D'un COUVERT A L'AUTRE: 25 ans d'animation sociale et culturelle
Par Raymond Viger et Delphine Caubet
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À propos de ce livre électronique
Raymond Viger, à travers sa vision personnelle et son vécu, retrace la création de l'organisme, l'intervention auprès des jeunes et leur professionnalisation en tant qu'artiste.
Delphine Caubet présente les artistes du Bistro le Ste-Cath pour connaître leur histoire avec ce lieu et leur public. Des pages intimes et un regard différent sur Pascal Dufour, Elizabeth Blouin-Brathwaite, B.U., Sule Heitner, Andréanne Martin, etc.
Raymond Viger
Raymond Viger est journaliste depuis plus de 40 ans et travailleur de rue depuis 25 ans. Ses milieux d'intervention ont été entre autres les communautés inuites, le milieu de la prostitution et des gangs de rue. Récipiendaire de plusieurs prix pour la pour la défense des droits de la personne et de la lutte contre la criminalité, il fit de l'aide aux jeunes marginalisés son fer de lance. Depuis 25 ans, il dirige le Journal de la Rue, un organisme d'intervention et de promotion culturelle, tout en étant rédacteur en chef du magazine socioculturel Reflet de Société.
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Aperçu du livre
D'un COUVERT A L'AUTRE - Raymond Viger
Chapitre 1
Les débuts de l’histoire
Un jeune du haut de ses 6 ans arrive devant une porte.
Toc – Toc – Toc
Une dame ouvre.
«Bonjour Madame. Merci de prendre quelques instants pour m’écouter. Je représente deux artistes. Le premier fait des croix en céramique. Le deuxième dessine des personnages de Walt Disney et les encadre avec des bâtons de popsicle. Pour 25 sous, vous pouvez choisir d’encourager un ou l’autre de ses artistes. Lequel des deux préférez-vous soutenir?»
Comment résister à une telle assurance? La dame sort 0,60$ et prend les deux œuvres d’art. Pour une vente de 25 sous, 5 sont consacrés au matériel, 10 pour l’artiste et 10 pour le vendeur.
Et voilà comment ma vie d’entrepreneur a débuté dès l’âge de 6 ans. Le porte-à-porte est possiblement l’une des meilleures écoles de vente qu’il puisse exister. Il faut avoir l’esprit vif. On ne sait jamais à l’avance qui va nous ouvrir, son état d’âme… Nous dérangeons quelqu’un qui n’avait pas montré d’intérêt envers notre produit.
En plus d’un cours de vente, c’est aussi un cours de développement personnel. Quand on réussit à se sentir à l’aise dans la vente porte-à-porte, cela permet de bâtir sa confiance en soi.
Devant chaque porte, on recommence à zéro. La porte d’avant fait déjà partie du passé et ne doit pas nous influencer. La porte d’après fait partie du futur et ne doit pas nous faire peur. Il nous faut vivre notre instant présent. Une porte à la fois. On apprend à recevoir différentes humeurs et à vivre toutes sortes d’expériences toutes aussi originales les unes des autres.
C’est ainsi que j’ai ouvert, à l’âge de 16 ans, mon premier commerce sur la rue Ste-Catherine dans Hochelaga-Maisonneuve. J’ai attendu d’avoir l’âge légal de 18 ans pour faire ma demande de permis.
L’Abrik-Abrak, une sorte de magasin général où je pouvais vendre un peu de tout. Meubles, tapisserie, livres usagés, outils… Et beaucoup de troc. Un musicien me ramenait sa guitare pour me demander des outils. Les clients devenaient aussi des fournisseurs de matériel. Aujourd’hui, je viens de croiser un ancien client qui m’a reconnu. Il m’a parlé du drum que je lui ai vendu il y a… 41 ans!
Les influences marquantes
Au primaire, j’ai vu un documentaire qui présentait Rosanne Laflamme. Une personne née sans bras et qui pouvait tricoter malgré tout. Avec un tel exemple de courage et de ténacité, plus rien ne pouvait m’arrêter. Si Rosanne Laflamme peut tricoter sans bras, je pouvais faire de même. J’ai appris à tricoter et j’ai fait une tuque pour mon écureuil en peluche. J’ai peut-être pris au pied de la lettre son exemple, mais Rosanne Laflamme aura su m’influencer positivement.
Plus tard, dans ma période d’homme d’affaires, des échanges avec Pierre Péladeau auront su me marquer et en faire mon mentor. Son héritage est inclus dans ce qu’il nommera plus tard la première loi du succès:
«C’est d’abord se rendre accessible aux autres, savoir les écouter, partager leurs confidences, les aider aux besoins, les convaincre de persévérer dans la poursuite d’un but.»
