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Traqueurs 01 : Pouvoirs
Traqueurs 01 : Pouvoirs
Traqueurs 01 : Pouvoirs
Livre électronique350 pages4 heures

Traqueurs 01 : Pouvoirs

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À propos de ce livre électronique

Il y a, dans ce monde, des gens à qui la vie offre des dons extraordinaires. Leurs pouvoirs sont tels qu'ils pourraient changer le cours de l'Histoire. On les appelle les doués.Il y a aussi ceux qui remuent ciel et terre pour les débusquer : les traqueurs. Et puis, dans l'ombre, il y a la Société Zeus et le Projet Trou Noir.Alexandre Day laisse une impression singulière aux gens qu'il rencontre. Bien malgré lui. Alexandre Day n'est pas un homme ordinaire. Il a des dons. Cadeau que la vie lui a fait à sa naissance. Mais si vous lui demandez son avis, il vous dira que c'est un cadeau empoisonné… Le jour où Alexandre rencontre Rachel pour la première fois, il est conquis. Chaque jour, il retourne dans le même parc, espérant la revoir. Il l'admire de loin, reste à l'écart, de peur d'être repoussé. A sa grande surprise, c'est Rachel qui viendra vers lui. Le jeune homme comprendra alors qu'il faut un être particulier pour en attirer un autre.Il ignore par contre que Rachel court un grave danger. D'ailleurs, la jeune femme ne le sait pas elle-même. Démuni, Alexandre se tournera alors vers Jane Hart. Spécialiste dans l'étude des phénomènes paranormaux, elle soumettra le cas du couple à Michael Haggart. Celui-ci occupe un poste-clé dans un hôpital psychiatrique et dirige des recherches en parapsychologie. Ce que Jane ignore toutefois, c'est le lien qu'il entretient avec la Société Zeus.
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie11 mars 2015
ISBN9782896624287
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    Aperçu du livre

    Traqueurs 01 - Boivin Mario

    alliée

    PROLOGUE

    Six ans plus tôt

    La foule était dense autour de Jonathan, mais cela ne l’empêchait pas de voir loin devant lui, du haut de son un mètre quatre-vingt-onze. Sa tête dominait le flot de Chinois qui l’entourait dans la rue principale de Jinzhou. Cela lui permettait de voir les toiles exposées en vitrine d’une des nombreuses boutiques en bordure de rue.

    L’incohérence de la présence du portrait de Nolan parmi les autres dessins au fusain ne le frappa pas de prime abord. Jouant des coudes, il força son chemin jusqu’à la galerie de fortune, les pensées en ébullition. L’illustration était frappante de réalisme et ne laissait aucun doute sur la personne représentée. Comment le croquis d’un résidant du Château avait-il pu aboutir ici, dans le nord de la Chine ?

    Oubliant pour l’instant son rendez-vous du jour, il entra dans la galerie. Après une tournée rapide des lieux, peu fréquentés, il se retrouva devant un muret où, parmi la dizaine de toiles exposées, il reconnut deux autres résidants du Château. Voilà qui lui confirmait sans équivoque qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire… et d’inquiétant !

    L’ampleur de sa découverte exigeait qu’il en informe les autres membres de la Société. Jonathan sortit de l’établissement en attrapant son portable et composa un numéro sécurisé. Une voix se fit entendre à l’autre bout du fil.

    – Michael.

    – Michael, c’est Jonathan. Je viens de faire une découverte surprenante.

    – Une cible potentielle ?

    – Non… euh… enfin, je n’en sais rien.

    – Tu peux parler ?

    – Oui, affirma Jonathan en parcourant machinalement les alentours du regard. Je viens de visiter une galerie où se trouvent trois portraits de résidants du Château.

    – Tu es toujours en Chine ?

    – Bien entendu.

    – Ce sont des photos ?

    – Non, des dessins, mais d’une qualité et d’un réalisme frappants.

    – Qui les a produits ?

    – Je n’en ai pas la moindre idée pour le moment. J’ai cru bon de vous en informer avant de tenter quoi que ce soit.

    – Sage décision. Attends un moment.

