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Grandeurs et misères de l'université québécoise: Souvenirs et réflexions d'un recteur
Grandeurs et misères de l'université québécoise: Souvenirs et réflexions d'un recteur
Grandeurs et misères de l'université québécoise: Souvenirs et réflexions d'un recteur
Livre électronique450 pages5 heures

Grandeurs et misères de l'université québécoise: Souvenirs et réflexions d'un recteur

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À propos de ce livre électronique

Autobiographique autant qu'historique, cet ouvrage pousse la réflexion bien au-delà de la simple anecdote sur le parcours somme toute unique de son auteur. Celui-ci fut recteur d'une des plus grandes universités de recherche du Canada pendant sept années et professeur de sciences économiques pendant 35 ans. Il témoigne de plusieurs questions primordiales sur la place de l'université dans notre société, outre celles de l'éducation, de la recherche ou du leadership. Ce faisant, il passe au crible le fonctionnement de cette organisation complexe en analysant ses liens nécessaires avec les partenaires externes et les fonctions souvent méconnues de chacun de ses acteurs. Il explore au détour les notions de philanthropie dans un contexte francophone, de syndicalisme ou d'engagement envers l'excellence.

Écrits sur un ton personnel, mais gardant une saine distance envers son sujet, ses souvenirs et ses réflexions viennent enrichir le patrimoine historique québécois en offrant un regard inédit sur l'une de ses institutions les plus fondamentales.
LangueFrançais
Date de sortie16 sept. 2019
ISBN9782760640788
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    Aperçu du livre

    Grandeurs et misères de l'université québécoise - Robert Lacroix

    Robert Lacroix

    GRANDEURS ET MISÈRES

    DE L’UNIVERSITÉ QUÉBÉCOISE

    Souvenirs et réflexions d’un recteur

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Grandeurs et misères de l’université québécoise: souvenirs et réflexions d’un recteur Robert Lacroix.

    Noms: Lacroix, Robert, 1940- auteur.

    Description: Comprend des références bibliographiques et un index.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20190018437 Canadiana (livre numérique) 20190018445 ISBN 9782760640771 ISBN 9782760640788 (EPUB) ISBN 9782760640795 (PDF)

    Vedettes-matière: RVM: Lacroix, Robert, 1940- RVM: Université de Montréal’Recteurs’Biographies. RVM: Présidents et recteurs d’université’Québec (Province)’Montréal’Biographies.

    Classification: LCC LE3.M717 L33 2019 CDD 378.714/28—dc23

    Mise en pages: Folio infographie

    Dépôt légal: 3e trimestre 2019

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2019

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    À la mémoire de Michel Trahan

    Un ami, un complice et un grand bâtisseur de l’Université de Montréal

    Remerciements

    On se sent bien seul lorsqu’on écrit un livre. C’est pourquoi le soutien, la compréhension et la complicité de ceux qui nous entourent sont si précieux. En première ligne de tous ceux qui m’ont encouragé se trouvent ma conjointe Ginette, ainsi que mes trois grands amis et collègues, Marcel Boyer, Claude Montmarquette et Guy Sauvageau. Ils ont été les lecteurs des premières moutures de ce livre, et sans leurs encouragements, leurs conseils, et leurs nombreuses critiques et commentaires pertinents, le manuscrit ne serait pas devenu un livre.

    Les recherches sur l’institution et la diplomation universitaires, que j’ai réalisées avec mon collègue Louis Maheu, et les nombreuses discussions que j’ai eues avec ce dernier me furent très utiles pour alimenter mes réflexions et préciser ma pensée.

    Michel Truchon, un collègue et ami de l’Université Laval, a révisé de façon extrêmement minutieuse une des dernières versions du manuscrit, et deux arbitres externes en ont fait tout autant. Leurs nombreux commentaires, toujours pertinents, m’ont forcé à me remettre au travail pour le plus grand bien du résultat final. Le docteur Patrick Harris a eu la gentillesse de consacrer une partie de son temps précieux à la lecture de la version finale du manuscrit, et sa réaction enthousiaste m’a confirmé son intérêt.

    Patrick Poirier, le directeur général des Presses de l’Université de Montréal, et Sylvie Brousseau ont transformé, avec compétence et professionnalisme, ce manuscrit en livre.

