veulent-ils nous tuer ?

    – Je n’en sais rien, Ariel. Peut-être voulaient-ils vous voler ?

    – Mais ils ont tiré sur mon père… et sur ma mère !

    Le ton de la fillette frôlait à nouveau l’hystérie.

    – Tes parents ont cherché à leur résister, probablement en voulant te protéger.

    La lèvre d’Ariel se mit à trembler.

    – Ils sont morts à cause de moi ?

    – Mais non, tu n’y es pour rien. Ce sont ces méchants qui sont à blâmer. C’est le rôle des parents de protéger leurs enfants. Nous allons donc faire en sorte que leur sacrifice n’ait pas été vain et te sortir d’ici saine et sauve, d’accord ?

    À ce moment précis, le monte-charge atteignit l’étage du stationnement sous l’édifice. Edward s’assura que la voie était libre, prit Ariel dans ses bras et se dirigea d’un pas rapide, mais sans panique, vers une berline grise. Il installa l’enfant sur le siège arrière et lui fit boucler sa ceinture.

    – Garde la tête baissée et ne la relève que si je t’en donne l’ordre, c’est bien compris ?

    Elle acquiesça. Ses larmes coulaient toujours à flots, mais elle arrivait à garder une certaine maîtrise de ses émotions. Edward retira sa veste de combat et enfila un veston brun. Il se coiffa d’une casquette et prit place derrière le volant, s’assurant de poser son Cherokee sur le siège du passager, à portée de main. Il démarra le véhicule et le dirigea jusqu’à la sortie du stationnement, à l’affût de tout ce qui pouvait sortir de l’ordinaire. Il utilisa une carte d’accès pour faire lever la barrière de la guérite, qui était inoccupée la nuit, et s’engagea dans la rue. Tout était tranquille, hormis le son d’une sirène au loin, qui se faisait de plus en plus fort. « Parfait », pensa-t-il. L’approche des policiers ferait fuir ses poursuivants.

    Il s’immobilisa à un feu rouge. Il ne pouvait se permettre d’être pris en chasse à cause d’une banale infraction au Code de la route. Des phares apparurent derrière lui, puis un véhicule vint se garer à ses côtés. Edward jeta un regard qu’il voulait désintéressé sur le conducteur, puis se força à l’ignorer, reportant son attention sur sa radio. Malheureusement, un court coup de klaxon l’obligea à cesser son manège et à poser à nouveau les yeux sur son vis-à-vis. Ce dernier avait baissé la vitre côté passager et lui faisait signe de faire de même avec la sienne.

    – Ne bouge surtout pas, souffla Edward à Ariel en activant la vitre électrique.

    Il empoigna son arme de l’autre main.

    – Bonjour, le salua l’autre.

    – Bonne nuit, plutôt, lança Edward avec un sourire décontracté.

    – Excusez-moi, mais il y a eu un incident dans l’immeuble voisin. Je travaille pour une agence de sécurité privée. Auriez-vous noté quelque chose d’inhabituel dans les parages ?

    – Non, rien, mentit Edward avec un haussement d’épaules. Rien de grave, j’espère ?

    – Meurtre.

    Comme la nouvelle ne pouvait s’être propagée si vite, Edward était conscient d’avoir en face de lui un membre de l’équipe qui avait failli le tuer. Il savait aussi que l’homme allait à la pêche, cherchant à déceler s’il était impliqué d’une façon ou d’une autre dans cette histoire. Il devait rester détendu… et se tirer de là au plus vite.

    – Vous êtes sérieux ? lança-t-il, faussement interloqué.

    – Très sérieux. Puis-je me permettre de vous demander où vous allez comme ça, en pleine nuit ?

    Edward commençait à s’impatienter. Plus il restait dans les environs, plus il courait la chance d’être débusqué.

    – Travail. Je suis infirmier à St. Luke.

    – Quel service ?

    Le feu passa au vert.

    – Urologie. Une vasectomie, ça vous tente ? rigola Edward qui, la main sur son arme, se dit qu’il allait passer à l’acte si ce connard ne déguerpissait pas sous peu.

    Son vis-à-vis le dévisagea un moment, puis rit à son tour.

    – C’est déjà réglé.

    – Tant pis, alors ! Je dois y aller, sinon je serai en retard. Je vous souhaite de mettre la main au collet de celui qui a fait ça. On vit vraiment dans un monde de fous !

