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Le lanceur de dés et autres nouvelles
Le lanceur de dés et autres nouvelles
Le lanceur de dés et autres nouvelles
Livre électronique193 pages3 heures

Le lanceur de dés et autres nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Une justice rendue au lancer de dés, un héritage dont on ne sait que faire, un entretien d’embauche déguisé en barbecue… Cet ouvrage présente six nouvelles étonnantes qui explorent le doute qui plane sur nos choix en matière de défis, de rêves, d’aspirations, d’amours et de peines. Et vous, quels choix feriez-vous dans ces situations imprévisibles ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Scénariste et réalisateur de profession, Khourban Cassam Chenaï obtient la bourse Beaumarchais de la SACD en 2001 et en 2009. Il a également été formateur en storytelling, script-doctor et coauteur.
LangueFrançais
Date de sortie18 janv. 2024
ISBN9791042214807
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    Aperçu du livre

    Le lanceur de dés et autres nouvelles - Khourban Cassam Chenaï

    Dans le mur

    Dans mon quartier, il y avait un appartement à vendre, mais depuis quelques jours, ils ont enlevé l’écriteau et l’ont remplacé par un autre, tout jaune et fier où est écrit en grosses lettres rouges : vendu !

    À ce qu’on m’a dit, c’est un jeune couple qui l’a acheté ; tout content d’avoir pu acquérir ce modeste studio. Quelques copains les ont aidés pour leur déménagement et, sans déballer aucun carton (il était tard, l’insouciance préside encore), ils ont fait l’amour sur le clic-clac qu’il a ramené de sa chambre d’étudiant. Elle a apporté quelques plantes de chez ses parents. Nos deux oiseaux, quand ils ne roucoulent pas, font leur nid. « Où est-ce qu’on pourrait mettre cette table basse ? Tiens, mets-la ici… » Ils s’amusent, tout enthousiaste. Ça leur rappelle leurs dernières vacances en Auvergne et la semaine passée dans ce gîte. C’était la première fois où ils avaient eu à être grands ; faire la cuisine, faire la vaisselle, faire le ménage… De vraies vacances ! La semaine s’était très bien passée : dès les premiers jours, chacun avait trouvé ses marques ainsi qu’ils le faisaient ce samedi de mai dans leur nouvel appartement. Ils se regardent et se sourient en se disant que, oui, décidément ces prochains jours vont être formidables. Ils ne songent pas un seul instant que ce qu’ils font, c’est pour la vie ! Ils ne réalisent pas encore…

    Lui rentre du travail tous les soirs vers vingt heures. Elle est toujours là pour l’accueillir. Elle doit encore être étudiante. Il dénoue sa cravate, ils s’embrassent, elle lui propose un Martini blanc. Ils s’asseyent face à face et, pendant l’apéritif, il raconte sa journée. De temps en temps, il la questionne à son tour, mais à chaque fois, elle est brève. Elle préfère l’entendre parler. Alors, il réfléchit et, d’anecdotes insignifiantes, il en fait de grandes aventures qui la fascinent. Il a l’impression de jouer un rôle. Parfois, ça l’ennuie un peu, mais rarement il y pense. C’est inconscient. Il sent juste quelque chose d’indéfinissable et quand, parfois, ce sentiment est plus présent en lui, quand il est fatigué de cette espèce de comédie, il se rassure en se disant qu’après tout, il ne fait qu’apprendre à jouer l’adulte. C’est sa mission ou sa fonction… En tout cas, c’est son avenir.

