Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE: Institutions autonomes dans un environnement concurrentiel
Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE: Institutions autonomes dans un environnement concurrentiel
Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE: Institutions autonomes dans un environnement concurrentiel
Livre électronique489 pages5 heures

Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE: Institutions autonomes dans un environnement concurrentiel

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

« Quiconque se soucie des universités de recherche et de leurs rôles multiples,
et occasionnellement contradictoires, en ce qui a trait à l’avancement des
connaissances doit absolument lire ce livre. » - Alan Bernstein, Président de l’Institut canadien pour la recherche avancée

« Dans un monde où le savoir et l’innovation sont essentiels pour la croissance économique et la compétitivité des pays, la recherche universitaire joue un rôle déterminant. Ce livre est un bijou d’information ; il nous force à réfléchir
aux défis de l’avenir. » - Robert Giroux, ancien Président de l’Association des collèges et universités du Canada

« Ce livre montre comment un leadership efficace et audacieux, associé à des
politiques imaginatives et au soutien du public et de l’industrie, peut améliorer
le positionnement des universités et bénéficier à la société entière. Dans
l’ensemble, un livre réfléchi et courageux. » - Howard Alper, Président du Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation du Canada

« Cette étude riche et rigoureuse s’impose à un moment où les universités de
recherche doivent faire face à des pressions croissantes. » - Michèle Lamont, Robert I. Goldman, Professor of European Studies, Harvard University

« La publication des classements internationaux des universités à partir de 2003 a fait l’effet d’une bombe dans les universités de recherche du monde entier. Ce livre devrait provoquer une explosion deux fois plus forte encore. Je souhaite
vivement qu’il ait des effets positifs importants pour mon propre pays. » - Alain Touraine, sociologue, Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris

« Les auteurs expliquent particulièrement bien l’importance incontournable pour les universités d’avoir une mission claire, l’autonomie institutionnelle et
une reddition de comptes transparente comme mode efficace de gouvernance. » -
Heather Munroe-Blum, Présidente émérite de l’Université McGill

Économiste, Robert Lacroix est spécialiste de l’économie des ressources humaines et
de l’innovation et recteur émérite de l’Université de Montréal.

Sociologue et professeur émérite de l’Université de Montréal, Louis Maheu se spécialise
notamment dans l’étude du fonctionnement des systèmes universitaires.
LangueFrançais
Date de sortie27 janv. 2015
ISBN9782760633971
Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE: Institutions autonomes dans un environnement concurrentiel

Auteurs associés

Lié à Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE

Livres électroniques liés

Méthodes et références pédagogiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les LES GRANDES UNIVERSITÉS DE RECHERCHE - Robert LAcroix

    Chapitre 1

    Émergence de l’université de recherche

    Les universités de recherche sont un phénomène récent. Pendant des siècles, et jusqu’à l’époque de la révolution industrielle, les institutions universitaires n’ont joué qu’un rôle limité dans la formation de la main-d’œuvre ou dans le développement des techniques de production. Très peu nombreuses et fréquentées par une infime proportion de la population, elles étaient essentiellement des lieux d’abord de formation des professions libérales et des clercs, tant de l’État que des églises, puis de sauvegarde et de transmission des savoirs accumulés.

    La recherche, conçue comme démarche expérimentale réalisée dans un esprit de découverte, a fait son apparition dans l’université allemande du 19e siècle, sous l’influence notamment des idées de Humboldt. Mais ça ne s’est pas fait sans débats et tiraillements, car l’intégration de la recherche et de l’enseignement au sein d’une même institution ne va pas de soi. Encore de nos jours, les universités qui y parviennent sont très peu nombreuses et ne représentent qu’une petite fraction du système d’enseignement supérieur. C’est le thème sur lequel nous reviendrons régulièrement.

    William Clark² a retracé comment, dans les universités allemandes de la deuxième moitié du 19e siècle, de jeunes professeurs ont graduellement délaissé l’usage de textes de type encyclopédique dans leurs cours et séminaires au profit d’informations recueillies sur le terrain, de cartes et graphiques, de catalogues et listes de données spécialisées. Ces professeurs appuyaient de plus en plus leur enseignement sur les avancées scientifiques récentes ou en cours. De la même manière, les travaux exigés des étudiants ont été progressivement modelés sur les travaux scientifiques de leurs enseignants. Les étudiants étaient donc invités à réaliser des travaux académiques s’apparentant le plus possible à ceux qui servaient de fondement aux enseignements qu’ils recevaient. Et du coup, il fallait les initier aux exigences méthodologiques, aux connaissances plus analytiques et théoriques, aux outils et trucs du métier facilitant le recueil de données, l’expérimentation et l’analyse.

