Je t'aime: Histoires en déséquilibres
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À propos de ce livre électronique
Parce que l’on voudrait que jamais rien ne s’arrête, ce livre dit notre fragilité à aimer, notre fragilité à être, nos peurs. Mais aussi nos rires, des mains qui se touchent et des derniers baisers, des avions que l’on prend pour s’échapper ou revenir, des envies, trop de je t’aime, jamais assez. Et puis des larmes et de vraies morts. Ce livre raconte la vie, celle que l’on m’a racontée, celle que j’ai inventée, celle qui me touche chaque jour dans sa vulnérabilité, celle qui dit l’amour, surtout.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Auteure, comédienne, et metteuse en scène, Veronique Castanyer pratique le seule en scène depuis plus de 30 ans. Au théâtre, elle donne voix et vie à ses interlocuteurs intérieurs, personnages un peu fous, un peu fragiles, pétris d’une tendresse et d’une fausse naïveté aussi drôles qu’émouvantes. Aujourd’hui, Veronique Castanyer a eu envie de poser là ses mots et ses histoires, de les tenir dans ses mains tout simplement.
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Aperçu du livre
Je t'aime - Veronique Castanyer
Veronique Castanyer
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Histoires en déséquilibres
À Janny, pour son immense soutien.
À Gaëlle …
La profondeur d’abord : on est loin ici de ces panades relativement incolores qui inondent les rayons ; chaque nouvelle va droit à l’essentiel, aux grandes questions, à l’essence des choses. Cette profondeur, cette sincérité, donne une force inouïe à ces histoires.
Il y a aussi les textes, avec un vrai travail de composition, d’écriture : la curiosité est en éveil, suivie d’une éventuelle surprise, d’une forme de dénouement même si l’histoire ne contient pas d’intrigue au sens habituel du terme. Tout est équilibré, pesé, millimétré.
Et au gré de ces textes, de ces histoires, sans fioritures, sans artifice, sans gesticulation, la force de certains détails bien choisis, parfois bouleversants.
Même si les choses évoquées ne sont pas souvent drôles, il y a un vrai et intense plaisir de la lecture. De ce texte, on ne sort pas indemne du tout.
Jean-Pierre Outers
Auteur
C’est parce que je croyais,
Être immortelle.
N’aimer que toi, t’aimer toujours.
Que l’oubli existait.
Qu’en partant loin…
Parce que l’alcool.
C’est parce que je croyais que le monde réel était merveilleux et heureux,
Je croyais, alors j’ai tout inventé.
Ces histoires m’appartiennent autant qu’elles sont éloignées de ma vie, récits glanés, reçus, entendus dans l’intimité d’un jour, traces, voyages.
Elles disent l’amour qui guide nos matins, la souffrance et le manque, les échecs et les défis, l’envie de vivre et de créer.
« Histoires d’humains qui tentent d’être heureux et se blessent aux épines des jours. Qui pleurent devant les courbes d’une rivière, surpris par la douceur des galets. Qui rient en se prenant en photo au fond d’un café. Qui se quittent et se reprennent, parce qu’aimer est bien plus compliqué que faire du vélo. »
Aurore
Tu t’appelles Aurore, lumière qui précède le lever du soleil. Tu t’appelles Aurore, comme ce jour de juin, où je suis sortie du lit de cet homme qui ne sera jamais ton père. Je me suis arrachée à ses bras chauds, à sa peau mate, à son corps empreint de mon odeur, de notre amour. Je t’ai voulue comme je l’ai désiré, quand ses yeux ont rencontré les miens dans ce bar, un soir d’orage, quand sa bouche, plus tard a embrassé mes seins dans cette chambre où je n’ai plus regardé ma montre où j’ai brisé ses aiguilles, où je t’ai fait entrer en moi si doucement sans le savoir, en le sachant pourtant.
6 heures 30, place Sainte Catherine.
Je m’installe à la terrasse d’un café.
C’est jour de marché. Je commande un expresso, quelque chose de fort comme cette longue nuit où nous avons fait l’amour, juste ça, faire l’amour, ne faire que ça jusqu’au-delà de nos corps. Mon sexe me brûle, je voudrais que tu me pénètres encore que tu viennes, encore, entièrement en moi, je suis enceinte de toi, je le sais, je le sens. Là, assise face aux maraîchers qui s’affairent et s’installent, j’ai envie qu’il pleuve, encore, encore, comme hier, la pluie, et partir avec toi, se moquer des gouttes, m’abriter tout contre ta peau, sentir ton cœur s’affoler au gré de nos pas rapides, sentir mon cœur s’arrêter, grisé par le plaisir, déjà. Je voudrais qu’il pleuve encore, encore…
Le garçon me sourit, il reconnaît les cernes des nuits où l’on ne dort pas, je regarde ses mains, je devine son sexe sous le pantalon strict derrière le petit tablier noir. Je souris, moi aussi.
– Et avec le café, un croissant ?
– Un quoi ?
– Il y a des croissants, je vous en mets un ?
Je suis ailleurs, je suis ici. Je n’ai pas faim ou peut-être trop faim. Et comme si je devais prendre une importante décision, je réfléchis longuement, parce que tout à coup, j’ai envie de garder ce garçon près de moi, l’envie d’un homme, près de moi.
– Oui, oui… avec de la confiture.
Lui, on dirait qu’il plaisante.