    Ce livre a été, en grande partie, écrit au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). Depuis vingt-cinq ans déjà, ce centre fournit aux chercheurs affiliés un environnement de recherche, de discussions et de réflexions stimulant et enrichissant.

    Mes sincères remerciements vont à tous ceux, et ils sont nombreux, qui m’ont aidé aux diverses étapes de la rédaction de ce livre, dont je demeure, bien sûr, seul responsable du contenu.

    Comment et pourquoi je suis devenu recteur

    Arrivé en janvier 1970 comme professeur au Département des sciences économiques après des études doctorales à l’étranger, j’ai finalement fait toute ma carrière comme professeur à l’Université de Montréal. J’avais fait mes études de baccalauréat et de maîtrise à ce même département, dans les années 1960. Cette longue carrière, qui s’est formellement terminée en mai 2006, en fut une de professeur, de chercheur et d’administrateur universitaire. Toujours professeur, j’ai été successivement directeur du Département des sciences économiques, directeur du Centre de recherche et développement en économique (CRDE), doyen de la Faculté des arts et des sciences, président-directeur général et cofondateur du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) et, enfin, recteur.

    J’aurais pu, comme la plupart de mes collègues, me limiter à être professeur avec de brefs épisodes de direction ou de recherche, ce que bon nombre de professeurs acceptent, à tour de rôle, pour le plus grand bien de leur unité. Devenir doyen de la Faculté des arts et des sciences, qui regroupe plus de 40% des étudiants et des professeurs de l’Université de Montréal, impliquait une réorientation importante de mon cheminement. Pour occuper cette fonction, je devais réduire considérablement mes activités de recherche et d’enseignement: une décision lourde de conséquences au moment où le train de l’avancement des connaissances s’accélère, et qui peut hypothéquer lourdement la suite d’une carrière de chercheur et de professeur… Pourquoi ai-je décidé de prendre ce risque?

    Au retour d’une année sabbatique, en 1983, à l’Université de la Colombie- Britannique à la suite de mon mandat comme directeur du département, je pris la direction du Centre de recherche et de développement en économique (CRDE) tout en poursuivant ma carrière de professeur. Je siégeais aussi depuis quelques années à l’un des nombreux comités de l’université: celui de la planification. Le recteur de l’époque, Paul Lacoste, voulait un économiste sur ce comité. Toutefois, l’économiste que j’étais se plaignait régulièrement du manque de données probantes pour guider les décisions sur les grandes orientations de l’université. Avant de prendre des décisions, il fallait savoir où se situait l’Université de Montréal dans le monde des universités de recherche du Canada et d’ailleurs dans le monde, par la qualité de sa recherche, de son enseignement et de ses programmes.

    Peut-être un peu agacé par la redondance de mes questions, le recteur me convoqua un jour pour me proposer de diriger une étude sur la position de l’Université de Montréal comparativement à celles des dix plus grandes universités de recherche au Canada – ce qui était peut-être la meilleure façon d’avoir des réponses à mes questions. Il était prêt à mettre à ma disposition les ressources humaines et matérielles requises pour cette étude, et financerait le détachement de mon département pendant un an à temps complet.

    Après mûre réflexion, je décidai de relever ce défi. Appuyé par une équipe technique exceptionnelle et conseillé par un comité de pairs remarquable, j’ai déposé en 1985 mon rapport, intitulé La poursuite de l’excellence et que l’on dénomma par la suite le rapport Lacroix1. Ce rapport noircissait plus de 450 pages et incluait de nombreuses annexes statistiques. Il avait exigé un énorme travail de collecte et de traitement de données statistiques, des rencontres avec les directions des conseils subventionnaires du fédéral et du Québec et avec de nombreux chercheurs et administrateurs d’universités, ainsi que des discussions animées des membres du comité de rédaction. Il se divisait en trois grandes parties.