«Se rendre accessible aux autres…», je peux témoigner de la véracité de cette affirmation. Lorsque j’ai laissé mon premier message à M. Pierre Péladeau pour discuter de quelques idées que j’avais, il a retourné mon appel. Il a pris le temps de discuter avec moi. Peu de gens ont cette délicatesse. Beaucoup ne retourne pas mes appels.
Mais Pierre Péladeau, à une époque où il avait déjà tout et qu’il n’avait pas besoin de moi, l’a fait. Je garde un excellent souvenir des échanges que j’ai eu avec lui.
Quand j’ai voulu le remercier pour le fait d’avoir retourné mon appel, il a refusé que je le fasse. Il m’a dit tout simplement:
«Je n’ai pas retourné ton appel pour tes beaux yeux. C’est de cette façon qu’on peut faire de l’argent. Si je ne prends pas le temps de retourner ton appel comment savoir si tu n’as pas l’idée du siècle qui me permettrait de faire du cash?»
Être accessible aux autres, c’est aussi savoir poser ses limites. Pour mon premier appel que j’ai eu avec Pierre Péladeau, sa secrétaire m’avait avisé que j’avais 2 minutes pour exprimer mon idée. Cela était suffisant pour lui permettre d’évaluer si j’avais le droit à un autre rendez-vous.
Cette limite m’a permis de travailler mon sens de la synthèse, en plus de réaliser qu’en affaire, pour être efficace, il faut être capable de prendre des décisions rapidement.
Peu importe l’argent que nous avons ou les moyens qui sont à notre portée, restons sensibles à notre voisin et à la société dans laquelle nous évoluons.
Merci M. Pierre Péladeau pour votre présence dans ma vie.
Le journalisme
J’ai débuté dans le journalisme à l’âge de 16 ans. Non pas que je voulais faire carrière en journalisme, mais par défaut.
Dans la région de Lanaudière, nous étions très actifs au niveau du sport et de la culture. Nous avions demandé aux journaux locaux de faire des chroniques sur les événements marquants dans ces domaines. Les rédacteurs en chef ont apprécié la proposition. Ils ont mis à notre disposition une chronique art et culture et une autre sur les sports en nous mentionnant que nous devions nous en charger nous-mêmes parce qu’il n’avait pas le personnel pour le faire. C’est ainsi que, par défaut, j’ai commencé à être chroniqueur pour 4 journaux locaux.
Ces expériences m’ont ensuite amené à devenir chroniqueur sur la protection du consommateur pour Habitabec et par la suite dans des magazines de croissance personnelle.
Environnement et humilité
Cinq années dans l’aviation comme pilote et instructeur de vol m’en auront appris beaucoup. Quand on se promène en avion dans des conditions météorologiques pas toujours idéales, on se sent humble et petit.
En cinq ans, j’ai perdu 10 de mes amis et collègues. Une moyenne d’un décès tous les 6 mois. Une humilité non seulement vis-à-vis de l’environnement, mais aussi avec la vie et avec tout ce qu’elle représente.
Quand un collègue quitte vers son avion, on ne sait jamais s’il va nous revenir. L’idée de vivre notre journée comme si c’était la dernière est devenue une tradition.
Être instructeur en pilotage c’est aussi développer la capacité d’établir une relation qui amène à un changement de comportement. Enseigner à une personne qui a peur de faire de l’acrobatie à en faire ou encore, en prendre une autre, trop téméraire, et lui apprendre à se calmer et à respecter le bolide qu’on lui met entre les mains.
L’enseignement m’aura permis de développer des qualités de vulgarisateur. Prendre des notions complexes et la présenter d’une façon facilement assimilable pour une diversité de caractères et de personnalités.
La tournée du Québec
Après avoir fait la tournée du Québec à maintes reprises du haut des airs en tant que pilote, je me retrouve maintenant comme représentant sur la route. Je couvre le Québec, sauf Montréal et ses banlieues. Un territoire suicidaire pour plus d’un.
J’ai compris que la seule façon de pouvoir rentabiliser un tel territoire était de travailler 2 fois plus que les autres. Je planifiais ma route de travail pour me retrouver, à l’ouverture des magasins, dans le secteur le plus éloigné de mon point de départ.