    Jonathan fut placé en attente. Il patienta en poursuivant lentement son chemin dans la grande rue. Quelques instants plus tard, un déclic retentit sur la ligne.

    – Jonathan ?

    – Je suis toujours là.

    – Épiphane est avec nous.

    – Bonjour, Épiphane, le salua Jonathan.

    – Bonjour, Jonathan. Malgré que nous soyons sur une ligne sécurisée, j’aimerais que tu limites tes réponses à de simples « oui », « non », ou « je ne sais pas ». Tu es peut-être observé et sondé. Entendu ?

    – Oui.

    Épiphane sourit. Il avait bien compris.

    – Tu as repéré trois portraits de résidants du Château, c’est bien ça ?

    – Oui.

    – Des doués ?

    – Oui.

    – Sont-ils tous du même artiste ?

    – Oui.

    – Y en a-t-il d’autres de cet artiste dans la galerie ?

    – Je ne sais pas.

    Jonathan s’en voulut de ne pas avoir pris le temps de vérifier.

    – Crois-tu qu’il s’agisse d’un piège ? demanda Épiphane.

    Jonathan ferma les yeux.

    – Je ne sais pas, dut-il avouer, à regret.

    Il y eut un silence à l’autre bout du fil.

    – Épiphane, je crois que nous devrions envoyer une équipe, suggéra Michael.

    Il se passa encore quelques secondes avant que la réponse de l’Ancien ne se fasse entendre.

    – C’est bon, accepta Épiphane. Prépare une équipe, Michael. Jonathan, il y a de fortes chances pour qu’un de nos ennemis soit derrière ça. Tu connais les précautions à prendre. Ne t’approche plus de cette galerie jusqu’à nouvel ordre.

    La communication fut coupée avant que Jonathan puisse ajouter quoi que ce soit. Ses yeux firent un tour subtil des environs sans reconnaître de visages susceptibles de révéler une filature. Il rempocha son cellulaire et se dirigea vers une rue ou le peu d’achalandage dévoilerait une possible filature. Il ne se faisait toutefois aucune illusion ; s’il était sous la surveillance d’un doué d’une faction ennemie, sa présence serait détectable. Vivement l’arrivée de renforts.

    1

    – Tome II est maintenant la deuxième chaîne de librairies en importance au Québec. Nous devons notre succès non seulement à notre structure d’entreprise, mais aussi au service unique que chacun d’entre vous offre à la clientèle.

    Quelques centaines d’employés applaudirent avec enthousiasme les paroles de leur directrice générale. Diane Farley était une dirigeante respectée, voire aimée de son personnel. Femme simple, elle prêchait par l’exemple et n’hésitait pas à mettre la main à la pâte lorsque l’occasion se présentait. Elle était petite, un peu ronde et d’une élégance qui tenait davantage à sa façon d’être qu’à sa tenue vestimentaire. Les applaudissements s’estompèrent et elle reprit :

    – Cela dit, nos politiques de service à la clientèle doivent être en constante évolution. Le monde et les consommateurs changent, nos méthodes doivent leur emboîter le pas.

    Elle fit une courte pause pour marquer l’importance de cette dernière phrase.

    – C’est vous, les travailleurs en succursale, qui êtes les mieux placés pour nous guider dans ces changements. Vous faites face aux acheteurs potentiels, vous voyez ce qui leur plaît ou les frustre. Vos idées sont donc les bienvenues. Cette année, nous avons reçu cent quarante-trois suggestions de votre part, hormis les demandes d’augmentation de salaire.

    Un rire parcourut l’auditoire.

    – De ces cent quarante-trois suggestions, plus d’une centaine ont été retenues et étudiées par la direction. Vingt-trois actions concrètes en ont résulté. Certaines des politiques issues de ces commentaires, en plus de l’être dans nos succursales du Québec, ont été appliquées en Europe. Au siège social de la chaîne, en France, la filiale québécoise est reconnue pour son avant-gardisme et sa gestion proactive. Je tiens à ce que cela se poursuive, pour notre bien à tous.