    En première partie, le rapport situait l’Université de Montréal au Canada et au Québec quant à sa performance relative dans l’obtention de subventions de recherche, dans la diplomation aux études supérieures et dans l’activité de publication scientifique de ses professeurs. Une quatrième section portait sur les grandes caractéristiques du corps professoral selon l’âge, le niveau de qualification et le rang universitaire. La deuxième partie examinait, au sein même de l’Université de Montréal, les activités d’encadrement des étudiants aux études supérieures, de recherche, de publication et d’obtention de subventions de recherche, ainsi que la concentration de ces activités au sein de sous-groupes du corps professoral. Enfin, la troisième partie, conclusive, reprenait la position relative de chacun des grands secteurs disciplinaires de l’Université de Montréal au sein des dix grandes universités de recherche; on en évoquait les forces et les faiblesses et on soumettait une série de recommandations susceptibles d’accroître ses forces et de pallier ses faiblesses dans chacun des secteurs disciplinaires.

    C’était une première pour l’Université de Montréal. Jamais n’avait-on ausculté aussi rigoureusement, aussi finement et sur une base comparative aussi large cette grande institution. C’était aussi une première au Canada. D’ailleurs, à l’époque, le vice-président à la planification de l’Université McGill, Paul Davenport, disait à qui voulait l’entendre que ce rapport était un cadeau pour lui et son institution. Il pouvait, en effet, y trouver des données inédites et un classement de son institution, qui faisait partie du groupe des dix grandes universités de recherche du Canada, à la base de nos analyses.

    Le rapport Lacroix alimenta des discussions intenses au sein de l’Université de Montréal pendant une bonne année et en modifia, je pense, l’évolution, ainsi que celle de ma propre carrière. Une fois déposé, toutefois, je pus retourner à mes activités de professeur et de directeur du Centre de recherche et développement en économique. Cette parenthèse avait été pour moi une expérience brève, mais enrichissante. Je connaissais en profondeur mon institution et aussi le monde universitaire canadien dans toute sa diversité et sa complexité. J’avais aussi l’impression d’avoir donné ma contribution et je pouvais enfin me limiter à nouveau à être professeur. Ce fut le cas pour quelques années.

    Le recteur Paul Lacoste, qui avait mis en œuvre la réalisation du rapport Lacroix, termina son deuxième mandat en mai 1985 et fut remplacé par Gilles Cloutier en juin de la même année. C’est donc ce nouveau recteur qui reçut, quelques semaines après sa nomination, le rapport. Il me convoqua et me dit qu’il ne pouvait recevoir un plus beau cadeau au moment de son entrée en fonction, dans lequel il trouvait non seulement l’état de la situation, mais aussi une feuille de route pour faire progresser l’université dans sa poursuite de l’excellence. Il me demanda alors de rester au comité de la planification où, seraient discutées les principales mesures et politiques découlant des recommandations du rapport. Difficile pour moi de refuser une telle demande, d’autant plus que je siégeais depuis déjà cinq ans à ce comité et que je savais que ce n’était nullement incompatible avec la poursuite de ma carrière de professeur.

    En 1987, le poste de doyen de la Faculté des arts et des sciences se libéra. Cette faculté, qui compte plus de 25 départements allant des études littéraires à la physique en passant par la sociologie, s’avère, en fait, une université dans l’université. C’était aussi le lieu privilégié d’application de nombreuses recommandations du rapport Lacroix. Le recteur Cloutier me demanda si je voulais en devenir le doyen. «Vous pourriez, me dit-il, vraiment vous impliquer dans la mise en application de votre rapport, avec mon appui complet.» Évidemment, je devais avoir un certain appui du corps professoral de cette faculté au moment de la consultation faite dans le cadre du processus de nomination, ce qui ne lui semblait pas un obstacle majeur à ma nomination par le conseil de l’université à la suite de sa recommandation.

    Il y avait là un très beau défi et je décidai de le relever. Je ne le regrettai pas, car, avec une équipe remarquable et le soutien indéfectible du recteur Cloutier, je vécus l’une des plus belles périodes de ma vie à l’Université de Montréal et je connus encore davantage cette grande institution et le contexte national et international dans lequel elle évoluait. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