Cela pouvait vouloir dire de se lever à 3h le matin pour quitter Montréal à 4h pour rencontrer mon premier client à Mont-Laurier à 8h le matin. Ensuite je faisais mes clients en direction de Montréal jusqu’au dernier vers 18h pour retourner ensuite à la maison pour éviter les frais d’hébergement.
Et pour économiser sur les frais de repas, les dîners et les soupers étaient des sandwichs que je mangeais dans l’auto en conduisant entre deux clients.
Là où plusieurs ne réussissent pas à rentabiliser leur travail, d’autres avec persévérance et acharnement y arrivent.
L’entreprise privée
J’ai été plus souvent mon propre chef qu’employé. Que ce soit avec mes employés, mes clients ou mes fournisseurs, aider les gens à s’épanouir a toujours fait partie de ma façon de vivre et de travailler.
Avec les différents outils que mes entreprises généraient et possédaient, j’embauchais régulièrement des jeunes qui avaient décroché de l’école et qui n’avaient plus beaucoup de motivation. Je les faisais travailler avec un employé d’expérience. Une façon d’offrir un frère aidant à un plus jeune. Surtout que j’avais une flotte de camion de livraison. Le temps passé sur la route était propice à de beaux échanges et permettant de développer une belle complicité.
J’ai tenté d’aider des organismes communautaires en offrant, en plus de donations, mes entrepôts, mes employés, mes camions… Mais les projets ne réussissaient pas à lever et à développer leur autonomie. En tant que chef d’entreprise, je trouvais cela très frustrant. Tout était toujours à recommencer. Aucun acquis. Et souvent, les résultats financiers des actions communautaires étaient moindres que le coût des services que je mettais à leur disposition. Je ne pouvais pas accepter que mes investissements communautaires ne rapportent pas à la communauté leur plein potentiel.
La crise
Pendant cinq années, jusqu’à son décès, tout en continuant mes études à plein temps, j’ai été un aidant naturel auprès de ma mère qui se battait contre un cancer. J’avais 16 ans quand j’ai débuté mon rôle d’aidant naturel. C’est peut-être cette période qui a forgé mon horaire de travail. Travailler 105 heures semaine, 7 jours sur 7 à l’année sans vacances est devenu une habitude, un mode de vie.
J’ai cependant développé certaines mauvaises habitudes. Entre autres, ne pas prendre ma place et ne pas exprimer à ma mère ce que je pouvais vivre et ressentir.
Ces cinq années comme aidant naturel, la perte de 10 collègues de travail dans l’aviation, mon divorce suivi d’une deuxième rupture amoureuse, le suicide de mon père… Tous ces événements que je n’avais assumé et dont je n’avais pas fait le deuil ont préparé le terrain pour une dépression sévère au début de la trentaine.
Après deux tentatives de suicide, je me retrouve en thérapie pour m’aider à sortir de la crise suicidaire. J’entame ensuite une deuxième thérapie pour démonter ce qui m’a amené à entrer en crise. Une façon de sortir grandi de cette dépression.
Ces thérapies m’ayant tellement fait de bien, je décide alors de débuter mon cours de thérapeute. Non pas pour devenir thérapeute, mais au départ pour mieux me connaître et apprendre à surveiller mes signes précurseurs d’une éventuelle autre crise.
Par altruisme et pour redonner ce que j’avais reçu, je deviens intervenant de crise auprès de personnes suicidaires. Je décide cependant de ne pas retourner dans l’entreprise privée, mais de continuer à m’investir dans le communautaire. Je voulais aussi offrir au monde communautaire, non seulement mon temps, mais aussi ma facilité à créer des projets économiquement viables et florissants.
•Parce que je crois que le communautaire peut être un moteur économique et social d’envergure.
•Parce que je crois que le communautaire représente le village dont nous avons besoin pour élever nos enfants.
•Parce que je crois que les solutions d’autonomie débutent avec, par et pour la collectivité.
•Parce que je suis convaincu que les actions à apporter dans une communauté ne peuvent pas être dictées par un lointain gouvernement, mais par la collectivité elle-même.
Chapitre 2
Le Journal de la Rue
En 1992, Marie-Claire Beaucage, sexologue, fonde l’organisme Journal de la Rue. La mission de ce nouveau média communautaire est de donner une voix aux sans voix, d’offrir aux communautés une autre vision des problématiques sociales et de permettre à des personnes sans ressources de pouvoir vendre le journal pour se faire un revenu d’appoint.
C’est ainsi que le Journal de la Rue devient le premier journal de rue francophone au monde. Il sera suivi en 1993 de Macadam en France, en 1994 par l’Itinéraire et en 1995 par la Quête à Québec.