    D’autres applaudissements fusèrent. La directrice profita de l’occasion pour jeter un coup d’œil vers l’un de ses superviseurs. Elle hocha subtilement la tête et il lui fit signe qu’il était prêt. Elle prit une profonde respiration.

    – Je tiens à saluer au moins une initiative ayant donné naissance à une politique qui a eu un impact énorme sur notre service à la clientèle. Pour vous la présenter, je vais laisser la place à celui qui en a été l’instigateur : Alexandre Day.

    L’homme fut accueilli par des applaudissements chaleureux. Quelques employés sous son autorité directe se permirent même des sifflements d’enthousiasme.

    La réunion annuelle avait lieu dans une salle de réception du Sheraton, dans le centre-ville de Montréal. Alexandre quitta sa table et gravit les marches menant à la scène. Il se dirigea vers sa directrice, qui l’accueillit avec un sourire sympathique et s’écarta de quelques pas pour lui céder la place. Il la remercia, se planta devant le microphone et leva la tête vers la foule, conscient de marcher sur des œufs ; son déphasage durait depuis quelques jours déjà.

    Alexandre était grand, mince et bel homme malgré un nez dont il aurait volontiers réduit le volume de moitié. Il approchait la trentaine, était bachelier en administration et accomplissait son travail de superviseur avec brio. Il faisait cependant partie de la catégorie des gens que l’on dit « étranges ». Et si ses performances professionnelles dépassaient les attentes de ses supérieurs, son comportement social, particulièrement en période de déphasage, se révélait imprévisible. Aux yeux du commun des mortels, ces épisodes, où il lui semblait qu’une partie submergée de son être tentait de refaire surface, ne ressemblaient guère qu’à un état méditatif. Les rares personnes qui le connaissaient vraiment avaient toutefois appris à se méfier de ce comportement rêvasseur qui avait le don de se transformer en cocktail Molotov, surtout lorsque Alexandre se trouvait en situation de stress. En ce moment, debout devant la quasi-totalité des employés de la filiale québécoise, en pleine crise de déphasage, il se sentait de plus en plus stressé.

    – Bonjour, salua-t-il sans que le microphone capte sa voix.

    Il baissa la tête et vit que l’appareil était à la hauteur de son plexus. Diane Farley devait faire cinquante centimètres de moins que lui. Il se pencha et dévissa le manchon, tout en essayant de ne pas froisser la feuille de notes qu’il tenait entre le pouce et l’index. En remontant la tige métallique, il laissa tomber le pense-bête qui voltigea de tous côtés. Alexandre le vit flotter dangereusement vers l’avant-scène ; il fit un pas rapide pour le récupérer. Ce faisant, son coude frappa le microphone, provoquant un énorme vacarme dans les haut-parleurs, et n’empêcha finalement pas sa feuille de basculer dans le vide. Elle tournoya joyeusement pendant une éternité, lui sembla-t-il, et choisit de se poser, sûrement pour le contrarier, aux pieds d’Eddy Thomas, le directeur des opérations.

    Bouche bée, l’assistance observait la scène digne d’un vaudeville. Diane Farley ferma les yeux. Elle connaissait pourtant Alex et avait constaté son état avant la réunion ; elle aurait dû s’en douter. Monsieur Thomas se pencha lentement, ramassa le bout de papier, se leva, fit quelques pas et le tendit à Alexandre.

    – Merci, balbutia ce dernier.

    Le directeur lui tourna le dos sans façon pour se rasseoir. Alexandre reprit sa place devant le microphone. Il fit un clignement soutenu et secoua la tête pour tenter de dissiper la torpeur qui le gagnait. Ses yeux se posèrent sur Isabelle Gallion, la gérante de la plus grande succursale de l’entreprise et avant tout sa meilleure amie, dont le regard sévère lui commandait de se reprendre. Si seulement elle savait l’ampleur de la tâche qu’elle lui demandait et à quel point c’était plus fort que lui.

    – Faux départ, lança-t-il à la blague.

    Ce qui réussit à tirer des rires de sympathie à la foule.

