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Un rectorat sous tension: projets, occasions et adversités: L'Université du Québec en Outaouais, récit d'un recteur
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Un rectorat sous tension: projets, occasions et adversités: L'Université du Québec en Outaouais, récit d'un recteur
Livre électronique399 pages5 heures

Un rectorat sous tension: projets, occasions et adversités: L'Université du Québec en Outaouais, récit d'un recteur

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À propos de ce livre électronique

Ce livre est un témoignage du mandat de recteur rédigé par l’acteur principal de ce qui s’est produit à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) entre 2015 et 2020, une période courte, intense et fructueuse. Marquée par un destin sinueux, toujours en quête d’appui pour poursuivre son développement, l’UQO est aussi traversée par des tensions et des conflits internes qui freinent son parcours.

L’histoire des institutions est indispensable pour comprendre la transformation et le développement de la société. Ici, cette histoire se vit à travers la trajectoire d’une organisation durant une période donnée. Parler du mandat de recteur, c’est parler des universités, de ses difficultés et de ses réussites également. Cette expérience doit être utile. Elle ne sert à rien si elle n’est pas consignée dans une mémoire collective. La première partie de cet ouvrage rend compte des projets et de leur contexte, de l’action entreprise et des résultats. La deuxième porte sur les leviers qui permettent la réalisation des projets et leurs contraintes.

Ce récit sur les défis et contraintes de l’université s’adresse aux corps professoraux, à la communauté étudiante et aux gestionnaires ainsi qu’à toute personne intéressée par le développement récent des universités au Québec.
LangueFrançais
Date de sortie17 août 2022
ISBN9782760557246
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    Aperçu du livre

    Un rectorat sous tension - Denis Harrisson

    Introduction

    « La raison est conservatrice, un facteur d’emprisonnement de la pensée.

    L’expérience est le pouvoir libérateur. »

    John Dewey, Reconstruction in Philosophy.

    En 2015, au début de mon mandat à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), les recteurs n’ont pas la cote. Malmenés lors des événements du printemps étudiant de 2012, les recteurs sont tenus en partie responsables des difficultés traversées par les universités au Québec, tant par les associations étudiantes, les syndicats de professeurs que par le gouvernement. Ils sont assimilés à des dirigeants déconnectés de la réalité étudiante, ne pensant qu’au budget et privilégiant une vision comptable de l’université. Les recteurs sont perçus comme étant un rouage important d’une grande transformation de l’université qui, partant d’une institution quasi autonome dirigée par les professeurs, entame un virage vers une organisation influencée par les règles du marché, menée cette fois par des gestionnaires qui visent des cibles de rendement et de rentabilité.

    Cette image forte de la nouvelle université ne correspond pas à ce que j’ai connu de 2015 à 2020. S’il est exact que les universités sont soumises à des règles comptables, il est pour le moins pernicieux de considérer ces mesures comme le reflet unique de la transformation des universités. Les raccourcis sont certes utiles, mais simplificateurs. Le monde universitaire est complexe, la communauté qui l’investit est hétérogène. Si sa mission de recherche et d’enseignement reste inchangée, les objectifs auxquels elle doit répondre se multiplient et c’est loin de se faire dans l’harmonie, l’université étant devenue un lieu de tensions et de conflits.

    Ce livre est le résultat de ma réflexion sur le mandat que j’ai exercé de 2015 à 2020 comme chef d’établissement de l’UQO. J’ai été l’acteur principal de ce qui s’est produit à l’université sur une période courte, intense, sinueuse et, je l’espère, fructueuse.

    L’histoire des institutions est indispensable pour comprendre la transformation et le développement de la société ; elle se vit en suivant la trajectoire d’une organisation durant une période donnée. C’est un témoignage sur cette transformation que je livre ici à travers le cas de l’UQO. En effet, il y a 18 institutions universitaires au Québec qui, malgré leur mission commune, se distinguent surtout par une très grande variété de taille, de vocation et d’histoire. On ne saurait comparer des universités solidement ancrées dans leur milieu depuis plusieurs décennies, comme l’Université Laval ou l’Université McGill, avec le réseau des universités du Québec créé en 1968. Néanmoins, certains traits universels émergent et font du parcours de l’UQO un récit que les lecteurs pourront transposer dans l’itinéraire de leur propre université.