    Dans le contexte de la réforme allemande des études postsecondaires et universitaires, plusieurs institutions cherchaient à se démarquer comme universités modernes en alliant enseignement et recherche, ce qui profitait à un marché académique de l’emploi en croissance. Fait exceptionnel, cette poussée pour la formation et l’embauche de personnes valorisant la démarche expérimentale de production de connaissances nouvelles a aussi correspondu, du moins pour un temps, à une période de forte croissance des savoirs scientifiques au sein de plusieurs champs disciplinaires. Plusieurs de ces savoirs scientifiques nouveaux étaient suffisamment documentés et maîtrisés du point de vue théorique et conceptuel pour être traduits assez aisément en autant de matières adaptées à l’enseignement supérieur³.

    Le résultat en a été que l’intégration de l’enseignement et de la recherche fut, pour un moment, un important vecteur du fonctionnement d’universités allemandes prestigieuses. Mais bientôt, comme le souligne Ben-David, de réelles difficultés sont apparues. Le système de la chaire occupée et contrôlée par un seul professeur réputé ne favorisait pas le déploiement maximal de nouvelles disciplines scientifiques, en particulier celles auxquelles s’intéressaient les professeurs plus jeunes et les nouveaux professionnels de la recherche. Par ailleurs, certaines de ces disciplines n’avaient pas encore atteint un niveau de formalisation des nouveaux savoirs apte à faciliter leur transmission dans l’enseignement; elles étaient plutôt compatibles avec un apprentissage sur le tas de nouvelles techniques et de cadres analytiques. En général, les besoins de nouveaux types de savoirs excédaient alors fort peu le milieu académique. Enfin, certaines disciplines scientifiques en pleine croissance, comme la physique, se déployaient en de multiples sous-spécialités qui se heurtaient à des structures universitaires peu accueillantes. Sans compter que, dans le cas de cette discipline en particulier, les activités d’exploration et d’expérimentation requéraient des infrastructures et des équipements déjà fort coûteux.

    Bref, au tournant du 19e siècle, la philosophie innovatrice d’unité et d’intégration de l’enseignement et de la recherche promue par la vision humboldtienne se butait à d’importantes contraintes. Tant et si bien que certaines universités de recherche ont finalement confié l’activité expérimentale de la recherche à des instituts internes à leur structure et sous la responsabilité individuelle de professeurs, mais qui n’étaient pas partie intégrante de leur fonctionnement régulier. Par la suite, parallèlement aux universités et sans mission d’enseignement, on a créé des instituts de recherche fondamentale financés à même les deniers publics.

    Ainsi, par un curieux retournement des choses, le berceau des universités de recherche a fini par s’éloigner graduellement de ce modèle d’université moderne. Paradoxalement, au début du 20e siècle, l’idéal d’unité et d’intégration de l’enseignement et de la recherche permettra à nouveau l’émergence et le développement d’universités modernes de recherche, mais cette fois en Amérique du Nord. Grâce à leurs fortes implications d’abord en recherche fondamentale puis en recherche contextualisée et appliquée, de même qu’en formations à la recherche, des institutions du système national américain d’enseignement supérieur sont devenues de prestigieuses universités de recherche.

    Le contexte socioéconomique où les universités américaines de recherche ont connu un fort développement nous rapprochera des périodes nettement plus récentes du développement des connaissances scientifiques et des tendances rythmant la formation d’une main-d’œuvre hautement qualifiée. De plus en plus tout au cours du 20e siècle, et surtout dans sa deuxième moitié, les entreprises du secteur manufacturier réalisaient que la poursuite de l’élan donné par la révolution industrielle nécessitait une utilisation systématique du savoir. La main-d’œuvre spécialisée devenait un intrant essentiel du développement et, du coup, le rôle crucial que devaient jouer les institutions responsables de sa formation devenait évident.