Deux bénévoles entourent Marie-Claire dans sa vision d’un nouveau média: le père André Durand, travailleur de rue et auteur, Raymond Viger, intervenant de crise auprès de personnes suicidaires, journaliste et auteur. La présence de ces deux bénévoles permet de rajouter un volet intervention à l’organisme.
L’Itinéraire
Avec l’arrivée du journal l’Itinéraire, l’administration du Journal de la Rue décide de se retirer de la vente dans les rues de Montréal. Il fallait éviter que les vendeurs se chicanent pour la «propriété» des coins de rue.
Pour éviter la confusion entre les deux médias, le Journal de la Rue a toujours été vendu plus cher que l’Itinéraire. Quand ce dernier se vendait à 1$, le Journal de la Rue se vendait à 2$. Quand ils ont monté à 2$ nous avons été à 5$. Aujourd’hui, ils sont à 3$ et nous sommes à 6,95$.
L’Itinéraire est un journal-école permettant à des gens, aidés par des enseignants, d’expérimenter l’écriture. Le Journal de la Rue, quant à lui, présente des témoignages de vie permettant à des gens de se reconnaître et de voir où certaines mauvaises habitudes peuvent les amener. Le tout est accompagné de reportages sur les thématiques sociales. C’est pourquoi le Journal de la Rue se retrouve dans plusieurs bibliothèques et écoles.
Pour en augmenter la diffusion et le rendre accessible à tous, nous autorisons la photocopie de nos textes. Ceux-ci sont présentés sur notre site Internet, classé par sujet pour en faciliter la recherche.
Deux journaux de rue dans la même ville ne sont pas nécessairement une bonne idée et cela est décrié par plusieurs. Même si nous étions les premiers, nous avons décidé de laisser notre place.
Ville de Montréal et les journaux de rue
Pour en arriver à la création de l’Itinéraire, il y a eu une table de concertation dont Ville de Montréal faisait partie. Ville de Montréal avait été avisé de notre présence et de nos actions. Journal de la Rue avait déposé une demande auprès de Ville de Montréal pour recevoir un financement pour soutenir ce projet.
Plusieurs années plus tard, nous avons rencontré des membres de cette table de concertation qui ont été très surpris d’apprendre notre existence antérieure à l’Itinéraire. Ils nous ont mentionné ne jamais avoir entendu parler de nous par Ville de Montréal en soulignant que s’il l’avait su, ils n’auraient pas financé un nouveau projet quand il y en avait un qui existait déjà.
Un mystère qui demeure encore complet. Nous n’avons jamais su pourquoi un fonctionnaire n’a pas présenté notre projet aux membres de la concertation.
Une codirection
En 1994, pour des raisons personnelles, Marie-Claire Beaucage doit quitter rapidement l’organisme. André Durand et moi-même nous questionnons à savoir si les activités de l’organisme méritaient que nous leurs donnions une continuité.
Après consultation avec les jeunes et le milieu, nous arrivons à la conclusion que l’originalité de l’organisme oblige une continuité. C’est ainsi que le Père André Durand deviendra le Président et j’en serais le directeur, par intérim. Un intérim qui court encore!
Pourtant, la dernière chose que je voulais dans ma vie était de revenir à la gestion, l’administration et les finances. Lorsque l’organisme a perdu sa directrice, nous n’avions aucun budget, encore moins pour payer une direction. Dès que les premiers fonds ont commencé à émerger, nous engagions du personnel pour permettre à l’organisme de continuer sa croissance.
Mon intérim est une mission bénévole pour permettre à l’organisme de bâtir son financement pour garantir son autonomie et de pouvoir engager une direction. Si nous n’avions pas traversé certaines périodes financièrement difficiles et des changements de lois qui nous ont grandement affectés, nous aurions dû atteindre notre objectif il y a plus de 5 ans. J’aspire maintenant à y arriver d’ici deux ans.
À partir de 1995, Danielle Simard joint l’équipe de bénévoles. Résidant à Jonquière, Danielle s’impliquait à distance dans la comptabilité et l’administration. L’expansion de l’organisme et la création du Café Graffiti ont vite exigé qu’elle vienne s’établir à Montréal. C’est ainsi qu’en 1997 elle devient codirectrice de l’organisme et qu’en plus de l’administration elle s’investit dans les nouvelles technologies de l’organisme permettant d’envisager son expansion.
Ayant été le dernier étudiant du Québec à utiliser une règle à calcul pour faire les examens du Ministère, n’utilisant aucun téléphone intelligent