    En janvier 2015, l’UQO n’a pas encore atteint son plein potentiel, elle n’a pas d’identité forte, mais elle a quelques propositions pour l’avenir. L’UQO n’a pu établir elle-même ses propres frontières ; elle a surtout été définie par les acteurs externes, dont les gouvernements et les membres de l’élite politique et économique de la région. Elle propose des programmes dans des formations qualifiantes qui répondent au besoin du marché du travail de la région. Fondée en 1981, l’UQO est l’un des dix établissements liés au réseau public de l’Université du Québec (UQ), lui-même créé en 1968. L’UQO a raté le démarrage de 1968, ne faisant pas partie des constituantes appelées à former initialement le réseau de l’UQ. Elle doit maintenant se développer en fonction d’un plan de rattrapage inscrit dans les limites du cadre universitaire actuel, sous le signe de l’audace, de la créativité et de la rigueur.

    Ce mandat s’est réalisé à l’enseigne de la dualité. D’une part, l’UQO a su saisir l’occasion pour commencer à récolter les fruits de sa désignation d’un « statut particulier » en Outaouais pour l’éducation supérieure. L’ajout de nouveaux programmes d’enseignement et le développement de projets d’infrastructures ont certes été les grandes ambitions qu’il nous a été permis de poursuivre de 2015 à 2020. Par ailleurs, durant cette même période, un fort vent contraire a marqué la gouvernance, la gestion et la direction de l’université comme jamais auparavant dans la courte histoire de l’UQO : modèle de financement obsolète, compressions budgétaires, ère post-2012 sous le signe de l’amertume, succession de crises et de tensions internes.

    Dans l’un des ouvrages les plus éclairés sur l’université contemporaine, Clark Kerr a raison de dire que le recteur fait face à un dilemme (Kerr, 2001). Il doit choisir entre le devoir du recteur ou la survie du recteur. Le premier est orienté vers l’avenir et pose des gestes courageux afin de voir à améliorer la situation de son université. Il prend des risques et doit adopter les mesures nécessaires au redressement ; ce faisant, il devient impopulaire. L’autre reporte les décisions difficiles à une date ultérieure et fait le nécessaire pour se maintenir à flot. Kerr dira que l’on devient recteur pour le premier, mais que finalement on devient le second. J’ai choisi d’être le premier, non sans difficulté. Mais que fait le recteur au juste ? Quelle est sa véritable influence ? Que font les membres de la direction ? le recteur, les vice-recteurs, les doyens ? Quel est le rôle des instances ? J’ai été professeur pendant 30 ans sans trop savoir véritablement comment fonctionne l’université. Ce livre ouvre le voile sur ce qui s’est produit à l’UQO pendant une période de cinq années. Loin d’être un précis de la gestion universitaire, je propose plutôt un récit sur les principaux défis de l’université. La façon dont ils ont été résolus ou, au contraire, la manière dont ils ont été abandonnés ou simplement reportés. Ce n’est pas un ouvrage scientifique que je propose, mais un essai sous forme de récit. Je m’adresse avant tout aux universitaires, qu’ils soient étudiants, professeurs, employés ou cadres. Également, tout citoyen intéressé par l’évolution récente des universités profitera de la lecture de ce livre.

    J’ai décidé d’écrire ce livre afin de témoigner de l’expérience de recteur. Un des objectifs de l’ouvrage consiste à garder en mémoire l’évolution de l’université traversée par une période trouble. Parler du mandat de recteur, c’est parler des universités, de ses difficultés et de ses réussites également. Le recteur participe à toutes les décisions importantes. Il est au centre de toutes les transitions. Il approuve un projet et ce dernier ira de l’avant ; il refuse et rien n’avance. Le recteur joue un rôle vital à l’université. L’affaiblir équivaut à rogner sur l’autonomie institutionnelle dont le recteur se fait le gardien. Le recteur est la figure de proue de l’université, il n’est lié à aucun intérêt des groupes qui composent la communauté universitaire même s’il provient du corps professoral. Il doit s’intéresser aux décisions importantes avec détachement.