    Dans de nombreux pays, d’importants débats émergèrent quant à l’apport des universités contemporaines aux savoirs plus contextualisés et appliqués utiles au mieux-être. En Grande-Bretagne, par exemple, des débats opposèrent les partisans d’une université valorisant les savoirs fondamentaux et les habitus de base de la connaissance, et ceux qui voulaient étendre les formations professionnelles aux besoins spécifiques de l’industrie auxquels s’avéraient plus ouvertes de nouvelles institutions, les Red Brick Universities. Ces dernières ont vu le jour au tout début du 20e siècle dans les principales villes industrielles britanniques et offraient des formations où les sciences naturelles et appliquées et le génie jouissaient d’une grande visibilité.

    Un mouvement similaire avait vu le jour aux États-Unis à compter de la deuxième moitié du 19e siècle, mais avec d’importants prolongements tout le long du 20e. Par législation, des États de l’Union se voyaient dotés de terres du gouvernement fédéral, terres qu’ils pouvaient revendre pour regrouper les fonds nécessaires à la création d’institutions – les Land-Grant Colleges, pour la plupart devenues des Land-Grant Universities – ancêtres d’universités publiques américaines. Ces institutions, auxquelles furent aussi postérieurement allouées des subventions fédérales spéciales dédiées à cette fin, devaient consacrer une attention toute particulière aux enseignements appliqués, notamment en agriculture et dans les savoirs dits mécaniques. Il est à noter que ces institutions se démarquaient notamment d’institutions privées par une mission d’enseignement sensible aux besoins en formations et en connaissances spécialisées de la société civile environnante. On sait que de nos jours, dans les pays fortement industrialisés, plus de 70% des nouveaux emplois créés exigent une formation postsecondaire; une fraction importante de celle-ci relève directement des universités.

    Le 20e siècle a aussi été une période où les démarches expérimentales ont eu des retombées notoires en termes de connaissances scientifiques et technologiques nouvelles. Ces savoirs ont pénétré plusieurs paliers des systèmes d’enseignement supérieur, au premier chef du système nord-américain. Plus avant, on précisera, par exemple, comment et pourquoi les structures institutionnelles des universités américaines de recherche ont favorisé la croissance en milieu académique des découvertes scientifiques. Et ces savoirs, de même que les professionnels de la recherche qui les maîtrisaient, furent bientôt plus accessibles aussi pour les organisations et entreprises de développement socioéconomique. La concurrence entre elles fondée sur la nouveauté des produits et des techniques s’intensifia davantage et prit une ampleur encore plus exceptionnelle après la Deuxième Guerre mondiale. Pour ce faire, un nombre croissant d’entreprises se dotèrent d’une fonction nouvelle, la recherche et le développement (R-D), qui avait pour mission spécifique non seulement l’amélioration des produits et des techniques, mais aussi la découverte de nouveautés. Même les entreprises qui n’avaient pas leur propre division de R-D cherchaient à innover par assimilation des nouveautés créées chez leurs fournisseurs et leurs partenaires.

    En somme, les savoirs nouveaux et l’application des savoirs existants étaient de plus en plus instrumentalisés par les entreprises et devenaient un moyen privilégié pour améliorer leurs positions concurrentielles. La conception de biens et de techniques nouvelles de même que leur production et leur distribution devinrent alors de plus en plus sophistiquées. La demande de main-d’œuvre industrielle qualifiée et hautement qualifiée connut conséquemment une croissance forte et soutenue. Et les universités furent mises à contribution de façon croissante pour satisfaire, en plus de leurs propres besoins, ceux relatifs à la formation d’une main-d’œuvre à vocation principalement manufacturière et industrielle.

    L’université de recherche comme pôle de référence

    Depuis son apparition en Allemagne puis sa consolidation, sous des formes structurelles nouvelles aux États-Unis, l’université de recherche est devenue un pôle de référence et une norme à forte teneur idéologique. De nos jours, dans la plupart des sociétés, il n’y a pas une seule université sérieuse qui ne se dise université de recherche. En fait, l’expression signifie que toute institution universitaire accorde une très grande valeur à l’esprit de découverte, en tant que fondement même de l’activité de recherche. Elle suppose aussi que toute institution universitaire s’efforcera d’intégrer aux formations offertes des matières et des programmes bien innervés par les savoirs nouveaux que les recherches scientifiques ont permis de produire. L’expression rend aussi compte des efforts soutenus de toute institution universitaire pour que l’esprit de découverte, la valorisation de la recherche et de ses retombées, mais aussi une capacité critique d’appréciation de ses apports tant théoriques que méthodologiques, façonnent la culture de ses étudiants.