    En 1990, le recteur Cloutier annonça qu’il quitterait son poste en mai 1993. Il restait trois ans avant la fin de son mandat, mais très rapidement des candidatures émergèrent et des groupes d’appui se constituèrent. Le tout se faisait très discrètement, car on ne voulait pas montrer que le processus de nomination du recteur avait une connotation politique. Mais en fait, il y en avait une à l’interne, comme tout processus de nomination impliquant des candidatures et une consultation de la base. La procédure formelle de choix et de nomination du futur recteur débuta une année avant la fin du mandat du recteur Cloutier. Assez rapidement, deux candidatures, avec des appuis forts et convaincus, se détachèrent du peloton: celle du vice-recteur à la recherche de l’époque, le docteur René Simard, et celle du doyen de la Faculté des arts et des sciences: moi-même. Si bien que cette année préalable à la nomination fut plutôt fébrile. Toutefois, à la suite de ce long processus et après de longues délibérations du conseil de l’université, c’est René Simard qui devint le recteur. Professeur à la Faculté de médecine, il avait connu une brillante carrière de chercheur et été président du Conseil de recherches médicales du Canada avant sa nomination comme vice-recteur à la recherche de l’Université de Montréal. Il avait donc toutes les qualités et l’expérience requises pour prendre la direction de cette grande université.

    Ma déception fut vive, car je croyais avoir moi aussi toutes les qualités et l’expérience requises pour diriger et transformer pour le mieux mon alma mater. Le coup était d’autant plus dur que c’était mon premier grand échec en carrière. Je décidai alors que je ne pouvais pas mener à terme mon mandat de doyen de la Faculté des arts et des sciences. En effet, il me semblait impossible de continuer à défendre vigoureusement les intérêts de cette grande faculté sans donner l’impression que j’étais devenu le chef de l’opposition. Pour le plus grand bien de la faculté et de l’université, me sembla-t-il, j’informai le recteur Cloutier, toujours en fonction, que je quitterais mon poste de doyen le 31 mai 1993, la veille de l’entrée en fonction du recteur Simard. Mon intention était de retourner comme professeur à mon département après une année sabbatique et d’y finir ma carrière universitaire. Mais la vie me réservait des surprises.

    Depuis près de deux ans, je travaillais avec des collègues du Département des sciences économiques réunis autour de Marcel Boyer, lui aussi professeur au Département des sciences économiques, à la création d’un centre interuniversitaire portant sur les différents aspects des organisations publiques et privées. Parce qu’il incorporerait une mission de liaison et de transfert, ce centre serait en fait le premier du genre dans le secteur des sciences humaines et sociales, si le gouvernement du Québec acceptait de le financer, comme c’était le cas pour d’autres centres de même type dans le vaste secteur des sciences et de la technologie. La décision gouvernementale était imminente et la rumeur voulait qu’elle soit positive. Le centre pourrait commencer ses activités à l’automne 1993.

    Marcel Boyer me rencontra avec quelques collègues et me demanda de devenir le premier président-directeur général de ce centre, le CIRANO. J’acceptais, avec l’idée de construire avec eux ce nouveau centre qui aurait une mission et un fonctionnement inédits dans le monde universitaire des sciences humaines et sociales. Le défi était de taille, mais il me permettait de mettre à profit mes relations au sein du monde universitaire, dans les milieux gouvernementaux et dans le secteur privé. Pour réussir, le CIRANO devait coaliser des leaders de tous ces milieux, après les avoir convaincus de ses effets positifs potentiels. Je passai donc du poste de doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal à celui de PDG du CIRANO en janvier 1994. J’avais 53 ans, et je pensais sincèrement que ma carrière universitaire se terminerait comme professeur au Département des sciences économiques et PDG de ce nouveau centre de recherche à construire. J’aurais dû savoir, par expérience, que les détours de la vie sont nombreux et surtout imprévisibles.

    À la fin de la quatrième année de son premier mandat de recteur, René Simard informa le conseil de l’université qu’il ne solliciterait pas, comme la tradition le veut, un deuxième mandat de cinq ans et qu’il quitterait donc ses fonctions le 31 mai 1998. C’était inattendu, mais tout à fait compréhensible compte tenu du contexte de son premier mandat. C’est en effet durant celui-ci que le gouvernement imposa aux universités les pires compressions budgétaires. Le recteur ne pouvait avoir d’autres projets que celui de partager la misère le plus efficacement et équitablement possible, le tout dans un climat de déprime et de contestation.

    Évidemment, les appuis que j’avais eus, lors du précédent processus de nomination, se réanimèrent et d’autres, en grand nombre, s’ajoutèrent. Je posai donc ma candidature une seconde fois, tout en faisant comprendre à mes supporteurs que je ne ferais rien, personnellement, pour la mousser. Les gens de l’Université de Montréal me connaissaient parfaitement et s’ils croyaient que je devais devenir le prochain recteur, je répondrais positivement à l’offre qui me serait éventuellement faite par le conseil. J’étais parfaitement heureux au CIRANO et je comptais y poursuivre mon travail sans distraction.