    En discutant avec un ancien recteur d’expérience à qui je divulguais mes projets, il réplique : « J’espère que tu es bien entouré. Sans des personnes de qualité autour, tu ne peux rien faire. » Le recteur est un chef d’orchestre qui doit s’assurer de la confiance et de la collaboration des personnes sur qui il compte. Il encourage, informe, motive ceux qui réalisent les projets, leur travail étant essentiel. Son autorité repose avant tout sur sa capacité à influencer les autres. C’est un poste prestigieux, mais ce n’est pas un titre honorifique ; le recteur est responsable. Il faut inspirer, donner l’exemple, ne pas faillir, travailler avec les autres, être à la tête de l’équipe, parler en public, établir des liens solides avec les décideurs politiques, coordonner. Le recteur assume tout ce qui se fait à l’université, y compris ce qu’il ne sait pas. Sous l’influence d’un mode de gestion participative et de la liberté académique, il lui arrive très souvent de ne pas être au courant, mais d’être responsable quand même et d’être blâmé pour tout ce qui dérape à l’intérieur des murs de l’université.

    Quel contraste avec le métier de professeur d’université que j’ai longtemps exercé avant de me tourner sur le tard vers l’administration universitaire ! Un professeur accomplit tout lui-même ou presque. Il prépare ses notes de cours, corrige les copies, accueille et supervise les étudiants et les assistants de recherche, rédige les projets de recherche, les demandes de subvention de recherche, les articles et les communications. Il est le maître incontesté de sa fonction.

    La connaissance de l’université provient essentiellement de cette expérience acquise dans l’exercice du métier d’enseignant, de chercheur et d’administrateur. Le recteur doit comprendre les besoins des étudiants, être visionnaire tout en demeurant critique et à l’affût de l’idée qui peut améliorer la situation de l’université. Établir la réputation, la pérennité et la notoriété d’une université est une tâche extrêmement difficile, je m’en aperçois assez vite. Le projet doit se déployer dans la longue durée. Aucun recteur ne peut s’attribuer seul le succès obtenu.

    Ma réflexion sur le sujet est traversée par deux observations significatives. La première fait suite à la lecture de la thèse de doctorat de Julie Cafley, qui s’interroge sur le caractère éphémère de la mission des recteurs (Cafley, 2015). La seconde porte sur le caractère inédit de la période propice à une transformation profonde de l’UQO alors traversée par un paradoxe.

    Selon Julie Cafley, 17 % des dirigeants d’universités canadiennes ne réussissent pas à se rendre à la troisième année de leur premier mandat. Les universités font face à de multiples changements et le travail des recteurs est scruté comme jamais auparavant. Ils doivent démontrer des qualités de leader en mesure d’agir dans un univers en transition, avec une gouvernance controversée, des communications erratiques, des relations tendues avec des acteurs clés.

    Au Québec, j’ai été le témoin privilégié de ce constat. Alors que dans les dix établissements formant le réseau de l’UQ chaque recteur a droit à deux mandats de cinq années, la majorité a quitté la fonction après un premier mandat, comme je l’ai fait moi-même. Entre 2015 et 2020 seulement, j’ai assisté au départ de deux recteurs après trois ans de leur second mandat. Le renouvellement de mandat demeure exceptionnel et, s’il est obtenu, il est rarement complété. Durant ces cinq années, j’ai connu quatre autres recteurs étant partis volontairement après un premier mandat. Dans l’un des établissements du réseau de l’UQ, deux recteurs consécutifs n’ont pas terminé leur premier mandat. Deux enquêtes menées par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) ont été réalisées pour examiner la gestion de l’un d’eux sans que rien ne lui soit reproché. Dans un autre établissement, le recteur a dû s’en aller à la troisième année de son premier mandat et son successeur n’a pas sollicité de deuxième mandat. Les recteurs de trois autres universités n’ont pas obtenu de renouvellement de mandat, faute d’appuis suffisants de la part du corps professoral. L’un d’eux a été remplacé par un recteur qui s’est à peine rendu à la troisième année. On ne sait rien de ces recteurs forcés à abandonner, à ne pas être capables de renouveler leur mandat ou à partir volontairement après un seul mandat. Il y a certes des circonstances singulières qui peuvent expliquer chacun des cas, mais quelle est la signification de ces événements distincts ?