    Dans nos économies dites de la connaissance, le contraire aurait de quoi surprendre. Le recours à cette appellation, la référence à cette norme visent donc d’abord et avant tout à établir, de la part d’universités spécifiques qui y font appel, la qualité et le sérieux de leur mission éducative et de leurs diverses prestations. Il n’est aucunement surprenant alors que la plupart sinon toutes les institutions d’un parc national d’universités tendent à se présenter comme des universités de recherche.

    Des distinctions plus rigoureuses entre institutions universitaires ne sont pas moins requises. Toutes celles qui relèvent d’un même parc national d’universités ne sont pas totalement équivalentes en termes de mission et de prestations spécifiques.

    Ce fait s’impose d’emblée dès lors que l’on qualifie de manière plus concrète, précise et comparative les apports distinguant les multiples institutions universitaires. Elles se différencient, en effet, par les programmes d’enseignement; la couverture des matières et des disciplines; les pratiques effectives de la recherche; les savoirs spécialisés maîtrisés par le corps professoral; et l’importance relative des formations des cycles supérieurs, notamment de niveau doctoral et postdoctoral, qu’elles proposent dans l’ensemble de leurs missions éducatives.

    Tant et si bien que des classifications de divers organismes actifs dans certains pays permettent, depuis un bon nombre d’années maintenant, d’apporter les nuances requises à cet égard. La notion d’université de recherche, dans ce contexte de classification institutionnelle, prend alors un sens nettement plus précis. Au lieu de renvoyer à un pôle de référence et à une norme, elle différencie des institutions spécifiques se distinguant d’autres institutions universitaires par des missions concrètes et des rendements qui les singularisent.

    L’université de recherche comme type institutionnel

    Au moment où dans l’après Deuxième Guerre mondiale plusieurs institutions universitaires américaines se démarquaient fortement par une activité de recherche intense et une croissance tout aussi marquée des formations avancées en recherche, la Fondation Carnegie contribua beaucoup à populariser l’expression d’université intensive de recherche. Elle le fit par le biais d’opérations de classification, réalisées à des intervalles réguliers de 1970 à nos jours, du vaste ensemble des universités américaines.

    La classification traditionnellement réalisée par la Fondation Carnegie met l’accent sur les programmes de formation prédominants au sein d’une institution universitaire donnée au point d’en caractériser la mission spécifique. Elle en arrive alors à classer différemment, et toujours en fonction de cette approche fondamentale, les institutions donnant essentiellement des formations de premier cycle, comme les Liberal Arts Colleges. Ces derniers se distinguent des institutions qui en plus d’enseignements de premier cycle étendent leurs activités à certains programmes de formation de deuxième cycle, comme les maîtrises professionnelles ou encore celles relevant de certains secteurs des arts et des sciences.

    La Fondation Carnegie propose aussi une classification qui rend compte des caractéristiques des universités dites de recherche. Tant et si bien qu’au fil des années, les principaux critères sur la base desquels elle caractérise et classe les universités américaines de recherche se sont imposés et raffinés. La catégorie université de recherche proposée par cette fondation ayant acquis une grande notoriété, il vaut la peine de s’y arrêter.

    Selon la méthodologie de cette fondation, les universités de recherche sont des institutions qui offrent une large et riche base d’enseignements de premier cycle sur laquelle repose leur pyramide diversifiée de programmes de formation. Ces institutions se caractérisent ensuite par le sommet de leur pyramide d’enseignements, qui exprime la priorité qu’elles accordent à leurs formations des cycles supérieurs, notamment celles articulées à la recherche, relevant de plusieurs champs des connaissances. Pour être classée université de recherche, une institution particulière doit d’ailleurs atteindre, dans la classification proposée pour des années spécifiques, un seuil annuel minimal mais néanmoins conséquent de doctorats conférés. Bien entendu, plus l’écart est prononcé entre ce seuil et le nombre de doctorats conférés par une institution, plus cette dernière appartiendra à un groupe d’institutions affichant plus fortement et intensément que d’autres les caractéristiques d’une université de recherche.