    Cette expérience du CIRANO était d’ailleurs exceptionnelle en ce qu’elle me permettait d’élargir mes contacts dans le milieu des gens d’affaires, de mieux comprendre leurs besoins et surtout leurs perceptions des forces et des faiblesses de ce milieu universitaire auquel j’appartenais. De la même façon, mes discussions avec les milieux gouvernementaux sur leurs besoins de connaissances nouvelles des enjeux de politiques économiques et sociales m’ouvraient à des milieux que j’aurais peu fréquentés autrement. Enfin, toutes les universités partenaires du CIRANO avaient un représentant, généralement le vice-recteur à la recherche, à son conseil d’administration auprès duquel je m’informais de la situation dans son université. Je réalisai plus tard à quel point cette expérience de quelque cinq ans me fut utile dans la suite de ma carrière de dirigeant universitaire.

    Après un long processus de consultations, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Université de Montréal, et une étude poussée des candidatures, le comité de nomination du recteur ne proposa au conseil de l’université qu’un candidat: votre humble serviteur. Le conseil entérina cette recommandation et procéda à ma nomination comme recteur à compter du 1er juin 1998. J’occupai ce poste jusqu’au 31 mai 2005.

    C’est avec enthousiasme que j’entrepris cette dernière étape de ma carrière universitaire. J’avais l’impression que toutes les étapes antérieures m’avaient très bien préparé à occuper ce poste exigeant comme pas un.

    Une grande université de recherche

    Dans tous les pays industrialisés du monde, les grandes universités de recherche sont au sommet de la pyramide des universités. Ces dernières, qui constituent entre 10% et 25% de l’ensemble des universités d’un pays, accaparent généralement entre 60% et 80% de l’ensemble des activités de recherche universitaire de ce pays et forment plus de 70% des diplômés de maîtrise et de doctorat2. Ces universités ont non seulement une mission particulière, mais aussi une grande complexité organisationnelle. L’Université de Montréal, que j’ai eu le privilège de diriger pendant sept ans, est précisément une grande université de recherche.

    Pour illustrer l’ampleur et la complexité de son organisation, il est utile de donner quelques chiffres. Avec ses deux écoles affiliées, l’Université de Montréal est, en quelque sorte, une ville moyenne regroupant près de 75 000 personnes dont la majorité est constituée d’étudiants. Ces étudiants, qui dans le cas de l’Université de Montréal sont au nombre de 66 000, vivent sur le campus trois, quatre ou même sept jours par semaine pour assister aux cours, participer aux séminaires, effectuer leurs recherches dans les laboratoires ou les bibliothèques, participer aux activités culturelles et sociales du campus, s’entraîner ou faire du sport au centre sportif, prendre régulièrement ou occasionnellement des repas aux cafétérias de l’institution et, pour un certain nombre, y loger dans ses résidences. L’université n’est pas un endroit où l’on s’arrête occasionnellement pour acheter un bien ou recevoir un service. Elle est un milieu de vie et l’étudiant y passe, en général, entre trois et dix ans de sa vie en fonction du dernier diplôme acquis. Ces études se font d’ailleurs dans un très grand nombre de disciplines et à divers niveaux d’études. On trouve, à l’Université de Montréal et à ses écoles affiliées, pas moins de 600 programmes d’étude différents qui vont des études est-asiatiques au génie informatique.

    Pour donner les cours, animer les séminaires, diriger les laboratoires de recherche, l’université doit embaucher des professeurs (2000) et des chargés de cours (4000). Cette grosse organisation requiert aussi un vaste personnel de soutien (3000) allant du personnel administratif et professionnel de tout type jusqu’aux différents corps de métier qui veillent à l’entretien des diverses composantes physiques de cette «ville».Les différents services de l’institution, finances, ressources humaines, immeubles, informatique, etc., sont dirigés par des cadres administratifs de haut niveau qui veillent à leur bon fonctionnement et à leur évolution nécessaire.