    – Bon… euh… l’an dernier, lors de l’ouverture de notre succursale de…

    Alexandre poursuivit son exposé. Sa chemise était trempée, sa gorge était sèche. Le cercle vicieux qu’il connaissait bien, celui du déphasage, l’avait happé. Agrippé à ses papiers comme à une bouée de sauvetage, il tenta d’évacuer son stress, d’être indifférent aux dizaines de paires d’yeux qui l’observaient. Résultat : les idées et les mots qui d’habitude se bousculaient dans sa tête s’étaient évaporés. Les notes qui avaient été de formidables points de repère lorsqu’il avait répété son discours lui semblaient maintenant bien maigres.

    Le malaise d’Alexandre était palpable et contagieux. Il ressentait l’inquiétude des employés qu’il côtoyait chaque jour. Ces derniers savaient que leur superviseur avait parfois des réactions curieuses, mais le voir aussi hésitant et décontenancé leur indiquait que quelque chose n’allait pas. Alexandre aurait voulu être ailleurs, ce qui, dans son cas, n’était pas un sentiment souhaitable. Il tenta désespérément de chasser cette pensée et de se secouer. Rien n’y fit.

    La lumière de la salle s’assombrit devant ses yeux. L’air qu’il respirait devint épais et prit un goût qui lui était à la fois familier et menaçant. Il y était presque ! Il devait quitter cette scène tout de suite.

    – Pardonnez-moi, je dois…

    Alexandre frissonna. Rien de très visible, un simple petit frémissement. Ses lèvres remuaient légèrement, mais aucun son ne s’en échappait. Ses yeux écarquillés bougeaient de gauche à droite, comme s’ils cherchaient à repérer quelqu’un ou quelque chose dans la salle. Cinq secondes passèrent… sept… dix… Le malaise qui pesait sur l’assistance devint de plus en plus palpable.

    Alexandre flottait à plusieurs mètres au-dessus de son corps. Son trac s’était dissipé. Il contemplait son enveloppe de chair debout au milieu de la scène, un corps silencieux faisant face à une foule indisposée. Dans cet état, même devant l’urgence de la situation, il ressentait une grande paix. Le temps s’allongeait et ses inquiétudes n’étaient plus qu’une arrière-pensée à balayer du revers de la main. Les événements reprenaient leurs proportions réelles. Que sa présentation soit un modèle d’éloquence ou une suite de phrases laborieuses n’avait plus aucune importance.

    Un mouvement capta son attention ; du moins l’attention de cette partie de lui qui se prenait pour un hélicoptère. Quelqu’un approchait de son corps par-derrière. Diane Farley posa délicatement sa main sur l’épaule de son superviseur.

    – Alex, ça va ?

    La réintégration fut immédiate. Corps et esprit réunis, Alexandre eut un soubresaut, ce qui fit tressaillir sa directrice à son tour, ainsi que plusieurs des employés qui suivaient la scène de façon hypnotique. Un murmure s’éleva de la foule. Chacun tentait de comprendre ce qui venait de se produire pour le commenter à son voisin. Isabelle avait le visage enfoui dans ses mains. Eddy Thomas secouait la tête, et le président de la chaîne était médusé devant le spectacle auquel il venait d’assister.

    La réalité reprenait sa place dans la tête d’Alexandre. Sa directrice était toujours à ses côtés.

    – Alexandre, est-ce que ça va ? répéta-t-elle avec plus d’insistance.

    – Oui… oui, ça va, répondit-il, un peu confus.

    Il gardait un souvenir parfait de ce qui venait de se passer, avant, pendant et après sa désincarnation. Cependant, il n’avait qu’une vague idée de la durée de l’expérience ; le temps s’écoulait différemment lorsqu’il était hors de son corps. Ses émotions étaient comme les couleurs d’une peinture abstraite, un hasardeux mélange qui le laissait perplexe.

    – Va t’asseoir, je prends la relève, ordonna la directrice d’une voix douce mais ferme.

    Alexandre avait un don pour provoquer des situations insolites, mais il était un jeune homme aimable et un excellent employé. Il venait de vivre une expérience pénible et elle n’avait pas le cœur à lui faire des reproches.