    Le studio est tout blanc et bien qu’il ne soit pas très grand, comme il est très lumineux (trois fenêtres : une à la cuisine et deux au mur gauche), il paraît spacieux. Et puis il symbolise tous leurs projets, leurs rêves et leurs désirs d’un futur toujours meilleur ; il enferme leurs ambitions secrètes ! Il y a quelques moulures au mur et du parquet au sol. Elle a mis ses plantes aux quatre coins de la pièce plus quelques fleurs en pot au balcon. Il y a leur clic-clac. Ils pensent s’acheter un lit, un vrai, mais jusqu’à maintenant, ils n’ont trouvé ni le temps ni l’argent. Par contre, elle a acheté, pour leur belle table basse, de nouveaux couverts, quelques assiettes (six : pour les amis de passage ou si elles se cassent) et quelques verres à vin. Elle joue à la dînette ! Il y a le téléphone. Ça l’agace un peu de la voir appeler tous les jours sa mère, mais il ne dit rien… Ou si peu. Lui a ramené son vieux synthétiseur qu’il a calé près de l’ordinateur. Sa maman le lui avait acheté quand, à dix-sept ans, il avait décidé de faire un groupe avec des potes du lycée. Avant, il faisait quelques mélodies sur le piano de la famille alors, quand sa mère lui avait payé ce clavier, c’est comme si elle lui avait offert des ailes. Il ne s’était alors jamais senti aussi libre depuis cette époque et, merveilleux, quelque sept ans plus tard, il continuait à planer, toujours plus haut ! Maintenant, il joue de temps en temps pour se rappeler cette belle époque… Mais assez rarement en fait. Il n’a plus le temps. Son travail, tout ça… Quand il s’assied face à cet alignement harmonieux de touches noires et blanches, c’est toujours avec plaisir pourtant, mais il ne sait pas si c’est partagé. Elle non plus, d’ailleurs… Quand le son du piano emplit la pièce, elle est entre admiration et écœurement. C’est vrai que c’est beau tous ces airs qu’il joue systématiquement, mais il joue le passé, teinté de trop de nostalgie.

    Quand elle se couche auprès de lui, elle n’a plus peur, car elle se dit que tout ça est normal : ces petits ratés, ces contrariétés, ces déceptions… Après tout, ça fait partie du jeu (n’aime-t-on pas l’autre aussi pour ses défauts ?) et elle s’endort.

    Lui a toujours un peu plus de mal à dormir. C’est sûrement le stress au boulot… Il fixe la cuisine en face d’eux. Ce n’est pas vraiment une cuisine d’ailleurs ; plutôt une kitchenette, une cuisine américaine comme on dit dans les annonces. Le lavabo et les placards sont encastrés dans le mur. De son lit, il peut voir la vaisselle sale de leur repas du soir et le linge propre qui pend à un fil. Et même si chaque soir ce n’est pas le même repas ni au bout du fil, le même linge, quand la lumière s’éteint, on y voit la même chose ! Quand apparaissent ces reliefs éclairés par la lucarne, il est à deux doigts de se dire que les monstres de l’enfance, ceux qui se cachaient dans son armoire ou sous son lit, vont revenir manger les restes sur les assiettes ou essayer ses chemises qui sèchent durant la nuit.

    ***

    Il eut l’idée un samedi matin. Une idée simple, lumineuse… Évidente comme un matin de juin. Il en était tout excité et, à peine, était-il sorti du lit, que sa tête tournait à plein régime. Il invita sa compagne à prendre leur petit déjeuner à la terrasse d’un café, près du parc. Elle fut surprise puis à son tour électrifiée de cette fantaisie soudaine dans leur quotidien. Elle avait l’impression de sauter avec lui d’un train en marche et à peine, furent-ils attablés qu’elle lui demanda quelle était cette idée. Elle ne pouvait attendre plus longtemps tant la question lui brûlait les lèvres. Il lui confessa alors ce qui le tourmentait : cette immonde kitchenette qui leur faisait front, les défiant chaque nuit de sa face de sorcière. Elle fut interloquée, mais ne dit rien, car il embraya sur sa solution qui rendait toute discussion caduque. Il voulait construire un mur ! Tout était prévu dans sa tête. Un beau mur de briques rouges qui les protégerait, et les éloignerait définitivement de cette cuisine. Il savait d’avance que ce contrepoint vermillon donnerait un cachet supplémentaire à leur studio trop blanc et il essaya de la persuader que ce simple mur ferait de leur petit appartement, un vrai palace. Elle n’en fut pas tout à fait convaincue. Elle ne trouvait pas la cuisine laide (en fait, elle n’y avait jamais prêté attention), quant au mur, elle doutait de l’embellissement qu’il pourrait apporter. Lui n’en démordait pas. Il s’énerva même un peu, mais quand il alla vraiment au fond de sa pensée en lui racontant ses angoisses : ces fantômes qui dansaient sur la corde à linge et ces monstres de métal et de porcelaine tapis dans le lavabo ; tout ce qu’il voyait la nuit, avant de s’endormir, elle ne se moqua pas de lui, au contraire, elle finit par accepter. Elle aurait tout accepté de lui à cette époque. Par amour.