    Le budget annuel de fonctionnement de cette organisation est à la mesure de son ampleur et de la diversité de ses activités et dépasse nettement le milliard de dollars. La grande université de recherche n’est pas qu’un lieu d’enseignement, elle est aussi un grand centre de recherche qui se consacre à l’avancement des connaissances dans toutes les branches du savoir et à la formation de la relève scientifique. À l’Université de Montréal, on compte plus de 465 unités de recherche qui reçoivent quelque 500 millions de dollars par année pour financer leurs activités. Les professeurs consacrent en moyenne à la recherche et à la formation de la relève scientifique entre 30% et 60% de leur temps de travail.

    Ce foisonnement d’activités et de vie ne se réalise pas dans un lieu virtuel. Le campus est parsemé de quelque 30 pavillons de divers âges et de tailles différentes qui fournissent au total un espace brut de quelque 700 000 mètres carrés.

    C’est à la direction de cette institution que je fus nommé à titre de recteur en juin 1998. En fait, le recteur est le président de l’université, titre qu’il a d’ailleurs dans la vaste majorité des universités d’Amérique du Nord. Et c’est à ce titre que je vécus et saisis davantage toute la richesse et la complexité de cette immense organisation et la subtilité de ses relations avec les divers partenaires de l’institution. Ce poste me permit aussi de mieux comprendre les structures décisionnelles et organisationnelles de l’université, ses avantages, mais aussi ses carences. Ce sont les leçons que j’ai tirées de mes efforts de compréhension personnelle de ce monde universitaire, alimentées par une expérience qu’il m’a semblé intéressant, et peut-être utile, de raconter en émaillant le tout de réflexions sur l’université, la vie universitaire et les principaux acteurs de cette dernière.


    1. Rapport du groupe de travail sur les priorités, La poursuite de l’excellence, juillet 1985, Archives de l’Université de Montréal (A-2/275/59.)

    2. Voir à ce sujet Robert Lacroix et Louis Maheu, Les grandes universités de recherche, institutions autonomes dans un environnement concurrentiel, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2015.

    Introduction

    Un de mes champs de recherche est l’économie de l’innovation et du progrès technique. Ma thèse de doctorat examinait d’ailleurs comment l’utilisation de la R et D par les entreprises modifiait profondément les règles du commerce international. Puis, la recherche universitaire, dans l’écosystème de la R et D, m’intéressa de plus en plus, y compris ses modes de financement et son fonctionnement au sein des universités. Enfin, la qualité des universités, les modalités de leur financement et leur classement national et international me préoccupèrent toujours. Dans l’ensemble de mes recherches sur ces sujets, j’utilisais des données statistiques disponibles et pertinentes, les énoncés de politiques scientifiques des pays, des rapports de l’OCDE et d’autres organismes s’intéressant au sujet.

    Mes années de rectorat m’ont fait prendre conscience de ce que l’on peut oublier en recherche: derrière ces données statistiques et ces énoncés de politiques scientifiques, il y a eu des hommes et des femmes en situation de pouvoir qui ont pris des décisions dans des contextes économique, social et politique donnés et changeants. Ces hommes et ces femmes influençables ont effectivement été influencés non seulement par les contextes, mais aussi par des individus et des groupes de pression. Leurs décisions ne découlent pas toujours d’analyses rationnelles et poussées, mais de pressions politiques, de combats politiques, d’un engouement du moment ou de la confiance mise dans un conseiller, une connaissance ou un demandeur de fonds publics. En menant une grande campagne de financement pour l’Université de Montréal, j’ai aussi compris à quel point les donateurs étaient aussi des individus influençables et influencés. En somme, ce ne sont pas des robots qui prennent des décisions importantes, mais des êtres humains plus ou moins intelligents, souvent généreux et pleins de bonnes intentions, parfois vindicatifs, mais aussi émotifs. Ce sont ces décisions, bonnes et mauvaises, qui influencent notre vie de tous les jours et l’avenir des générations futures.

    C’est, entre autres choses, cette face souvent cachée de la réalité que j’ai voulu éclairer, dans une première partie de ce livre, à partir de mon expérience personnelle, acquise pendant sept années de rectorat et bien après. Au fil des huit premiers chapitres, après avoir situé l’université dans la société, nous verrons comment différentes personnes ont eu, pour le meilleur ou pour le pire, une incidence importante sur la vie de l’Université de Montréal et le cours de la vie universitaire au Québec et au Canada. Tout au long de ce livre, je ferai régulièrement des réflexions personnelles sur divers événements et différents contextes que le recul du temps et des analyses ex post m’ont inspirées.