    Pour espérer une portée significative, toute transformation s’effectue dans la longue durée. Les constituantes de l’UQ sont fragilisées par une succession de recteurs « jetables ». En plus du recteur démissionnaire, il y a souvent une équipe de direction à refaire. Pendant ce temps, les universités à charte connaissent une stabilité dans leur gouvernance et leur gestion, les recteurs partant paisiblement au terme de leur deuxième mandat comme prévu, à une exception près (Université Concordia). Existe-t-il une crise du leadership à l’UQ ou traversons-nous une période de transition entre l’avant-« mouvement de 2012 » et l’après ? Difficile d’y répondre, mais il subsiste un réel malaise que, en tant que recteur post-2012, je veux bien explorer dans cet essai, soit la difficulté d’être un dirigeant dans un monde trouble. Trop de recteurs arrivent en héros et repartent dans l’indifférence quand ce n’est pas dans la turpitude.

    Je préfère une approche pragmatique, empirique et cognitive pour décrire l’itinéraire que j’ai parcouru, en opposition à une approche idéologique. Si les idées comptent dans l’histoire, elles ne sont rien si elles ne subissent pas l’épreuve des faits et des événements. Le sens du pragmatisme a été détourné de sa signification originale, assimilée à une pensée positiviste superficielle comme si seuls les faits comptaient. Les idées viennent de l’expérience d’après le principe original de Williams James renouvelé par Richard Rorty (Rorty, 2021). Une connaissance n’est valide que si l’énoncé est compatible avec nos idées dans le domaine en cause et vérifié par l’expérience sensible. On peut dire que le parcours de l’UQO résulte d’un ensemble d’événements plus ou moins contingents qui auraient fort bien pu se dérouler autrement. Au contraire, l’idéologie est un discours en apparence plausible décrivant comment devrait se structurer l’université. C’est une vision du futur, mais ce faisant, elle fournit un cadre rigide.

    Si je suis influencé par une idéologie, c’est avant tout celle de l’« égalité des chances » telle que vue par John Rawls (Rawls, 1997). Tout individu qui le désire peut accéder aux ressources lui permettant d’améliorer sa situation sans égard aux barrières sociales, économiques et culturelles que son groupe d’appartenance affronte. Selon cet idéal, les mesures favorisant une plus grande équité sociale dans l’accès à l’éducation universitaire sont introduites dans ce sens. C’est un principe phare de la justice sociale. Mais encore faut-il la rendre concrète en la réalisant à travers une série de décisions qui ont une emprise sur le déroulement de l’histoire et non la laisser dériver au hasard des décisions prises ailleurs. Je préfère voir comment les idées sur l’université s’incarnent dans la vie universitaire plutôt que d’analyser des idées abstraites qui ont peu de chances d’être relayées dans les orientations réelles. Concrètement, c’est à nous, à l’UQO, à prendre les décisions. En revanche, l’université subit plusieurs influences et son sort ne dépend pas que d’elle-même. L’État joue à cet égard un rôle prépondérant.

    Le début du mandat

    En décembre 2014, lorsque la présidente de l’UQ entre dans mon bureau pour m’annoncer que je suis le candidat choisi par le conseil d’administration de l’UQO pour être le prochain recteur, elle me dit du même souffle que je commencerai un mandat sous le signe de la division. Le corps professoral est clivé et ce ne sera pas facile de manœuvrer dans un tel contexte. Si je suis nommé, c’est que les membres du conseil sont convaincus que j’y parviendrai.