    – Non, ça va mieux, insista Alexandre, désireux de se reprendre. J’ai eu… Disons que mon esprit s’est égaré.

    Le haussement de sourcils de Diane indiqua qu’elle n’était pas rassurée par la réponse. Alexandre soupira, baissa la tête, puis la releva et regarda sa patronne avec aplomb.

    – Je t’assure, Diane. Fais-moi confiance.

    Une lueur dans les yeux de son superviseur et son attitude sécurisèrent la chef de filiale. Elle hocha légèrement la tête puis recula, espérant de tout cœur ne pas se tromper. Alexandre s’approcha à nouveau du micro devant les centaines d’yeux rivés sur lui dans l’expectative d’une explication. Il prit une grande respiration et lança :

    Overdose de café… désolé.

    Il y eut quelques rires incertains. Désireux de ramener l’attention de ses collègues sur l’ordre du jour et loin de ses péripéties, Alexandre reprit simplement sa présentation là où il l’avait laissée. Cette fois, ses idées étaient claires et ses phrases, aisées. Il ajouta une touche d’humour à son allocution, ce qui eut vite fait de dissiper le malaise des minutes précédentes. Le président retrouva son sourire ; monsieur Thomas, son air suffisant, et les employés se détendirent. Après quelques minutes d’une présentation finalement réussie, Alexandre conclut :

    – J’espère donc que cette nouvelle politique permettra à chacun d’entre vous de mieux connaître les livres que Tome II offre à sa clientèle et, plus encore, de rehausser votre niveau de culture… ce qui ne fera pas de tort à Frédérick.

    Un grand rire parcourut l’auditoire. L’employé visé s’esclaffa de bon cœur.

    – Je vous remercie pour votre attention et je vous encourage à continuer à nous faire part de vos suggestions. Bonne soirée !

    Alexandre céda sa place à sa directrice sous les applaudissements de ses pairs. Il avait réussi à se reprendre, mais savait qu’il aurait des explications à donner à Isabelle, qui le questionnait déjà du regard. Il prit place à côté d’elle et, l’ignorant, porta son attention sur sa directrice qui poursuivait l’ordre du jour. Isabelle comprit qu’elle ne tirerait rien de lui à ce moment, aussi tourna-t-elle son regard vers la scène. Elle aurait bien le temps de lui tirer les vers du nez.

    Détendu, Alexandre sirota son verre d’eau, l’esprit ailleurs. Ou plutôt, les pensées ailleurs… son esprit se tenant bien tranquille.

    2

    L’autobus n’était pas bondé. Alexandre était assis seul sur un banc à deux places, les jambes allongées sous le siège devant lui. La tête appuyée contre la fenêtre, il ressassait les événements de la journée, des nœuds dans l’estomac.

    Après le désastre de la réunion annuelle, il avait dû faire acte de présence à la traditionnelle réception de la compagnie. Plusieurs de ses compagnons de travail l’avaient questionné sur son « malaise » lors de son discours. Sans mentir – car il en avait l’incapacité –, il avait donné une réponse évasive ayant contenté tout le monde, sauf une : Isabelle. Celle-ci lui avait fait cracher le morceau en privé.

    – Tu as des quoi ? ! s’était-elle écriée.

    C’est que sa meilleure amie était d’un pragmatisme borné. Tout ce qui s’approchait de près ou de loin du surnaturel la rebutait.

    – Des désincarnations, avait-il répété.

    S’ensuivit une conversation où Alexandre expliqua tant bien que mal les difficultés qu’il éprouvait avec certaines facettes de sa personnalité ; ce qu’il avait appelé ses « dons ». Isabelle avait bien noté que son supérieur et ami avait la capacité de « deviner » les choses. Elle ne comptait plus les fois où il verbalisait ses propres pensées, humeurs et états d’âme. Il était toutefois difficile pour elle de croire que l’esprit puisse s’échapper du corps de quelqu’un, en particulier pendant une allocution. Elle avait émis l’hypothèse qu’il puisse être victime de sa propre imagination, phénomène dont elle notait une accentuation ces derniers temps. Vexé, Alexandre avait mis fin à la conversation et s’était éclipsé aussitôt qu’il en avait eu l’occasion. Il adorait Isabelle, mais discuter de ce sujet avec elle était pénible.