    L’après-midi, ils allèrent acheter les briques, le ciment et tous les ustensiles nécessaires à la réalisation de son rêve. Il se mit à l’ouvrage dès le soir. Il était comme possédé. Une frénésie l’agitait et le faisait s’activer plus que de nature. Il en oubliait les heures et refusa ce soir-là de manger. Il était comme un môme qui vient de recevoir un nouveau jouet. Elle, assise à la table basse, le regardait avec tendresse en souriant, mastiquant seule la salade qu’elle avait préparée. Elle était finalement assez fière de lui. C’était un homme d’initiatives, un homme qui pourrait avoir les épaules solides pour élever une famille. Et même si ce choix de construire ce mur ne l’enthousiasmait pas trop, ça lui plaisait de voir son homme faire des choix et de les assumer et elle se dit qu’elle finirait bien par se rallier à sa cause, car cela était moins pénible que de vivre avec un pauvre gars sans volonté ni ambition. Ainsi sont les femmes…

    Certes, ce n’était pas si facile tous les jours. Finis les Martini quand il rentrait du travail et rares étaient les dîners en tête-à-tête. Dès qu’il passait la porte, il jetait son costume sur le lit et se mettait à sa construction. Il avait tous les jours l’impression qu’il n’avançait pas assez vite. Il lui avait fallu plus de briques et plus de ciment que ce qu’il avait calculé. Elle avait fini par ne plus le regarder faire. Ce petit jeu l’avait lassée et elle l’avait laissé seul face à son mur. Elle en profitait pour réviser ses cours ou appeler sa mère. Lui avait pris cette construction comme une bénédiction. Il se souvenait de l’époque d’avant le mur où il fallait qu’il attende qu’elle eût fini de préparer son TD du lendemain avant d’espérer le moindre câlin, ou des heures à marmonner tout seul quand elle était en conversation avec sa môman. À présent il sentait l’harmonie nécessaire à la viabilité de tout couple, où chacun à ses activités, où l’un n’empiète pas sur le terrain de l’autre, où il y a un temps pour tout : un temps pour le « moi », un temps pour le « nous ». Tout aurait été si bien si elle avait partagé cet avis. Au début, il avait pourtant essayé de l’initier aux joies de la maçonnerie, mais plus il voulait l’impliquer et moins elle se laissait faire. Il finissait par s’énerver d’autant d’entêtement de sa part. Il cherchait des raisons : « C’est de mettre les mains dans le ciment qui te déplaît ? C’est la rugosité des briques, » non, qu’elle faisait systématiquement. Alors c’était quoi ? Ça ne lui plaisait pas, c’est tout ! Mais ça, il ne voulait pas le comprendre. L’homme ne comprend pas le simple quand il vient de la femme… Ça paraît suspect. Alors il avait abandonné l’idée de vouloir l’investir dans ses plaisirs solitaires. De toute façon, il avait fini par se dire que s’ils en étaient là, à ce point d’incompréhension dans leur couple, bah ! Oui, tout ça n’avait été que de sa faute à elle, et elle seule. Après tout, n’était-ce pas elle qui avait insisté pour prendre ce studio ? Elle aimait le quartier, avait-elle déclaré. Elle aimait le quartier, la lumière dans l’appartement, le parquet au sol et les moulures au plafond. Elle aimait la blancheur des murs et tous les souvenirs qu’ils pourraient y afficher ! Alors pourquoi maintenant le trouvait-elle si sombre, ce paradis perdu, si poussiéreux, si peu pour elle ? « Elle ne peut pas me jeter la pierre… », avait-il pensé. « C’est elle, après tout, qui a commencé par le construire ce mur, en voulant ce lieu qui en nécessitait un. » Et pourtant, elle la lui jetait, cette pierre, à chaque regard et chaque absence et lui, lui en faisait un mur. Mur des lamentations…