    Puis cet autre critère: pour porter le label d’université de recherche, une institution doit avoir une importante activité de recherche fondamentale. L’ampleur de cette activité sera attestée par l’importance des subventions de recherche qu’obtiennent ses professeurs-chercheurs d’organismes subventionnaires de recherche qui font appel à des comités de pairs pour l’attribution de fonds destinés à la recherche. Et la classification proposée pour certaines années exige d’une institution qu’elle atteigne un seuil minimal mais conséquent de telles subventions pour être de la catégorie des universités intensives en recherche. Encore là, plus les subventions à la recherche d’une institution s’éloignent positivement du seuil en question, plus cette dernière appartiendra à un groupe sélect d’universités intensives en recherche.

    Au terme du 20e siècle, dans un ensemble de plus de 4000 institutions universitaires recensées aux États-Unis, la Fondation Carnegie ne dénombrera, parmi celles avec ou sans faculté de médecine, pas plus que quelques centaines d’institutions (près de 300 en fait) correspondant, selon les prestations distinctives et tous les critères précisés ci-dessus, aux caractéristiques spécifiques d’universités intensives de recherche⁴. Notons au passage que cette classification établit finalement que moins de 10% de toutes les institutions du réseau universitaire américain peuvent être dites universités intensives en recherche selon les critères retenus alors par la Fondation Carnegie.

    N’est donc pas université intensive en recherche toute institution américaine qui le souhaite ou qui se réfère, pour décrire le sérieux de ses missions, au pôle de référence ou à la norme d’une université de recherche. Pour qu’elle puisse prétendre appartenir à ce type d’institutions universitaires, ou pour être classée comme telle par des organismes externes qui basent leur classement sur des prestations concrètes, une institution doit rencontrer annuellement des paramètres ou des critères précis de rendement qui la distinguent réellement d’autres institutions universitaires. Dans le chapitre 4, nous reviendrons plus en détail sur deux traits essentiels du système universitaire américain – la différenciation des institutions en fonction de leur mission prédominante et la concentration de la mission université de recherche au sein d’un nombre limité d’institutions.

    Mentionnons encore que ces deux lois d’airain du développement du système universitaire américain marquent aussi, jusqu’à un certain point, les systèmes d’enseignement supérieur des pays que nous avons retenus et qui seront analysés en détail ultérieurement.

    Les universités de calibre mondial

    Ces toutes dernières années, l’attention internationale s’est tournée vers des universités d’une notoriété telle qu’elles sont dites de calibre mondial. Cette grande notoriété s’appuie largement sur des performances exceptionnelles en recherche, en enseignement et en rayonnement des diplômés de ces institutions. Il est tout à fait clair aussi que des exercices non pas uniquement de classification comparative, mais encore de classement hiérarchique d’institutions universitaires auront contribué à leur reconnaissance. Pareille attention découle d’exercices spécifiques dits de bench marking, lesquels viennent, à l’échelle internationale cette fois, s’ajouter à des évaluations et à des classements hiérarchiques d’institutions, de plus en plus répandus et fréquents dans de multiples pays.

    Nous reviendrons plus en détail, au chapitre 2, sur ces exercices nationaux et internationaux de classement. Ce sera alors l’occasion d’examiner et de distinguer de manière plus attentive, critique et comparative les méthodologies et les critères mis en œuvre par divers exercices internationaux de classification d’universités qui ont vu le jour au cours des quelque dix dernières années.

    Qu’il nous suffise, pour le moment, de supposer quel est le principal trait commun à toutes les institutions qui se démarquent à l’échelle internationale au point de constituer, à partir d’un bassin relativement nombreux d’institutions universitaires, les quelques premiers 200 ou 400 rangs du sommet mondial de ces institutions. La très vaste majorité, voire la totalité de ces institutions, seront des universités intensives en recherche. Toutes les universités de recherche d’un pays donné ne seront certes pas de ce nombre, loin s’en faut, mais toutes celles qui feront partie de ce club international sélect seront des universités de recherche.