    Maintenant, seul dans l’autobus, il reconnaissait qu’elle n’avait pas tout à fait tort. Ses dons se manifestaient de plus en plus fréquemment et parfois de façon imprévisible, voire catastrophique ! Ce n’était pas la première fois que cette partie de lui qui le rendait singulier s’emballait. Le phénomène était cyclique, avec des périodes de latence et de recrudescence. Il était toutefois inquiet de l’intensité de ses dernières expériences, celle du jour en tête de liste. S’il parvenait à les contrôler avec peine dans le passé, comment diable y arriverait-il si elles s’amplifiaient ? Il en avait assez d’être l’esclave de perceptions et de réactions qu’il lui était impossible de refouler.

    Pour la millième fois, il se demanda qui lui avait transmis ces dons, si cette facette de sa personnalité était bien héréditaire. Sûrement pas de sa mère. Louise Day était on ne peut plus normale. Son père n’ayant été qu’une passade dans sa vie, il était impossible de savoir si l’homme avait des dons particuliers. Malgré les innombrables fois où il avait questionné Louise au sujet de son géniteur, il en savait peu sur lui. Elle l’avait rencontré en Europe. C’était un personnage excentrique, bohème et charmeur. Leur relation n’avait duré guère plus d’un mois. Les compagnons de voyage de Louise n’aimaient pas le personnage et l’avaient avertie de s’en méfier. Faisant fi de leur opinion, elle avait accepté d’accompagner Nathaniel – elle ne connaissait même pas son nom de famille – à une soirée d’où elle était revenue enceinte. Quand elle l’apprit, l’homme avait disparu depuis belle lurette. Fin de l’histoire.

    – Tu ressembles tant à ton père, lui disait souvent sa mère en le contemplant.

    Dans ces moments-là, il ressentait en elle un mélange de mélancolie et d’une émotion s’apparentant à de la crainte. Alexandre n’avait jamais pu apprendre ce qui engendrait ce sentiment en elle.

    L’autobus s’immobilisa à l’arrêt de la pointe est de l’île de Montréal. Alexandre jeta machinalement les yeux sur chacun des passagers qui empruntait le même chemin, le long de l’étroit couloir. La dernière était une jeune femme, plutôt jolie, à l’allure sportive. Ses courts cheveux noirs étaient rebelles et lui donnaient du style. Ses yeux clairs, légèrement en amande, se posèrent sur la place libre à côté de lui. Elle se laissa choir à ses côtés et plaça son sac entre ses jambes. Ce faisant, son genou frappa celui d’Alex.

    – Excusez-moi !

    – Sans problème, répondit-il en croisant son regard.

    Elle lui sourit et porta son attention vers l’avant. Il fit de même. Un autre aurait peut-être tenté sa chance, entamé une conversation. Ce n’était pas le genre d’Alexandre. Côté sentimental, il n’était pas un « chasseur », préférant laisser le destin opérer et les choses se passer plus naturellement.

    L’autobus s’approchait de l’entrée de son parc fétiche. Son cœur s’allégea. C’était son endroit préféré ; son refuge, en quelque sorte. Ce sanctuaire naturel s’étendait sur deux cent soixante hectares. Des sentiers y étaient aménagés et serpentaient à travers forêt, marais et champs. Une multitude d’oiseaux de toutes espèces y nichaient et plusieurs observatoires permettaient de les étudier ou de simplement prendre plaisir à les regarder. Mais, de tous les attraits de l’endroit, l’entrée était le préféré d’Alexandre. Une route filait entre deux hautes grilles de métal rivées à des socles de pierre et plongeait dans un vaste cimetière gazonné, au sein d’une forêt de chênes et d’érables. Quelques rangées de pierres tombales se dressaient au fond de l’enceinte, mais la plupart des monuments étaient couchés, enchâssés dans le sol.