    Je m’attendais à ce résultat. J’avais été vice-recteur à l’enseignement et à la recherche (VRER) et je possédais une bonne connaissance des professeurs. L’UQO avait été le théâtre d’une des batailles les plus féroces durant les grèves étudiantes du printemps de 2012, avec une intervention de la police sur le campus de l’université et plusieurs arrestations de manifestants, dont un professeur. Afin d’obtenir justice et réparation au nom des professeurs, le litige est entendu devant le tribunal d’arbitrage qui siège encore lors de mon entrée en fonction. Je n’ai pas été mêlé à ces événements. En 2012, j’étais professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et j’arrive à l’UQO en 2013 sans porter aucun stigmate des effets du mouvement étudiant de 2012. Néanmoins, c’est dans un climat tendu que commence mon mandat.

    Je m’y suis préparé. Il fallait proposer une vision claire et une expérience pertinente pour être recteur. L’expérience la plus pertinente est celle de professeur que j’ai exercé pendant près de 30 ans, d’abord au cégep, ensuite en formation continue à l’université, puis comme chargé de cours et enfin comme professeur à l’UQ à Hull (UQAH) et à l’UQAM. À l’université, j’ai tout fait. J’ai enseigné aux trois cycles, j’ai fait de la recherche, je me suis engagé dans l’administration également, j’ai été responsable de programmes, membre de multiples comités et brièvement directeur de département. Mon expérience la plus révélatrice fut certes celle de directeur du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), un centre de recherche désigné par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture, formé d’une quarantaine de membres provenant de sept universités et de disciplines diverses. Le travail de directeur de centre de recherche consiste pour l’essentiel à regrouper cette mosaïque d’intervenants autour d’un objet de recherche, l’innovation sociale, et les conduire à la production de recherche dans des axes et des thématiques débattues entre nous. La direction d’un centre est avant tout un exercice de coordination et d’influence sans pouvoir véritable autre que le leadership et l’autorité morale assumée par son directeur. Lorsque j’étais dans un poste de direction, on parlait des qualités d’ouverture, d’écoute et de rassembleur, lesquelles me serviront dans le poste de recteur, où il faut écouter tout le monde, y compris ceux qui sont opposés à toute proposition émanant de la direction de l’université.

    Lors des séances de présentation de ma candidature au poste de recteur, j’expose ma vision de l’université et j’esquisse les chantiers qu’il faudra mettre en œuvre si je suis nommé. J’annonce que l’université du XXIe siècle reflète les paradoxes et les contradictions de la société, entre la demande croissante de projets utilitaristes et la nécessité de poursuivre la réflexion profonde sur les transformations de la société. Cela renvoie à différentes finalités. La communauté universitaire elle-même est clivée entre ces tendances lourdes. En tant que recteur, je serais le passeur entre ces mondes différenciés.

    J’estime qu’il faudra également travailler de concert avec l’État à un plan de financement équitable et équilibré pour l’UQO. L’État doit être responsable et soutenir financièrement de manière adéquate l’UQO et reconnaître le nécessaire rattrapage en matière de programmation. L’UQO n’a pas encore atteint son potentiel de développement, elle doit augmenter son offre de programmes, notamment en sciences naturelles et en sciences de la santé ainsi qu’aux cycles supérieurs dans les deux régions desservies.