    Le tout débute par les interventions et les responsabilités du gouvernement du Québec en éducation universitaire. Cet ordre de gouvernement finance 70% des coûts de fonctionnement des universités et réglemente, en plus, les droits de scolarité qui comptent pour quelque 16% du financement universitaire au Québec. Je raconte, dans le chapitre 2, l’histoire peu glorieuse du sous-financement des universités québécoises et quels furent les acteurs principaux de ce drame qui dure toujours. J’en profite pour raconter la petite histoire du Manifeste pour un Québec lucide et celle du Pacte pour un financement concurrentiel des universités, auxquelles j’ai été intimement lié. Je reviens aussi sur le fameux Printemps érable et ses conséquences, entre autres, sur la persistance du sous-financement universitaire découlant de l’abandon du plan Bachand, lequel visait précisément à redresser de façon conséquente le financement universitaire.

    Compte tenu du partage des responsabilités au Canada, le gouvernement fédéral intervient dans le financement de la recherche universitaire et joue par conséquent un rôle important dans la qualité des universités. Il finance en fait plus de 50% des coûts de la recherche, le reste étant réparti entre les gouvernements provinciaux, le secteur privé, la philanthropie et les revenus autonomes des institutions. L’évolution de ce financement provient de deux sources, soit l’augmentation des budgets des conseils subventionnaires et la mise en place de nouveaux programmes. J’ai vécu l’un et l’autre; j’ai participé à la création de quelques nouveaux programmes majeurs et j’ai pu voir comment les décisions se prenaient et quelle était l’influence de conseillers, de hauts fonctionnaires et de politiciens. C’est ce que je raconte au chapitre 3.

    L’université regroupe des professeurs, des étudiants, du personnel administratif et de soutien qui participent tous à sa grande mission d’enseignement et d’avancement des connaissances. Toutes ces personnes réalisent leurs activités sur un campus qui, dans le cas de l’Université de Montréal, prend l’allure d’une petite ville. Ce parc immobilier doit être entretenu, rénové et régulièrement agrandi pour répondre à la croissance des clientèles étudiantes et à celle des activités de recherche. Durant mon rectorat, quatre nouveaux pavillons ont été construits sur le campus et l’université a acheté la maison mère des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie sur le boulevard Mont-Royal. Il s’agissait d’un investissement total de plus de 300 millions de dollars. Comment ont été prises ces décisions, d’où provenaient les financements, quelles personnes furent impliquées dans ces décisions et quel fut le processus compliqué de la réalisation de ces projets? Pourquoi avons-nous évité les dérapages toujours possibles? Dans le chapitre 4, je montre à quel point les pièges sont nombreux et combien il peut être désastreux de tomber dans l’un d’entre eux.

    On parle régulièrement, dans certains milieux, de la commercialisation de l’université et de l’influence croissante qu’y joue le secteur privé. L’institution universitaire serait de plus en plus influencée par la doctrine néolibérale qui, semble-t-il, contamine la société occidentale. Qu’ai-je constaté dans les diverses fonctions que j’ai occupées au cours de ma longue carrière universitaire et que nous disent les faits à ce sujet? Je parle du secteur privé comme partenaire de l’université au chapitre 5.

    La philanthropie joue un très grand rôle dans le financement des universités privées américaines et son importance s’est grandement accrue au sein des universités canadiennes. À cet égard, les universités francophones du Québec, malgré une nette amélioration au cours des vingt dernières années, retirent beaucoup moins de la philanthropie que celles comparables du reste du Canada. J’organisai comme recteur, de 1999 à 2003, la grande campagne de financement des années 2000. Cela me permit de mieux comprendre l’état de la philanthropie universitaire dans le milieu francophone du Québec et la perception que les donateurs potentiels hors Québec avaient de ces institutions francophones. Le montant récolté au terme de cette grande campagne fut le plus élevé de l’histoire de la philanthropie universitaire francophone. Toutefois, si l’Université de Montréal, compte tenu de ses caractéristiques, avait été en plus une université anglophone du reste du Canada, elle aurait récolté au moins le

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