    Alexandre y passait au moins un après-midi par semaine, de la fonte des neiges du printemps jusqu’aux premiers flocons de l’hiver. Il adorait y pique-niquer et y lire des bouquins. Au fil du temps, il avait décrypté toutes les épitaphes gravées sur chaque pierre et calculé l’âge des personnes reposant sous terre. Cela lui donnait en quelque sorte l’impression de posséder l’endroit ou d’en être le gardien. Il lui semblait avoir fait connaissance avec tous les « locataires » et s’en être fait des amis. Lors de ses balades, il les saluait et se confiait même à certains d’entre eux, attirant à l’occasion le regard des autres visiteurs ; une excentricité qu’il n’hésitait pas à s’accorder.

    L’attention d’Alexandre fut attirée par une jeune femme en promenade dans les allées de son cimetière. Il l’avait croisée à quelques reprises ces dernières semaines et, chaque fois, sa présence l’avait transporté. Son épaisse chevelure rousse cascadait sur ses épaules délicates, contrastant avec la longue robe d’été blanche qui la moulait du cou à la taille et dévalait en amples plis jusqu’à ses chevilles. Ses yeux foncés, presque noirs, et ses lèvres d’un rouge profond étaient des joyaux au milieu de traits qui, d’une façon difficile à expliquer, étaient hors du commun. Les mains dans le dos, elle marchait parmi les monuments sans égard pour le temps. Alexandre se plut à imaginer qu’elle était animée par la même passion de l’endroit qu’il l’était lui-même. Peut-être, comme lui, ne voyait-elle pas des épitaphes gravées dans le marbre et le granit, mais des vies de chair et de sang devenues poussière, des histoires à imaginer. Il regretta de ne pas être allé à la réunion annuelle en moto, ce qui lui aurait permis de s’arrêter au cimetière ce soir et, qui sait, de lui parler. Mais l’autobus franchissait déjà les limites du parc, et la beauté féerique disparut derrière un mur d’arbres.

    Il permit à son esprit d’échafauder des scénarios dans lesquels il rencontrait la jeune femme du cimetière. L’autobus s’engagea sur le pont séparant l’île de Montréal de sa banlieue est. Il posa les yeux sur la rivière qu’il enjambait : son large cours sinueux parsemé d’îles était magnifique au coucher du soleil. Alexandre fixait les milliers d’étincelles qui dansaient sur l’eau, et cela l’apaisa. Il laissa ce sentiment le bercer un moment, jusqu’à ce qu’une idée s’impose à lui, puissante et désagréable. Une noyade. Le calme qu’il ressentait un instant auparavant se transforma en un douloureux vide, celui que laisse la perte d’un être cher englouti par les eaux. Le sentiment était fort et il essaya d’en trouver la source. Il fouilla dans ses souvenirs pour retrouver qui, dans son passé, s’était noyé. Son grand-oncle Roger, frère de son grand-père, s’était bien noyé, mais Alexandre n’était pas né à l’époque et il n’en avait jamais souffert. Sa mémoire ne lui révéla rien d’autre pour expliquer la douleur qu’il ressentait. Il fut soulagé lorsque l’autobus quitta le pont pour s’engager sur la terre ferme et s’efforça de penser à autre chose. Le sentiment de vide s’atténua sans toutefois le quitter complètement.

    Un, deux, troisième arrêt. L’autobus s’immobilisa à l’entrée de la presqu’île où s’alignaient des immeubles en copropriété. Il était propriétaire d’un loft dans le plus éloigné des bâtiments, au rez-de-chaussée. Alexandre s’excusa poliment auprès de sa compagne de siège, qui se leva pour le laisser sortir.

    – Merci.

    Elle sourit timidement en évitant son regard. Il descendit de l’autobus et s’enfonça dans son quartier. Il se sentait mieux… beaucoup mieux. L’impression de vide s’était dissipée. Le souvenir de la réunion annuelle était déjà classé dans sa tête, et la vue de son loft en cette magnifique fin de journée d’été le rendait heureux. Il sourit et accéléra le pas. Il avait hâte de se retrouver chez lui.

    Dans l’autobus qu’Alexandre venait de quitter, Marie-Anne essuyait

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