    Il faut toutefois souligner qu’un ensemble national d’universités ne peut accomplir toutes ses missions d’enseignement, de recherche, de rayonnement et de liens avec ses communautés environnantes qu’en misant exclusivement sur des universités de recherche, fussent-elles de calibre mondial. Bien au contraire. Il lui faut bien d’autres composantes essentielles à ses missions plurielles. Tout comme l’illustre le cas du système américain, sont requises des institutions de grande qualité assurant des formations de premier cycle dans les disciplines clés des arts et des sciences, des humanités et des lettres, des sciences biomédicales, des formations professionnelles. Il lui faut encore des institutions bien ancrées dans les différentes régions d’un ensemble national, capables d’y apporter des enseignements et des pratiques de la recherche aptes à promouvoir le potentiel local tout en gagnant dans certains cas, sur le plan national ou même international, une visibilité et un rendement significatifs.

    Pour assurer la vivacité et le dynamisme d’un ensemble national d’universités, s’impose certes la nécessité de réunir des institutions diversifiées aptes à réaliser des prestations de grande qualité dans leurs domaines spécifiques d’excellence. C’est là un thème auquel nous reviendrons en conclusion à ce bouquin. Mais il est une autre caractéristique de plus en plus incontournable que doit posséder un système national d’institutions universitaires de grande qualité. Il doit compter avec non seulement des universités de recherche performantes, mais qui peuvent aussi bien se positionner comme universités de calibre mondial.

    Cette contrainte est d’autant plus incontournable que ce système national d’universités existe dans un pays qui peut faire état d’une forte intensité de recherche et de son appartenance à une économie de la connaissance. On le sait, les sociétés du savoir comptent largement sur leurs réalisations et découvertes scientifiques et sur l’innovation technologique et organisationnelle pour leur croissance économique et le bien-être des citoyens. Sont explicites à cet égard les relations que des analystes repèrent entre l’intensité en recherche, mesurée par la proportion du produit intérieur brut qui va aux investissements en science et technologie, et une économie dont le moteur clé est la production de connaissances nouvelles et le transfert de savoirs spécialisés.

    On sait aussi que les sociétés et économies de la connaissance se distinguent encore par un capital humain spécifique. Des recherches ont établi que les pays qui se situent à la frontière de l’innovation scientifique et technologique ont tendance à recourir à une main-d’œuvre hautement qualifiée apte à la création et à l’innovation, à la production de connaissances nouvelles, et possédant des formations avancées des cycles supérieurs, notamment de niveau doctoral. Au contraire, les pays qui s’éloignent de cette frontière de l’innovation scientifique et technologique ont tendance à faire surtout appel à une main-d’œuvre de formation universitaire moins avancée, d’abord apte à des opérations de transfert de savoirs spécialisés⁵. C’est dire que dans un système national, les universités de recherche, voire les universités de calibre mondial, ont un rôle spécifique crucial à jouer.

    2. Voir W. Clark, 2006.

    3. Voir Ben-David, 1984.

    4. La Fondation Carnegie utilise une classification en trois sous-groupes des institutions universitaires américaines actives en recherche et décernant le doctorat: les universités de recherche avec une très intense activité de recherche, 108 institutions (RU/VH: Research Universities with Very High research activity); les universités de recherche avec une intense activité de recherche, 99 institutions (RU/ H: Research Universities with High research activity); les universités de recherche avec formations doctorales, 90 institutions (DRU: Doctoral Research Universities).

    5. Aghion et Cohen, 2004.

    Chapitre 2

    Les classements hiérarchiques des universités

    Comme notre démarche vise ultimement à tracer les contours des universités de recherche de calibre mondial et à expliquer leur distribution internationale, il faut nous faire une idée assez juste du bassin de ces universités et de leur localisation géographique. Dans ce chapitre, nous passerons en revue les classements universitaires pour mieux en comprendre la logique, la pertinence et la valeur relative. Nous serons ainsi mieux en mesure de légitimer le choix que nous avons fait des deux classements internationaux qui nous serviront par la suite.

    Les classements nationaux

    Au cours du 20e siècle, et plus particulièrement après la Deuxième Guerre mondiale, les rôles assumés par les universités devaient évoluer substantiellement dans les pays industrialisés. Un certain nombre de facteurs sont à la source de ce développement historique: la demande croissante des entreprises pour une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée, l’accumulation de découvertes scientifiques majeures, la croissance économique vigoureuse de l’après-guerre et une démographie favorable.