– Fraise ou Myrtille ?
– Fraise, oui, fraise.
– Une fraise alors, avec un croissant, ça marche !
Pourquoi me suis-je enfuie ? Parce que c’était trop fort. Parce que je m’enfuis toujours quand c’est trop fort. J’aurais dû te réveiller, te dire : « c’est trop fort, ta peau, ton corps, même ta présence, trop fort. J’ai besoin de me retrouver, seule, il me faut quitter ce lit car j’étouffe trop près de toi, parce que je ne sais pas quoi faire de l’amour que tu me donnes, parce que j’ai peur du bonheur. Parce qu’il faut délier nos sexes, parce que ton torse, parce que tes mains, tes lèvres, ton front, tout de toi m’ancrent dans un plaisir sans limites que je ne parviens pas à abandonner, parce que je voudrais m’y perdre longtemps. Parce que je ne sais pas dire je t’aime. Parce que je voudrais courir te rejoindre.
Je n’allumerai pas mon téléphone portable, peur d’entendre le bip d’un message reçu, de voir apparaître sur l’écran la petite enveloppe. Lire ton inquiétude ou ton incompréhension, TON « je t’aime ».
Je croise les jambes, je ferme ma porte. Que m’est-il arrivé ?
Mon corps attaché à ton corps, tes lèvres dans le haut de mes cuisses, ta langue affamée et goulue, nos vertiges. Arrêter de respirer.
– C’est de la confiture maison !
– Hein ? de la… ?
– Confiture maison. Bon appétit !
J’ai peur d’avoir parlé à voix haute, je me sens confuse et ridicule.
– Heu… Je vais reprendre un café.
Me reconnecter à la réalité, boire d’autres cafés, ne pas rentrer chez moi. Boire pour pouvoir dire : encore, encore.
Quelle heure est-il ?
Ma montre à côté du lit.
Te revoir.
Rien qu’une fois. Venir et dire :
« Bonjour, ah ! tiens, je n’ai pas oublié ma montre la dernière fois ? »
La première fois.
La seule fois.
Te revoir, te prendre dans mes bras, encore. Enfoncer mon visage dans ta chevelure épaisse et noire, coller mon ventre au tien, encore. Nous enivrer de baisers et de caresses, encore. Les yeux dans les yeux, encore. N’être qu’un. Un.
M’ouvrir à toi, jouir, jouir… jouir ? !
« Où sont les toilettes ? »
Je dévale les escaliers. Je manque d’air. Jouir. Ici, dans ce sous-sol carrelé de gris aux lumières tamisées. Je m’enferme dans cette minuscule pièce à la cuvette trop blanche où tout est trop lisse. Le dos appuyé contre le mur, je soulève ma robe, j’arrache mes collants, vite, vite. Ma main glisse entre mes cuisses, mes doigts écartent mes lèvres, s’accrochent à ma peau, je me malmène m’égratigne presque. Je me pénètre. Mon dos cogne contre le carrelage froid, ma langue cherche ta bouche, je gémis sans voix.
M’empêcher de crier, de respirer trop profondément, tousser fortement afin de dissimuler le souffle aigu de mon orgasme. Tirer la chasse d’eau, me rhabiller, faire comme si.
Comme si quoi ?
Deux jours, une éternité.
Il n’a pas téléphoné, je reste muette, moi aussi.
L’oubli de ma montre était un joli prétexte, m’aurait-il déjà oubliée ?
Une semaine. Je n’en peux plus. Je ferai le premier pas.
– Allô Jérôme ? C’est moi, Anne, je te dérange ?
– Viens.
Nous n’aurons pas le temps de nous parler, notre désir plus fort que les mots. Encore, encore une nuit au plus profond de toi.
Voilà un mois que son lit, ses bras, ses baisers m’accueillent sans rien vouloir de plus. Je suis heureuse. Il me parle de sa vie. L’impression, parfois, qu’il n’est qu’un ami. Je ne veux rien prévoir, j’aime le regarder nu, après l’amour, nu, quand il quitte le lit, nu, quand il se caresse sans que je puisse le toucher.
J’ai oublié les jours.
J’ai oublié le sang.
Je n’ai plus compté et tu es là.
– Je suis enceinte, Jérôme, enceinte de toi.
Il s’assied, il regarde par la fenêtre.
Il dit, en regardant par la fenêtre.
– Tu as encore oublié ta montre. Je l’ai rangée quelque part.
Il se lève, il quitte la pièce. Je reste avec la fenêtre, avec le silence, avec ce minuscule enfant qui sommeille, là, dans mon ventre.
– Tiens.
– Je vais le garder, Jérôme.
Il s’assied à nouveau face à la fenêtre, il n’est plus ici, mais déjà de l’autre côté, dans la rue, déjà, dans un ailleurs où je ne serai pas.
– Je n’en veux pas, Anne, ne m’en veux pas.
Vouloir.
– Je ne lui donnerai pas mon nom, je n’ai rien voulu.
Vouloir.
– Il faut t’en aller, Anne. Je n’ai pas voulu de cet enfant, je…
Je lui interdis de parler. Je retiens mon souffle et mes larmes.
Dehors, ni pluie ni soleil, un jour parmi les jours.
Août, deux mois.
Qu’ai-je voulu ce soir-là dans ce bar, si ce n’est un enfant ? Que vais-je faire