    Elle, ce qui lui pesait le plus, c’était tous ces dimanches ratés. Il n’avait jamais le temps pour aller se balader dans le parc voisin, plus la moindre minute pour boire un verre dehors comme ils aimaient le faire et surtout pas la moindre seconde pour rendre visite aux beaux-parents. « Vas-y, toi », avait-il répondu. Il avait dit cela, en tout cas il le croyait sincèrement, avec amour et désintéressement, alors qu’il n’y avait, dans cette proposition, qu’agacement et égoïsme. Mais, elle avait fini par s’y résoudre, lasse de passer ses après-midi à regarder de la fenêtre les couples s’embrasser dans le square au pied de leur immeuble. Peu à peu, sans s’en rendre vraiment compte, il grappillait quelques secondes de plus pour lui et son mur, sur le temps de son couple. Aveugle, il croyait même que le temps s’ajoutait alors qu’il se retranchait. Et plus il éloignait sa compagne de lui, plus il l’aimait. Pour tout dire, chaque minute passée en action devant ce mur était consacrée en pensées à la femme de sa vie. Ils se voyaient plus heureux avec ce mur et finalement, il se mit à penser que ce qu’il bâtissait pour eux n’était que le symbole de leur relation, de leur union : droit, fier, solide, éclatant !

    Elle revint un dimanche soir de chez ses parents, remontée comme jamais. Bien sûr, elle ne voyait pas cette histoire du même œil alors, elle commença par lui confesser ce qu’elle avait sur le cœur. Il en fut tout surpris et arrêta tout net son ouvrage pour l’écouter. Et elle finit par dire (comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ?), la voix blanche, que si tel était le problème, alors elle ferait la vaisselle du dîner le soir avant d’aller se coucher et qu’elle n’étendrait le linge que quand il serait au travail. Pendant un temps, il ne dit rien. Il la dévisagea, scrutant les moindres traits de son visage. Elle pensa d’abord qu’il approuvait en silence ce qu’elle venait de dire (qui ne dit mot consent). Il se mit même à sourire – son cœur de petite fille gonfla alors d’un coup – mais il devint grimace quand, tout calmement, il dit : « Mais tu n’as rien compris ? ». Il y avait dans cette simple phrase tant de déception et de colère contenue, tant de dégoût et de mépris, qu’elle eut la sensation de se briser en deux. Quand elle se ressaisit, la seconde d’après, elle eut alors l’impression que ce satané mur lui était tombé dessus ou lui avait sauté au visage. Elle sentait le sang couler le long de son nez, sur ses joues et dans sa bouche, mais elle se rendit compte que c’étaient des larmes. Il lui avait déjà tourné le dos pour se remettre à l’ouvrage. Elle aurait bien voulu poursuivre cette discussion, même chancelante, fragile, prête à s’écrouler de nouveau, mais lui s’était muré dans son silence.

    Ne croyez pas que le cœur de notre homme était, à l’image de sa construction, fait de pierre, non, il n’arrêtait pas de penser à cette dernière conversation et ses insomnies avaient fini par reprendre. Pourtant, il se sentait incapable à présent de la convaincre. Ou plutôt, il n’en avait plus envie. Il n’en sentait plus le désir… Jusqu’à ne plus se parler du tout. À chaque brique, le silence les éloigne un peu plus. Ils mettent derrière cette cloison toutes les rancœurs tues. Il sait pourtant que cela les éloigne alors, dans sa tête il ressasse des pans entiers de justifications dans lesquels il glisse quelques excuses, mais aussi beaucoup de reproches. Quand l’occasion se présente où il pourrait parler, plus rien ne veut sortir. Il sent que l’argumentaire auquel il a pensé, qu’il a eu le temps de structurer durant ces derniers jours, auquel il a retiré les détails qui pourraient le compromettre, faisant ainsi sortir les raisons de son choix, il sent que cet argumentaire veut se précipiter et s’entasse, se mélange et ainsi se détruit. Alors il ne dit rien et attend un lendemain qu’il espère meilleur. Du coup, ça gonfle chaque nuit avant de trouver le sommeil. Ça lui enfièvre le corps et lui chauffe les tempes, mais ça ne veut pas sortir. Comme il reste muet, interdit – le mur est sur sa bouche –, il pense à lui écrire, mais, vous savez de nos jours, écrire est une lâcheté. Pourtant, il le sait, il aurait le temps de la

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