    Ma conception de l’université place l’étudiant au centre de l’institution dans toutes les activités générées par la communauté universitaire, que ce soit l’enseignement, la recherche ou les services à la collectivité. À travers la lutte contre la hausse des frais de scolarité, le mouvement étudiant de 2012 soumettait avant tout la question de l’accessibilité aux études supérieures, accessibilité financière, certes, mais aussi intellectuelle, géographique, culturelle et sociale. C’est avec cette visée d’une plus grande ouverture de l’université que je me présente au poste de recteur. Nous nous devons de toujours construire notre réflexion avec cette question en tête : quelle est la conséquence de ce que nous nous apprêtons à faire pour la formation des étudiants ? Que ce soit une réflexion à propos d’une modification aux politiques de financement de l’université, de l’adoption d’un nouveau programme, de l’évaluation d’un plus ancien, de transformations des mécanismes de soutien à la recherche ou encore de demandes d’intervention dans les milieux socioéconomiques ou culturels, nous nous devons de demander quelle est la valeur ajoutée de cette activité à la formation des étudiants ? À cette réflexion doit se superposer la reconnaissance de la diversité des effectifs étudiants. Dorénavant, le projet éducatif se construit tout au long de la vie, il est ouvert aux minorités, aux autochtones, aux étudiants en situation de handicap, aux étudiants internationaux, aux adultes sur le marché du travail avec des responsabilités familiales, ainsi qu’aux étudiants dits de première génération. Autant ces étudiants aux profils atypiques s’adaptent à la réalité de la vie universitaire, autant l’université se transforme afin de les accueillir et de s’assurer de leur réussite. Ce n’est pas s’abandonner au « clientélisme » que d’être à l’écoute des aspirations et des besoins exprimés par les étudiants. Il faut aussi soutenir la vie étudiante avec des campus animés, des activités hors-programme et une offre de services à la hauteur de leurs besoins.

    L’université est un bien commun, elle se doit avant tout d’être désintéressée en produisant, diffusant et partageant des connaissances accessibles à tous par le soutien d’activités au bénéfice des groupes sociaux les plus vulnérables de la société jusqu’aux besoins économiques des entreprises. Ce qui importe avant tout, c’est de s’assurer que l’université demeure libre des pressions politiques et des considérations extérieures. Nous devons être à l’écoute, certes, mais maître de notre avenir.

    Ce livre est avant tout le reflet de ma vision, comment j’ai vu l’université de mon poste de recteur, comment toute une équipe de direction a contribué à la poursuite de son cheminement. Ce récit est influencé par les décisions et les événements qui y ont pris place. C’est un partage de ma réflexion sur l’université afin de comprendre la signification des faits et de l’action, c’est-à-dire le déclenchement des processus, comme le dirait Hannah Arendt (2018). Cette expérience doit être utile ; elle ne sert à rien si elle n’est pas consignée dans une mémoire collective.

    Ce livre est aussi le résultat de ce que je crois avoir accompli en cinq années au rectorat. Je suis parti rapidement en plein début de pandémie de la COVID-19 le 28 mars 2020. Clark Kerr dit que les recteurs sont comme des papiers mouchoir¹ (Kerr, 2001, p. 136). Ils entrent comme des sauveurs, ils sont la solution aux problèmes de l’université, et au moment de partir, ils sont devenus le problème de l’université. C’est le principe du « dégagisme » qui est appliqué : « On t’a assez vu, dehors, on veut le prochain, maintenant. » C’est hélas ! souvent la destinée des dirigeants pris en étau dans le culte du renouveau. Toutefois, il serait présomptueux de penser que tout commence avec le mandat d’un recteur ; celui-ci se situe toujours dans la continuité des projets amorcés par le précédent.

