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Adéline
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Livre électronique138 pages1 heure

Adéline

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À propos de ce livre électronique

L’horloge dans la salle d’embaumement indiquait 23 h lorsque le corps étiqueté au gros orteil du nom de Adéline Berthelet présenta des trémulations, surtout au niveau des mains. La peau n’était pas très froide, et ne l’avait jamais été d’ailleurs. Puis toutes les parties du corps se mirent à vibrer.


Cette histoire d’amour s’accroche à des faits vécus et des personnages, politiques ou autres, qui ont marqué l’histoire québécoise.

               
LangueFrançais
Date de sortie25 août 2023
ISBN9782897758172
Adéline

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    Aperçu du livre

    Adéline - Jean-Jacques Légaré

    Première partie

    CHAPITRE 1

    Une nouvelle Eustachoise

    « Ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas. »

    — Jacques Parizeau

    Juin 1959

    Jules n’avait jamais pensé, un jour, être consolé, réchauffé et presque caressé par Adéline. Un jeune de presque dix ans n’a pas conscience qu’il s’agit de fantasmes bien légitimes. Et il n’avait rien fait pour que cette situation se produise, mais il profitait de ces instants merveilleux.

    Adéline, que tout le monde du village appelait Mam’zelle ‘Déline, la considérant déjà comme une « vieille fille » même si elle n’avait que trente ans, était une énigme vivante.

    Plein de mystères entouraient cette jolie dame apparue d’on ne sait où depuis maintenant deux ans dans la petite ville de Saint-Eustache. Il y avait d’abord eu l’érection d’une petite maison en bordure de la Rivière-Du-Chêne, à quelques mètres du pont qui enjambe ce petit cours d’eau, tout près de l’église historique¹. On bâtit cette maison sur le terrain bordant la rivière qui appartenait à M. Trudeau. Celui-ci avait accepté qu’on y ajoute ce petit chalet sur son terrain, à la demande de son voisin immédiat, le ministre Paul Sauvé, qui avait acquis la très belle maison du chef des patriotes Jean-Olivier Chénier pour y faire sa demeure, et qui avait assumé les frais de construction du mini-château d’Adéline.

    On l’avait érigé en quelques semaines. De forme carrée, tout près de l’eau, il avait un petit air d’insoumis, comme sa locataire. Les ouvriers de la région avaient mis la main à la pâte, ne sachant pas trop qui viendrait y habiter. Fernando Labelle et Napoléon Robin en avaient été les maîtres d’œuvre et étaient bien contents du résultat : couverture de tôle, murs extérieurs recouverts de papier-brique sur les quatre faces. On y avait ajouté un vieux poêle à bois dans l’espace cuisine, à l’entrée, tandis que le petit coin salon laissait voir la rivière à travers une fenêtre « panoramique », une nouveauté à l’époque. Puis il y avait la petite chambre et la minuscule salle de bain, flanquée d’une baignoire naine.

    Durant ces travaux, personne ne savait qui viendrait y habiter. La rumeur avait couru qu’il s’agissait d’une parente lointaine du ministre. Plusieurs voisins avaient participé aux tâches finales et, en quelques jours, un magnifique trottoir reliait le balcon à la rue.

    Puis, par une belle journée de 1957 arriva cette charmante dame qui portait sur sa tête un immense chapeau et était habillée d’une robe longue à volants turquoise. Jules était chez son grand-père Trudeau ce jour-là. Il avait raconté plus tard à sa mère qu’il avait cru que la dame semblait danser au lieu de marcher en se rendant à sa petite maison. Des déménageurs avaient rempli ce nouveau logis de grosses boîtes et de malles, et étaient repartis aussitôt. Le mystère entourant cette nouvelle Eustachoise persistait toujours après deux ans, et personne n’avait de réponse.