    Au-delà de la seule formation de mains-d’œuvre, s’imposent maintenant les exigences de l’innovation pour lesquelles l’université jouera un rôle majeur. De tout nouveaux rapports s’établissent entre agents de production de connaissances nouvelles (universitaires, gouvernementaux et de l’industrie) au sein des pays les plus industrialisés. La recherche fondamentale, fortement concentrée en milieu universitaire, y garde toutefois un rôle capital. Et les formations avancées en plus grande proportion, notamment de maîtrise et de doctorat, caractérisent les mains-d’œuvre des pays qui se démarquent en s’installant résolument aux frontières mêmes de l’innovation scientifique et technologique.

    C’est dans ce contexte, marqué du rôle central maintenant incontournable de l’université, que la jeune tradition des classements des universités prit un virage déterminant et gagna une importance de plus en plus significative. Cette tendance devait d’abord être visible au niveau national dans certains pays, par la suite elle s’étendra au niveau international.

    Une tradition d’abord académique

    Dès les premières décennies du 20e siècle, ont émergé des exercices d’évaluation et de classement qui visaient les programmes de doctorat des universités américaines⁶. Bien que centrées sur les programmes de doctorat, ces évaluations glissaient aisément vers des opérations de classement: les scores obtenus dans l’évaluation menaient finalement à hiérarchiser les programmes spécifiques. Du même souffle, les meilleurs programmes tendaient à établir une hiérarchie entre les institutions spécifiques qui les abritaient. Par ailleurs, ces évaluations étaient principalement établies sur la base d’une évaluation faite par un échantillon de pairs: les membres du corps professoral de plusieurs universités étaient invités à évaluer des programmes relevant de leurs disciplines scientifiques. La qualité d’un programme donné découlait en fait de la réputation professionnelle du corps professoral qui en avait la responsabilité. Cette réputation, évaluée de manière de plus en plus rigoureuse, deviendra bientôt une marque de commerce de ces opérations d’évaluation. Au fil des années, des mesures plus objectives furent introduites: fonds de recherche obtenus d’organismes subventionnaires, publications réalisées ou citations reçues.

    Toutes ces modifications ont facilité le double glissement déjà signalé d’une évaluation à une hiérarchisation prenant la forme d’un classement, puis d’un classement des programmes à un classement des institutions les abritant. Les forces et groupes de pression en présence en milieu universitaire ont eux-mêmes directement contribué à ces glissements.

    Cette tendance a aussi été renforcée par la Fondation Carnegie. Sa classification des institutions sur la base de leurs programmes dominants d’enseignement fit date, même si la Fondation ne souhaitait pas qu’elle soit vue et utilisée comme une opération de classement hiérarchique. Mais la concurrence entre institutions universitaires pour attirer les meilleurs étudiants et professeurs-chercheurs, de même que pour obtenir les ressources les plus abondantes pour l’enseignement, les formations avancées et la recherche, est telle que ces opérations de classification menées par la Fondation Carnegie ont tôt fait d’être déviées de leur objectif premier.

    Ce qui n’était qu’une classification d’institutions en fonction de leurs prestations et rendements prioritaires distincts donna lieu à des jugements, ou à des opérations de promotion et de publicité. Aussi la Fondation décida-t-elle, au cours des années 2000, de modifier substantiellement ses opérations de classification. La méthodologie qu’elle privilégie maintenant rend possible une classification par grand type de programmes de formation: des programmes de premier cycle, des programmes des cycles supérieurs, des programmes de formations professionnelles, etc. Une même institution pourra se démarquer par un nombre élevé de diplômes conférés dans plusieurs catégories de programmes, ou au contraire, montrer une force dans une catégorie en particulier, par exemple, les programmes des cycles supérieurs et un rendement plutôt moyen pour d’autres catégories.

    Il faut noter que la tradition de classer d’une manière ou d’une autre les universités de recherche demeure encore bien vivace. C’est ainsi que The Center⁷, un centre de recherche spécialisé en évaluation d’universités relevant au départ de l’Université de la Floride, propose tous les ans une évaluation de ces institutions en fonction d’un certain nombre de critères. Ils sont pour la plupart objectifs et quantitatifs, comme les fonds de recherche, les prix et reconnaissances obtenus par le corps professoral, la diplomation de niveau doctoral, le nombre de chercheurs postdoctoraux, etc. Pour être retenue dans l’échantillon évalué, une institution doit avoir atteint un certain seuil annuel de subventions fédérales à la recherche et se placer dans le top des 25 meilleures institutions pour au moins un des neuf critères retenus.