    Edward remonta sa vitre et démarra au moment où une première voiture de police arrivait sur les lieux. Il regarda dans son rétroviseur et vit le faux agent de sécurité filer à son tour. Ce n’est que trois coins de rue plus loin qu’il s’autorisa à lâcher son arme. Son taux d’adrénaline diminuant, la douleur qu’il ressentait à l’oblique gauche devint plus intense. Il souleva son veston et constata que son t-shirt était maculé de sang.

    – Eh merde ! dit-il en s’apercevant que la balle qu’il croyait l’avoir frôlé était entrée et sortie du muscle.

    Bien qu’aucun organe n’eût été atteint, il saignait abondamment. Vivement qu’ils arrivent au repaire de Blake !

    Du siège arrière de son véhicule, Jeremiah fut témoin de l’arrivée des forces policières.

    – Plus qu’une quarantaine de secondes, Gary ! déclara-t-il.

    – Ce ne sera pas suffisant. Je fais bloquer les ascenseurs, ça nous fera gagner du temps.

    – Où en êtes-vous ?

    – Nous retirons les corps de nos hommes de la scène, mais nous n’arriverons pas à effacer les traces d’ADN à cent pour cent, monsieur.

    – Leur ADN n’est pas fiché, rappela Jeremiah. Faites-en le plus possible et retirez-vous.

    Le doué réfléchit. Il avait cinq morts sur les bras, dont trois de ses propres agents ! Il allait devoir affronter la fureur de ses supérieurs. Pour le moment, cette perspective le laissait indifférent. C’était de revenir bredouille qui l’enrageait. Il devait mettre la main sur le ou les individus responsables de ce dérapage. Pourvu qu’ils ne livrent pas la gamine aux autorités ! Cela compliquerait sérieusement les choses.

    – On évacue, monsieur.

    – Bien. Rendez-vous au point de ralliement, ordonna-t-il.

    Restait maintenant à déployer une équipe de recherche et, surtout, à contrôler l’enquête qui allait s’amorcer. Quel bordel !

    2

    – Tu es nerveuse ?

    Jane fit la moue, prenant quelques secondes de réflexion avant de répondre.

    – Un peu, oui. Mais je suis surtout fébrile. J’ai hâte de voir le Château, depuis le temps que vous m’en parlez tous !

    Haggart hocha la tête, signe qu’il comprenait son état d’esprit.

    – Tu t’attends à quoi ?

    – Je n’en suis plus certaine. Lorsque tu me l’as décrit, la première fois, il y a trois ans, je m’imaginais un vrai château médiéval. Au fil de mon entraînement, mon idée de l’endroit s’est transformée. Je m’attends maintenant davantage à une vieille structure dans les montagnes servant de façade à des locaux modernes.

    – Hmm. Bonne description sommaire du site.

    – Je ne m’attendais toutefois pas à ce qu’il soit en Turquie, commenta Jane en regardant passer une bande d’adolescents à vélo.

    C’est que Haggart avait toujours mentionné que le Château se trouvait en Europe de l’Est. La Turquie était un peu plus à l’est que prévu, sans compter le fait que ce pays ne faisait pas partie de l’Europe… Pas tout à fait, du moins. Une autre demi-vérité que lui avait servie son mentor, destinée à protéger le secret de l’emplacement du siège social de la Société Zeus !

    Jane ne s’attendait pas à un tel degré de développement de la part d’un pays à cheval entre l’Europe et l’Asie. Quand elle avait lu la destination sur le billet que lui avait remis Haggart à l’aéroport, elle avait cru à tort qu’elle échouerait dans un endroit semblable aux images de l’Afghanistan qui avaient pullulé à la télé à la suite des attentats du 11 septembre. Elle s’était trompée et en était soulagée. Ankara, où ils avaient atterri, n’avait rien à envier aux autres métropoles du monde, avec ses infrastructures modernes et son urbanisme galopant. Le climat n’était pas si différent de celui de son Canada natal. Les conifères étaient abondants. Le panorama, parfois dénudé et rocheux, prenait souvent des allures de taïga québécoise, quoique la végétation y fût méditerranéenne. Les habitations aux toitures rougeâtres ajoutaient à la saveur locale. Jane adorait l’endroit.

    – Est-ce que Jeanine y sera ?

    – Non. Sa place est sur le terrain. La faire venir ici compromettrait sa couverture.

    Jane sourit en se remémorant la quinquagénaire instructrice de yoga, massothérapeute et guide spirituel. Elle louait un local dans un centre de santé au nord de Montréal et y recevait, à

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