    Toutes les semaines, celle-ci partait, transportant un petit bagage, et revenait quelques jours plus tard. Elle se rendait habituellement à pied au terminus d’autobus, pour aller « en ville » (à Montréal). Était-ce sa destination finale ? Elle remontait « la grand’rue », s’arrêtait souvent au restaurant du Chef Perras, qui lui préparait un sandwich à emporter, puis tournait à la quatrième avenue jusqu’à la rue Saint-Viateur, où se situait le terminus d’autobus.

    Le dimanche, elle allait à la grand-messe de dix heures et s’assoyait dans le banc près de la balustrade, qu’elle avait « acheté », et, en général, elle acceptait que des gens viennent la rejoindre, lorsque la nef se remplissait de paroissiens. Elle allait régulièrement se confesser au Père Léonard, trappiste présent dans la paroisse pour les activités dominicales. Que lui racontait-elle ? « Il y a des avantages à être confesseur », murmuraient les villageois. Certains avaient même émis l’hypothèse qu’elle venait d’une congrégation et qu’elle avait « défroqué ».

    Lors de son arrivée, Jules avait aidé au transport de quelques effets personnels dans la maisonnette, histoire de pouvoir examiner en un instant l’intérieur. Il avait alors huit ans. Elle lui avait demandé à ce moment s’il pouvait faire quelques petites courses pour elle. Il avait accepté avant même d’en avoir parlé à ses parents. Ce même jour, il était allé chercher des liqueurs douces pour les déménageurs et un paquet de « Gitanes », car Adéline était fumeuse.

    Depuis ce temps, il voyait Mlle Adéline toutes les semaines pour des petites courses. Les « locaux » se demandaient bien si le petit Jules ne pouvait pas en savoir un peu plus sur elle, mais leur tentative d’apprendre quelque chose fut vaine.

    Qu’avait fait Jules pour se retrouver chez Mlle Adéline en ce beau jour d’été ? Celui-ci avait l’habitude d’aller pêcher dans la petite rivière avec son grand-oncle Roméo. À cette époque, la pêche se faisait à l’aide d’un carrelet. Il s’agit d’un filet d’environ deux mètres carrés relié par deux branches perpendiculaires. Celles-ci sont accrochées à un long manche. Il faut laisser descendre le filet dans une eau peu profonde et le laisser quelques minutes puis le relever de temps à autre pour voir si quelques malheureux poissons s’y seraient accrochés. Cette pêche était permise dans cette petite rivière, car c’était un cours d’eau de type seigneurial.

    Notre pauvre jeune homme avait sauté dans la chaloupe puis avait fait glisser le carrelet à l’eau. Pour la première fois, il se sentait un homme, capable de pêcher seul. Il s’assit quelques minutes en admirant le paysage d’été. Il n’y avait personne autour. La fenêtre de la maison d’Adéline était ouverte et un bon vent s’y engouffrait.

    Il se leva et, d’un geste ferme, tenta de soulever le carrelet, sans succès. Il fallait redresser le bâton en s’approchant un peu plus du centre. Il se pencha donc vers l’avant et appuya son pied sur le rebord de la chaloupe. Celle-ci s’inclina et fit basculer Jules dans cette eau pas très limpide. Celui-ci rebondit sur une des branches du carrelet et s’enfonça dans l’eau. La panique s’empara de lui et il se mit à crier de toutes ses forces.

    Adéline entendit cet appel et sortit prestement. Sans hésiter, elle descendit dans l’eau jusqu’à la taille et le délivra de cette emprise. Elle lui demanda de s’accrocher à elle pour le sortir de cette fâcheuse situation. Il n’aurait probablement pas péri (il se trouvait dans environ un mètre d’eau), mais il avait eu la peur de sa vie.

    Et maintenant, il était chez elle, presque nu et couvert d’algues et de boue. Elle l’enveloppa dans une couverture et appela ses parents qui accoururent. Jules, penaud, s’en retourna chez lui, après avoir vécu ce jour-là de nombreuses sensations nouvelles. Et le mystère d’Adéline restait toujours entier.

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