    Les recteurs s’expriment peu publiquement sur l’avenir des universités et encore moins sur l’expérience vécue. Les ouvrages récents de Robert Lacroix (2019), de l’Université de Montréal (UdeM), et celui de Lorna R. Marsden (2016), de l’Université York, font exception. L’ex-rectrice de l’Université de Calgary et ex-présidente d’Universités Canada, Elizabeth Cannon (2020,) préfère s’en tenir à des leçons de leadership avec la parution d’un ouvrage sur l’art du rectorat. Guy Breton, ex-recteur de l’UdeM, livre ses réflexions sur une multitude de sujets dans ses Carnets du recteur (2019). Une autre source de connaissances sur les universités provient des rapports officiels, notamment ceux qui émanent du Sommet sur l’enseignement supérieur de 2013, dont les rapports de Lise Bissonnette et John Porter (2013) sur la gouvernance des universités, d’Hélène Tremblay et Pierre Roy (2014) sur le financement des universités, du Comité consultatif pour l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale sous la présidence de David Naylor (2017) sur la recherche au Canada ou encore, récemment, le rapport du scientifique en chef du Québec, L’université québécoise du futur (2021). Les ouvrages sur l’université proviennent pour la plupart du milieu professoral (Tremblay, Roche et Tremblay, 2015 ; Demers, 2019 ; Sinclair, Demers et Bellemare, 2014). L’un d’eux dira même en introduction de son ouvrage qu’il n’est pas utile de discuter avec les recteurs, car ils seraient « inaptes à rendre compte des enjeux en cause » (Tremblay et al., 2015, p. 1). Cette phrase sibylline a servi de motivation à la rédaction de cet ouvrage. Loin de fermer les portes, il faut plus que jamais amorcer le dialogue entre les différentes représentations de l’université. De plus, il y a peu de points de vue globaux exprimés sur l’université. Les analyses sont le plus souvent segmentées. Ainsi, on s’intéresse à la recherche ou, à d’autres occasions, aux études aux cycles supérieurs, puis aux étudiants internationaux, etc., alors que la vie universitaire comporte la mise en œuvre de plusieurs segments qui s’entrecroisent en se produisant simultanément.

    La base empirique du livre repose sur un journal quotidien composé de réflexions et de notes descriptives sur les rencontres et les événements, rédigé assidûment de la première à la dernière journée de mon mandat. De plus, les échanges de courriels et de lettres, les procès-verbaux des instances, les comptes rendus de réunions et une vaste documentation composée de rapports, de statistiques, de notes de service, d’articles de journaux et de reportages journalistiques ont servi à l’analyse des faits et des événements. Il s’agit d’événements qui se sont produits avant la pandémie. J’avais déjà pris la décision de ne pas obtenir de second mandat en juin 2019, bien avant le début de la pandémie de COVID-19 au début de l’année 2020.

    L’ouvrage est divisé en deux parties. La première partie présente les projets, leur contexte, l’action entreprise et les résultats. Cinq chapitres en rendent compte. La deuxième partie porte sur les leviers qui permettent la réalisation des projets et leurs contraintes. Quatre chapitres en font le tour.

    Le premier chapitre présente la planification stratégique qui offre une occasion de modifier le parcours de l’université et de rallier la majorité des membres de la communauté universitaire. Le chapitre fait la genèse de la planification stratégique et montre en quoi les projets les plus importants ont pour effet de mobiliser la communauté. Le deuxième chapitre porte sur le projet essentiel de l’université, la proposition d’une carte de nouveaux programmes permettant de rattraper le retard de développement de l’UQO à l’aide d’un financement particulier du MEES. Le chapitre expose les liens établis avec les gouvernements pour faire accepter la nécessité d’un rattrapage et ses effets sur le développement de la région. Le troisième chapitre porte sur la recherche qui peut se définir comme un ensemble d’activités autorégulées par les pairs. Dans les universités modernes, la recherche est la fonction par excellence qui la définit et qui lui confère une identité forte. On y explique le rôle de l’université en recherche reposant sur deux piliers : a) créer les conditions idéales pour que la recherche y foisonne et que les chercheurs s’épanouissent ; b) s’assurer que les fonds sont suffisants, accessibles et bien administrés. Le quatrième chapitre aborde la question immobilière. Ce n’est pas le lieu qui fait la réputation d’une université, ce sont ses professeurs et ses étudiants, mais encore faut-il que les espaces qu’ils fréquentent durant leur séjour à l’UQO contribuent à leur formation. Le chapitre explique en quoi le défi immobilier est lié au projet universitaire, à la vie étudiante et au développement d’un quartier et d’une ville. Le cinquième chapitre traite du développement du campus de Saint-Jérôme. L’établissement d’un campus satellite doit viser l’autonomie afin de ne pas être lié à la délocalisation avec des visées financières. Le chapitre montre comment un campus peut se mobiliser pour un projet de développement pédagogique qui veut assurer l’accessibilité géographique à une cohorte de nouveaux étudiants qui seraient exclus de l’enseignement supérieur, n’eût été la présence d’un campus dans leur

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