    Cette évaluation mène à un classement des institutions, tant privées que publiques, en fonction du rang que partagent un groupe plus ou moins nombreux d’universités de recherche ayant un rendement similaire sur les neuf facteurs de performance et de rendement mesurés. Le classement de ces institutions découle donc d’abord d’une échelle de rangs, chaque niveau de rang étant partagé par un certain nombre d’universités. Ensuite, les institutions partageant un même rang sont identifiées selon l’ordre alphabétique.

    L’arrivée des publications à grand tirage

    Ancrées au tout début en milieu académique, les évaluations et classements ne devaient pas y rester cloisonnés bien longtemps. Ils auront tôt fait d’entrer sur le marché des publications à large public et à grand tirage. Pour les jeunes à la recherche d’une bonne formation universitaire comme pour les employeurs désireux de recruter une excellente main-d’œuvre, les informations relatives à la performance des universités gagnaient en importance stratégique. En fait, les classements des universités sont le reflet d’un double mouvement de massification, d’abord de l’enseignement universitaire en général, ensuite des études supérieures en tant que formations avancées en recherche.

    Il y avait là un besoin d’information des consommateurs à satisfaire, un marché à développer. Du coup, les évaluations ont débordé les seuls programmes des cycles supérieurs pour embrasser les enseignements de tous les cycles. Et les multiples prestations à la recherche avec leurs retombées en publications scientifiques n’ont pas pour autant été négligées. D’autant que ces dernières étaient, comme d’autres dimensions, telles les bibliothèques, les infrastructures informatiques, les ressources financières, d’importants indicateurs de la qualité d’une institution et de son corps professoral. Même si des classements plus ou moins systématiques d’universités font partie du paysage américain depuis près d’un siècle, le classement du US News and World Report publié en 1981 inaugura l’ère des classements de publications à fort tirage.

    Au total donc, les exercices d’évaluation, de hiérarchisation et de classement d’activités universitaires sont issus d’une très jeune tradition. D’abord ancrés en milieu universitaire depuis le début du siècle dernier, ces exercices, considérablement modifiés et élargis, ont ensuite, dans les 30 dernières années, gagné les publications à large public et à grand tirage. Courte tradition quand on songe que l’institution universitaire existe depuis plus d’un millénaire.

    Pourquoi ce processus d’évaluation et de classement public des universités est-il d’abord apparu aux États-Unis? Parce que c’est dans ce pays que le besoin d’une telle information était le plus grand. Par rapport à l’ensemble des pays industrialisés, c’est aux États-Unis que le recours à une main-d’œuvre hautement qualifiée formée à l’université et l’utilisation intensive de la R-D par les entreprises se sont développés le plus rapidement. Les États-Unis sont devenus au cours du 20e siècle le pays par excellence de l’innovation dans tous les secteurs de l’économie. Ce développement économique particulier créa une forte demande pour une main-d’œuvre hautement qualifiée et pour des savoirs nouveaux. Les Américains comprirent, très rapidement et avant les autres, toute l’importance des universités et de la formation universitaire dans une société et une économie du savoir.

    Par ailleurs, dans cette économie américaine, la mobilité géographique fut toujours forte et même préconisée par les entreprises elles-mêmes pour leurs cadres. Cette mobilité des familles impliquait une mobilité des enfants en formation dans des établissements de divers niveaux d’enseignement. De plus, l’enseignement postsecondaire étant loin d’être gratuit, les étudiants comme leurs parents voulaient s’assurer d’avoir un retour sur l’ampleur de l’investissement qu’ils faisaient en éducation. Cette conjoncture fut pendant longtemps assez unique aux États-Unis; ce pays fut le tout premier à connaître la double massification de l’enseignement supérieur et des formations avancées en recherche. C’est pourquoi le premier classement systématique d’universités réalisé par des publications à grand tirage apparut dans ce pays, où une demande latente d’information existait.

    Ce classement des universités américaines fut en évolution constante au cours des 30 dernières années, mais au départ il signalait déjà une nette différenciation des universités. Dans son dernier classement, le US News and

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1